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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 03 septembre 1998

Arrêt n° 57/98 du 27 mai 1998 Numéro du rôle : 1084 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 1 er , 1 er bis, 3 et 4 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 portant interdiction à certains condamnés et a La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 57/98 du 27 mai 1998 Numéro du rôle : 1084 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 1er, 1erbis, 3 et 4 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 portant interdiction à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités et conférant aux tribunaux de commerce la faculté de prononcer de telles interdictions, posée par le Tribunal correctionnel de Bruxelles.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 10 avril 1997 en cause du ministère public et de la s.a. European Partners Office contre T.B.K. et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 avril 1997, le Tribunal correctionnel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 1er, 1erbis, 3 et 4 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 contreviennent-ils ou non aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils établissent des mesures d'interdictions professionnelles automatiques ou facultatives, de manière limitée ou illimitée dans le temps, selon la qualification des infractions en créant des discriminations injustifiées entre les personnes visées par des interdictions automatiques et illimitées et celles visées par des interdictions facultatives et limitées ? » II. Les faits et la procédure antérieure Le prévenu est poursuivi devant le Tribunal correctionnel notamment pour avoir exercé des fonctions de gestion de fait d'une société coopérative, en infraction aux articles 1er, 1erbis, 3 et 4 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934.

En 1966, il a été condamné à une peine d'emprisonnement de quatre mois, dont trois avec sursis, et à 26 francs d'amende, pour un simple vol de cinq paires de chaussettes dans un magasin de grande surface, alors qu'il était âgé de 21 ans.

Devant la juridiction a quo, le prévenu soutient que l'arrêté royal précité viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il instaure diverses interdictions professionnelles.

Après avoir considéré, entre autres, que l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 permet à un failli de commencer une nouvelle activité commerciale moyennant une réhabilitation, alors que ce même arrêté royal écarte de manière définitive du commerce une personne ayant commis 30 ans plus tôt un vol de quelques chaussettes, le Tribunal correctionnel pose la question citée plus haut.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 18 avril 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 16 mai 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 mai 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 4 juillet 1997; - T.B.K., par lettre recommandée à la poste le 7 juillet 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 14 août 1997.

Le Conseil des ministres a introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le 15 septembre 1997.

Par ordonnances du 30 septembre 1997 et du 25 mars 1998, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 18 avril 1998 et 18 octobre 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 11 mars 1998, le président M. Melchior a soumis l'affaire à la Cour réunie en séance plénière.

Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 1er avril 1998 après avoir invité les parties à s'expliquer à l'audience sur la compétence de la Cour pour répondre à la question concernant les articles 3 et 4 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 portant interdiction à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités et conférant aux tribunaux de commerce la faculté de prononcer de telles interdictions.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 13 mars 1998.

A l'audience publique du 1er avril 1998 : - ont comparu : . Me L. Van den Broeck loco Me A.-L. Clerens, avocats au barreau de Bruxelles, pour T.B.K.; . Me F. Van Nuffel loco Me P. Traest, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. Objet des dispositions litigieuses L'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 a été pris sur la base de l'article 1er, n° III, littera a, et n° V, de la loi du 31 juillet 1934 attribuant au Roi certains pouvoirs en vue du redressement économique et financier et de l'abaissement des charges publiques.

Son intitulé a été remplacé par l'article 82 de la loi du 4 août 1978 de réorientation économique.

L'article 1er de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, remplacé intégralement par l'article 83 de la loi précitée du 4 août 1978 et modifié par les lois des 9 mars 1989 et 4 décembre 1990, disposait au moment des faits mis à charge - donc abstraction faite des modifications apportées par l'article 156 de la loi du 6 avril 1995Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/04/1995 pub. 29/05/2012 numac 2012000346 source service public federal interieur Loi organisant la commission parlementaire de concertation prévue à l'article 82 de la Constitution et modifiant les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. - Coordination officieuse en langue allemande fermer et par l'article 132 de la loi du 8 août 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/08/1997 pub. 24/08/2001 numac 2001009578 source ministere de la justice Loi relative au Casier judiciaire central type loi prom. 08/08/1997 pub. 28/10/1997 numac 1997009766 source ministere de la justice Loi sur les faillites fermer sur les faillites - comme suit : « Sans préjudice des interdictions édictées par les dispositions particulières, ne peuvent exercer, personnellement ou par interposition de personne, les fonctions d'administrateur, de commissaire ou de gérant dans une société par actions, une société privée à responsabilité limitée ou une société coopérative ni des fonctions conférant le pouvoir d'engager l'une de ces sociétés ni les fonctions de préposé à la gestion d'un établissement belge, prévu par l'article 198, alinéa 2, des lois sur les sociétés commerciales, coordonnées le 30 novembre 1935, les personnes qui ont été condamnées soit en Belgique, soit dans les territoires qui ont été soumis à l'autorité ou à l'administration de la Belgique, à une peine privative de liberté de trois mois au moins, même conditionnellement, comme auteur ou complice d'une des infractions ou d'une tentative d'une des infractions suivantes : a) fausse monnaie;b) contrefaçon ou falsification d'effets publics, d'actions, d'obligations, de coupons d'intérêt et de billets au porteur émis par le trésor public ou de billets de banque au porteur dont l'émission est autorisée par une loi ou en vertu d'une loi;c) contrefaçon ou falsification de sceaux, timbres, poinçons et marques;d) faux et usage de faux en écritures;e) corruption de fonctionnaires publics ou concussion;f) vol, extorsion, détournement ou abus de confiance, escroquerie ou recel;g) banqueroute simple ou frauduleuse, circulation fictive d'effets de commerce ou infraction aux dispositions sur la provision des chèques ou autres titres à un paiement au comptant ou à vue sur fonds disponibles;h) contravention aux interdictions prévues aux articles 182, 183 ou 184 de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers.» L'article 1erbis de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, inséré par l'article 84 de la loi du 4 août 1978 de réorientation économique, disposait au moment des faits - donc abstraction faite de la modification par l'article 133 de la loi du 8 août 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/08/1997 pub. 24/08/2001 numac 2001009578 source ministere de la justice Loi relative au Casier judiciaire central type loi prom. 08/08/1997 pub. 28/10/1997 numac 1997009766 source ministere de la justice Loi sur les faillites fermer sur les faillites - ce qui suit : « Ne peut exercer aucune activité commerciale, personnellement ou par interposition de personne, quiconque a été condamné à une peine privative de liberté de trois mois au moins, même conditionnelle, comme auteur ou complice de banqueroute simple ou frauduleuse. » L'article 3 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, modifié par l'article 86 de la loi du 4 août 1978 de réorientation économique, dispose : « L'interdiction édictée à l'article 1er s'applique aussi au failli non réhabilité, même lorsque la faillite s'est ouverte dans les territoires qui ont été soumis à l'autorité ou à l'administration de la Belgique ou à l'étranger. » L'article 4 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 dispose : « Toute infraction à l'interdiction édictée par les articles précédents est punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 1.000 francs à 10.000 francs.

Toutes les dispositions du livre Ier du Code pénal, sans exception du chapitre VII et de l'article 85, sont applicables à ces infractions. » V. En droit - A - Mémoire du prévenu devant le juge a quo A.1.1. Le vol est l'une des infractions citées dans l'arrêté royal qui, si elles sont sanctionnées d'une peine privative de liberté d'au moins trois mois, entraînent d'office une interdiction professionnelle illimitée dans le temps, tant à l'égard de l'auteur d'une infraction de droit commun que du failli.

Par contre, en application de l'article 3bis, § 5, d'autres infractions visées par la même norme n'entraînent pas une interdiction automatique et illimitée dans le temps.

La généralité des dispositions litigieuses entraîne des inégalités injustifiées entre : - les personnes condamnées pour avoir commis une infraction non visée à l'article 1er et celles condamnées pour avoir commis l'une des infractions visées dans cet article; - les personnes condamnées à une peine privative de liberté de moins de trois mois et celles condamnées à une peine privative de liberté d'au moins trois mois, alors que l'infraction est, dans les deux cas, qualifiée de vol; - les personnes condamnées à une peine privative de liberté de moins de trois mois pour une infraction liée à une activité commerciale et celles condamnées à une peine privative de liberté d'au moins trois mois pour une infraction sans rapport avec une activité commerciale; - les personnes exerçant au sein d'une société commerciale l'une des fonctions visées à l'article 1er et celles exerçant un mandat d'administrateur-délégué; - les personnes frappées d'une interdiction automatique en raison de l'une des infractions visées à l'article 1er, tandis que la personne faillie et celle assimilée ne seront visées par l'interdiction que pour autant que le tribunal de commerce la prononce après avoir estimé qu'il a été commis une faute grave ayant contribué à la faillite; - les faillis, bénéficiant d'une possibilité de réhabilitation, et les personnes condamnées pour l'une des infractions visées à l'article 1er, d'autant qu'une interdiction illimitée dans le temps frappe la seconde catégorie de personnes.

A.1.2. L'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 entend empêcher que l'administration, la surveillance et la gestion des sociétés commerciales soient confiées à des personnes indignes, d'une improbité manifeste ou à des personnes telles que les faillis, qui s'étant montrées inhabiles à gérer leurs propres affaires, ne peuvent sans danger être appelées à gérer celles d'autrui.

Le législateur a voulu garantir la sécurité commerciale en écartant du commerce tout individu incapable ou malhonnête.

Pour y parvenir, le législateur exclut les personnes condamnées en Belgique à une peine privative de liberté de trois mois au moins, même conditionnellement, pour toute une série d'infractions.

A.1.3. L'affaire au fond concerne une personne qui a été condamnée à l'âge de 21 ans pour le vol de cinq paires de chaussettes et qui est poursuivie trente ans plus tard pour violation de l'interdiction professionnelle.

Pour une erreur de jeunesse, l'intéressé ne peut plus exercer un nombre important de fonctions rémunératrices de nature commerciale, et ce durant toute sa vie.

Une interdiction aussi absolue est tout à fait disproportionnée par rapport à l'objectif de sécurité commerciale.

Il est également paradoxal que, d'une part, un failli qui s'avère incapable de gérer efficacement ses propres affaires puisse commencer une nouvelle activité commerciale moyennant une réhabilitation, alors que, d'autre part, une personne coupable d'un vol relativement anodin au temps de sa jeunesse est définitivement écartée du commerce.

Pour le surplus, il est contradictoire d'affirmer vouloir protéger les affaires en écartant les personnes inhabiles à gérer leurs propres affaires et donc ne pouvant sans danger être appelées à gérer celles d'autrui, alors que l'arrêté royal en question ne punit pas de la même interdiction les personnes exerçant des fonctions d'administrateur, de gérant ou toute autre fonction identique au sein d'une société faillie.

Mémoire et mémoire en réponse du Conseil des ministres A.2.1. Bien que l'intéressé relève de la catégorie des personnes condamnées à une peine privative de liberté de trois mois au moins pour l'une des infractions visées aux articles 1er ou 1erbis, la question préjudicielle est étendue à la situation des faillis non réhabilités et la situation de l'intéressé doit être comparée non seulement à celle des condamnés à des peines moins lourdes ou de personnes qui ont commis des infractions autres que celles visées dans les articles précités, mais également avec celle des faillis et des personnes assimilées aux faillis au sens de l'article 3bis.

A.2.2. Le rapport au Roi précédant l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 contient une justification précise des mesures prises.

Cette justification vaut pour les articles 1er, 3 et 4, et est toujours d'actualité.

A.2.3. La justification des articles 1erbis et 3 introduits par la loi du 4 août 1978 réside dans la lutte contre les pourvoyeurs de main-d'oeuvre et, d'une manière générale, dans la lutte pour l'assainissement de la fonction commerciale.

Pour mieux comprendre la démarche du législateur de 1978, l'on peut renvoyer à la contribution suivante de Me Quarré : « Dans le cadre de cette (ancienne) législation cependant, les banqueroutiers simples ou frauduleux condamnés à une peine d'emprisonnement de 3 mois au moins pouvaient encore être commerçants en tant que personne physique, seules les fonctions d'administrateur, de commissaire ou de gérant visées, leur étant interdites, et d'autre part, les condamnés et faillis étaient fréquemment tentés d'exercer un pouvoir de fait dans les sociétés sous couvert d'hommes de paille. Il existait, de plus, une différence de traitement entre le failli en tant que personne physique, qui était automatiquement frappé d'une interdiction professionnelle grave, et le dirigeant non-banqueroutier de sociétés commerciales faillies qui échappait la plupart du temps à cette interdiction, sauf au cas exceptionnel d'extension de la faillite à sa personne physique.

La loi du 4 août 1978 a voulu s'assurer l'assainissement de la fonction commerciale en étendant l'interdiction qui frappait certains banqueroutiers, en visant les fonctions, professions et activités interdites qui étaient exercées par interposition de personnes et en créant des interdictions facultatives complémentaires que les tribunaux peuvent prononcer. » (Ph. Quarré, « L'interdiction professionnelle en droit pénal belge », dans L'interdiction professionnelle en droit comparé. Liber Amicorum Raymond Screvens, Bruxelles, Nemesis, 1986, p. 32).

A.2.4. Il ressort de ce qui précède que la distinction opérée par l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 est fondée sur des critères objectivement et raisonnablement justifiés.

Les condamnés pour les infractions visées aux articles 1er et 1erbis, ainsi que les faillis non réhabilités, se distinguent des autres catégories de personnes en ce qu'ils se sont montrés inhabiles à gérer leurs propres affaires. Cette inhabilité provient soit du fait qu'en tant que commerçants, ils ont été déclarés en faillite, soit du fait qu'ils ont été condamnés à des peines qui revêtent une certaine gravité pour des faits qui sont incompatibles avec l'honnêteté la plus élémentaire comme le vol, ou pour des faits qui démontrent l'incapacité de leur auteur de gérer une affaire commerciale ou industrielle.

La différence de traitement entre les condamnés visés aux articles 1er et 1erbis de l'arrêté royal n° 22 et les personnes assimilées aux faillis au sens de l'article 3bis de cet arrêté royal est aussi justifiée. En effet, les premiers ont commis des infractions qui sont sanctionnées pénalement, tandis que les dernières ne sont sanctionnées que pour une faute civile.

A.2.5. En outre, un rapport raisonnable de proportionnalité existe entre les moyens employés et le but visé.

Le but poursuivi par l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 est celui de la sauvegarde de la sécurité des tiers qui doivent pouvoir faire confiance aux sociétés commerciales et aux commerçants en général.

Seules des mesures d'interdiction professionnelle peuvent atteindre ce but.

Dans les cas visés aux articles 1er, 1erbis et 3, l'arrêté royal n° 22 n'a laissé au juge ni la possibilité d'apprécier cas par cas si une interdiction devrait être prononcée ou non, ni la faculté de limiter l'interdiction dans le temps. Le législateur a ainsi voulu démontrer l'importance qu'il accorde au bon fonctionnement du commerce. Les moyens utilisés ne sont pas disproportionnés à ce but.

Par ailleurs, tant le condamné que le failli peuvent obtenir une réhabilitation dans des conditions qui doivent permettre d'établir que la confiance en eux est restaurée.

A.2.6. Il peut paraître disproportionné qu'une personne se trouvant dans la situation du prévenu subisse toujours une interdiction professionnelle.

La Cour ne se prononce toutefois pas sur les faits en cause et elle ne peut s'immiscer dans l'appréciation du jugement coulé en force de chose jugée qui a condamné l'intéressé en 1966.

D'ailleurs, celui-ci n'a pas interjeté appel de ce jugement et n'a pas demandé sa réhabilitation.

A.2.7. La question soumise à la Cour n'est pas de savoir si, trente ans après un vol de cinq paires de chaussettes, une interdiction professionnelle se justifie toujours, mais bien de savoir si une interdiction professionnelle se justifie suite à une condamnation d'au moins trois mois pour cause de vol.

Le législateur a raisonnablement pu estimer qu'une personne qui subit une condamnation de cette gravité a commis un acte contraire à l'honnêteté la plus élémentaire. La confiance commerciale exige qu'une telle personne ne gère pas de société commerciale jusqu'à ce qu'elle ait obtenu une réhabilitation.

L'intéressé estime à tort que l'interdiction professionnelle est définitive. En effet, cette interdiction prend fin lorsque le condamné est réhabilité. - B - B.1. Le traitement discriminatoire allégué étant contenu dans les articles 1er et 1erbis de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 « portant interdiction à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités et conférant aux tribunaux de commerce la faculté de prononcer de telles interdictions », la Cour limite son contrôle à ces dispositions.

B.2.1. L'article 1er de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 établit une interdiction de plein droit d'exercer « les fonctions d'administrateur, de commissaire ou de gérant dans une société par actions, une société privée à responsabilité limitée ou une société coopérative [et] des fonctions conférant le pouvoir d'engager l'une de ces sociétés [et] les fonctions de préposé à la gestion d'un établissement belge, prévu par l'article 198, alinéa 2, des lois sur les sociétés commerciales, coordonnées le 30 novembre 1935 ».

Cette interdiction vaut pour les personnes condamnées à une peine d'emprisonnement d'au moins trois mois, même conditionnelle, pour l'une des infractions énumérées à l'article 1er, litterae a à h.

Une interdiction d'office et illimitée dans le temps frappe également l'auteur ou le complice, condamné à une peine d'emprisonnement de trois mois au moins, d'une banqueroute simple ou frauduleuse, actuellement, en vertu de la loi du 8 août 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/08/1997 pub. 24/08/2001 numac 2001009578 source ministere de la justice Loi relative au Casier judiciaire central type loi prom. 08/08/1997 pub. 28/10/1997 numac 1997009766 source ministere de la justice Loi sur les faillites fermer sur les faillites, l'auteur ou le complice d'une des infractions prévues aux articles 489, 489bis et 489ter du Code pénal, auquel il est interdit d'exercer non seulement les fonctions visées à l'article 1er, mais également, en vertu de l'article 1erbis, une activité commerciale.

B.2.2. Les personnes « visées par des interdictions facultatives et limitées » sont les faillis ou les personnes y assimilées visées à l'article 3bis inséré dans l'arrêté royal par l'article 87 de la loi du 4 août 1978 de réorientation économique : à leur égard, le tribunal de commerce peut, pour une durée qui ne peut être inférieure à trois ans ni excéder dix ans (article 3bis, § 4), prendre les mesures visées à l'article 3bis, §§ 2 et 3, à savoir, respectivement l'interdiction d'exercer une activité commerciale et l'interdiction d'exercer certaines fonctions de gestion.

B.3.1. Dans le rapport au Roi précédant l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, l'objectif de l'arrêté est défini comme suit : « Pour fortifier la confiance dans ces organismes [l'on vise les sociétés qui font appel à l'épargne de tiers], il convient d'interdire que leur administration, leur surveillance et leur gestion soient confiées à des personnes indignes, d'une improbité manifeste, ou à des personnes, tels les faillis, qui, s'étant montrés inhabiles à gérer leurs propres affaires, ne peuvent sans danger être appelés à gérer celles d'autrui.

Les condamnations énumérées à l'article 1er du projet ne sont prononcées que pour des faits incompatibles avec l'honnêteté la plus élémentaire ou pour des faits qui démontrent l'incapacité de leur auteur de gérer une affaire commerciale ou industrielle.

Les faits doivent déjà revêtir une certaine gravité, puisque l'interdiction ne s'applique que si la peine prononcée est une peine privative de liberté de trois mois au moins; mais il n'importe que la peine soit conditionnelle ou qu'elle soit prononcée sans sursis. D'une part, une condamnation à trois mois d'emprisonnement, même avec sursis, n'est jamais prononcée pour une faute minime; d'autre part, il serait injuste de faire dépendre l'interdiction d'une circonstance étrangère à la faute commise, par exemple d'une condamnation antérieure à une peine d'amende correctionnelle du chef d'une infraction à la police de roulage.

L'interdiction prend cours dès le jour où la décision est coulée en force de chose jugée; conformément au droit commun, la réhabilitation du condamné la fait cesser. (Art. 7 de la loi du 25 avril 1896) Elle s'étend aussi, en vertu de l'article 2, à ceux qui, ayant été condamnés à l'étranger, viennent exercer leur activité en Belgique. [...] En raison des motifs qui la justifient, l'interdiction doit être appliquée même à ceux qui ont été condamnés antérieurement à la mise en vigueur du présent arrêté. Au surplus, l'interdiction n'a pas, ici, le caractère d'une peine, mais d'une incapacité civile à laquelle l'article 2 du Code pénal est étranger. [...] » (Moniteur belge, 27 octobre 1934, pp. 5768-5769).

B.3.2. La loi du 4 août 1978 de réorientation économique a étendu cet objectif originaire en vue de la « lutte contre les pourvoyeurs de main-d'oeuvre et d'une manière générale pour l'assainissement de la fonction commerciale » (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 415-1, p. 46).

Outre la modification de l'intitulé de l'arrêté royal n° 22 et le remplacement de l'article 1er - qui s'écarte sur certains points de la disposition antérieure, mais n'en modifie pas les règles de base -, l'article 84 de la loi du 4 août 1978 a inséré un article 1erbis dans l'arrêté royal n° 22.

L'article 1erbis comme mentionné au B.2.1 étend, pour les auteurs ou complices d'une banqueroute simple ou frauduleuse condamnés à une peine privative de liberté d'au moins trois mois, l'interdiction visée à l'article 1er à l'exercice d'une activité commerciale, que ce soit personnellement ou par personne interposée.

B.3.3. En outre, le législateur de 1978 a voulu « éliminer du circuit commercial ceux qui, comme administrateurs, gérants ou personnes ayant effectivement détenu ce pouvoir, ont commis une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite de leur société. Ces dispositions complètent ainsi l'interdiction déjà contenue dans l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 à l'encontre des faillis non réhabilités. » (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 415-1, p. 46).

A cet effet, l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 a été complété par un article 3bis, en vertu duquel le tribunal de commerce peut imposer une interdiction encore plus large, non liée à une incrimination pénale quelconque, aux faillis ou aux personnes assimilées, ayant commis une faute grave et caractérisée qui a contribué à la faillite.

B.4.1. De la nature des infractions énumérées à l'article 1er, litterae a à h, et à l'article 1erbis, il ressort qu'il s'agit à chaque fois d'infractions qui font apparaître que leur auteur est une personne indigne de confiance pour l'exercice de certaines activités commerciales. Le législateur a donc ainsi opéré une distinction reposant sur un critère objectif qui présente un rapport raisonnable avec le but visé, même s'il existe d'autres faits punissables qui pourraient également ébranler la confiance.

B.4.2. Le tribunal de commerce peut, en vertu de l'article 3bis, imposer une interdiction professionnelle aux faillis ou aux personnes assimilées au failli ayant commis une faute grave et caractérisée qui a contribué à la faillite.

La mesure est ordonnée par le tribunal pour une période qui ne peut être inférieure à trois ans ni excéder dix ans. Il peut être interjeté appel de cette mesure et un pourvoi en cassation ultérieur est possible.

Les mesures visées à l'article 3bis frappent des personnes qui n'ont pas été condamnées au pénal mais auxquelles il est reproché une faute civile. Il n'est pas déraisonnable que le législateur ait assorti la sanction d'une telle faute de garanties spécifiques et qu'il ait laissé au tribunal de commerce le soin d'apprécier s'il y a eu ou non faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite.

B.5. Il convient toutefois d'examiner si les mesures prises à l'égard des personnes visées aux articles 1er et 1erbis ne sont pas manifestement disproportionnées au but poursuivi.

Ces mesures constituent pour les personnes qui les subissent une restriction très grave à la liberté de commerce et d'industrie.

L'interdiction professionnelle est la conséquence automatique de la condamnation pénale; elle est - sauf réhabilitation - illimitée dans le temps, quelle que soit la gravité de l'infraction; elle ne doit pas être requise par le ministère public, elle n'a pas dû faire l'objet d'un débat; elle résulte d'un jugement qui n'est pas motivé sur ce point.

De telles modalités vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi.

Il n'apparaît pas que la confiance dans le commerce, qui est le but poursuivi par le législateur, ne soit pas suffisamment garantie lorsque l'interdiction professionnelle fait l'objet d'un débat à l'issue duquel le juge peut en fixer la durée par une décision motivée. D'ailleurs, le législateur de 1978, en adoptant un article 3bis en vue d'une protection encore plus large de la confiance dans le commerce, a décidé d'assortir les interdictions prévues par cette disposition de toutes les garanties d'une appréciation judiciaire et de les limiter dans le temps.

Il s'ensuit que les dispositions prévues aux articles 1er et 1erbis ne résistent pas au contrôle de proportionnalité.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 1er et 1erbis de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, respectivement remplacé et inséré par les articles 83 et 84 de la loi du 4 août 1978 de réorientation économique, violent les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'ils établissent des interdictions professionnelles automatiques, illimitées dans le temps.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 27 mai 1998.

Le greffier, , L. Potoms.

Le président M. Melchior.

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