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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 02 juillet 1998

Arrêt n 42/98 du 22 avril 1998 Numéro du rôle : 1049 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 440 du Code judiciaire, posées par le Conseil d'Etat. La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De G après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arr(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n 42/98 du 22 avril 1998 Numéro du rôle : 1049 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 440 du Code judiciaire, posées par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts et R. Henneuse, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt n 63.274 du 22 novembre 1996 en cause de la s.c.s. Madibel et E. Peeters contre la commune de Messancy et l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 février 1997, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « Les articles 10 et 11 de la Constitution sont-ils violés par l'article 440 du Code judiciaire dans la mesure où ledit article est interprété en ce sens que : a) la signature d'une requête en annulation déposée à temps auprès du Conseil d'Etat par un avocat agissant pour le compte d'une société ne suffit pas pour la recevabilité de la requête si la preuve d'une décision prise par l'organe ou par les personnes compétentes représentant la société n'est pas produite, alors que la signature d'une requête par un avocat au nom d'une personne physique suffit pour l'introduction recevable de la requête sans qu'une preuve d'une décision prise par cette personne doit être produite;b) la signature d'une requête en annulation déposée à temps auprès du Conseil d'Etat par un avocat agissant pour le compte d'une société, représentée par un organe collégial ou par des personnes qui doivent agir conjointement, ne suffit pas pour la recevabilité de la requête si la preuve d'une décision prise par l'organe ou par les personnes représentant la société n'est pas produite, alors que la signature d'une requête par un avocat au nom d'une société qui est représentée par une seule personne, suffit pour l'introduction recevable de la requête sans qu'une preuve d'une décision prise par cette personne doit être produite ? » II.Les faits et la procédure antérieure La société en commandite simple Madibel et E. Peeters demandent au Conseil d'Etat l'annulation d'une décision de la commune de Messancy du 4 novembre 1993 (et du 26 octobre 1993) ainsi que d'un avis du Comité socio-économique pour la distribution du 30 septembre 1993.

La première partie requérante est une société en commandite simple gérée par un seul associé; aux termes de l'article 6 de ses statuts, seul ce dernier pouvait décider d'introduire le recours en annulation devant le Conseil d'Etat. Celui-ci relève que la décision a été prise en l'espèce par R. Deboeck, qui n'est pas associé, et que la requête en annulation est signée par un avocat.

La première partie requérante demande alors que soit posée à la Cour la question préjudicielle citée ci-dessus. Le Conseil d'Etat estime qu'il est tenu, par l'article 26, § 1er, 3°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, de poser la question soulevée par la partie requérante.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 3 février 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 24 février 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 mars 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - la s.c.s. Madibel, dont le siège est établi à 1853 Grimbergen, Boechoutlaan 105, et E. Peeters, demeurant à 54260 Longuyon (France), rue Maréchal Joffre, par lettre recommandée à la poste le 9 avril 1997; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 10 avril 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 17 avril 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - la s.c.s. Madibel et E. Peeters, par lettre recommandée à la poste le 14 mai 1997; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 16 mai 1997.

Par ordonnances du 25 juin 1997 et du 22 janvier 1998, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 3 février 1998 et 3 août 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 21 janvier 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 11 février 1998.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 22 janvier 1998.

Par ordonnance du 11 février 1998, le président M. Melchior a soumis l'affaire à la Cour réunie en séance plénière.

A l'audience publique du 11 février 1998 : - ont comparu : . Me J. Temmerman, avocat au barreau de Gand, et Me J.-P. Michel, avocat au barreau d'Arlon, pour la s.c.s. Madibel et E. Peeters; . Me K. Geens, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire de la société en commandite simple Madibel et de E. Peeters A.1.1. Il résulte de l'analyse de la question préjudicielle que le Conseil d'Etat donne à l'article 440 du Code judiciaire l'interprétation suivante : « L'article 440 du Code judiciaire est applicable dans le cas où un avocat agit pour compte d'une personne physique ou pour une société représentée par une seule personne.

C'est-à-dire, cet avocat n'a pas à justifier d'une procuration; il n'a pas à prouver que son client a décidé d'introduire un recours en annulation.

L'article 440 du Code judiciaire n'est pas applicable dans le cas où un avocat agit pour le compte d'une société représentée par un organe collégial ou par des personnes qui doivent agir conjointement.

C'est-à-dire, cet avocat doit établir que son client, représenté par un organe collégial ou par des personnes qui doivent agir conjointement, a décidé d'introduire un recours en annulation.

Il doit être souligné que dans ce dernier cas, le Conseil d'Etat n'est pas d'avis qu'une loi, visée à l'article 440, deuxième alinéa, du Code judiciaire, exigeant un mandat spécial, est d'application. » A.1.2. Ainsi interprété, l'article 440 du Code judiciaire fait une distinction qui repose sur un critère objectif, le nombre de personnes physiques qui doivent prendre la décision d'introduire le recours en annulation. Ce critère n'est cependant pas susceptible d'une justification objective et raisonnable. Celle-ci « ne peut pas concerner une prétendue nécessité que la décision d'introduire un recours en annulation émane effectivement de la partie requérante ».

La déontologie de l'avocat est une garantie suffisante à cet égard.

La justification « ne peut non plus concerner une prétendue nécessité que la décision d'introduire un recours en annulation émane de l'organe compétent de la société ». Si la question de la représentation ne se pose pas de la même manière pour les personnes physiques, elle devrait à tout le moins être réglée de la même manière pour toutes les personnes morales, que celles-ci soient ou non représentées par une seule personne. Pour la représentation de la personne morale, l'intervention de l'avocat et sa déontologie sont aussi des garanties suffisantes pour que la décision d'introduire un recours émane de l'organe compétent de la société.

Enfin, la justification ne peut pas concerner la question de savoir si la décision est prise dans le délai de soixante jours, une telle vérification étant nécessairement subordonnée aux vérifications dont il a déjà été question.

La présomption légale exprimée par l'article 440 du Code judiciaire va de pair avec l'article 848 de ce Code concernant la demande en désaveu. « L'exception d'absence de représentation légale de la personne morale ne peut réussir que dans le cas où [celle-ci] invoque elle-même cette absence de représentation. » A.1.3. En conclusion, « en absence d'une disposition légale spécifique concernant les personnes juridiques, l'interprétation de l'article 440 du Code judiciaire par le Conseil d'Etat comporte une différenciation non justifiable et, dès lors, discriminatoire ».

Mémoire du Conseil des ministres A.2.1. Il ressort de la jurisprudence du Conseil d'Etat que celui-ci considère qu'il lui appartient de vérifier, même d'office, la qualité de la personne qui introduit une requête en annulation, ce qui revient pour une société à vérifier si l'introduction de la requête a bien été décidée par l'organe compétent de la société commerciale avant l'expiration du délai fixé pour l'introduction du recours, alors même que la requête est signée par un avocat qui représente la société à l'audience.

La jurisprudence en matière d'organe de représentation, d'une part, et en matière d'organe unipersonnel, d'autre part, ne constitue en fait que « la transposition adéquate des règles spécifiques du droit des sociétés quant à la vérification de la qualité ».

A.2.2. A titre principal, les catégories envisagées ne sont pas comparables.

La société dotée de la personnalité morale ne peut être comparée à la personne physique en ce qui concerne sa représentation en justice.

Pour les sociétés dotées de la personnalité juridique, il y a une double représentation, représentation par les organes d'abord, par l'avocat, ensuite. Une personne physique, par contre, peut se faire représenter par un avocat sans qu'aucune intervention de quiconque ne soit nécessaire. « Tout autre - et comparable à la situation de la personne morale - est celle de la personne physique au nom de laquelle le recours doit être exercé car cette personne est mineure, interdite ou incapable à un autre titre. » Dans ce cas, il y a également double représentation. Le Conseil d'Etat vérifie d'ailleurs dans ce cas si le représentant qui a pris la décision d'introduire un recours disposait de la qualité pour ce faire, sur la base des dispositions légales applicables. « Il échet par conséquent de constater en ce qui concerne la première question préjudicielle que les catégories de personnes entre lesquelles une inégalité est alléguée ne sont pas suffisamment comparables.

En plus, la question est mal libellée dans la mesure où elle suggère que la signature d'une requête par un avocat au nom d'une personne physique suffirait toujours pour l'introduction recevable de la requête sans que la vérification de la qualité de cette personne ne s'impose. Ceci n'est vrai que quand la personne physique ne doit pas être légalement représentée. » La société représentée par un organe collégial ou par des personnes devant agir conjointement ne peut être comparée à la société représentée par une seule personne en ce qui concerne sa représentation en justice. Cette question est d'ailleurs aussi mal libellée que la première car elle suggère que le Conseil d'Etat est automatiquement dispensé de la vérification de la qualité lorsque l'organe d'une société est unipersonnel. Or, il n'en est rien; la vérification de la qualité s'impose toujours si les statuts contiennent une limitation des pouvoirs de l'organe unipersonnel, sauf si les lois coordonnées rendent une telle limitation inopposable.

Ce n'est que quand toute idée de représentation est absente que le Conseil d'Etat est dispensé de la vérification de la qualité et que la procuration tacite de l'avocat peut être mise en exergue.

A.2.3. A titre subsidiaire, l'article 440 du Code judiciaire, dans l'interprétation qui lui est donnée, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. En effet, il peut se justifier objectivement et raisonnablement. Un acte ou un règlement administratif ne peut valablement être attaqué devant le Conseil d'Etat que par un requérant, personne physique ou personne morale, qui a qualité pour le faire. Lorsque le recours est introduit au nom d'autrui, le Conseil d'Etat vérifie par conséquent la qualité de la personne ou de l'organe habilité à représenter une personne physique incapable, une personne morale de droit privé ou une personne morale de droit public. C'est la raison pour laquelle la décision d'introduire une requête prise par l'organe compétent d'une société commerciale avant l'expiration du délai prévu pour l'introduction de la requête doit en principe être produite.

Tout autre est la situation d'une personne physique pour laquelle la qualité à agir se confond avec sa capacité et son intérêt et ne doit guère être démontrée. Il en est de même d'une société commerciale dans laquelle, en vertu des statuts ou de la loi, l'organe peut être unipersonnel, sauf si les statuts contiennent une limitation des pouvoirs de cet organe et à moins que les lois ne rendent une telle limitation inopposable. « Par ailleurs, vérifier la qualité de la personne physique qui introduit la requête consisterait à exiger la production de la décision de la personne physique ou de l'organe unipersonnel de la société, ce qui aboutirait en pratique à exiger la production du mandat écrit conféré à l'avocat représentant la personne physique ou la personne morale dotée d'un organe unipersonnel.

Une telle exigence irait évidemment à l'encontre de l'article 440 du Code judiciaire. » En conclusion, les différences de traitement soumises à la Cour ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution pour le motif que la qualité à agir devant le Conseil d'Etat ne peut être établie de la même manière pour les différentes personnes qui sont visées par les questions préjudicielles.

Mémoire en réponse de la société en commandite simple Madibel et de E. Peeters A.3.1. L'interprétation de l'article 440 du Code judiciaire, telle qu'elle résulte de la jurisprudence du Conseil d'Etat, n'est pas partagée par la Cour de cassation, selon laquelle l'article 440 fonde une présomption qui porte à la fois sur l'existence du mandat ad litem de l'avocat et sur le caractère régulier de la décision de l'organe de la personne morale qui l'en a chargé. Puisque l'arrêt de renvoi du Conseil d'Etat s'est prononcé pour l'application de l'article 440 du Code judiciaire, il faut donner à cet article sa signification entière.

A.3.2. La thèse du Conseil des ministres concernant la qualité, condition essentielle à la recevabilité du recours en annulation, est critiquable quand il s'agit d'une société et de ses organes. « Certes, une société ne peut agir que par l'intermédiaire de ses organes. Mais on ne peut pas dire que l'organe de la société introduit, au nom d'autrui, un recours en annulation. C'est la société elle-même qui introduit ce recours, ses organes s'identifiant à la société, voire incarnant cette société. Tout autre est la situation dans laquelle une personne physique est représentée par une personne qui ne s'identifie pas au représenté (par exemple représentant légal en cas d'incapacité d'une personne physique). » La question de savoir si l'organe compétent a pris une décision formelle d'introduire un recours ne concerne dès lors que le processus de décision dans le giron de la société. « Alors surgit la question de savoir pour quelles raisons on exigerait une formalisation de ce processus afin de mettre le Conseil d'Etat en mesure de contrôler ce processus. » Par une telle formalisation, la jurisprudence du Conseil d'Etat porte atteinte au mandat ad litem de l'avocat. Elle exclut aussi la possibilité d'une ratification classique, bien que l'article 848 du Code judiciaire ne s'y oppose pas, et elle fait naître des problèmes pratiques si une décision doit être prise d'urgence.

A.3.3. Ni les règles concernant la représentation d'une société, ni l'autonomie de la procédure administrative, ni quelconque autre règle ou circonstance ne peuvent justifier la différenciation faite par le Conseil d'Etat.

La thèse de la non-comparabilité ne peut être soutenue puisque, si une personne morale ne peut agir que par l'intermédiaire de ses organes, ceux-ci s'identifient à la personne. Il y a à cet égard une différence avec la situation de la personne physique au nom de laquelle le recours est exercé parce qu'elle est incapable, puisque dans ce cas le recours est introduit au nom d'autrui. En outre, par son argumentation concernant la deuxième question, le Conseil des ministres nie lui-même la pertinence de son exposé concernant la non-comparabilité de la personne physique et de la personne morale. « A vrai dire, le seul critère sur lequel la jurisprudence du Conseil d'Etat repose, c'est le nombre des personnes qui doivent décider d'introduire le recours en annulation.

Ce critère n'a rien à voir avec un contrôle de l'exigence de la ' qualité ' de la partie requérante. » Mémoire en réponse du Conseil des ministres A.4. Si, à première vue, le critère de différenciation utilisé par le Conseil d'Etat semble effectivement le nombre de personnes, une analyse approfondie de sa jurisprudence fait apparaître que « le véritable critère de différenciation se situe au niveau de la représentation des personnes qui agissent [par] l'intermédiaire d'un avocat, qui peut être simple ou double ».

Compte tenu des règles prévues notamment par le Code civil et par les lois coordonnées sur les sociétés commerciales en matière de représentation, la vérification de la qualité de la personne qui a pris une décision d'agir ne se pose pas dans les mêmes termes en cas de simple représentation ou de double représentation.

La jurisprudence du Conseil d'Etat constitue dès lors, en ce qui concerne la vérification de la qualité dans les sociétés, une juste application des règles spécifiques prévues en la matière par le droit des sociétés. - B - B.1. L'article 440 du Code judiciaire dispose : « Devant toutes les juridictions, sauf les exceptions prévues par la loi, seuls les avocats ont le droit de plaider.

L'avocat comparaît comme fondé de pouvoirs sans avoir à justifier d'aucune procuration, sauf lorsque la loi exige un mandat spécial. » B.2.1. Pour répondre à la première question, la Cour doit examiner la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 440, alinéa 2, du Code judiciaire en ce que cet article est interprété comme faisant une distinction entre l'avocat qui représente une personne physique et l'avocat qui représente une personne morale.

La signature d'un avocat représentant une personne physique suffit pour qu'une requête en annulation devant le Conseil d'Etat soit recevable, sans que la preuve d'une décision prise par cette personne doive être produite. En revanche, la signature d'un avocat représentant une personne morale ne suffit pas, une preuve de la décision prise par l'organe de la personne morale devant être produite.

B.2.2. Cette différence de traitement n'est pas dépourvue de justification raisonnable.

La personne morale agit par l'organe que désigne la loi ou les statuts. Il n'est pas déraisonnable, sous réserve de la réponse à la deuxième question, d'exiger la preuve de ce que cet organe a régulièrement pris, dans le délai légal, la décision d'agir devant le Conseil d'Etat. En vertu de la présomption établie par l'article 440, alinéa 2, du Code judiciaire, l'avocat n'aura pas à faire la preuve de ce qu'il a été mandaté. Mais il ne se déduit pas nécessairement de cet article que la personne morale elle-même doit être présumée avoir agi dans le respect des exigences légales qui la concernent.

En revanche, la personne physique, quand elle agit pour elle-même, décide personnellement d'agir en justice sans l'intervention d'un quelconque organe. Il se déduit nécessairement de l'article 440, alinéa 2, du Code judiciaire que l'avocat est présumé être mandaté à cette fin par cette partie, sans avoir à en fournir la preuve.

B.2.3. Il est vrai que la Cour de cassation interprète l'article 440, alinéa 2, du Code judiciaire comme présumant à la fois que l'avocat représente la personne morale et que l'organe de celle-ci a régulièrement pris la décision d'agir en justice. Cette interprétation est différente de celle du Conseil d'Etat.

B.2.4. La différence d'interprétation s'explique par la spécificité du contentieux objectif confié au Conseil d'Etat : celui-ci applique une procédure inquisitoire; il reçoit les recours qui sont introduits en vue de la défense d'intérêts collectifs; il peut annuler avec effet rétroactif, par des arrêts qui ont l'autorité absolue de chose jugée, des actes et des règlements d'autorités administratives.

Ces caractéristiques propres au contentieux confié au Conseil d'Etat justifient qu'il interprète différemment l'article 440, alinéa 2, du Code judiciaire et qu'il contrôle si l'organe compétent de la personne morale, fût-elle représentée par un avocat, a pris, dans le délai prévu et dans le respect des règles de représentation qui la concernent, la décision d'introduire le recours.

B.2.5. Interprété par le Conseil d'Etat de manière telle qu'il établit une différence de traitement selon que l'avocat représente une personne physique ou une personne morale, l'article 440, alinéa 2, du Code judiciaire ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.3.1. Pour répondre à la deuxième question, la Cour doit examiner si, dans l'interprétation qu'en donne le Conseil d'Etat, l'article 440, alinéa 2, du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il traite différemment les avocats représentant des personnes morales selon qu'elles agissent par un organe composé d'une ou de plusieurs personnes. En effet, si l'organe se compose d'une seule personne, aucune preuve de la décision de cet organe n'est exigée.

B.3.2. Lorsqu'une personne morale est représentée par une seule personne physique, celle-ci se trouve, en ce qui concerne sa décision d'agir en justice, dans une situation comparable à celle de la personne physique qui introduit un recours en son nom propre : elle agit par elle-même sans qu'un organe ait à délibérer collégialement de l'opportunité d'intenter un recours. La différence de traitement est justifiée par le même motif que celui qui est mentionné en B.2.2.

B.4. Les deux questions appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 440 du Code judiciaire, en ce qu'il est interprété par le Conseil d'Etat comme traitant différemment les avocats représentant une personne physique qui agit pour elle-même ou pour une personne morale et les avocats représentant une personne morale agissant par un organe composé de plusieurs personnes, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 avril 1998.

Le greffier, L. Potoms

Le président, M. Melchior.

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