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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 09 juillet 1998

Arrêt n° 46/98 du 22 avril 1998 Numéros du rôle : 1091, 1107 et 1147 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, modifié par l'article 6 La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, (...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 46/98 du 22 avril 1998 Numéros du rôle : 1091, 1107 et 1147 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale, modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, posées par les Tribunaux du travail d'Anvers et de Bruxelles et par la Cour du travail de Bruxelles.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts et R. Henneuse, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles a. Par jugement du 23 avril 1997 en cause de H.A. contre le centre public d'aide sociale de Brecht, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 mai 1997, le Tribunal du travail d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « Le régime légal prévu à l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale, tel qu'il a été modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, viole-t-il le principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution en combinaison avec l'article 23 de la Constitution et avec l'article 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en ce que l'article 57, § 2, établit une différence de traitement injustifiée pour ce qui est du droit à l'aide sociale entre, d'une part, les Belges et étrangers en séjour légal dans le Royaume et, d'autre part, les étrangers dont la demande d'asile a été rejetée et auxquels un ordre exécutoire de quitter le territoire a été signifié ? » Cette affaire est inscrite sous le numéro 1091 du rôle de la Cour. b. Par arrêt du 13 juin 1997 en cause du centre public d'aide sociale de Hal contre O.B., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 juin 1997, la Cour du travail de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, qui modifie l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des C.P.A.S., viole-t-il les articles 10, 11, 23 et 191 de la Constitution en tant qu'il établit une distinction, s'agissant de l'octroi d'une aide sociale, entre, d'une part, les Belges et les étrangers disposant d'une autorisation ou d'un permis de séjour et, d'autre part, les étrangers illégaux et les demandeurs d'asile auxquels un ordre exécutoire de quitter le territoire a été signifié, même si les voies de recours contre cet ordre ne sont pas encore épuisées ? » Cette affaire est inscrite sous le numéro 1107 du rôle de la Cour. c. Par jugement du 12 août 1997 en cause de A.R. contre le centre public d'aide sociale de Westerlo, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 août 1997, le Tribunal du travail de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des C.P.A.S., modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, viole-t-il le principe d'égalité et l'interdiction de discrimination contenus aux articles 10 et 11 de la Constitution en corrélation avec l'article 23 de la Constitution et l'article 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce que l'article 57, § 2, instaure une différence de traitement non justifiée en matière de droit à l'aide sociale d'abord à l'égard, d'une part, des Belges et des étrangers qui séjournent légalement dans le Royaume et, d'autre part, des étrangers dont la demande d'asile a été rejetée et auxquels a été signifié un ordre exécutoire de quitter le territoire et ensuite envers, d'une part, les étrangers auxquels a été signifié un ordre exécutoire de quitter le territoire et qui peuvent être reconduits dans leur pays d'origine et, d'autre part, les étrangers auxquels a été signifié un ordre exécutoire et qui, selon le Commissaire général aux réfugiés, ne peuvent être reconduits dans leur pays d'origine en raison de la situation qui y règne ? » Cette affaire est inscrite sous le numéro 1147 du rôle de la Cour.

II. Les faits et les procédures antérieures Affaire portant le numéro 1091 du rôle 1.1. Il ressort du jugement de renvoi que H. A. et son épouse sont des candidats-réfugiés politiques de nationalité turque, originaires du Kurdistan. Ils ont fui la Turquie en 1992 en raison de la situation politique et ont introduit une demande d'asile en Allemagne le 4 mai 1992. Cette demande a été rejetée.Ils ont introduit une demande d'asile en Belgique le 2 octobre 1994. Depuis lors, H. A. réside à Brecht avec son épouse et ses trois enfants mineurs et il a reçu du centre public d'aide sociale (C.P.A.S.) une aide financière égale au minimum de moyens d'existence pour conjoints cohabitants, s'élevant à 26.805 francs par mois.

La demande d'asile de H. A. et de son épouse a été rejetée et un ordre de quitter le territoire dans les cinq jours leur a été signifié le 4 mars 1996. La décision de refus de séjour rendue par le Commissariat général aux réfugiés comporte un renvoi vers l'Allemagne.

Le 3 mai 1996, un recours en annulation de cette décision a été introduit auprès du Conseil d'Etat. Le 14 mars 1996, l'intéressé a introduit auprès du ministère de l'Intérieur une demande d'autorisation de séjour sur le territoire pour raisons humanitaires, sur la base de l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer.

En attendant qu'il soit statué sur cette demande et sur le recours introduit, le demandeur séjourne à Brecht. 1.2. Le 26 mars 1996, le conseil de l'aide sociale du C.P.A.S. de Brecht a décidé de ne plus accorder d'aide financière à H. A. et à sa famille à partir du 1er avril 1996, de ne plus fournir que des colis hebdomadaires de vivres et de ne plus prendre en charge que les frais médicaux. Cette décision était motivée par le fait que le demandeur, qui ne dispose pas d'un document de séjour valable, séjourne illégalement dans le pays et que le C.P.A.S. n'est pas obligé d'aider les étrangers en séjour illégal. 1.3. L'intéressé a introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal du travail d'Anvers, le 22 avril 1996. 1.4. Dans son jugement posant la question préjudicielle, le Tribunal du travail dit pour droit que, pour la période du 1er avril 1996 au 9 janvier 1997, le demandeur a droit à une aide financière égale au montant du minimum de moyens d'existence pour conjoints cohabitants et déclare le jugement exécutoire par provision sur ce point, nonobstant tout recours et à l'exclusion du droit de cantonnement et de caution.

Le 10 janvier 1997 est entré en vigueur l'article 57, § 2, de la loi organique des centres publics d'aide sociale, modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996. En vertu de cette disposition, un étranger qui s'est déclaré réfugié et a demandé à être reconnu comme tel séjourne illégalement dans le Royaume lorsque la demande d'asile a été rejetée et qu'un ordre exécutoire de quitter le territoire a été notifié à l'étranger concerné. Dans ce cas, la mission du centre public d'aide sociale se limite à l'octroi de l'aide médicale urgente et de l'aide sociale pendant le délai strictement nécessaire pour permettre à l'étranger de quitter le territoire, délai qui ne peut excéder un mois. Cette aide minimale est en outre subordonnée à la signature d'une déclaration attestant l'intention de l'étranger de quitter le plus vite possible le territoire. En vue de freiner davantage l'immigration, tous les demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée sont désormais privés d'aide financière, indépendamment du fait qu'une procédure en suspension ou en annulation de l'ordre de renvoi ait été ou non engagée devant le Conseil d'Etat.

Selon le demandeur, cette disposition est contraire aux articles 10, 11 et 23 de la Constitution et à l'article 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et il demande qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour d'arbitrage.

Etant donné que l'action du demandeur est recevable, que la Cour ne s'est pas prononcée jusqu'à présent sur l'application des articles 10 et 11 de la Constitution en ce qui concerne les limitations de l'aide sociale que prévoit le nouvel article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. confrontées au droit de mener une vie conforme à la dignité humaine qui est inscrit à l'article 23 de la Constitution, que les étrangers peuvent se prévaloir des articles 10 et 11 de la Constitution et que la réponse à la question préjudicielle est indispensable au règlement du litige, le Tribunal décide de poser la question préjudicielle susmentionnée.

Affaire portant le numéro 1107 du rôle 2.1. Ainsi qu'il ressort du jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 10 juillet 1996 et de l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 14 février 1997, O. B. est arrivé en Belgique le 13 janvier 1995. Le 10 février 1995, il s'est déclaré candidat-réfugié auprès de l'Office des étrangers. Il a demandé l'aide sociale au C.P.A.S. de Hal, étant donné qu'il séjournait dans cette commune. Il bénéficiait depuis le 8 novembre 1995 d'une aide mensuelle égale au minimum de moyens d'existence pour les cohabitants, s'élevant à 13.402 francs par mois, les paiements pour la consommation d'énergie ainsi que le loyer étant directement supportés par le C.P.A.S. Il recevait également une allocation de subsistance de 2 500 francs maximum par semaine.

Le 2 janvier 1996 lui fut notifiée la décision du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides confirmant le refus de séjour et l'ordre de quitter le territoire au plus tard le 18 janvier 1996. L'annexe 26bis ne fut plus prolongée après le 3 février 1996. Il introduisit contre cet ordre une demande de suspension et un recours en annulation auprès du Conseil d'Etat, le 1er février 1996.

Par décision du C.P.A.S. de Hal du 14 mars 1996, l'aide financière mensuelle correspondant au minimum de moyens d'existence lui fut retirée à partir du 1er mars 1996 pour cause de séjour illégal en Belgique. 2.2. L'intéressé introduisit un recours contre cette décision, le 15 avril 1996, auprès du Tribunal du travail de Bruxelles. Dans son jugement du 10 juillet 1996, le Tribunal du travail considère que lorsque l'on tolère certaines personnes dans le Royaume, il convient de leur donner aussi l'aide nécessaire leur permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine, conformément à l'article 1er de la loi organique du 8 juillet 1976. Le Tribunal du travail a par conséquent annulé la décision du 14 mars 1996 et a dit pour droit que le demandeur a droit, à partir du 1er mars 1996, à l'aide sociale à concurrence du montant correspondant au minimum de moyens d'existence pour les cohabitants. 2.3. Le C.P.A.S. de Hal a interjeté appel de ce jugement le 29 août 1996. Par arrêt interlocutoire du 14 février 1997, la Cour du travail de Bruxelles a ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties d'exposer leurs points de vue concernant la portée qu'il convient de donner à l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996 modifiant l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. et plus précisément concernant le point de savoir s'il s'agit d'une disposition purement interprétative ou d'une véritable modification. 2.4. Dans son arrêt du 13 juin 1997, la Cour du travail conclut que l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996 est une disposition modificative et non interprétative. La Cour considère que l'intéressé a droit, pour la période précédant l'entrée en vigueur, le 10 janvier 1997, de cette disposition, à l'aide sociale devant lui permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, la Cour observe qu'il n'est pas contesté qu'un ordre exécutoire de quitter le territoire a été délivré à l'intimé, de sorte qu'en vertu de l'actuelle disposition de l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S., il ne pourrait plus prétendre à l'aide sociale. Cette disposition opère, en ce qui concerne le droit à l'aide sociale, une distinction entre les Belges et les étrangers disposant d'une autorisation ou d'un permis de séjour, d'une part, et les étrangers illégaux et les demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée et auxquels un ordre exécutoire de quitter le territoire a été signifié, d'autre part.

La question se pose de savoir si cette différence de traitement ne viole pas les articles 10, 11, 23 et 191 de la Constitution. Seule la Cour d'arbitrage peut répondre à cette question. C'est pour cette raison que la Cour du travail pose la question préjudicielle précitée.

Affaire portant le numéro 1147 du rôle 3.1. Il ressort du jugement rendu par le juge a quo qu'A. R. est d'origine arménienne et a reçu du C.P.A.S. de Westerlo une aide égale au minimum de moyens d'existence de la catégorie 3.

Le 8 mars 1996, un ordre de quitter le pays lui fut signifié, ordre confirmé le 9 mai 1996 par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides. L'intéressé introduisit un recours en annulation de cette décision auprès du Conseil d'Etat.

En application de l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S., le C.P.A.S. de Westerlo décida, le 19 juin 1996, d'arrêter l'aide à partir du 1er juin 1996. Par un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 21 décembre 1996 déclaré exécutoire par provision, le C.P.A.S. fut obligé de payer l'aide à partir du 1er juillet 1996. Le C.P.A.S. a interjeté appel de ce jugement. 3.2. En exécution de l'article 57, § 2, modifié de la loi organique des C.P.A.S., le C.P.A.S. de Westerlo a décidé, le 22 janvier 1997, d'arrêter l'aide susdite à partir du 1er février 1997. L'intéressé a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal du travail de Bruxelles le 13 février 1997. En ordre subsidiaire, le demandeur fait valoir que l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S., modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 23 de celle-ci.

Le Tribunal du travail observe que, dans sa décision du 9 mai 1996, le Commissaire général a estimé qu'il n'était pas souhaitable, dans les circonstances actuelles, de renvoyer le demandeur en Arménie. Pour cette raison, l'ordre de quitter le territoire n'a pas été exécuté de facto.

Dès lors, le Tribunal du travail considère qu'il convient de poser à la Cour la question préjudicielle précitée.

III. La procédure devant la Cour a. L'affaire portant le numéro 1091 du rôle Par ordonnance du 13 mai 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 29 mai 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 juin 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - le centre public d'aide sociale de Huldenberg, Sint-Jansbergsteenweg 44A, 3040 Huldenberg, par lettre recommandée à la poste le 4 juillet 1997; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 7 juillet 1997; - H. A., par lettre recommandée à la poste le 8 juillet 1997. b. L'affaire portant le numéro 1107 du rôle Par ordonnance du 23 juin 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 27 juin 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 9 août 1997.

Le Conseil des ministres a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 30 juillet 1997. c. Les affaires jointes portant les numéros 1091 et 1107 du rôle Par ordonnance du 25 juin 1997, la Cour a joint les affaires. Les mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 15 septembre 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 9 octobre 1997; - H. A., par lettre recommandée à la poste le 15 octobre 1997. d. L'affaire portant le numéro 1147 du rôle Par ordonnance du 22 août 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 29 septembre 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 1er octobre 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - A. R., par lettre recommandée à la poste le 12 novembre 1997; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 12 novembre 1997.

Les mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 19 novembre 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - A. R., par lettre recommandée à la poste le 19 décembre 1997; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 19 décembre 1997. e. Les affaires jointes portant les numéros 1091, 1107 et 1147 du rôle Par ordonnance du 30 septembre 1997, la Cour a joint les affaires. Par ordonnance du 28 octobre 1997, la Cour a prorogé jusqu'au 13 mai 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 21 janvier 1998, le président L. De Grève a soumis les affaires à la Cour réunie en séance plénière.

Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 11 février 1998.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 22 janvier 1998.

A l'audience publique du 11 février 1998 : - ont comparu : . Me A. De Pourcq, avocat au barreau d'Anvers, pour H. A.; . Me J. van Ypersele, avocat au barreau de Bruxelles, pour A. R.; . Me E. Brewaeys, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; . W. Appels, secrétaire, pour le centre public d'aide sociale de Huldenberg; - les juges-rapporteurs H. Coremans et P. Martens ont fait rapport; - les parties précitées ont été entendues; - les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Affaire portant le numéro 1091 du rôle Requête en intervention volontaire du C.P.A.S. de Huldenberg A.1.1. En application de l'article 87, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, le C.P.A.S. de Huldenberg a introduit, le 4 juillet 1997, une « requête en intervention volontaire ».

Le C.P.A.S. de Huldenberg considère qu'il justifie de l'intérêt requis pour intervenir dans l'affaire en cause. Il octroie momentanément une aide à 17 adultes demandeurs d'asile. Selon les statistiques, seuls 10 p.c. d'entre eux seront reconnus. En outre, cette dernière année, 6 autres demandeurs ont encore été déboutés, et leur lieu de séjour était inconnu. Le 25 juin 1997, la demande d'asile d'un couple de Zarois/Congolais momentanément aidé par le C.P.A.S. de Huldenberg a été rejetée. Le risque est donc réel que le C.P.A.S. soit confronté, durant la procédure relative à la question préjudicielle, à la situation dans laquelle il lui serait demandé de payer l'aide à des demandeurs d'asile déboutés.

A.1.2. Bien que l'on puisse s'attendre à ce que la Cour maintienne le point de vue qu'elle a formulé dans son arrêt n° 51/94, la question de la partie requérante devant la juridiction a quo semble tout de même indiquer que celle-ci considère avoir de bons arguments pour réfuter ce point de vue et pour que la Cour, ainsi influencée, modifie sa jurisprudence. Si la partie intervenante ne réagit pas maintenant, un arrêt pourra lui être opposé, dans une situation comparable, alors qu'elle n'aura pas eu l'occasion de défendre ses droits. Il peut se concevoir qu'une juridiction prenne, sur la base des arguments avancés, une décision qu'elle n'aurait pas prise si les arguments d'autres avaient été aussi pris en compte.

La partie intervenante justifie de l'intérêt requis, étant donné que son droit de défense serait méconnu si sa requête était rejetée, d'autant que la formulation de la question préjudicielle fait clairement apparaître que celle-ci vise à faire dire à la Cour que la différence de traitement instaurée par l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. crée une discrimination illicite entre, d'une part, les demandeurs d'asile qui se sont vu signifier un ordre exécutoire de quitter le territoire et, d'autre part, les Belges et les réfugiés reconnus.

En outre, une décision qui donnerait raison à la partie requérante devant la juridiction a quo pourrait, à la prochaine occasion, être opposée à la partie intervenante par un demandeur d'asile, étant donné que celui-ci pourrait, dans ces circonstances, invoquer le principe d'égalité en vue d'obtenir au moins autant de droits que l'étranger séjournant illégalement en Belgique. La partie intervenante n'a pas d'objection contre le fait d'accorder l'aide sociale aux demandeurs d'asile, à la condition qu'elle puisse, à cette occasion, appliquer correctement la loi sur les C.P.A.S., c'est-à-dire qu'elle puisse partir de l'idée que la mission du C.P.A.S. est d'oeuvrer à l'épanouissement du demandeur d'aide et qu'elle ne doive donc pas partir de l'idée que l'article 1er établirait une obligation de résultat, de sorte que les demandeurs d'aide - quelle que soit leur nationalité ou leur situation de séjour - puissent invoquer un droit inconditionnel à une allocation de base.

Mémoire du Conseil des ministres A.2.1. Dans son arrêt n° 51/94, la Cour a déjà statué sur le caractère constitutionnel ou non de la différence de traitement, en matière d'aide sociale, des Belges et des étrangers séjournant légalement sur le territoire et des étrangers qui y séjournent encore après que leur ait été signifié un ordre définitif de renvoi. Il a été considéré que la différence de traitement en matière d'aide sociale était justifiée, étant donné que le critère de distinction était objectif (séjour légal ou illégal) et que le moyen utilisé (restriction du droit à l'aide sociale) était proportionné à l'objectif poursuivi (réaliser la politique en matière d'immigration). Ainsi, l'article 57, § 2, tel qu'il était alors en vigueur, de la loi organique des C.P.A.S. ne violait pas les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination. Cet article ne fut pas non plus jugé contraire à l'article 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Les nouveaux éléments de la question préjudicielle actuellement posée consistent en ce que : a) le contrôle doit être opéré en outre au regard de l'article 23 de la Constitution et b) l'actuel article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. vise les demandeurs d'asile déboutés ayant reçu un ordre exécutoire de renvoi, alors que, dans son arrêt n° 51/94, la Cour a statué sur une mesure qui visait les demandeurs d'asile déboutés ayant reçu un ordre définitif de renvoi.

A.2.2. Aussi longtemps qu'aucune décision exécutoire n'a été prise au sujet de la demande d'asile des candidats-réfugiés, ceux-ci séjournent légalement dans le pays et bénéficient de la protection accordée à tous, selon un principe général, par l'article 23 de la Constitution.

Toutefois, cette disposition n'est pas exécutoire en soi et ne peut, selon l'arrêt n° 81/95, être interprétée en ce sens qu'elle conférerait un droit absolu. Les droits économiques et sociaux inscrits à l'article 23 de la Constitution n'ont aucun effet direct et ne peuvent donc pas être réclamés devant le juge sur la simple base de leur inscription dans la Constitution. L'article 23 ne confère pas directement un droit subjectif. C'est au législateur qu'il appartient de donner un contenu à cette notion, puisque, en vertu de l'article 23, alinéa 2, il incombe à la loi, au décret ou à l'ordonnance, selon le cas, de garantir les droits économiques, sociaux et culturels et de déterminer les conditions de leur exercice.

A.2.3. La modification législative qui a changé la notion d'« ordre définitif de quitter le pays » en « ordre exécutoire de quitter le territoire » constitue une simple précision interprétative, ce qui ressort à suffisance des travaux préparatoires de la loi du 15 juillet 1996. Du reste, la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 21 octobre 1996) indique à suffisance qu'antérieurement à la récente modification législative, la notion d'« ordre définitif de quitter le pays » devait, à la lumière de l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S., en fait aussi être interprétée comme un « ordre exécutoire de quitter le territoire ». Par conséquent, la modification n'est pas d'une nature telle qu'elle puisse donner à la jurisprudence de l'arrêt n° 51/94 une autre dimension, en ce sens que le critère sur lequel est fondée la distinction ne serait plus objectif ou qu'il n'existerait plus de proportionnalité entre l'objectif visé et le moyen utilisé.

Mémoire de H. A. A.3.1. Il résulte de l'article 191 de la Constitution qu'une différence de traitement par laquelle un étranger se trouve défavorisé ne peut être instaurée que par le législateur. Cet article n'a pas pour but d'autoriser le législateur à se soustraire aux principes fondamentaux consacrés par la Constitution lorsqu'il instaure une telle différence.

L'actuel article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. instaure une distinction entre, d'une part, les Belges, les étrangers et les demandeurs d'asile qui sont en possession d'une autorisation ou d'un permis de séjour et, d'autre part, les étrangers illégaux et les demandeurs d'asile déboutés auxquels un ordre exécutoire a été signifié. Une telle distinction était également déjà faite sous l'empire de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer, à un moment où l'article 23 de la Constitution n'était pas encore en vigueur. En outre, le nouveau texte législatif implique une dissociation par rapport à la norme de la dignité humaine inscrite à l'article 1er de la loi organique des C.P.A.S. Dans la rédaction antérieure de la disposition en cause, on pouvait encore considérer que l'exception prévue à l'article 57, § 2, était liée au premier paragraphe de cet article et non à l'article 1er.

Ce n'est plus le cas dans le texte actuel. Cette dissociation implique également une atteinte à l'article 23 de la Constitution.

Il existe indéniablement un parallèle entre la formulation de l'article 1er, alinéa 1er, de la loi organique des C.P.A.S. et l'article 23 de la Constitution. Le droit subjectif à une existence conforme à la dignité humaine, inscrit à l'article 1er de la loi organique des C.P.A.S., ne saurait être écarté par une disposition législative lorsque ceci s'opère en violation du principe d'égalité inscrit à l'article 10 de la Constitution. Dans la rédaction antérieure, des tensions existaient déjà entre les articles 1er et 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. La nouvelle disposition a encore accru ces tensions.

Dans son arrêt n° 61/94, partant de la considération que la seule possibilité d'introduire une requête en annulation ne suffisait pas pour que l'on puisse parler d'un recours adéquat contre la décision de renvoi, la Cour a déjà souligné que l'exclusion de la possibilité de suspension par le Conseil d'Etat d'une décision de confirmation prise par le Commissaire général était contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Indirectement, par le biais de l'exclusion du droit à l'aide financière, il est devenu et il devient plus difficile pour l'intéressé de s'opposer à la décision de l'Office des étrangers. S'il apparaît, dans la pratique, que ceci a pour résultat de rendre beaucoup plus difficile, voire même impossible, un recours en annulation et/ou en suspension, il existe à nouveau un traitement différent qui est discriminatoire et n'est donc plus justifié. Outre le fait que l'intéressé doit faire en sorte de survivre avec sa famille et qu'il dépend continuellement pour ce faire de ce qu'on lui donne çà et là, une procédure devant le Conseil d'Etat exige non seulement le paiement de timbres fiscaux mais également l'engagement d'un avocat qui ne figure plus sur la liste des stagiaires et qui doit donc en principe être payé. La suppression brusque de l'aide du C.P.A.S. implique donc une violation de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Puisque, pour la toute grande majorité, il ne peut plus être question que d'aide médicale urgente, il importe de constater que la norme « dignité humaine » signifie davantage que la seule aide médicale urgente. La nourriture, l'habillement, le logement et les soins médicaux constituent des éléments essentiels des besoins de base de chacun. La limitation au seul droit à l'aide médicale urgente est d'ailleurs rendue encore plus aiguë après l'entrée en vigueur de l'arrêté royal du 12 décembre 1996.

La pratique de l'application de la loi relative aux étrangers démontre qu'à côté des catégories des étrangers en séjour légal ou illégal, un certain nombre de personnes ayant épuisé toutes les procédures et qui sont donc, à strictement parler, des étrangers illégaux séjournent dans le pays avec un statut très peu clair. Dans l'avis du Conseil d'Etat préalable à la loi du 15 juillet 1996, il a été considéré que seul l'Office des étrangers pouvait juger du caractère légal du séjour. Dans ce même avis, il a été fait référence à la possibilité pour l'Office des étrangers d'accorder une dérogation sous la forme d'une prolongation du délai pour quitter le territoire, de ne pas prendre de mesures d'exécution (une tolérance de fait) ou d'appliquer l'article 9, alinéa 3, de la loi relative aux étrangers. Ce qui précède démontre qu'une politique de renvoi stricte, qui ne tient pas compte d'un certain nombre de situations de fait - qui peuvent souvent être très poignantes -, peut non seulement être condamnable d'un point de vue moral mais être également juridiquement intenable. Un certain nombre de communes en Belgique et aux Pays-Bas y sont apparemment sensibles.

Des considérations d'ordre budgétaire et/ou d'opportunité ne sauraient constituer un critère permettant de justifier que des droits fondamentaux soient ou non concrétisés (cf. arrêt n° 28/96).

L'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S., tel qu'il a été modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

A.3.2. Le nouvel article 57, § 2, instaure encore une autre inégalité de traitement au sein du groupe des étrangers en séjour illégal, à savoir entre ceux qui avant de se voir signifier un ordre exécutoire étaient « en fait bénéficiaires » et ceux qui ne l'étaient pas ou ne l'étaient plus. Les deux catégories sont, du point de vue du droit de séjour, constituées d'illégaux. On n'aperçoit pas clairement d'où vient la nécessité d'être « en fait bénéficiaires », comme critère de cette distinction. En raison de cette formulation du nouvel article 57, § 2, la mesure en cause n'est plus liée à l'objectif, qui est de permettre ou d'accélérer le départ du territoire. La distinction ne repose pas sur un critère pertinent qui justifierait le traitement inégal. En effet, un étranger en séjour illégal, s'il était auparavant encore aidé par des membres de sa famille et/ou des amis ou s'il était encore temporairement au travail et pouvait donc toucher des revenus, ne pourrait prétendre à l'aide sociale, même si son séjour était officiellement prolongé par l'Office des étrangers, précisément parce qu'il n'avait pas été bénéficiaire auparavant. On recherche vainement la logique de ce raisonnement. La question posée à la Cour doit donc être étendue. Le requérant devant la juridiction a quo demande de constater également sur ce point la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres A.4. Le mémoire en intervention du C.P.A.S. de Huldenberg n'est pas recevable. En vertu de l'article 28, § 1er, alinéa 4, de la loi organique des C.P.A.S., le C.P.A.S. est représenté, dans les actes judiciaires, par le président du conseil et non par le secrétaire, qui, en l'espèce, a signé seul. Aux termes de l'article 28, § 2, de la même loi, tous les actes et correspondances du C.P.A.S. doivent être signés par le président et le secrétaire.

Un mémoire en intervention de parties qui justifient d'un intérêt dans des affaires analogues pendantes devant d'autres juridictions, même si ces affaires ont trait à des dispositions identiques, n'est pas recevable (arrêt n° 60/95). On aperçoit difficilement comment le C.P.A.S. de Huldenberg pourrait justifier d'un intérêt dans l'affaire pendante devant le juge qui a ordonné le renvoi. Le caractère relatif de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement qui sera rendu dans cette affaire laisse au C.P.A.S. de Huldenberg la possibilité de faire valoir encore de nouveaux moyens de défense dans le cadre d'éventuelles procédures qui seraient pendantes ou seraient engagées.

Pour le reste, il convient de renvoyer à l'arrêt n° 38/97.

Mémoire en réponse de H. A. A.5.1. Selon le Conseil des ministres, l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996 ne constituerait qu'un éclaircissement purement interprétatif et n'influencerait pas la jurisprudence de la Cour (arrêt n° 51/94). Toutefois, l'article 84 de la Constitution dispose que l'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient qu'à la loi. Une telle loi interprétative éclaire la signification de lois ou de parties de lois déterminées. Des modifications de droit matériel ne peuvent être apportées ni des notions être ajoutées. Si de véritables modifications ou ajouts ont été apportés, il s'agit tout simplement d'une nouvelle loi.

S'il s'agissait d'une loi interprétative, on attendrait une formule telle que « l'article ... de la loi... est interprété comme... ». Au contraire, le nouvel article 57, § 2, est constitué d'un unique mais long paragraphe débutant par une modification qui n'est pas sans importance (« Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi... ») et qui accorde encore uniquement l'aide médicale urgente aux personnes en séjour illégal. Par ailleurs, ordre « définitif » est modifié en ordre « exécutoire », il n'est plus prévu qu'une seule exception pour un mois au maximum (la signature d'une déclaration d'intention), une nouvelle différence de traitement illicite est instaurée, en passant, entre l'étranger qui était en fait bénéficiaire au moment de la notification de l'ordre de quitter le territoire, et celui qui ne l'était plus, et l'obligation d'informer qui était faite au C.P.A.S. est limitée à l'information concernant la signature de la déclaration d'intention.

On doit nécessairement conclure de ceci qu'il s'agit d'une nouvelle disposition législative, allant plus loin dans le démantèlement du niveau de protection existant et contenant une violation de l'obligation de standstill.

A.5.2. Le C.P.A.S. de Huldenberg reste en défaut de démontrer en quoi il est personnellement affecté par la disposition en cause et pourquoi il ne pourrait trouver son salut dans les voies de recours appropriées. Il n'avait du reste qu'à introduire un recours en annulation dans le délai prévu.

Affaire portant le numéro 1107 du rôle Mémoire du Conseil des ministres A.6. Dans son mémoire, le Conseil des ministres reprend les arguments exposés dans le mémoire qu'il a introduit dans l'affaire portant le numéro 1091 du rôle.

Affaire portant le numéro 1147 du rôle Mémoire du Conseil des ministres A.7.1. Le Conseil des ministres reprend tout d'abord les arguments exposés dans les mémoires qu'il a introduits dans les affaires portant les numéros 1091 et 1107 du rôle.

A.7.2. La décision de renvoi fait également référence à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme. On n'aperçoit toutefois pas comment un droit éventuel à l'aide sociale pourrait cadrer avec le droit à un procès équitable. La décision de renvoi ne fait pas ressortir en quoi pourrait consister une éventuelle violation de l'article 10 de la Constitution lu en combinaison avec cette disposition conventionnelle. La Cour n'est d'ailleurs pas compétente pour contrôler directement la disposition législative citée dans la question préjudicielle au regard de cette disposition conventionnelle (arrêt n° 60/95).

A.7.3. La décision de renvoi traite également, d'une part, d'étrangers qui séjournent illégalement sur le territoire et, d'autre part, d'étrangers dont la demande d'asile a été rejetée, auxquels un ordre exécutoire de quitter le territoire a été notifié et qui peuvent être reconduits dans leur pays d'origine, ou encore d'étrangers auxquels un ordre exécutoire a été notifié et qui, selon le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, ne peuvent être reconduits dans leur pays d'origine, vu la situation de celui-ci.

Dans l'exposé des motifs du projet qui est devenu la disposition litigieuse, l'accent est mis sur le membre de phrase « qui était en fait bénéficiaire au moment où ». Lu en combinaison avec l'alinéa 5, l'alinéa 4 de l'article 57, § 2, a bel et bien pour objet d'inciter l'intéressé à prendre rapidement une décision de départ volontaire.

L'intéressé qui décide rapidement son départ volontaire, à savoir pendant la période durant laquelle il séjourne encore légalement en Belgique et peut donc bénéficier de l'aide sociale, peut encore obtenir un mois d'aide sociale supplémentaire en vue d'organiser son départ volontaire. Par contre, une personne qui décide seulement de partir volontairement après une certaine période de séjour illégal ne peut plus prétendre à ce mois d'aide sociale supplémentaire. Du fait de son illégalité, cette personne ne pouvait du reste se prévaloir, au moment où elle a décidé de partir, d'aucun droit vis-à-vis d'un C.P.A.S. Il existe donc bien une distinction objective. La première catégorie décide de partir volontairement au moment où elle séjourne encore légalement dans le pays; la seconde prend cette décision au moment où elle séjourne illégalement dans le pays.

A.7.4. L'affirmation contenue dans la décision de renvoi, selon laquelle la norme en cause instaurerait une distinction entre, d'une part, les étrangers auxquels un ordre exécutoire de quitter le territoire a été notifié et qui peuvent être reconduits dans leur pays d'origine et, d'autre part, les étrangers auxquels un ordre exécutoire a été notifié mais qui, selon le Commissaire général, ne peuvent être reconduits dans leur pays d'origine compte tenu de la situation de ce pays, constitue une interprétation erronée de la norme.

La décision de renvoi part à tort du principe que l'avis du Commissaire général aurait un caractère obligatoire. L'article 63/5 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer dispose qu'en cas de confirmation de la décision contestée, après recours urgent, le Commissaire général donne également un avis formel sur la remise éventuelle de l'intéressé à la frontière du pays qu'il a fui et où, selon sa déclaration, sa vie, son intégrité physique ou sa liberté serait menacée.

Cet avis n'est pas obligatoire. Le ministre de l'Intérieur (Office des étrangers) est la seule autorité compétente en matière d'éloignement du territoire. La clause de « non- reconduite » (ou mieux : l'avis) ne porte pas atteinte au caractère exécutoire de l'ordre de quitter le territoire. L'autorité compétente décide librement quelle suite sera donnée à cet avis. Elle peut donc décider qu'il y a une impossibilité (temporaire) d'éloignement du territoire et accorder éventuellement à l'étranger concerné un titre de séjour (provisoire). Lorsque l'autorité compétente donne suite à l'avis, le délai de séjour peut être prolongé et l'intéressé peut à nouveau faire appel à l'aide du C.P.A.S., pour la simple raison qu'il n'est plus en séjour illégal sur le territoire du Royaume.

Il n'existe par conséquent aucune distinction entre les étrangers auxquels un ordre exécutoire de quitter le territoire a été notifié et ceux au sujet desquels le Commissaire général a éventuellement remis un avis formel de « non-reconduite ».

Mémoire de A. R. A.8.1. En mettant un terme à l'aide sociale pour les candidats-réfugiés qui ont reçu un ordre exécutoire de quitter le territoire, le législateur escompte que les intéressés exécuteront cet ordre. Ce moyen ne peut atteindre l'objectif visé que si le demandeur d'asile n'a (plus) aucune raison de craindre pour sa vie, son intégrité physique ou sa liberté en cas de retour dans son pays d'origine. Ce n'est qu'à cette condition que la suppression de l'aide sociale incitera le demandeur d'asile à exécuter de sa propre initiative l'ordre de quitter le territoire. Un traitement correct de la demande d'asile par les services compétents offre une garantie que les demandeurs d'asile déboutés n'aient plus de raison de craindre pour leur vie, leur intégrité physique et leur liberté en cas de retour dans le pays d'origine.

Cependant, tous les demandeurs d'asile ne voient pas leur demande traitée avec la nécessaire objectivité. Les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat prévoient une procédure de suspension et d'annulation contre les décisions du Commissaire général confirmant le refus et contre les ordres de quitter le territoire qui en découlent, pour violation des formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité, pour excès ou détournement de pouvoir. Cette procédure constitue une garantie élémentaire contre les décisions arbitraires que pourraient prendre les autorités compétentes. Lorsqu'une telle procédure est engagée et hormis les cas de requêtes dilatoires, il n'existe aucune garantie que la demande d'asile ait été traitée correctement.

Dans pareilles circonstances, les requêtes dilatoires mises à part, il est totalement illusoire d'attendre des demandeurs d'asile déboutés qu'ils exécuteront d'eux-mêmes l'ordre de quitter le territoire. Ce raisonnement vaut d'autant plus pour le candidat-réfugié à propos duquel le Commissaire général est d'avis qu'il n'est pas indiqué, dans les circonstances actuelles, de le renvoyer vers son pays d'origine et qui ne dispose pas de la possibilité d'aller dans un autre pays. Dans ces circonstances, le demandeur d'asile préférera le séjour illégal en Belgique - même dans des conditions non conformes à la dignité humaine - au retour dans son pays d'origine, où il craint pour sa vie, son intégrité physique ou sa liberté.

A.8.2. La mesure en cause contient une atteinte déraisonnable au droit de mener une vie conforme à la dignité humaine tel que le définit l'article 23 de la Constitution. Il n'existe aucun rapport de proportionnalité entre la mesure utilisée et le but poursuivi, étant donné que la mesure contestée a pour objet de priver du droit au minimum de moyens d'existence les candidats-réfugiés pour lesquels aucune garantie n'existe quant à leur vie, leur intégrité physique ou leur liberté en cas de retour dans leur pays d'origine et qui, par conséquent, choisiront de séjourner en Belgique, même dans des conditions non conformes à la dignité humaine, et ce, nonobstant la suppression de l'aide.

Le contrôle de proportionnalité doit être particulièrement strict lorsqu'il est porté atteinte à un droit fondamental. Ceci vaut d'autant plus que l'article 23 de la Constitution a un effet de standstill qui interdit de réduire les droits sociaux qui ont été reconnus. A cet égard, il convient d'observer que le Constituant considérait que le séjour illégal « ne peut avoir d'autres conséquences que l'extradition de l'intéressé » (Doc. parl., Sénat, 1991-1992, n° 100-2/3°, p. 15). Par conséquent, la privation du droit au minimum de moyens d'existence comme moyen de contraindre les candidats-réfugiés déboutés à quitter le territoire de leur propre initiative est en l'espèce disproportionnée, en ce sens que cette mesure n'atteint pas le but poursuivi, qu'elle porte atteinte à l'effet de standstill de l'article 23 de la Constitution et qu'elle a pour conséquence de placer l'intéressé dans une situation qui n'est pas conciliable avec les exigences élémentaires d'une vie conforme à la dignité humaine telle qu'elle est garantie par l'article 23 de la Constitution.

A.8.3. La mesure en cause n'est pas adaptée à l'objectif poursuivi et lui est disproportionnée, de sorte qu'elle viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec l'article 23 de celle-ci, étant donné qu'elle peut également être appliquée à des candidats-réfugiés qui sont en possession d'un ordre exécutoire mais dont on sait qu'ils ne quitteront jamais le territoire belge de leur propre initiative, puisqu'ils ont introduit une requête auprès du Conseil d'Etat et que le Commissaire général considère qu'il n'est pas indiqué de les reconduire dans leur pays d'origine.

Mémoire en réponse de A. R. A.9. On peut comprendre que l'Etat belge, qui veut limiter l'immigration, n'assume pas les mêmes obligations à l'égard des besoins de ceux qui ont reçu un ordre définitif de quitter le territoire dès lors qu'il peut raisonnablement être admis que cette catégorie de candidats-réfugiés a la possibilité de retourner dans son pays d'origine. La mesure actuellement contestée est toutefois disproportionnée lorsqu'elle est appliquée à un candidat-réfugié pour lequel il n'existe aucune garantie qu'il ait réellement la possibilité de prendre lui-même l'initiative d'exécuter l'ordre. En effet, le Commissaire général considère qu'il n'est pas indiqué de le reconduire vers son pays d'origine. La décision de refus de reconnaître la qualité de réfugié et l'ordre de quitter le territoire sont précisément attaqués devant le Conseil d'Etat à cause du risque pour la vie, l'intégrité physique et la liberté de l'intéressé en cas de retour. Par ailleurs, l'intéressé ne dispose pas des documents nécessaires pour partir vers un autre pays. La disproportion consiste dans le fait qu'il est porté atteinte à l'effet de standstill de l'article 23 de la Constitution sans que l'objectif poursuivi soit atteint, cependant que la loi litigieuse a pour conséquence de placer l'intéressé dans une situation qui ne répond pas aux exigences élémentaires de l'article 23 de la Constitution, sans qu'il dispose d'autres solutions valables. - B - Quant à la recevabilité de l'intervention du C.P.A.S. de Huldenberg B.1.1. Le C.P.A.S. de Huldenberg a introduit une « requête en intervention volontaire » dans l'affaire portant le numéro 1091 du rôle, compte tenu de l'importance de la réponse de la Cour pour l'aide aux demandeurs d'asile déboutés qui séjourneraient dans la commune de Huldenberg.

B.1.2. La loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage a réglé l'intervention volontaire d'un tiers dans la procédure relative à une question préjudicielle. Seule une personne répondant aux deux conditions prescrites par l'article 87, § 1er, peut, en pareil cas, être réputée partie dans une procédure préjudicielle pendante devant la Cour. Cette personne doit : - justifier d'un intérêt dans la cause soumise à la juridiction qui a ordonné le renvoi et - avoir adressé un mémoire à la Cour dans le délai prescrit.

B.1.3. Le C.P.A.S. de Huldenberg n'est pas partie à la cause mue devant le juge a quo. Il ne justifie pas non plus d'un intérêt dans cette affaire, qui concerne l'arrêt de l'aide financière accordée par le C.P.A.S. de Brecht à un demandeur d'asile dont la demande a été rejetée et auquel un ordre de quitter le territoire a été notifié.

L'intérêt invoqué par le C.P.A.S. de Huldenberg ne suffit pas pour que celui-ci soit reçu à intervenir dans la procédure relative à la question préjudicielle.

L'intervention est irrecevable.

Quant au fond B.2. L'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale a été remplacé, avec effet au 10 janvier 1997, par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996 « modifiant la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale ». Cet article dispose : « § 2. Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d'aide sociale se limite à l'octroi de l'aide médicale urgente, à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume.

Le Roi peut déterminer ce qu'il y a lieu d'entendre par aide médicale urgente.

Un étranger qui s'est déclaré réfugié et a demandé à être reconnu comme tel, séjourne illégalement dans le Royaume lorsque la demande d'asile a été rejetée et qu'un ordre de quitter le territoire exécutoire a été notifié à l'étranger concerné.

L'aide sociale accordée à un étranger qui était en fait bénéficiaire au moment où un ordre de quitter le territoire exécutoire lui a été notifié, est arrêtée, à l'exception de l'aide médicale urgente, le jour où l'étranger quitte effectivement le territoire et, au plus tard, le jour de l'expiration du délai de l'ordre de quitter le territoire.

Il est dérogé aux dispositions de l'alinéa précédent pendant le délai strictement nécessaire pour permettre à l'étranger de quitter le territoire, pour autant qu'il ait signé une déclaration attestant son intention explicite de quitter le plus vite possible le territoire, sans que ce délai ne puisse en aucun cas excéder un mois.

La déclaration d'intention précitée ne peut être signée qu'une seule fois. Le centre informe sans retard le Ministre qui a l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers dans ses compétences, ainsi que la commune concernée, de la signature de la déclaration d'intention. » B.3. Il ressort des décisions de renvoi que les questions préjudicielles posées concernent exclusivement des cas dans lesquels il a été mis fin à l'aide sociale accordée à des étrangers qui se sont déclarés réfugiés et qui en étaient en fait bénéficiaires au moment où un ordre exécutoire de quitter le territoire leur a été notifié, après que le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides eut confirmé, sur recours urgent, la décision par laquelle le ministre compétent ou son délégué leur avait refusé l'entrée, le séjour ou l'établissement dans le Royaume. Les intéressés ont introduit auprès du Conseil d'Etat un recours contre ces décisions confirmatives.

Il en résulte que les questions préjudicielles visent exclusivement les alinéas 3 et 4 de l'article 57, § 2, de la loi organique des centres publics d'aide sociale, tel que celui-ci a été modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996.

B.4. Par son arrêt n° 43/98 de ce jour, la Cour a annulé, dans l'article 57, § 2, alinéas 3 et 4, de la loi organique précitée, le terme « exécutoire » et a dit : « Cette annulation a pour effet que l'article 57, § 2, doit s'interpréter comme ne s'appliquant pas à l'étranger qui a demandé à être reconnu comme réfugié, dont la demande a été rejetée et qui a reçu un ordre de quitter le territoire, tant que n'ont pas été tranchés les recours qu'il a introduits devant le Conseil d'Etat contre la décision du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides prise en application de l'article 63/3 de la loi ou contre la décision de la Commission permanente de recours des réfugiés ».

Les questions préjudicielles sont dès lors devenues sans objet.

Par ces motifs, la Cour constate que les questions préjudicielles sont sans objet.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 avril 1998.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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