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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 02 septembre 1998

Arrêt n° 56/98 du 20 mai 1998 Numéro du rôle : 1188 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 55, alinéa 3, de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, posées par la Cour d'appel de Mons. La Cour d composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges L. François, P. Martens, E. Cerexh(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 56/98 du 20 mai 1998 Numéro du rôle : 1188 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 55, alinéa 3, de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la protection de la jeunesse, posées par la Cour d'appel de Mons.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges L. François, P. Martens, E. Cerexhe, H. Coremans et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt du 20 octobre 1997, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 10 novembre 1997, la Cour d'appel de Mons a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 10 de la Constitution qui dispose que, sauf les exceptions légalement établies, les Belges sont égaux devant la loi, n'est-il pas violé dans le cas où, dans le cadre de l'article 55, alinéa 3, de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, la partie civile se voit refuser l'accès aux rapports d'expertise, médico-psychologiques et d'examen mental du mineur, rapports que l'avocat de celui-ci et ses père et mère, civilement responsables, peuvent consulter et invoquer en termes de défense ? Les droits de défense de la partie civile, et encore en l'espèce de la citée en intervention forcée par cette partie civile, et le principe de la libre contradiction des débats ne sont-ils pas violés par pareille interdiction de consultation et de prise en compte des rapports précités ? » II. Les faits et la procédure antérieure L'a.s.b.l. Le Bois Marcelle s'est constituée partie civile dans une procédure devant le tribunal de la jeunesse. Elle souhaite obtenir réparation du préjudice résultant de divers faits pour lesquels le ministère public a cité un mineur et ses parents devant le tribunal, le premier, pour entendre prononcer à son égard une mesure de garde, de préservation ou d'éducation, les seconds pour s'entendre condamner aux frais comme civilement responsables, solidairement avec leur enfant mineur (article 1384 du Code civil).

La s.a. Gan Belgium (aujourd'hui dénommée s.a. Zelia), assureur de la responsabilité civile familiale des parents du mineur, citée en intervention forcée par la partie civile (l'article 89, § 5, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre conférant à la victime un droit d'action directe contre l'assureur devant les juridictions répressives) et souhaitant prendre connaissance des rapports d'examen médicopsychologique concernant le mineur, a demandé au tribunal de la jeunesse de soumettre à la Cour d'arbitrage la question de la conformité de l'article 55 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer sur la protection de la jeunesse (qui interdit la communication des pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit à la partie civile) à l'article 10 de la Constitution.

Le tribunal, considérant notamment que la connaissance des éléments relatifs à la personnalité du mineur ne peut éclairer la partie civile sur la réalité des faits, que celle-ci perd de vue que le tribunal de la jeunesse a fait à plusieurs reprises un rapport dont les termes sont empruntés à ceux des divers rapports des experts et que, partant, le principe du contradictoire a été respecté, a décidé qu'il n'y avait, en l'espèce, aucune nécessité de saisir la Cour d'arbitrage.

La Cour d'appel rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle si les juges peuvent prendre en considération comme présomptions de l'homme, tous les éléments de fait qu'ils reconnaissent comme suffisamment dignes de foi pour asseoir leur conviction, c'est à la double condition que ces éléments leur soient régulièrement soumis et que les parties aient pu les contredire, et selon laquelle les diligences et investigations du tribunal de la jeunesse pour connaître la personnalité des mineurs et le milieu où ils sont élevés ne sauraient avoir d'autre finalité que de permettre de déterminer, dans son intérêt, les modalités de l'administration de sa personne. Elle considère, au contraire du tribunal, que, dans le cas de l'espèce, il existe indéniablement un lien étroit entre les rapports d'examen médicopsychologiques du mineur (lesquels examinent la question du degré de responsabilité de celui-ci, et se prononcent sur la question de savoir si au moment des faits qui lui sont reprochés, il se trouvait ou non et se trouve encore ou non dans un état mental le rendant incapable du contrôle de ses actions) et la demande de réparation de la préjudiciée, par la partie civile l'a.s.b.l. Le Bois Marcelle tant à l'égard du mineur, d'une part, et des civilement responsables de celui-ci, d'autre part, qu'à l'encontre de l'assureur en responsabilité civile familiale, la s.a. Gan Belgium.

Elle a dès lors adressé à la Cour la question reproduite ci-dessus.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 10 novembre 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 27 novembre 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 5 décembre 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - la s.a. Zelia, dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, square de Meeûs 37, par lettre recommandée à la poste le 8 janvier 1998; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 12 janvier 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 22 janvier 1998.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - la s.a. Zelia, par lettre recommandée à la poste le 18 février 1998; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 23 février 1998.

Par ordonnance du 25 mars 1998, le président en exercice a constaté que le juge Janine Delruelle est légitimement empêchée et que le juge E. Cerexhe la remplace comme membre du siège.

Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 29 avril 1998.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 26 mars 1998.

Par ordonnance du 29 avril 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 10 novembre 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

A l'audience publique du 29 avril 1998 : - ont comparu : . Me H. de Stexhe, avocat au barreau de Charleroi, et Me J.-F. Van Drooghenbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, pour la s.a. Zelia; . Me P. Traest, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs L. François et H. Coremans ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire de la s.a. Zelia A.1.1. Le litige d'assurance qui oppose l'entreprise d'assurance Zelia à la mère, preneur d'assurance, du mineur concerné et à la partie civile porte, pour l'essentiel, sur le discernement, ou l'absence de discernement, du mineur au jour du sinistre, ainsi que sur le caractère intentionnel des faits culpeux qui lui sont imputés.

La police d'assurance souscrite par la mère, dans laquelle son fils se voit reconnaître la qualité de personne assurée, exclut en effet « les dommages découlant de la responsabilité civile de l'assuré ayant atteint l'âge du discernement, auteur de dommages causés soit intentionnellement, soit sous l'effet de stupéfiants, en état d'ivresse ou d'intoxication alcoolique, soit résultant de la participation à une lutte ou rixe ».

La s.a. Zelia n'a jamais pu avoir accès aux rapports d'expertise portant, par définition, sur la personnalité, l'intelligence et le « profil » neuropsychologique du mineur.

A.1.2. La question préjudicielle ne distingue pas la partie civile de la partie citée en intervention. Or, la disposition en cause ne comporte d'interdiction expresse d'accéder « aux pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit » qu'à l'égard du mineur lui-même et de la partie civile et non à l'égard de l'assureur intervenant à la cause. C'est donc d'une interprétation du texte qu'il pourrait se déduire que cette disposition permet ou interdit à l'assureur de prendre connaissance de ces pièces.

La Cour est invitée, d'une part, à interpréter de manière conciliante la même disposition, cette fois en tant qu'elle est appliquée à l'assureur intervenant à la cause, et à ne dire pour droit qu'elle ne viole les articles 10 et 11 de la Constitution que dans une interprétation non conciliante et, d'autre part, à scinder la question préjudicielle libellée par le juge a quo en la reformulant comme il suit : « - en tant qu'il dispose que les pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit ne peuvent être communiquées à la partie civile, l'article 55, alinéa 3, de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la protection de la jeunesse viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? - l'article 55, alinéa 3, de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la protection de la jeunesse, interprété en ce sens qu'il interdirait à l'assureur couvrant la responsabilité civile familiale du mineur et/ou de ses parents, de prendre connaissance et copie des pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit, et d'invoquer le contenu de ces pièces, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? » A.1.3. Les travaux préparatoires de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, quoiqu'ils ne soient guère explicites, indiquent qu'en édictant l'interdiction partielle d'accès au dossier, le législateur a entendu protéger la sérénité du mineur, et, en tant que cette interdiction vise la partie civile, protéger la vie privée de ce mineur contre les incursions d'un tiers, tiers dont la défense « n'exige nullement la connaissance de l'étude sociale ni de la personnalité du mineur ».

Les travaux préparatoires de la loi du 2 février 1994 font état d'une proposition de loi, qui sera ultérieurement reprise sous la forme d'un amendement et qui traduit très bien la précarité des justifications que l'on croyait pouvoir avancer, en 1965, comme fondement de la limitation de l'accès au dossier : contrairement à ce qu'énonçait le rapport fait à l'époque au nom de la Commission de la justice du Sénat, il semblerait qu'il soit véritablement nécessaire, pour la partie civile et pour les autres personnes qui, par analogie, seraient visées par l'interdiction, de prendre connaissance, pour les besoins de leur défense, des « pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit ». Le ministre s'opposa à l'amendement visant ainsi à permettre aux parties civiles de prendre connaissance du dossier en appuyant la légitimité de la disposition litigieuse sur une analogie faite avec le système de l'accès au dossier répressif prévu en matière de détention préventive; l'on sait le sort que la Cour a réservé à ce système, du moins en tant qu'il concernait les parties civiles.

A.1.4. Il résulte de l'article 62 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer et de l'article 89, § 5, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre que l'intervention de l'assureur « R.C. familiale » du mineur et de ses parents à la procédure mue contre ceux-ci (les seconds en qualité de civilement responsables) devant les juridictions de la jeunesse saisies sur la base, comme en l'espèce, de l'article 36, 4°, de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer est parfaitement recevable.

A.1.5. L'article 87 de la loi du 25 juin 1992 précitée prévoit que « l'assureur ne peut opposer à la personne lésée que les exceptions, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat et trouvant leur cause dans un fait antérieur au sinistre d'assurance ».

Quel que soit le moment de la procédure au stade duquel l'assureur « R.C. familiale » pourra faire valoir, à l'encontre de la partie civile, les exceptions qu'il pourrait déduire, en fait, des « pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit », la question de l'accès de cet assureur à ces pièces reste posée dans les mêmes termes et conserve les mêmes enjeux. Ces exceptions, nullités et déchéances ne peuvent être fondées, en fait, que sur la base de ces pièces.

A.1.6. Pour mener à la sanction de l'opposabilité desdites exceptions, nullités et déchéances à la personne lésée (article 87, § 2, de la loi du 25 juin 1992) ou servir de fondement à l'action récursoire ultérieure contre l'assuré (article 88 de la même loi), deux mécanismes contractuels supposent nécessairement la consultation, puis la discussion des pièces en cause.

Le premier est celui prévu à l'article 8, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre qui est d'ordre public et prévoit que l'assureur ne peut être tenu de fournir sa garantie à l'égard de quiconque aura causé intentionnellement le sinistre. Dans le cas d'espèce, la question essentielle est de savoir si, au moment de la survenance de ce sinistre, le mineur était ou non doué du « discernement ». Or, la seule réponse valable et fiable à ces questions ne peut nécessairement et exclusivement être recherchée que dans les « pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit », visées par la disposition en cause.

Le second est celui prévu à l'article 26 de la même loi qui prévoit que le preneur d'assurance a l'obligation de déclarer, en cours de contrat, les circonstances nouvelles ou les modifications de circonstances qui sont de nature à entraîner une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l'événement assuré.

Pour pouvoir apprécier s'il y a lieu d'opposer à la personne lésée (article 87, § 2, de la loi du 25 juin 1992) ou à l'assuré (article 88 de la même loi) les sanctions prévues par cet article 26 et, le cas échéant, pour pouvoir utilement fonder l'application de ces sanctions, l'assureur « R.C. familiale » doit démontrer la survenance de troubles comportementaux chez l'enfant après la souscription de la police. Il doit également démontrer que ces troubles présentent une gravité et une permanence telles que le risque assuré s'est aggravé au sens de l'article 26 de la loi du 25 juin 1992 et, selon le cas, qu'il aurait exigé une prime plus élevée. Ici encore, une telle démonstration ne peut être rapportée que sur la base des pièces visées par la disposition en cause.

De même, il est possible pour l'assureur de soutenir les prétentions de ses assurés, aux fins de déjouer celles de la partie civile, en tentant d'établir que ni l'enfant ni ses parents n'engagent une quelconque responsabilité. En cas de succès, l'assureur « R.C. familiale » ne sera évidemment pas tenu de couvrir le sinistre. Ceci suppose encore que l'assureur puisse établir l'absence de discernement, les troubles mentaux et comportementaux du mineur assuré, ou encore l'attention et les soins suffisants apportés à cet enfant par le parent assuré, toujours sur la base des pièces visées par la disposition en cause.

A.1.7. L'article 55, alinéa 3, en cause peut faire l'objet d'une première interprétation, minoritaire, selon laquelle il interdit à l'assureur de prendre connaissance - a fortiori copie - des pièces en cause.

Contrairement à l'assureur intervenant dans une instance mue contre son assuré mineur, l'assureur intervenant dans l'instance répressive mue contre son assuré majeur devant la juridiction du fond, et plus généralement toute partie à cette instance, dispose toujours, en vertu du principe général du respect du contradictoire, du droit de prendre connaissance de l'intégralité du dossier répressif, sans aucune restriction quant aux pièces qui le composent, et du droit d'en obtenir copie, en vertu de l'article 1380, alinéa 2, du Code judiciaire. Il existe donc une différence de traitement discriminatoire entre les personnes qui assurent la responsabilité civile d'un mineur et celles qui assurent la responsabilité civile d'un majeur.

Il en existe une seconde, entre assureur et assurés - la Cour de cassation ayant décidé que les parents de ce mineur, ainsi que leur avocat, disposaient du droit de consulter les pièces en cause (Cass., 25 février 1974, Pas., 1974, p. 657) -, de telle sorte que l'égalité contractuelle entre assureur et assurés, et entre assureur et preneurs d'assurance est rompue, l'assureur se trouvant dans l'impossibilité d'opposer aux assurés les sanctions qui découlent des articles 8 et 26 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre et étant injustement défavorisé dans l'administration de la preuve des éléments de fait générateurs de ces sanctions.

Il en existe une troisième, entre parties à l'action directe instituée par les articles 86 et 87 de la loi du 25 juin 1992, puisque la disposition en cause prive l'assureur de la possibilité d'opposer à la personne lésée, dans le cadre de l'instance mue devant les juridictions de la jeunesse, les exclusions et déchéances déduites des articles 8 et 26 de la loi du 25 juin 1992 et le met dans l'impossibilité de tenter d'établir l'absence de responsabilité dans le chef de ses assurés. Cette discrimination existe nonobstant le fait que la disposition litigieuse interdit également à la personne lésée d'accéder « aux pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit ». En effet, la personne lésée se contente d'opposer à l'assureur la réalité des faits constitutifs de la faute et la présomption de responsabilité instituée à son profit par l'article 1384 du Code civil. Sur le plan de la charge et de l'administration de la preuve, elle se trouve donc, du fait de l'interdiction qui frapperait l'assureur, indûment favorisée par rapport à ce dernier.

A.1.8. Ces différences de traitement ne peuvent être justifiées de manière objective et raisonnable, car l'on n'aperçoit pas en quoi la protection de la vie privée du mineur serait à ce point plus importante que la protection de la vie privée du majeur, qu'elle justifierait qu'il soit porté atteinte à une autre règle fondamentale de l'Etat de droit, celle qui garantit le droit au procès équitable, au respect de la contradiction et des droits de la défense.

Le caractère radical de l'interdiction en cause n'est pas proportionné au but poursuivi et il est permis de se demander s'il ne serait pas plus raisonnable de prévoir dans la loi un système comparable à celui prévu, avant que la Cour de cassation tranche la controverse, par une circulaire ministérielle qui permettrait l'accès des parents du mineur aux pièces concernées moyennant une série de « garde-fous ».

Il est également permis de se demander si la protection de la vie privée du mineur, et en particulier la protection des informations relatives à sa personnalité et au milieu où il vit, n'était pas déjà suffisamment garantie par des dispositions telles que l'article 57 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, qui permet au tribunal de la jeunesse de se retirer en chambre du conseil pour entendre, sur la personnalité du mineur, les experts et les témoins, les parents, tuteurs ou personnes qui ont la garde du mineur, et l'article 80 de la même loi, qui interdit la publication et la diffusion des éléments des débats.

Enfin, les éléments pris en compte lors des travaux préparatoires de la loi de 1994 sont dépourvus de pertinence puisque l'on a démontré que les documents inaccessibles sont bel et bien utiles à la défense des personnes frappées par l'interdiction contestée et puisque le parallélisme fait avec le système d'accès au dossier en matière de détention préventive a perdu beaucoup de sa pertinence si l'on tient compte du sort que la Cour a récemment réservé au système de référence à la faveur des droits de la partie civile (arrêt n° 54/97).

La ligne ainsi tracée par la Cour devrait la guider a fortiori dans la réponse à la question qui lui est soumise en l'espèce, dans la mesure où, d'une part, il s'agit ici de l'accès au dossier au stade du jugement (où prédomine le principe de la contradiction), et où, d'autre part, en l'espèce, les personnes frappées par l'interdiction précitée ne disposent même pas de la faculté offerte, sans possibilité de recours, à la partie civile par l'article 1380 du Code judiciaire.

A.1.9. L'article 55, alinéa 3, en cause peut faire l'objet d'une seconde interprétation, conciliante, qui gomme les différences de traitement précitées. Elle est conforme à une lecture rigoureuse des textes applicables puisque l'article 62 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer prévoit l'application des règles de la procédure pénale, au nombre desquelles figurent le principe général du respect du contradictoire (qui prévaut en matière pénale au stade du jugement) et les articles 1380 du Code judiciaire et 125 du tarif criminel, qui permettent aux parties d'obtenir la copie de toutes les pièces du dossier de la procédure.

Elle a également l'appui de la doctrine et de la jurisprudence majoritaires. Ainsi, alors que l'article 55, alinéa 3, n'interdit pas - sans pour autant l'autoriser expressément - l'accès des parents du mineur aux pièces du dossier, la doctrine a considéré qu'une interprétation trop restrictive du texte amenait à une violation grave des droits de défense et la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 février 1974 (Pas., 1974, I, 657) a considéré, outre qu'une exception ne peut être étendue par analogie, que les motifs qui ont déterminé le législateur à formuler cette restriction, à savoir l'intérêt du mineur, ne s'imposent pas en ce qui concerne la communication de ces pièces aux parents. La Cour européenne des droits de l'homme a également considéré que la circonstance que des documents aussi essentiels que les rapports sociaux n'ont pas été communiqués est propre à affecter la capacité des parents participants d'influer sur l'issue de l'audience de la commission dont il s'agit, et aussi celle d'apprécier leurs perspectives d'appel (Cour eur. D.H., 24 février 1995, en cause de Mc Michael c/ Royaume-Uni, Publ. Cour, 1995, vol. 307, série A, p. 54, considérant n° 80).

A.1.10. Le droit d'accéder aux pièces en cause a pour corollaire celui de les invoquer en cours de procédure. La jurisprudence de la Cour de cassation frappant de nullité l'arrêt qui se fonde sur les pièces en cause pour exonérer la mère, citée en qualité de civilement responsable de la responsabilité mise à sa charge par l'article 1384 du Code civil, du chef de faits qualifiés infractions commis par son fils mineur (Cass., 19 mai 1993, J.T., 1993, p. 666) est une jurisprudence prisonnière du prescrit de la disposition litigieuse; elle induit des conséquences pour le moins paradoxales puisqu'elle aboutit à ce que le civilement responsable soit privé de la seule possibilité dont il disposait de s'exonérer de la responsabilité mise à sa charge par l'article 1384 du Code civil en démontrant que son enfant n'est pas doué du discernement et/ou qu'il lui a prodigué l'attention et les soins adaptés aux troubles de son comportement. Le juge du fond encourt ainsi la cassation, soit qu'il fonde sa décision sur le contenu des pièces litigieuses, soit qu'il acquière une intime conviction sur la base des pièces litigieuses, mais, en raison de la jurisprudence précitée, ne puisse traduire cette conviction en termes de décision, et statue au mépris du droit et du fait, soit qu'il traduise sa conviction en termes de décision, mais s'abstienne dans ce cas de motiver sa décision sur le contenu des pièces litigieuses.

De tels paradoxes résultent de ce que la norme en cause fut justifiée par l'absence d'utilité des pièces litigieuses pour ceux qui ne peuvent en prendre connaissance, alors que ces pièces s'avèrent en réalité indispensables pour la défense de ces personnes.

Mémoire du Conseil des ministres A.2.1. La disposition en cause opère une distinction entre, d'une part, la partie civile et, d'autre part, l'avocat du mineur intéressé et les personnes civilement responsables (ses parents), en ce que la partie civile n'a pas accès aux pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit. Cette différence de traitement repose sur un critère objectif - la qualité de partie civile dans un procès devant les juridictions de la jeunesse - et le souci de protéger l'intérêt du mineur (alors que la partie civile ne recherche qu'une réparation pour le dommage subi), exprimé dans les travaux préparatoires des lois de 1965 et 1994, en constitue une justification raisonnable.

A.2.2. Le dossier sur la personnalité et le milieu social de l'intéressé est issu d'investigations que le tribunal de la jeunesse est habilité à faire en vertu de l'article 50 de la loi du 8 avril 1965. L'efficacité de ces investigations serait réduite si les pièces sur la personnalité et le milieu social du jeune étaient utilisées à d'autres fins que celles qui ont été voulues par le législateur.En effet, le mineur ne serait plus disposé à parler librement s'il pouvait craindre que ses dires soient utilisés contre lui dans le débat sur l'action civile.

A.2.3. De plus, les informations qui reposent dans ces pièces ne peuvent pas intéresser la partie civile qui ne recherche que la réparation de son dommage. La personnalité du mineur et son milieu social sont des éléments étrangers au débat sur la demande de la partie civile. Ces éléments ne peuvent même pas entrer dans ce débat.

Il est vrai que s'il est établi en l'espèce que le mineur se trouvait dans un état mental qui le rendait incapable du contrôle de ses actes, cela pourrait avoir une incidence sur la demande de la partie civile.

Cependant, cette circonstance ne peut justifier l'utilisation de rapports médicopsychologiques dans le débat sur la responsabilité civile, lorsque ces rapports ont été établis à l'initiative du juge de la jeunesse et dans le seul intérêt du mineur. Si l'avocat du jeune, ses parents, ou encore l'assureur de la responsabilité civile familiale veulent utiliser l'argument de l'incapacité mentale du mineur pour se défendre contre la demande de la partie civile, ils doivent utiliser d'autres moyens de preuve, telle l'expertise judiciaire ordinaire, qui sera contradictoire entre toutes les parties et servira uniquement à fournir une réponse à la question de la capacité mentale de l'intéressé au moment de l'acte dommageable.

A.2.4. L'utilisation des pièces concernées est limitée à la finalité pour laquelle elles sont établies : elles ne peuvent donc être utilisées par les parties qui en auraient connaissance pour débattre de la prétention de la partie civile. Les droits de défense ne sauraient être violés dans un cas où la loi interdit ainsi à une partie d'utiliser les informations dont l'autre partie n'a pas connaissance. A supposer que la simple connaissance dans le chef d'une partie au procès de certaines pièces dont l'accès est interdit à l'autre partie suffise pour considérer que la dernière ne jouit pas de l'« égalité des armes », il faut constater que cette inégalité est pleinement justifiée eu égard aux éléments figurant sous A.2.2 et A.2.3.

L'interdiction pour la partie civile d'accéder au dossier personnel du mineur est même impérative au vu de l'article 8 de la Convention précitée. La divulgation des pièces concernant la personnalité du mineur ou son milieu familial et social, au-delà de ce qui est strictement nécessaire dans le propre intérêt du mineur, constituerait une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale.

A.2.5. Les droits de défense de la partie citée en intervention forcée, tel l'assureur, ne sont pas davantage violés puisque cette intervention, forcée ou volontaire, ne vise que la sauvegarde des intérêts financiers de l'assureur et reste liée à l'action civile, de telle sorte que l'assureur de la responsabilité civile des parents du mineur se trouve dans une situation tout à fait égale vis-à-vis de la partie civile. Il n'existe aucune « inégalité des armes » entre ces parties.

Mémoire en réponse de la s.a. Zelia A.3.1. L'argumentation du Conseil des ministres ne tient aucun compte de ce que l'interdiction qui serait faite à l'assureur d'accéder aux pièces visées par la disposition en cause ne figure pas dans celle-ci (laquelle se limite à viser l'intéressé et la partie civile) et de ce que, s'agissant d'une interdiction qui limite les droits de défense et le droit à un procès équitable, elle doit être interprétée restrictivement. L'interprétation restrictive de cette interdiction n'a longtemps bénéficié qu'aux parents mais doit dorénavant bénéficier à l'assureur, partie à la cause.

A.3.2. L'on ne saurait admettre, comme le soutient le Conseil des ministres et comme l'a décidé la Cour d'appel de Bruxelles, que le refus de communiquer telle ou telle pièce ne peut violer les droits de la défense, tant que la décision demeure fondée sur des pièces qui, elles, ont été communiquées à toutes les parties. En effet, les droits de la défense de la partie civile, et par identité de motifs les droits de la défense de l'assureur, sont méconnus de manière discriminatoire par cela seul que ces personnes sont privées d'accès à des pièces qui peuvent s'avérer indispensables à leurs défenses respectives, sans que cette violation discriminatoire puisse être « réparée » par l'écartement des pièces litigieuses du débat contradictoire. L'argument tiré par le Conseil des ministres de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas davantage pertinent puisque c'est précisément sur la base de cette disposition que la Cour européenne des droits de l'homme a consacré, dans le chef du mineur, un droit absolu de prendre connaissance de l'intégralité du dossier qui le concerne.

A.3.3. Les différences de traitement créées par la disposition en cause ne reposent pas sur une justification objective et raisonnable puisque l'objectif de protéger le mineur contre l'effet traumatisant ou néfaste de la révélation des informations en cause pourrait être également atteint par le biais d'une mesure moins radicale, comme par exemple l'instauration, sur ce point, d'un pouvoir d'appréciation dans le chef du juge de la jeunesse.

A.3.4. L'expertise judiciaire suggérée par le Conseil des ministres pour faire établir l'état mental du mineur au jour de la commission de l'acte ne constitue pas une solution satisfaisante pour les parties visées par l'interdiction en cause puisqu'elles devront supporter les aléas et les coûts de cette expertise - nul n'étant par ailleurs tenu de se soumettre à une expertise psychiatrique, même valablement ordonnée -, alors que les autres parties se contenteront du contenu des pièces en cause.

La demande « ordinaire » d'expertise judiciaire est elle-même irrecevable car en vertu du principe selon lequel le criminel tient le civil en état (article 4 du titre préliminaire du Code de procédure pénale), il est généralement décidé que l'action qui a pour objet d'obtenir, à titre principal, un élément de preuve capital qui devrait constituer la base même d'une action en réparation du dommage, trouvant sa source dans les fautes qui font l'objet de poursuites sur le résultat desquelles la juridiction répressive, régulièrement saisie au préalable, ne s'est pas encore prononcée, est irrecevable.

La suggestion du Conseil des ministres est d'autant plus insolite qu'elle aboutit à faire contourner la norme et ce, au mépris de l'esprit de celle-ci, dont il croit pouvoir se prévaloir.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres A.4.1. L'interprétation conciliante proposée par la s.a. Zelia, selon laquelle la disposition en cause n'interdirait pas la communication des pièces à l'assureur de la responsabilité civile du mineur et de ses parents, cité en intervention, ne peut être acceptée parce qu'elle instituerait une discrimination entre cet assureur et la partie civile. L'un et l'autre intervenant dans le litige pour débattre de la seule action civile, ils ne peuvent avoir accès à des pièces établies dans le seul but de connaître la personnalité du mineur afin de permettre au tribunal de la jeunesse de déterminer, dans l'intérêt du mineur, les modalités de l'administration de sa personne.

A.4.2. Les pièces en cause ne sont pas indispensables pour la défense de l'assureur; celui-ci dispose de tous les moyens de droit pour obtenir les preuves qu'il souhaite utiliser pour sa défense, telle l'expertise judiciaire ordinaire, contradictoire, qui vise à éclairer les parties à l'action civile, et non ceux qui sont intéressés par l'administration de la personne du mineur. - B - B.1.1. L'article 55 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la protection de la jeunesse dispose : « Lorsqu'une affaire visée au titre II, chapitre III, est portée devant le tribunal de la jeunesse, les parties et leur avocat sont informés du dépôt au greffe du dossier dont ils peuvent prendre connaissance à partir de la notification de la citation.

Les parties et leur avocat peuvent également prendre connaissance du dossier lorsque le ministère public requiert une mesure visée aux articles 52 et 53, ainsi que durant le délai d'appel des ordonnances imposant de telles mesures.

Toutefois, les pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit ne peuvent être communiquées ni à l'intéressé ni à la partie civile. Le dossier complet, y compris ces pièces, doit être mis à la disposition de l'avocat de l'intéressé lorsque ce dernier est partie au procès. » La loi du 2 février 1994, qui a modifié diverses dispositions de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, a fait de l'alinéa 1er, deuxième et troisième phrases, de l'article 55, initial, sans en modifier le contenu, le troisième alinéa, sur lequel porte la question préjudicielle, du nouvel article 55.

B.1.2. La question porte sur la différence de traitement, quant aux droits de défense et au principe de la contradiction des débats, que la disposition en cause établit entre les parties civiles et l'assureur en responsabilité civile des parents, d'une part, les père et mère civilement responsables du mineur ainsi que l'avocat de celui-ci, d'autre part. La loi interdit en effet de communiquer aux premiers les pièces concernant la personnalité du mineur et le milieu où il vit alors que le dossier doit être mis à la disposition des seconds.

B.2.1. Il apparaît des termes employés dans la question préjudicielle que le juge a quo considère que la disposition en cause interdit la communication des pièces concernant la personnalité de l'intéressé et le milieu où il vit non seulement à la partie civile mais, par identité de motifs, à l'assureur en responsabilité civile cité en intervention forcée par cette partie civile. La reformulation demandée (A.1.2) au motif que la question préjudicielle ne distinguerait pas la partie civile de la partie citée en intervention n'est donc pas nécessaire.

B.2.2. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.3.1. Pour régler la communication des dossiers que les tribunaux de la jeunesse sont habilités à établir en vertu de l'article 50 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, le législateur a distingué les pièces relatives aux faits et à la procédure et celles relatives à la personnalité de l'intéressé et à son milieu social. Celles-ci visent exclusivement à déterminer ce que requiert l'intérêt de ceux qu'elles concernent et les modalités de l'administration de leur personne. Elles sont établies dans le seul souci de la protection des intéressés. Leur utilisation à un autre effet, même par les parties auxquelles la disposition en cause permet qu'elles soient communiquées, peut mettre en cause l'efficacité de l'enquête à l'occasion de laquelle elles sont établies - les intéressés ne s'exprimeraient pas librement si les éléments qu'ils communiqueraient pouvaient ultérieurement être utilisés contre eux - et porte, au respect de la vie privée des intéressés, une atteinte que la loi n'a permise qu'afin de protéger la jeunesse.

B.3.2. Les personnes qui ont été personnellement lésées par un fait qualifié infraction et qui se sont constituées partie civile ou interviennent à la cause peuvent avoir des motifs légitimes de consulter l'ensemble du dossier pour y trouver les moyens de réponse aux arguments utilisés soit par les parents des mineurs afin de renverser la présomption de faute qui pèse sur eux en vertu de l'article 1384, § 2, du Code civil, soit par l'assureur de ces parents, pour soutenir que l'état mental du mineur lui permet, aux termes du contrat d'assurance, de ne pas intervenir.

Toutefois, le législateur, dans le souci d'éviter toute publicité lors de l'examen des éléments relatifs à la personnalité de l'intéressé et d'en éviter la communication à des tiers (Doc. parl., Chambre, 1962-1963, n° 637/7, p. 9), a raisonnablement pu considérer que la partie civile ne devait pas avoir connaissance de l'enquête sociale ou des renseignements relatifs à la personnalité du mineur : » cette restriction est faite dans l'intérêt de celui-ci pour éviter que des renseignements confidentiels ne soient divulgués » (ibid., p. 42); ce souci de protéger les mineurs et de respecter leur vie privée, fût-ce au détriment de certains intérêts, s'est encore exprimé lors de la modification de l'article 55 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer par la loi du 2 février 1994 (Doc. parl., Chambre, S.E., 1991-1992, n° 532/9, p. 15, et Sénat, 1992-1993, n° 633-2, p. 91).

B.3.3. La mesure serait disproportionnée au but poursuivi si elle interdisait à la partie civile ou à la partie intervenante d'invoquer des éléments relatifs à la personne du mineur ou concernant le milieu où il vit, alors même que de tels éléments seraient indispensables à la défense des intérêts de ces parties. Telle n'est cependant pas la portée de la disposition litigieuse. Elle empêche seulement d'exploiter, pour les besoins de la défense de ces parties, des pièces concernant de tels éléments mais qui ont été recueillies à d'autres fins, dans le cadre d'une procédure dérogatoire aux règles ordinaires de la procédure pénale ou de la procédure civile et qui vise à la protection du mineur. Elle n'interdit pas à ces parties de tirer argument de la personnalité du mineur ou de son milieu en utilisant les modes de preuve du droit commun.

B.4. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En ce qu'il refuse à la partie civile et à l'assureur partie intervenante l'accès aux rapports d'expertise médicopsychologiques et d'examen mental de l'intéressé, rapports que l'avocat du mineur et les père et mère de celui-ci, civilement responsables, peuvent consulter et invoquer en termes de défense, l'article 55, alinéa 3, de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la protection de la jeunesse ne viole pas l'article 10 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 20 mai 1998, par le siège précité, dans lequel le juge M. Bossuyt est remplacé, pour le prononcé, par le juge G. De Baets, conformément à l'article 110 de la même loi.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

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