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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 23 juin 1999

Arrêt n° 33/99 du 17 mars 1999 Numéro du rôle : 1294 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 419, alinéa 1 er , du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Bruges. La Co composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, (...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 33/99 du 17 mars 1999 Numéro du rôle : 1294 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 419, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Bruges.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 2 février 1998 en cause de la s.p.r.l. Constructio contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 février 1998, le Tribunal de première instance de Bruges a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 419, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il dispose qu'aucun intérêt moratoire n'est alloué en cas de restitution de précomptes professionnels visés aux articles 270 à 275, effectuée au profit du redevable de ces précomptes, alors qu'en cas de restitution de précompte professionnel enrôlé à charge du redevable, des intérêts moratoires sont bel et bien alloués, pour autant que le précompte professionnel enrôlé ne soit pas visé à l'article 419, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 mais bien à l'article 418, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ? » II. Les faits et la procédure antérieure 1. Il ressort du dossier de la procédure antérieure que la s.p.r.l.

Constructio a payé le 6 décembre 1990 un montant de 335.995 francs à titre de précompte professionnel pour l'année 1990 au bureau de recette des contributions de Bruges 2. Ce paiement fut toutefois enregistré de façon erronée.

Le 15 septembre 1992, un précompte professionnel d'un montant de 384.005 francs fut enrôlé pour la même année 1990. Le 29 septembre 1992, la société de personnes à responsabilité limitée susdite introduisit une réclamation. Le 9 juillet 1993, une notification adressée à un notaire entraîna le paiement d'une somme de 483.845 francs, à savoir 384.005 francs de précompte professionnel et 99.840 francs d'intérêts de retard.

Par lettre recommandée du 24 février 1995, le conseil de ladite société mit le ministère des Finances, Administration des contributions directes, en demeure de restituer l'excédent d'impôt et d'intérêts.

Le 14 mars 1995, l'inspecteur de la comptabilité à Bruges régularisa la situation. Par décision du 31 mars 1995 de la direction régionale de Gand, une somme principale de 414.005 francs fut restituée le 24 mai 1995. Par décision du 26 avril 1995 de la direction régionale de Gand, les 99.840 francs d'intérêts de retard furent dégrevés et restitués le 27 juin 1995.

Par lettre recommandée du 4 juillet 1995, le paiement d'intérêts moratoires fut réclamé. Le ministère fit savoir le 12 juillet 1995 qu'eu égard à l'article 419, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 1992), il n'était pas disposé à payer des intérêts moratoires sur le précompte professionnel de 335.995 francs qui était restitué. Concernant le montant de 78.010 francs, la question fut transmise au directeur régional. Ce dernier répondit par lettre du 1er août 1995 qu'il ne serait pas payé d'intérêts moratoires. 2. Le 8 mars 1996, la s.p.r.l. Constructio assigna l'Etat belge devant le Tribunal de première instance de Bruges. Elle soutenait que les 99.840 francs d'intérêts de retard n'étaient pas dus et qu'ils devaient dès lors être restitués. Elle réclamait aussi le paiement de la différence entre les montants de 384.005 francs et 335.995 francs, soit 48.010 francs, ainsi que des intérêts moratoires. En ordre subsidiaire, elle fondait sa demande sur l'article 1378 du Code civil. 3. Par jugement du 30 juin 1997, le Tribunal de première instance de Bruges décida que l'article 419, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992 ne pouvait trouver à s'appliquer au second paiement, étant donné que, par ce dernier, la s.p.r.l. Constructio ne s'était pas acquittée d'un précompte professionnel exigible, puisque celui-ci avait déjà été entièrement liquidé lors du premier paiement. La société susmentionnée avait payé un montant de 483.845 francs sans aucune base légale et ce versement devait être considéré comme un paiement indu au sens de l'article 1378 du Code civil. Le Tribunal condamna l'Etat belge au paiement des intérêts moratoires sur la somme de 384.005 francs à compter du 9 juillet 1993, date du paiement, jusqu'au 29 mai 1995, date de la restitution, et sur la somme de 99.840 francs à compter du 9 juillet 1993, date du paiement, jusqu'au 27 juin 1995, date de la restitution.

Le Tribunal constatait par ailleurs que la société précitée avait payé le 6 décembre 1990 une somme de 335.995 francs à titre de précompte professionnel, alors qu'en définitive 305.995 francs seulement étaient dus. Le Tribunal relevait que, selon le premier défendeur, aucun intérêt n'était dû, en vertu de l'article 419 du C.I.R. 1992, sur la somme de 30.000 francs restituée, se rapportant au précompte professionnel dû à la source. La demanderesse prétendait toutefois que cette disposition était contraire au principe constitutionnel d'égalité et qu'une question préjudicielle devait, le cas échéant, être posée à la Cour.

Etant donné que le défendeur n'avait pas pris position concernant la nécessité de poser une question préjudicielle, le Tribunal décida de rouvrir les débats sur ce point. 4. Dans son jugement du 2 février 1998 par lequel il pose la question préjudicielle, le Tribunal observe que la demanderesse affirme qu'en ce qui concerne la restitution du précompte professionnel, les personnes appartenant à une même catégorie sont traitées de manière inégale sans qu'existe pour ce faire une justification raisonnable et objective.L'inégalité consiste, selon la demanderesse, en ce que les redevables du précompte professionnel qui retiennent celui-ci à la source et qui le versent ensuite au Trésor sont discriminés par rapport aux redevables qui ne le font pas et pour lesquels le précompte professionnel doit dès lors être enrôlé.

En vertu de l'article 419, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992, aucun intérêt moratoire n'est dû en cas de restitution par le fisc d'un précompte professionnel retenu à la source, tandis que des intérêts moratoires sont dus en cas de restitution d'un précompte professionnel enrôlé. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le précompte professionnel enrôlé à charge du redevable doit être considéré comme un impôt enrôlé en vertu de l'article 365 du C.I.R. 1992, ce qui a pour effet que c'est l'article 418, alinéa 1er, et non l'article 419, alinéa 1er, 1°, qui s'applique en cas de restitution.

On peut conclure de ce qui précède que les personnes qui ont droit à la restitution d'un précompte professionnel sont traitées de façon différente selon que le précompte professionnel a ou n'a pas été enrôlé. La question est donc de savoir si ce traitement différent est ou non raisonnablement justifié.

Le Tribunal conclut que dans les circonstances indiquées, on ne saurait affirmer que l'article 419, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992 ne viole manifestement pas le principe d'égalité, et qu'il s'impose donc de poser une question préjudicielle.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 17 février 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 5 mars 1998.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 mars 1998.

Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 16 avril 1998.

Par ordonnances du 30 juin 1998 et du 27 janvier 1999, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 17 février 1999 et 17 août 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 21 octobre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 18 novembre 1998.

Cette ordonnance a été notifiée au Conseil des ministres ainsi qu'à son avocat, par lettres recommandées à la poste le 22 octobre 1998.

Par ordonnance du 18 novembre 1998, le président L. De Grève a soumis l'affaire à la Cour réunie en séance plénière.

Par ordonnance du 18 novembre 1998, la Cour a remis l'affaire à une audience à fixer ultérieurement.

Cette dernière ordonnance a été notifiée au Conseil des ministres ainsi qu'à son avocat, par lettres recommandées à la poste le 20 novembre 1998.

Par ordonnance du 16 décembre 1998, la Cour a fixé l'audience au 20 janvier 1999.

Cette ordonnance a été notifiée au Conseil des ministres ainsi qu'à son avocat, par lettres recommandées à la poste le 17 décembre 1998.

A l'audience publique du 20 janvier 1999 : - a comparu Me L. De Schepper, avocat au barreau de Bruges, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs H. Boel et E. Cerexhe ont fait rapport; - l'avocat précité a été entendu; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire du Conseil des ministres A.1. L'article 419, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 1992) ne viole pas le principe constitutionnel d'égalité, étant donné qu'il exclut le paiement d'intérêts moratoires tant à l'égard de l'excédent de précompte professionnel versé à la source qu'à l'égard du précompte professionnel enrôlé faisant l'objet d'un dégrèvement.

Le texte de l'article 419, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992 vise toutes les restitutions de précompte professionnel au profit des redevables de celui-ci et ne fait aucune différence entre la restitution d'un précompte professionnel non enrôlé au préalable et la restitution résultant du dégrèvement d'un précompte professionnel enrôlé. Dans cette interprétation de l'article 419, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992, il n'y a bien sûr aucune violation du principe constitutionnel d'égalité.

A.2. Si l'article 419, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992 est interprété différemment, à savoir en ce sens qu'il vise exclusivement la restitution de l'excédent de précompte professionnel versé à la source, qui s'opère sans enrôlement préalable, il n'y a pas non plus de violation du principe d'égalité.

Dans un arrêt du 19 janvier 1996, la Cour de cassation a décidé que le précompte professionnel enrôlé à charge du redevable n'est pas visé à l'article 309, 1°, du C.I.R. (actuellement l'article 419, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992), mais bien à l'article 308, alinéa 1er, du C.I.R. (actuellement l'article 418, alinéa 1er, du C.I.R. 1992), parce qu'il s'agit en réalité d'un impôt enrôlé en vertu de l'article 266 du C.I.R. (actuellement l'article 365 du C.I.R. 1992). Même si l'on suit cette interprétation - à laquelle le Conseil des ministres continue de s'opposer, parce que l'enrôlement du précompte professionnel n'a pas pour effet de lui faire perdre sa nature de précompte professionnel, de sorte que l'article 419, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992 exclut que des intérêts moratoires soient alloués en cas de dégrèvement d'un précompte professionnel enrôlé -, le principe d'égalité ne s'en trouve pas nécessairement violé pour autant. En effet, il existe une différence importante entre, d'une part, l'hypothèse dans laquelle le redevable du précompte professionnel a volontairement payé un excédent de précompte à la source et, d'autre part, l'hypothèse dans laquelle, par l'enrôlement d'un montant trop élevé à titre de précompte professionnel, l'Etat oblige le redevable de ce précompte à payer plus qu'il ne doit en réalité. Le traitement inégal de deux situations fondamentalement différentes ne constitue pas, en pareil cas, une violation du principe constitutionnel d'égalité. - B - Les dispositions en cause B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 419, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 1992). Elle fait également référence aux articles 270 à 275 et à l'article 418, alinéa 1er, du même Code.

Les articles 270 à 275 du Code précité concernent le précompte professionnel.

Avant sa modification à partir du 1er janvier 1999 par l'article 47 de la loi du 22 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1998 pub. 15/01/1999 numac 1998003665 source ministere des finances Loi portant des dispositions fiscales et autres fermer portant des dispositions fiscales et autres, l'article 418 disposait : « En cas de restitution d'impôts, des intérêts moratoires sont alloués au taux de 0,8 p.c. par mois civil.

Le Roi peut adapter ce taux lorsque les fluctuations du taux de l'intérêt pratiqué sur le marché financier le justifient.

Les intérêts sont calculés sur le montant de chaque paiement arrondi au millier inférieur; le mois pendant lequel a eu lieu le paiement est négligé, mais le mois au cours duquel est envoyé au redevable l'avis mettant à sa disposition la somme à restituer est compté pour un mois entier. » L'article 419 dispose : « Aucun intérêt moratoire n'est alloué en cas de restitution : 1° de précomptes professionnels visés aux articles 270 à 275, effectuée au profit du redevable de ces précomptes;2° de l'excédent de précomptes et versements anticipés visés à l'article 304, § 2, effectuée au profit du contribuable intéressé;3° de surtaxes visées à l'article 376, §§ 1er et 2, effectuée d'office, après l'expiration des délais de réclamation et de recours;4° de réductions visées à l'article 376, § 3, 2°, effectuée d'office, après l'expiration des délais de réclamation et de recours. Aucun intérêt moratoire n'est non plus alloué lorsque son montant n'atteint pas 200 francs par mois. » Quant à la question préjudicielle B.2. La question préjudicielle se fonde sur l'interprétation selon laquelle l'article 419, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 et les règles établies en exécution de celui-ci font une distinction, en matière d'octroi d'intérêts en cas de restitution de précomptes professionnels, entre, d'une part, le précompte professionnel dû à la source qui est versé volontairement au Trésor par les personnes visées à l'article 86 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 et, d'autre part, le précompte professionnel qui a été enrôlé à leur charge parce qu'elles ne l'ont pas versé volontairement. Dans le premier cas, le fisc ne doit pas payer d'intérêts alors qu'il le doit dans le second cas.

B.3. Il n'est pas déraisonnable que des intérêts moratoires soient alloués au redevable d'un précompte professionnel lorsque ce redevable, par l'effet de l'enrôlement, a été tenu de payer plus qu'il ne devait, alors qu'aucun intérêt n'est alloué lorsque le redevable a payé spontanément trop. En effet, il peut être tenu compte de ce que l'excédent est directement imputable à l'administration fiscale dans la première hypothèse, et au redevable dans la seconde.

B.4. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 419, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il dispose qu'aucun intérêt moratoire n'est alloué en cas de restitution de précomptes professionnels visés aux articles 270 à 275, effectuée au profit du redevable de ces précomptes, alors qu'en cas de restitution de précomptes professionnels enrôlés au nom du redevable, des intérêts moratoires sont alloués.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 17 mars 1999.

Le greffier, (sé) L. Potoms.

Le président, (sé) L. De Grève.

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