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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 14 janvier 1998

Arrêt n° 66/97 du 6 novembre 1997 Numéro du rôle : 1016 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1410, § 4, du Code judiciaire, posée par le Tribunal du travail de Liège. La Cour d'arbitrage, composée des président après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par ju(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 66/97 du 6 novembre 1997 Numéro du rôle : 1016 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1410, § 4, du Code judiciaire, posée par le Tribunal du travail de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L. François, J. Delruelle, H. Coremans et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 28 novembre 1996 en cause de R. Ansion contre le centre public d'aide sociale de Liège, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 décembre 1996, le Tribunal du travail de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 1410, paragraphe 4, [du Code judiciaire] en tant qu'il permet une dérogation aux dispositions des paragraphes 1 et 2 pour les prestations payées indûment soit à l'aide des ressources de l'Office National de Sécurité Sociale (de l'Office National de Sécurité Sociale des administrations provinciales et locales), du Fonds National de Retraite des Ouvriers Mineurs, de la Caisse de Secours et de Prévoyance en faveur des marins naviguant sous pavillon belge, du Fonds des Maladies Professionnelles, du Fonds des Accidents du Travail, des organismes publics ou privés chargés de l'application de la législation relative au statut social des travailleurs indépendants ou de l'Office de Sécurité Sociale d'Outre-Mer, soit à l'aide des ressources inscrites au budget du Ministère de la Prévoyance Sociale ou de celles inscrites au budget des pensions en vue de l'octroi du revenu garanti aux personnes âgées, pour la récupération d'office à concurrence de 10 % de chaque prestation ultérieure fournie, en faveur des bénéficiaires ou leurs ayants droit ou lorsque le paiement indu a été obtenu frauduleusement, la récupération peut porter sur l'intégralité des prestations fournies ultérieurement mais exclut de son champ d'application les sommes payées à titre de minimex et d'aide sociale, ne viole-t-il pas le principe d'égalité contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution en permettant à ses bénéficiaires d'échapper à la restitution de l'indu en se prévalant du principe d'insaisissabilité du minimex et de l'aide sociale ? » Par ordonnance du 28 mai 1997, la Cour a reformulé la question.

II. Les faits et la procédure antérieure Le demandeur devant le Tribunal du travail est un bénéficiaire du minimum de moyens d'existence (minimex). Lors du paiement de celui-ci, le centre public d'aide sociale (C.P.A.S.) procède à une retenue au titre de récupération de l'indu, le bénéficiaire ayant antérieurement omis de signaler des ressources dont il disposait. Le C.P.A.S. ayant refusé de réduire cette retenue comme le lui demandait le bénéficiaire, celui-ci s'est adressé au Tribunal en faisant valoir que les articles 1409 et 1410 du Code judiciaire font obstacle à la récupération par retenues effectuées d'office sur le minimex.

Le Tribunal a constaté que l'article 1410, § 4, du Code judiciaire autorise divers organismes à effectuer sur les prestations ultérieures dont ils sont débiteurs des retenues pour récupérer des prestations payées indûment mais que cette disposition ne s'applique pas au C.P.A.S. qui entend récupérer un paiement du minimex.

L'auditeur du travail a pour sa part observé qu'il existait une inégalité devant la saisissabilité entre les assurés sociaux, inégalité contenue dans ledit article 1410, § 4, du Code judiciaire, et qu'en permettant au bénéficiaire de se réfugier derrière le principe d'insaisissabilité du minimex, on semble légitimer et cautionner l'indu et la fraude. Se demandant s'il était justifié, au regard du principe d'égalité, d'obérer le budget d'assurés sociaux visé par l'article 1410, § 4, du Code judiciaire par voie de retenues à concurrence de 10 p.c. pour chaque prestation ultérieure (ou pour le tout en cas de fraude), alors que les bénéficiaires du minimex échappent à la règle, l'auditeur du travail a proposé au Tribunal d'adresser à la Cour la question dont les termes figurent ci-dessus.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 4 décembre 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 6 janvier 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 18 janvier 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - le centre public d'aide sociale de Liège, place Saint-Jacques 13, 4000 Liège, par lettre recommandée à la poste le 18 février 1997; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 21 février 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 3 mars 1997.

Par ordonnance du 28 mai 1997, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 26 juin 1997, après avoir reformulé la question préjudicielle comme dit ci-après (IV, B.1).

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 29 mai 1997.

Par ordonnance du 29 mai 1997, la Cour a prorogé jusqu'au 4 décembre 1997 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

A l'audience publique du 26 juin 1997 : - ont comparu : . Me M. Delhaye, avocat au barreau de Liège, pour le centre public d'aide sociale de Liège; . Me S. Vanoverbeke loco Me W. Van Eeckhoutte, avocats au barreau de Gand, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs L. François et H. Coremans ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire du C.P.A.S. de Liège A.1.1. Le rapport Van Reepinghen précédant le Code judiciaire indique que les articles 1408 et suivants de ce Code tendent à rassembler en une disposition générale des textes éparpillés qui ont, sans motif valable, fait échapper les uns aux modifications apportées aux autres.

L'article 1410, § 4, en cause vise à garantir au profit du Trésor la récupération effective de l'indu au-delà des limites de la saisissabilité énoncées par les dispositions qui précèdent, tout en assurant (limitation à 10 p.c. sauf le cas de fraude) en toute hypothèse au cédant ou au saisi ainsi qu'à sa famille un minimum vital.

La loi du 12 mai 1971 a étendu l'énumération contenue à l'article 1410, § 4, de telle sorte que l'on peut considérer qu'à ce moment, les dispositions fixées par le paragraphe 4 en fait de récupération de l'indu s'appliquent à toutes les prestations, pensions, rentes ou indemnités rentrant dans le cadre de la sécurité sociale au sens large et dont il est question aux paragraphes 1er et 2 de l'article 1410 du Code judiciaire.

Il s'agit donc d'une règle générale.

Enfin, la loi du 7 août 1974Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/08/1974 pub. 28/10/1998 numac 1998000076 source ministere de l'interieur Loi instituant le droit à un minimum de moyens d'existence - Traduction allemande fermer qui institue le droit à un minimum de moyens d'existence complète, par son article 21, § 2, l'article 1410, § 2, du Code judiciaire en introduisant parmi les sommes qui ne peuvent être cédées, ni saisies, celles qui sont payées à titre de minimum de moyens d'existence, mais elle ne modifie pas l'article 1410, § 4, du Code judiciaire.

A.1.2. Les articles 12 à 14 de la loi précitée du 7 août 1974 ont trait aux recouvrements du minimex; l'article 14, en permettant au C.P.A.S. - qui, en vertu de l'article 14bis, est tenu au recouvrement sauf décision individuelle pour des raisons d'équité - soit de récupérer à charge du bénéficiaire, soit d'entreprendre contre lui une action en remboursement du minimex qui lui a été payé, distingue soigneusement l'action en remboursement de la récupération; celle-ci paraît bien être une allusion au mécanisme de prélèvements envisagé par l'article 1410, § 4, du Code judiciaire, le minimex n'étant toutefois pas visé dans son énumération.

A.1.3. L'article 1410, § 4, du Code judiciaire, en ce que l'énumération qu'il donne ne concerne pas explicitement le minimex et ne le concernerait pas implicitement, introduit au sujet de la récupération des paiements indus une différence de traitement injustifiée par rapport aux autres secteurs de la sécurité sociale au sens large.

A.1.3.1. Or, le minimex est un droit social, branche de la sécurité sociale, car ses conditions d'octroi et son montant sont fixés par la loi et son arrêté d'exécution, lesquels ne laissent qu'un pouvoir minimal d'appréciation au C.P.A.S. et ouvrent un recours devant une autorité judiciaire. De même, la loi du 15 janvier 1990Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/01/1990 pub. 08/07/2010 numac 2010000396 source service public federal interieur Loi relative à l'institution et à l'organisation d'une Banque-Carrefour de la Sécurité sociale. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à l'institution et à l'organisation d'une Banque-carrefour de la sécurité sociale inclut dans la sécurité sociale le droit à un minimum de moyens d'existence (section 2, article 2, 1°, E) dans l'ensemble de la branche du régime d'aide sociale constituée en outre par les allocations aux handicapés, les prestations familiales garanties et le revenu garanti aux personnes âgées.

A.1.3.2. Le caractère résiduaire de ce droit n'est cependant pas de nature à justifier la différence de traitement en cause. Le minimex est en effet comparable, quant à ses dispositions principales et, à quelques francs près, à ses montants, au revenu garanti aux personnes âgées visé, lui, par l'article 1410, § 2, 6°, et § 4, du Code judiciaire. En outre, le législateur a prévu lui-même plusieurs hypothèses où les droits du citoyen sont inférieurs au montant du minimex, lorsque celui-ci est saisi parce que le bénéficiaire est débiteur d'une pension alimentaire ou fait l'objet d'une sanction (articles 16 et suivants de la loi sur le minimex).

A.1.3.3. Si, quant au mode de financement du minimex, celui-ci a pour caractéristique d'être à charge du budget local et plus précisément communal, à l'exception de la subvention de l'Etat qui est en règle égale à 50 p.c. (article 18, § 1er, de la loi sur le minimex) sauf dans les hypothèses prévues aux articles 18, § 2, et suivants, cette considération budgétaire ne peut en aucune manière constituer une justification suffisante de la différence de traitement constatée.

A.1.4. Le législateur se contredit en prévoyant, de manière contraignante, le recouvrement et plus particulièrement la récupération de l'indu (articles 14 et 14bis de la loi) tout en rendant impossible dans les faits semblable récupération puisque, par hypothèse, dans le cadre de l'article 1410, § 4, du Code judiciaire, le justiciable à charge de qui la récupération est poursuivie se trouve toujours dans les conditions d'obtenir le minimex et est donc insaisissable sauf dérogation. S'il est vrai que dans ce cas, un paiement volontaire (d'ailleurs fréquent) est toujours possible, l'on voit cependant mal comment le concilier avec une obligation de recouvrement.

A.1.5. L'article 1410, § 4, en cause a enfin un effet pervers en ce que les C.P.A.S. privés de la possibilité de récupérer l'indu par des prélèvements mensuels modérés n'auront d'autres ressources que d'appliquer de manière systématique et draconienne les sanctions des articles 16 et suivants de la loi qui engendrent pour le bénéficiaire une situation bien plus dommageable puisqu'il risque alors de se voir privé de toute ressource pendant un temps déterminé, la suspension du droit n'étant pas, en cette hypothèse, nécessairement limitée à la hauteur des paiements indus. Cette solution n'est souhaitable ni pour les bénéficiaires ni pour les C.P.A.S., qui pourraient se voir ainsi contraints de renier le caractère social de leur rôle.

Mémoire du Conseil des ministres A.2.1. L'article 1410, § 4, du Code judiciaire a prévu une possibilité de récupération pour les prestations qui étaient complètement incessibles et insaisissables et qui, selon les travaux préparatoires de ce Code, visaient à permettre au bénéficiaire de faire face à des dépenses importantes et urgentes.

Les lois des 1er avril 1969 et 27 juin 1969, qui ont institué le droit au revenu garanti aux personnes âgées et le droit à une allocation aux handicapés, ont modifié l'article 1410, § 2, du Code judiciaire, mais non l'article 1410, § 4; celui-ci fut modifié par la loi du 12 mai 1971, qui témoigne de la volonté du législateur de traiter ces nouvelles prestations sociales de la même façon que les autres prestations sociales mentionnées à l'article 1410, §§ 1er et 2.

A la suite de l'instauration du droit à un minimum de moyens d'existence ( loi du 7 août 1974Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/08/1974 pub. 28/10/1998 numac 1998000076 source ministere de l'interieur Loi instituant le droit à un minimum de moyens d'existence - Traduction allemande fermer) et du droit à l'aide sociale ( loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer), l'article 1410, § 2, du Code judiciaire fut modifié, mais non l'article 1410, § 4.

La loi du 14 janvier 1993 a, pour sa part, modifié l'article 1412 du Code judiciaire afin de permettre la saisie et la cession des sommes mentionnées à l'article 1410 du Code judiciaire, dont le minimum de moyens d'existence, en faveur des créanciers d'aliments, à l'exception toutefois des sommes payées à titre d'aide sociale, mentionnées à l'article 1410, § 2, 8°, du Code judiciaire. Lors de la discussion du projet de loi, il fut souligné que l'aide sociale ne peut en aucun cas être saisie, tandis que cela doit bien être possible pour le minimum de moyens d'existence en cas d'obligation alimentaire (Doc. parl., Sénat, S.E., 1991-1992, n° 353-2, 6).

A.2.2. Le texte actuel de l'article 1410, § 4, du Code judiciaire a pour conséquence que des prestations payées indûment aux bénéficiaires des prestations sociales mentionnées à l'article 1410, § 1er, dont les allocations de sécurité sociale classiques, et de certaines allocations mentionnées à l'article 1410, § 2, dont les allocations aux handicapés et le revenu garanti aux personnes âgées, peuvent être récupérées à concurrence de 10 p.c. Par contre, le minimum de moyens d'existence payé indûment et l'aide sociale payée indûment ne peuvent être récupérés selon ces mêmes conditions, parce que le minimum de moyens d'existence et l'aide sociale ne sont pas payés à l'aide des ressources des organismes mentionnés à l'article 1410, § 4, et ne sont pas non plus inscrits au budget du ministère de la Prévoyance sociale.

A.2.3. En ce qui concerne le droit à un minimum de moyens d'existence, la différence de traitement qui résulte de la disposition en cause ne trouve pas sa justification dans le fait que ce droit et l'octroi d'autres prestations sociales auraient un objectif différent. Parmi les autres prestations sociales, on compte en effet aussi le revenu garanti aux personnes âgées et les allocations aux handicapés. Comme le minimum de moyens d'existence, ceux-ci ont pour but, indépendamment de l'obligation de cotisation et sans aucun lien avec le travail réalisé, de procurer à l'ayant droit un revenu qui, vu l'absence d'autres moyens pour pourvoir à son existence, lui donne la possibilité de pouvoir assurer sa subsistance et de le protéger contre la pauvreté. Le fait que les objectifs de la loi du 7 août 1974Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/08/1974 pub. 28/10/1998 numac 1998000076 source ministere de l'interieur Loi instituant le droit à un minimum de moyens d'existence - Traduction allemande fermer instituant le droit à un minimum de moyens d'existence, de la loi du 1er avril 1969 instituant un revenu garanti aux personnes âgées et de la loi du 27 juin 1969 relative à l'octroi d'allocations aux handicapés sont les mêmes, ressort incontestablement du niveau à peu près identique des prestations et de la condition d'indigence exigée par chaque régime.

Quant à l'intérêt, pour le bénéficiaire ou pour le dispensateur de la prestation sociale, de se voir imposer ou de pouvoir imposer une récupération, il n'est pas différent suivant que cette prestation sociale est le droit au minimum de moyens d'existence ou le droit à une autre prestation sociale, telle que le revenu garanti aux personnes âgées ou l'allocation aux handicapés.

Enfin, s'il est vrai que les prestations sont financées d'une manière différente (le minimum de moyens d'existence et les sommes versées à titre d'aide sociale sont payés à l'aide des ressources des centres publics d'aide sociale) et que cela constitue un critère objectif, ce critère n'est pas adéquat à la lumière du but poursuivi.

A.2.4. En ce qui concerne le droit à l'aide sociale, la différence de traitement se justifie parce que l'aide sociale est conçue comme le dernier filet de sécurité dans la société : les personnes indigentes qui n'ont pas droit à une des allocations de sécurité sociale classiques ou au minimum de moyens d'existence ou dont les allocations ont été saisies peuvent faire appel au centre public d'aide sociale afin d'obtenir de l'aide sous la forme appropriée. L'aide sociale n'est octroyée que pour autant qu'elle soit nécessaire pour permettre à l'intéressé de mener une existence digne (C.E., 21 mai 1981, n° 21.190, Arr. C.E., 1981, 774). Aucune des autres allocations sociales n'a le même but, à savoir procurer une aide minimale sous la forme appropriée à celui qui n'a pas la possibilité de mener une vie qui corresponde à la dignité de la condition humaine. Cette aide minimale peut être octroyée sous forme de paiement de certaines sommes et doit être considérée comme un droit absolument incessible et insaisissable qui ne peut être mis en cause ni par la récupération de l'aide sociale octroyée indûment par le passé ni, comme le confirme la loi du 14 janvier 1993, par la possibilité, que cette loi refuse aux créanciers d'aliments, de procéder à la cession ou à la saisie de sommes qui sont payées aux débiteurs d'aliments à titre d'aide sociale. Le droit des créanciers d'aliments doit s'incliner devant cette prestation qui constitue un minimum d'existence strict pour celui qui en bénéficie.

La différence de traitement entre le bénéficiaire de l'aide sociale et le bénéficiaire d'une autre prestation sociale est ainsi justifiée par le but différent visé par les différentes législations. - B - B.1. La question préjudicielle reformulée par la Cour s'énonce en ces termes : « L'article 1410, § 4, du Code judiciaire viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il permet au bénéficiaire de sommes payées à titre de minimum de moyens d'existence ou d'aide sociale d'échapper à la restitution de l'indu en se prévalant de l'incessibilité et de l'insaisissabilité résultant de l'article 1410, § 2, 7° et 8°, du même Code alors qu'il permet, par dérogation aux paragraphes 1er et 2 du même article, en ce qui concerne les prestations payées indûment soit à l'aide des ressources de l'Office national de sécurité sociale (de l'Office national de sécurité sociale des administrations provinciales et locales), du Fonds national de retraite des ouvriers mineurs, de la Caisse de secours et de prévoyance en faveur des marins naviguant sous pavillon belge, du Fonds des maladies professionnelles, du Fonds des accidents du travail, des organismes publics ou privés chargés de l'application de la législation relative au statut social des travailleurs indépendants ou de l'Office de sécurité sociale d'outre-mer, soit à l'aide des ressources inscrites au budget du ministère de la Prévoyance sociale ou de celles inscrites au budget des pensions en vue de l'octroi du revenu garanti aux personnes âgées, la récupération d'office à concurrence de 10 p.c. de chaque prestation ultérieure ou, lorsque le paiement indu a été obtenu frauduleusement, une récupération illimitée sur les prestations fournies ultérieurement ? » B.2.1. L'article 1410, § 1er, du Code judiciaire limite, par référence à l'article 1409, la saisissabilité et la cessibilité de diverses provisions, pensions alimentaires, pensions, indemnités ainsi que d'une série d'avantages prévus par la législation sociale, telles les allocations de chômage, les indemnités d'incapacité de travail et les allocations d'invalidité.

B.2.2. L'article 1410, § 2, du même Code interdit la saisie ou la cession 1° des prestations familiales, y compris celles payées en vertu de la législation portant indemnité des militaires soldés;2° des pensions et rentes d'orphelins payées en vertu d'une loi, d'un statut ou d'un contrat;3° des allocations au profit des handicapés; 4° de la partie de l'indemnité payée en vertu de la législation sur la réparation des dommages résultant des accidents du travail, qui dépasse 100 p.c. et qui est accordée aux grands blessés dont l'état nécessite absolument et normalement l'assistance d'une autre personne; 5° des sommes payées : 1° à titre des prestations de santé à charge de l'assurance maladie-invalidité ou en vertu de la loi du 16 juin 1960 et de la législation en matière de sécurité sociale d'outre-mer;2° à titre de frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et hospitaliers causés par un accident du travail ou une maladie professionnelle; 6° des sommes payées à titre de revenu garanti aux personnes âgées;7° des sommes payées à titre de minimum de moyens d'existence;8° des sommes payées à titre d'aide sociale par les centres publics d'aide sociale. B.2.3. L'article 1410, § 4, du même Code, qui fait l'objet de la question préjudicielle, prévoit une possibilité de récupération qui déroge à l'interdiction et à la limitation de saisie et de cession prévues par l'article 1410, §§ 1er et 2. Avant sa modification par l'arrêté royal du 20 février 1997 ratifié par la loi du 26 juin 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/06/1997 pub. 28/06/1997 numac 1997021198 source services du premier ministre Loi portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et monétaire européenne, de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions, et de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité fermer, il disposait : « § 4. Par dérogation aux dispositions des §§ 1er et 2, les prestations payées indûment soit à l'aide des ressources de l'Office national de sécurité sociale, de l'Office national de sécurité sociale des administrations provinciales et locales, du Fonds national de retraite des ouvriers mineurs, de la Caisse de secours et de prévoyance en faveur des marins naviguant sous pavillon belge, du Fonds des maladies professionnelles, du Fonds des accidents du travail, des organismes publics ou privés chargés de l'application de la législation relative au statut social des travailleurs indépendants ou de l'Office de sécurité sociale d'outre-mer, soit à l'aide des ressources inscrites au budget du ministère de la prévoyance sociale ou de celles inscrites au budget des pensions en vue de l'octroi du revenu garanti aux personnes âgées, peuvent être récupérées d'office à concurrence de 10 p.c. de chaque prestation ultérieure fournie, en faveur des bénéficiaires ou leurs ayants droit. Pour la détermination de ces 10 p.c., le montant de cette prestation est augmenté, le cas échéant, de la prestation correspondante accordée en vertu d'une ou de plusieurs réglementations étrangères. Néanmoins, l'organisme ou le service payeur d'un avantage prévu aux paragraphes précités et obtenu avec effet rétroactif, peut déduire des sommes échues et non encore payées, au profit de l'organisme ou du service qui a payé indûment, le montant des prestations fournies antérieurement et qui ne peuvent être cumulées avec lesdits avantages. Lorsqu'un bénéficiaire de pension, en raison de l'octroi d'une pension de retraite ou de survie à charge d'un régime belge de sécurité sociale, a renoncé avec effet rétroactif aux allocations perçues en vertu de l'article 7 de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 relatif à la sécurité sociale des travailleurs, l'Office national de l'emploi est subrogé d'office et pour le montant des allocations perçues, dans le droit du bénéficiaire de pension aux montants de pension qui lui sont dus.

Lorsque le paiement indu a été obtenu frauduleusement, la récupération peut porter sur l'intégralité des prestations fournies ultérieurement.

Lorsque les prestations familiales ont été obtenues indûment suite à une négligence ou à une omission de l'attributaire ou de l'allocataire, la récupération peut porter sur l'intégralité des prestations familiales dues ultérieurement au même allocataire. » B.3. Il résulte de ces textes que les sommes payées au titre d'allocations aux handicapés, de revenu garanti aux personnes âgées, de minimum de moyens d'existence et d'aide sociale sont insaisissables mais que celles payées au titre d'allocations aux handicapés et de revenu garanti aux personnes âgées peuvent faire l'objet d'une récupération d'office sur des prestations ultérieurement fournies alors que cette possibilité est exclue pour celles payées au titre de minimum de moyens d'existence et d'aide sociale.

L'article 1410, § 4, du Code judiciaire crée ainsi une différence de traitement entre les bénéficiaires des sommes qu'il vise (dont la saisie ou la cession ne peut être que partielle ou est interdite mais qui peuvent faire l'objet d'une récupération d'office) et les bénéficiaires des avantages qui sont accordés à titre de minimum de moyens d'existence ou d'aide sociale (qui ne peuvent faire l'objet ni de saisie, ni de cession, ni de récupération d'office).

B.4. Parmi les prestations mentionnées à l'article 1410, § 2, du Code judiciaire, le revenu garanti aux personnes âgées, l'allocation aux handicapés et le minimum de moyens d'existence visent - en marge du régime traditionnel de sécurité sociale, lequel comporte le paiement de cotisations - à procurer un revenu fixé par la loi à ceux qui ne disposent pas à suffisance d'autres moyens de subsistance. Eu égard à cette finalité commune aux trois régimes, qui fournissent des prestations d'un niveau comparable et sont tous subordonnés à la condition d'insuffisance des ressources du bénéficiaire, il n'est pas justifié, sur la base du seul critère de la source du financement, de traiter différemment leurs bénéficiaires au regard de la possibilité de restitution de l'indu réglée par l'article 1410, § 4, du Code judiciaire, lequel permet au bénéficiaire du minimum de moyens d'existence d'échapper à la règle qu'il prévoit alors que les bénéficiaires des allocations aux handicapés et du revenu garanti aux personnes âgées y sont soumis et que cette règle n'est pas déraisonnable. Cette disposition est donc discriminatoire, en tant qu'il ne résulte pas des dispositions en cause du Code judiciaire - du moins dans l'état qui était le leur avant la modification de l'article 1410, § 4, de ce Code par l'arrêté royal du 20 février 1997, limitant la récupération de certaines prestations sociales en fonction du montant du minimum de moyens d'existence - que ce minimum constituerait un seuil de revenu en deçà duquel l'on ne pourrait descendre.

B.5. En revanche, l'aide sociale octroyée sur la base de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer ne consiste pas en l'octroi de sommes dont le montant est précisé par cette loi. Celle-ci prévoit seulement un secours (qui n'est pas nécessairement en argent) tel que le bénéficiaire puisse mener une vie conforme à la dignité humaine. Il s'agit donc d'un seuil en deçà duquel le législateur estime qu'une atteinte serait portée à cette exigence, de sorte qu'il a garanti le caractère insaisissable et incessible des sommes octroyées au titre d'aide sociale (article 1410, § 2, du Code judiciaire), même à l'égard des créanciers d'aliments (article 1412). Il est dans la logique d'une institution ainsi conçue de ne pas permettre d'empirer la situation de ses bénéficiaires par une récupération d'office, les abus étant de toute façon punissables comme tels sur la base des articles 98, § 1er, alinéa 3, et 99, § 1er, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1410, § 4, du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il ne permet pas de récupération d'office des sommes indûment payées à titre de minimum de moyens d'existence.

La même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'elle ne permet pas ladite récupération en ce qui concerne l'aide sociale indûment payée.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 6 novembre 1997.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

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