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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 24 novembre 1999

Arrêt n° 80/99 du 30 juin 1999 Numéro du rôle : 1330 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, modifié par l'article 65 de la loi du 15 ju La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges P. Martens(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 80/99 du 30 juin 1999 Numéro du rôle : 1330 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale, modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, posée par le Tribunal du travail de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 10 avril 1998 en cause de Z. Buric contre le centre public d'aide sociale de Gand, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 21 avril 1998, le Tribunal du travail de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « Le règlement légal fixé à l'article 57, § 2, de la loi sur les C.P.A.S. du 8 juillet 1976 et modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996 viole-t-il les principes d'égalité et de discrimination [lire : de non-discrimination] contenus aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec les articles 23 et 191 de la Constitution, l'article 11.1 du Pacte international de New York du 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et l'article 13 de la Convention de Rome du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que l'article 57, § 2, instaure une différence de traitement non justifiée au niveau du droit à l'aide sociale à l'égard, d'une part, des Belges et des étrangers qui séjournent légalement dans le Royaume et, d'autre part, des étrangers dont la demande d'asile a été rejetée et auxquels un ordre définitif (jusqu'au 10 janvier 1997) ou exécutoire (à partir du 10 janvier 1997) de quitter le territoire a été notifié, et ensuite à l'égard, d'une part, des étrangers auxquels un ordre exécutoire de quitter le territoire a été notifié et qui peuvent être reconduits dans leur pays d'origine et, d'autre part, des étrangers auxquels un ordre exécutoire a été notifié et qui ne peuvent être reconduits dans leur pays d'origine en raison de l'impossibilité médicale dans laquelle ils se trouvent de quitter le territoire et de se rendre dans leur pays d'origine ? » II. Les faits et la procédure antérieure La partie demanderesse devant la juridiction a quo demande au C.P.A.S. de Gand de lui accorder une aide financière en tant que chef de ménage ayant un enfant à charge. Par ordonnance du 7 août 1996, le président du Tribunal du travail de Gand a condamné le C.P.A.S. de Gand au paiement d'une aide financière mensuelle égale au minimum de moyens d'existence pour isolés, dans l'attente d'une décision quant au fond.

La partie demanderesse devant la juridiction a quo est une demandeuse d'asile, originaire de (l'ex-)Yougoslavie. Sa demande visant à être reconnue comme réfugiée politique a été déclarée irrecevable par l'Office des étrangers en date du 30 mars 1993. Saisi d'un recours urgent, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a confirmé la décision de l'Office des étrangers le 28 mars 1996. Cette décision a été signifiée à la partie demanderesse le lendemain, accompagnée d'un ordre de quitter le territoire.

La partie demanderesse devant la juridiction a quo déclare avoir introduit auprès du Conseil d'Etat une demande de suspension et un recours en annulation dirigés contre cet ordre de renvoi. La demande de suspension a été rejetée par arrêt du 1er octobre 1997.

La partie défenderesse devant la juridiction a quo renvoie à l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer, en vertu duquel le C.P.A.S. n'est plus tenu d'aider les étrangers dont la demande d'asile a été rejetée et auxquels a été notifié un ordre exécutoire de quitter le territoire.

Le Tribunal décide en conséquence de poser la question reproduite ci-avant, compte tenu spécialement de la circonstance que l'état de santé de l'intéressée est critique.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 21 avril 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 4 juin 1998.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 20 juin 1998.

Des mémoires ont été introduits par : - le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 24 juin 1998; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 7 juillet 1998; - le C.P.A.S. de Gand, Onderbergen 86, 9000 Gand, par lettre recommandée à la poste le 20 juillet 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 7 août 1998.

Le Conseil des ministres a introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 8 septembre 1998.

Par ordonnances des 29 septembre 1998 et 30 mars 1999, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 21 avril 1999 et 21 octobre 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 13 janvier 1999, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 10 février 1999.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 14 janvier 1999.

A l'audience publique du 10 février 1999 : - ont comparu : . Me P. Van Orshoven, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement flamand; . Me E. Brewaeys, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs A. Arts et J. Delruelle ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Position du Gouvernement flamand A.1. Le Gouvernement flamand s'en remet à la sagesse de la Cour.

Position du Conseil des ministres A.2.1. Le Conseil des ministres rappelle tout d'abord le jugement de renvoi ainsi que l'arrêt de la Cour n° 43/98 du 22 avril 1998.

A.2.2. Ensuite, le Conseil des ministres observe qu'en l'espèce, la question préjudicielle porte de surcroît sur la situation des étrangers qui ont reçu un ordre (exécutoire) de quitter le territoire, mais qui ne peuvent être reconduits en raison de leur état de santé, en comparaison des étrangers qui ont reçu un ordre (exécutoire) et qui peuvent être reconduits dans leur pays d'origine.

Selon le Conseil des ministres, l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. entend bel et bien, compte tenu de ses alinéas 4 et 5, pousser l'intéressé à décider rapidement de quitter le territoire sur une base volontaire.

Le Conseil des ministres fait valoir qu'une personne qui décide rapidement de retourner volontairement dans son pays d'origine peut encore bénéficier d'un mois d'aide sociale complémentaire pour organiser son départ. Une personne qui ne décide de retourner volontairement qu'après une certaine période de séjour illégal ne peut plus revendiquer cette aide complémentaire. Il existe donc une distinction objective : la première catégorie décide volontairement de partir à un moment où elle se trouve encore en séjour légal dans le pays, la seconde catégorie prend sa décision à un moment où elle séjourne illégalement dans le pays.

A.2.3. Le Conseil des ministres estime ensuite que le jugement de renvoi se fonde sur une interprétation erronée de la norme, lorsqu'il est considéré que la norme litigieuse établit une distinction entre, d'une part, les étrangers ayant reçu un ordre (exécutoire) et qui peuvent être reconduits et, d'autre part, les étrangers ayant reçu ce même ordre, mais qui ne peuvent être reconduits pour des raisons de santé.

Selon le Conseil des ministres, le jugement de renvoi part également à tort du principe que l'avis du Commissaire général aux réfugiés concernant l'éventuelle reconduite de l'intéressé aurait un caractère obligatoire. Le ministre de l'Intérieur est la seule autorité compétente en matière d'éloignement du territoire et l'avis visé à l'article 63/5 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer ne porte pas atteinte au caractère exécutoire de l'ordre de quitter le territoire. L'autorité compétente peut estimer être en présence d'une impossibilité (temporaire) d'éloigner l'intéressé du territoire et peut autoriser un séjour temporaire, auquel cas l'intéressé peut à nouveau revendiquer l'aide du C.P.A.S. Par conséquent, il n'est pas établi de distinction entre les étrangers auxquels a été signifié un ordre exécutoire de quitter le territoire et ceux pour lesquels le Commissaire général aux réfugiés a émis un avis explicite concernant l'éventuelle non-reconduite.

A.2.4. Dans son mémoire en réponse, le Conseil des ministres fait encore valoir que les étrangers ayant reçu un ordre exécutoire de quitter le territoire, mais qui ne sont pas en mesure de partir, pour des raisons médicales, peuvent obtenir un sursis et éventuellement, après un an, une autorisation de séjour provisoire, aux conditions et règles énoncées dans la circulaire du 10 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type circulaire prom. 10/10/1997 pub. 14/11/1997 numac 1997000773 source ministere de l'interieur Circulaire relative aux étrangers qui, suite à des circonstances extérieures et indépendantes de leur volonté, ne peuvent provisoirement pas donner suite à un ordre de quitter le territoire pris à leur encontre dans le cadre de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers type circulaire prom. 10/10/1997 pub. 08/04/1998 numac 1998000150 source ministere de l'interieur Circulaire relative aux étrangers qui, suite à des circonstances extérieures et indépendantes de leur volonté, ne peuvent provisoirement pas donner suite à un ordre de quitter le territoire pris à leur encontre dans le cadre de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande fermer.

Lorsqu'un étranger qui n'est pas en mesure d'exécuter l'ordre pour des raisons médicales n'entame pas la procédure conformément à la circulaire et réside donc illégalement dans le pays, ce qui signifie que l'aide sociale dont il bénéficiait est réduite à l'aide médicale urgente, il ne saurait être question de discrimination.

Lorsque la demande d'un étranger fondée sur la circulaire n'est pas accueillie, cela signifie que l'intéressé peut soit quitter le territoire, soit que des motifs propres à cette personne (non-production des documents requis, fraude, danger pour l'ordre public, etc.) ont donné lieu à une décision négative. Dans ces cas-là, l'étranger est lui-même responsable du fait que ses droits sont réduits et l'on ne saurait davantage parler de discrimination.

Position du C.P.A.S. de Gand A.3.1. La partie défenderesse devant la juridiction a quo estime que la Cour a répondu implicitement à la question dans son arrêt n° 43/98 du 22 avril 1998 (considérant B.31).

Selon le C.P.A.S. de Gand, la Cour n'a manifestement pas trouvé de discrimination à l'époque, puisqu'elle a admis l'existence de catégories d'étrangers différentes et qu'elle a de surcroît estimé que certaines catégories ont droit à une aide sociale à part entière, fût-elle limitée dans le temps, cependant qu'une autre catégorie a uniquement droit à l'aide médicale urgente, illimitée dans le temps.

A.3.2. Pour être complet, le C.P.A.S. de Gand souligne que le principe d'égalité et de non-discrimination n'est pas davantage violé dans le chef des étrangers dont il est soutenu qu'ils ne peuvent être reconduits eu égard à la situation politique dans leur pays, par rapport à ceux qui peuvent l'être.

Si un étranger ne peut être reconduit en raison de la situation politique dans son pays, il doit être considéré comme réfugié. Ce n'est que s'il ne peut être reconnu comme réfugié et qu'il a épuisé toutes les voies de recours qu'il peut être reconduit.

Le C.P.A.S. de Gand conclut qu'il ne saurait être question d'une violation du principe d'égalité et de non-discrimination. - B - Quant à l'objet de la question préjudicielle B.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale (ci-après : loi organique des C.P.A.S.) avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec d'autres dispositions constitutionnelles et conventionnelles. Elle invite la Cour à établir une comparaison, pour ce qui est du droit à l'aide sociale, entre : a) « [les] Belges et [les] étrangers qui séjournent légalement dans le Royaume et, d'autre part, [les] étrangers dont la demande d'asile a été rejetée et auxquels un ordre définitif (jusqu'au 10 janvier 1997) ou exécutoire (à partir du 10 janvier 1997) de quitter le territoire a été notifié »;b) « [les] étrangers auxquels un ordre exécutoire de quitter le territoire a été notifié et qui peuvent être reconduits dans leur pays d'origine et, d'autre part, [les] étrangers auxquels un ordre exécutoire a été notifié et qui ne peuvent être reconduits dans leur pays d'origine en raison de l'impossibilité médicale dans laquelle ils se trouvent de quitter le territoire et de se rendre dans leur pays d'origine ». Il ressort des éléments du dossier que l'affaire concerne la cessation de l'aide sociale accordée à une étrangère qui s'est déclarée réfugiée et qui en était en fait bénéficiaire au moment où l'ordre de quitter le territoire lui a été notifié. La question porte dès lors en particulier sur l'article 57, § 2, alinéas 3 et 4, de la loi organique des C.P.A.S. Il appert de la motivation du jugement de renvoi que le Conseil d'Etat a rejeté, le 1er octobre 1997, la demande de suspension de l'ordre de quitter le pays, notifié à l'intéressée, mais que, à la date de ce jugement, il n'avait pas encore été statué sur la demande d'annulation de cet ordre de quitter le pays.

En outre, il ressort de la formulation de la question que celle-ci concerne tant les dispositions en cause telles qu'elles s'énonçaient avant leur remplacement, à partir du 10 janvier 1997, par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996 « modifiant la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale » que ces mêmes dispositions telles qu'elles ont été remplacées par la loi précitée.

Quant à la première branche de la question B.2.1. Avant d'être remplacé par la loi du 15 juillet 1996, l'article 57, § 2, alinéas 3 et 4, de la loi organique des C.P.A.S., tel qu'il avait été inséré par l'article 151 de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer, disposait : « L'aide sociale prend fin à dater de l'exécution de l'ordre de quitter le territoire et, au plus tard, au jour de l'expiration du délai de l'ordre définitif de quitter le territoire.

Il est dérogé à l'alinéa précédent, pendant le temps strictement nécessaire pour permettre effectivement à l'intéressé de quitter le territoire; ce délai ne pourra en aucun cas excéder un mois. » B.2.2. A partir du 10 janvier 1997, ces dispositions ont été remplacées comme suit par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996 : « Un étranger qui s'est déclaré réfugié et a demandé à être reconnu comme tel, séjourne illégalement dans le Royaume lorsque la demande d'asile a été rejetée et qu'un ordre de quitter le territoire exécutoire a été notifié à l'étranger concerné.

L'aide sociale accordée à un étranger qui était en fait bénéficiaire au moment où un ordre de quitter le territoire exécutoire lui a été notifié, est arrêtée, à l'exception de l'aide médicale urgente, le jour où l'étranger quitte effectivement le territoire et, au plus tard, le jour de l'expiration du délai de l'ordre de quitter le territoire. » B.2.3. Par son arrêt n° 43/98 du 22 avril 1998, la Cour a annulé, dans l'article 57, § 2, alinéas 3 et 4, de la loi organique des C.P.A.S., tel qu'il a été remplacé par la loi du 15 juillet 1996, le terme « exécutoire » et a dit : « Cette annulation a pour effet que l'article 57, § 2, doit s'interpréter comme ne s'appliquant pas à l'étranger qui a demandé à être reconnu comme réfugié, dont la demande a été rejetée et qui a reçu un ordre de quitter le territoire, tant que n'ont pas été tranchés les recours qu'il a introduits devant le Conseil d'Etat contre la décision du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides prise en application de l'article 63/3 de la loi ou contre la décision de la Commission permanente de recours des réfugiés. » La Cour a ainsi explicitement précisé que seuls sont visés les recours pendants auprès du Conseil d'Etat contre les décisions concernant les demandes d'obtention du statut de réfugié, dès lors que l'annulation portait uniquement sur les alinéas 3 et 4 de l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. afférents aux étrangers s'étant déclarés réfugiés et ayant demandé à être reconnus comme tels.

Il s'ensuit que la question préjudicielle est sans objet en tant qu'elle concerne un ordre « exécutoire » de quitter le territoire.

Il revient au juge a quo de vérifier si le recours devant le Conseil d'Etat est encore pendant et, dans l'affirmative, s'il appartient à l'une de ces deux catégories de recours contre la décision refusant d'accorder le statut de réfugié.

B.3.1. Le jugement de renvoi, qui concerne également une demande d'aide sociale pour une période antérieure à la modification apportée par la loi du 15 juillet 1996, fait référence aux arrêts de la Cour de cassation des 4 septembre 1995, 21 octobre 1996 et 7 novembre 1996.

Ces arrêts confèrent à la notion d'« ordre définitif de quitter le territoire » utilisée à l'article 57, § 2, alinéas 3 et 4, de la loi organique des C.P.A.S., avant son remplacement par la loi du 15 juillet 1996, la même signification que la notion d'« ordre exécutoire de quitter le territoire » figurant dans la loi modificative.

B.3.2. Pour les raisons exposées aux B.31 à B.36 de l'arrêt de la Cour d'arbitrage n° 43/98 du 22 avril 1998, l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des C.P.A.S., tel qu'il a été inséré par la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer, viole les articles 10 et 11 de la Constitution si la notion d'« ordre définitif de quitter le territoire » qui y est contenue est interprétée de la même manière que la notion d'« ordre exécutoire de quitter le territoire ».

B.4.1. Par son arrêt n° 51/94 du 29 juin 1994, la Cour a jugé le traitement inégal contesté compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 191 de la Constitution et l'article 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Dès lors que ces points de droit ont été tranchés par cet arrêt, ils ne sauraient, eu égard à l'article 9, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à nouveau être mis en cause au titre de question préjudicielle.

B.4.2. Il appartient à la Cour d'examiner les questions de droit qui n'ont pas été tranchées par l'arrêt n° 51/94.

La question préjudicielle requiert donc un contrôle des dispositions en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 23 de la Constitution et avec l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.4.3. L'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ».

Parmi les droits reconnus par la Convention figure, à l'article 3, l'interdiction de la torture, des traitements inhumains et dégradants.

A supposer que le droit à l'aide sociale puisse se déduire de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour constate que des recours juridictionnels sont prévus par la loi contre les décisions que les centres publics d'aide sociale adoptent en cette matière, même si l'article 57, § 2, contesté, de la loi organique des C.P.A.S. ne prévoit aucune forme de recours.

La question manque en droit.

B.4.4. Les dispositions de l'article 23 de la Constitution qui concernent l'aide sociale sont ainsi libellées : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment : [...] 2° le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique;».

B.4.5. Sans qu'il y ait lieu d'examiner, en l'espèce, la portée des principes contenus à l'article 23 de la Constitution, la Cour constate, d'une part, que cette disposition reprend, en ce qui concerne le droit à l'aide sociale, des termes utilisés par le législateur à l'article 1er de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale et, d'autre part, qu'elle renvoie, pour garantir les droits qu'elle énumère, à « la loi, [au] décret ou [à] la règle visée à l'article 134 [...], en tenant compte des obligations correspondantes [...] ».

Dès lors que le Constituant confie expressément au législateur la tâche de préciser l'étendue des droits qu'il garantit, les dispositions prises antérieurement par le législateur compétent à cet égard, en matière d'aide sociale, ne peuvent être considérées comme incompatibles avec l'article 23 de la Constitution.

B.4.6. La question, en sa première partie, appelle une réponse négative.

Quant à la seconde partie de la question B.5.1. La question, dans sa seconde partie, invite la Cour à vérifier si, en supprimant l'aide sociale à tout étranger ayant reçu un ordre de quitter le territoire, sans distinguer, parmi les étrangers, ceux dont l'état de santé rend impossible un retour dans leur pays d'origine, le législateur n'a pas violé les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les dispositions mentionnées au moyen.

B.5.2. Si la mesure prévue par l'article 57, § 2, est appliquée aux personnes qui, pour des raisons médicales, sont dans l'impossibilité absolue de donner suite à l'ordre de quitter la Belgique, elle traite de la même manière, sans justification raisonnable, des personnes qui se trouvent dans des situations fondamentalement différentes : celles qui peuvent être éloignées et celles qui ne peuvent l'être pour des raisons médicales. Dans cette mesure, l'article 57, § 2, est discriminatoire.

B.5.3. La question, en sa deuxième partie, appelle une réponse positive.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. Tant avant qu'après sa modification par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution pour autant qu'il soit interprété comme ne s'appliquant pas à l'étranger qui a demandé à être reconnu comme réfugié, dont la demande a été rejetée et qui a reçu un ordre de quitter le territoire, tant que n'ont pas été tranchés les recours qu'il a introduits devant le Conseil d'Etat contre la décision qu'a prise le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides en application de l'article 63/3 de la loi, ou contre la décision de la Commission permanente de recours des réfugiés.2. La même disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle s'applique à des étrangers auxquels a été notifié un ordre de quitter le territoire et qui, pour des raisons médicales, sont dans l'impossibilité absolue d'y donner suite. Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 30 juin 1999.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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