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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 07 septembre 1999

Arrêt n° 92/99 du 15 juillet 1999 Numéro du rôle : 1689 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 59, alinéas 2 et 3, de la loi du 12 juillet 1973 sur la conservation de la nature, tel qu'il a été inséré par le décret de l La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens(...)

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07/09/1999
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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 92/99 du 15 juillet 1999 Numéro du rôle : 1689 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 59, alinéas 2 et 3, de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature, tel qu'il a été inséré par le décret de la Région wallonne du 11 avril 1984, posées par le Tribunal correctionnel de Namur.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, J. Delruelle, H. Coremans, A. Arts et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par jugement du 21 mai 1999 en cause du procureur du Roi contre J. Kluyskens et L. Kinet, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 31 mai 1999, le Tribunal correctionnel de Namur a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Les alinéas 2 et 3 de l'article 59 de la loi sur la conservation de la nature introduits par le décret du conseil régional wallon du 11 avril 1984 sont-ils inconstitutionnels en ce qu'ils violent les règles déterminant les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions qui étaient en vigueur au moment de son adoption ? 2. En ce qu'il réserve un traitement différent aux personnes simplement soupçonnées d'avoir commis des infractions à la loi sur la conservation de la nature de celui préconisé par les règles des articles 87 et 89bis du Code d'instruction criminelle, l'article 59, alinéa 3 de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? » II.La procédure devant la Cour Par ordonnance du 31 mai 1999, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Le 10 juin 1999, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale précitée, les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport devant la Cour de ce qu'ils pourraient être amenés à proposer à la Cour de mettre fin à la procédure par un arrêt de réponse immédiate.

Les conclusions des juges-rapporteurs ont été notifiées aux parties dans l'instance principale conformément à l'article 72, alinéa 2, de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 11 juin 1999.

Des mémoires justificatifs ont été introduits par : - J. Kluyskens, demeurant à 5020 Namur, Bois de Neverlée 2, par lettre recommandée à la poste le 25 juin 1999; - L. Kinet, demeurant à 5330 Assesse, rue de la Chavée 2, par lettre recommandée à la poste le 25 juin 1999.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. En droit - A - Mémoires justificatifs des parties Kluyskens et Kinet A.1. J. Kluyskens rappelle la jurisprudence de la Cour quant aux règles répartitrices de compétences qu'il faut prendre en considération pour contrôler la disposition en cause. Il rappelle également la jurisprudence de la Cour relative aux matières réservées et conclut que la première question préjudicielle appelle une réponse positive.

Concernant la seconde question préjudicielle, il rappelle la règle de l'inviolabilité du domicile, telle qu'elle est garantie par l'article 15 de la Constitution et par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il considère que toute dérogation à cette règle doit faire l'objet de garanties précises édictées de manière claire au bénéfice de celui qui se voit imposer par la contrainte une violation de l'intimité de son habitation par des tiers. Il rappelle qu'en Belgique, la dérogation de principe au respect de ce droit fondamental est régie par les articles 87 et suivants du Code d'instruction criminelle et que la sanction doit être la nullité de la perquisition et de tous les actes qui en découlent. Il estime que le régime exceptionnel prévu par l'article 59, alinéa 3, de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature établit sans justification admissible une différence de traitement entre une personne simplement soupçonnée d'avoir enfreint cette loi et une personne inculpée selon le droit commun de la procédure pénale, quant aux garanties relatives à la protection de l'inviolabilité du domicile. Il estime donc que la deuxième question préjudicielle appelle également une réponse positive de la Cour.

A.2. L. Kinet estime que c'est à juste titre que les juges-rapporteurs pensent que la première question préjudicielle pourrait appeler une réponse positive. Il n'appartenait en effet pas au législateur régional mais bien au législateur fédéral seul de régler les cas où des visites domiciliaires peuvent être ordonnées et les formes selon lesquelles celles-ci peuvent être réalisées.

Concernant la seconde question préjudicielle, il estime que, même si la disposition en cause est déclarée inconstitutionnelle pour méconnaissance des règles répartitrices de compétences, il y a intérêt à connaître la réponse de la Cour pour éviter de retomber dans les mêmes erreurs dans l'avenir. L'intérêt général requiert aussi une réponse à cette question posée légitimement par le Tribunal correctionnel de Namur. « En l'absence de réponse, le législateur fédéral pourrait reprendre à son compte la règle édictée actuellement par le législateur régional, ce qui amènerait dans l'avenir d'autres tribunaux à poser la même question à laquelle il n'aurait pas été répondu en la présente cause. » L. Kinet estime aussi qu'il y aurait une discrimination entre les justiciables qui auraient l'occasion de faire valoir leurs moyens devant la Cour d'arbitrage quant à cette seconde question préjudicielle et les justiciables concernés par cette affaire-ci qui n'auraient pas cette possibilité. « Enfin, même s'il y a de fortes chances pour que la Cour réponde positivement à la première question préjudicielle, elle n'y a pas encore apporté réponse, de sorte que l'on peut imaginer qu'elle y apporte, peut-être, une réponse négative. En ce cas, un arrêt de réponse immédiate à la deuxième question préjudicielle, conformément à l'article 72 de la loi spéciale, aboutirait à ce que, même en cas de réponse négative à la première question, il ne soit plus possible d'examiner la deuxième. » - B - Quant aux dispositions en cause B.1. L'article 59 de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature, tel qu'il a été inséré par le décret de la Région wallonne du 11 avril 1984, dispose : « Sans préjudice des attributions des officiers de police judiciaire, l'Exécutif (actuellement le Gouvernement wallon) peut désigner les agents compétents pour veiller à l'application de la présente loi en région wallonne, à l'exception de l'article 5, alinéa 1er, et des arrêtés d'exécution de cet alinéa.

Les procès-verbaux établis par ces agents font foi jusqu'à preuve du contraire; une copie en est signifiée, dans les quinze jours de la constatation, aux auteurs de l'infraction. Ils ont, dans l'exercice de leurs fonctions, libre accès aux usines, magasins, dépôts, bureaux, bateaux, bâtiments d'entreprise, étables, entrepôts, gares, wagons, véhicules et aux entreprises situées en plein air.

Ils ne peuvent visiter les lieux servant à l'habitation qu'avec l'autorisation du juge du tribunal de police et uniquement de 5 h du matin à 9 h du soir. La même autorisation est requise pour la visite des lieux non accessibles au public avant 5 h du matin et après 9 h du soir. » Sur la première question préjudicielle B.2. Les dispositions en cause doivent être contrôlées au regard des règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions, telles qu'elles étaient d'application au moment de l'adoption du décret précité.

Quant aux matières réservées à la loi par la Constitution B.3. Les articles 3ter (actuellement 38), 59bis (actuellement 127 à 129) et 107quater (actuellement 39) de la Constitution et les articles 4 à 11 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ont conféré au législateur décrétal le pouvoir de régler par décret un certain nombre de matières.Ainsi, au moment où le décret précité du 11 avril 1984 fut adopté, l'article 6, § 1er, III, 2°, de cette même loi spéciale attribuait aux régions « la protection et la conservation de la nature, à l'exception de l'importation, de l'exportation et du transit des espèces végétales non indigènes, ainsi que des espèces animales non indigènes et de leurs dépouilles ».

B.4. L'article 19, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980, avant sa modification par la loi spéciale du 16 juillet 1993, disposait cependant que « le décret règle les matières visées aux articles 4 à 11, sans préjudice des compétences que la Constitution réserve à la loi ».

Il en résultait que, sauf les cas où une habilitation spéciale et expresse avait été donnée par les lois spéciales ou ordinaires de réformes institutionnelles, le décret ne pouvait régler les matières qui lui avaient été attribuées qu'à la condition de n'empiéter en aucune façon sur les compétences réservées à la loi par la Constitution.

Antérieurement à la modification de l'article 19, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 par la loi spéciale du 16 juillet 1993, la possibilité donnée aux Conseils par l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, modifié par la loi spéciale du 8 août 1988, consistant en ce que leurs décrets puissent contenir des dispositions de droit relatives à des matières pour lesquelles ils ne sont pas compétents, si cela s'avère nécessaire pour l'exercice des compétences communautaires ou régionales, ne pouvait s'appliquer à des compétences que la Constitution réserve à la loi.

Quant à la compétence en matière pénale B.5. L'article 7 (actuellement 12) de la Constitution réserve au législateur fédéral le soin de déterminer les cas dans lesquels une poursuite peut avoir lieu et de régler la forme de cette poursuite.

L'article 9 (actuellement 14) de la Constitution dispose par ailleurs que « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi ».

Les communautés et les régions ne pouvaient donc intervenir dans ces matières réservées que moyennant l'habilitation précisée sub B.4.

L'article 11 de la loi spéciale du 8 août 1980 constituait une telle habilitation; il disposait : « Dans les limites des compétences des Régions et des Communautés, les décrets peuvent ériger en infraction les manquements à leurs dispositions et établir les peines punissant ces manquements conformément au Livre Ier du Code pénal, à l'exception des peines criminelles fixées à l'article 7 de ce Code. » L'article 11 ne permettait cependant pas au législateur décrétal de déroger aux dispositions du livre Ier du Code pénal. Les communautés et les régions ne pouvaient dès lors recourir à l'article 100 du Code pénal, même si cette disposition est intégrée dans le livre Ier dudit Code. Le législateur spécial voulait que les règles contenues dans le livre Ier restent uniformes et que les communautés et les régions n'y dérogent pas.

Il précisait dès lors expressément que l'ensemble des matières comprises dans le livre Ier du Code pénal relevaient de la compétence du législateur national. Il n'appartenait pas au législateur décrétal de régler ces matières, quand bien même il n'eût fait que reproduire les dispositions nationales existantes.

B.6. Le législateur régional, qui était compétent pour confier à des fonctionnaires relevant de la région des missions de surveillance du respect des normes régionales, était également compétent pour déterminer la manière dont ces fonctionnaires sont tenus de rapporter leurs constatations.

Il en allait autrement du règlement de la force probante des procès-verbaux. Ce règlement intéresse la charge de la preuve en matière pénale et fait partie de la détermination des formes de la poursuite, matière que l'article 7 (actuellement 12) de la Constitution a réservée au législateur fédéral et qui échappait à la sphère d'application de l'article 11 ancien de la loi spéciale.

L'article 59, alinéa 2, de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature, inséré par le décret de la Région wallonne du 11 avril 1984, viole donc les règles répartitrices de compétences dans la mesure où il règle la force probante des procès-verbaux établis par les agents désignés par l'Exécutif wallon.

Quant à la compétence en matière de visite domiciliaire B.7. L'article 10 (actuellement 15) de la Constitution dispose : « Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit. » Aux termes de cet article, c'est donc au législateur fédéral et à lui seul que revient la compétence de régler les cas où des visites domiciliaires - au sens de l'article 10 de la Constitution - peuvent être ordonnées et la forme selon laquelle elles peuvent être réalisées.

Les communautés et les régions ne pouvaient donc intervenir dans ces matières réservées que moyennant l'habilitation précisée sub B.4.

L'article 59, alinéa 3, de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature, inséré par le décret de la Région wallonne du 11 avril 1984, viole dès lors les règles qui déterminent les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions.

Sur la deuxième question préjudicielle B.8. Dès lors que la première question préjudicielle appelle une réponse positive, la deuxième question préjudicielle devient sans objet.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 59, alinéa 2, de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature, inséré par le décret de la Région wallonne du 11 avril 1984, viole les règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions, dans la mesure où il règle la force probante des procès-verbaux établis par les agents désignés par l'Exécutif wallon. - L'article 59, alinéa 3, de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature, inséré par le décret de la Région wallonne du 11 avril 1984, viole les règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions, dans la mesure où les lieux visés à cet article constituent un domicile au sens de l'article 10 (actuellement 15) de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 15 juillet 1999.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

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