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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 03 mars 2000

Arrêt n° 2/2000 du 19 janvier 2000 Numéros du rôle : 1484 et 1485 En cause : les recours en annulation partielle du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseigneme La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges P. Martens(...)

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Arrêt n° 2/2000 du 19 janvier 2000 Numéros du rôle : 1484 et 1485 En cause : les recours en annulation partielle du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française, introduits par P. Matheys et J. Haegens et autres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges P. Martens, J. Delruelle, H. Coremans, A. Arts et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours Par requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste le 11 décembre 1998 et parvenues au greffe le 14 décembre 1998, P. Matheys, demeurant à 1180 Bruxelles, avenue Bonaparte 34, d'une part, et J. Haegens, L. Vanderhasten, J. Guilbert et B. Lambotte, qui ont tous fait élection de domicile à 1170 Bruxelles, chaussée de la Hulpe 150, d'autre part, ont introduit un recours en annulation partielle du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française (publié au Moniteur belge du 12 juin 1998).

Ces affaires sont inscrites respectivement sous les numéros 1484 et 1485 du rôle de la Cour.

II. La procédure Par ordonnances du 14 décembre 1998, le président en exercice a désigné les juges des sièges conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Par ordonnance du 19 janvier 1999, la Cour a joint les affaires.

Les recours ont été notifiés conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 19 février 1999.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 24 février 1999.

Le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 2 avril 1999.

Ce mémoire a été notifié aux parties requérantes conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 26 avril 1999.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - les parties requérantes dans l'affaire portant le numéro 1485 du rôle, par lettre recommandée à la poste le 25 mai 1999; - la partie requérante dans l'affaire portant le numéro 1484 du rôle, par lettre recommandée à la poste le 26 mai 1999.

Par ordonnances du 26 mai 1999 et du 30 novembre 1999, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 11 décembre 1999 et 11 juin 2000 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 27 octobre 1999, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 25 novembre 1999.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 28 octobre 1999.

A l'audience publique du 25 novembre 1999 : - ont comparu : . Me J. Sambon loco Me B. Dayez, avocats au barreau de Bruxelles, pour la partie requérante dans l'affaire portant le numéro 1484 du rôle; . Me L. De Coninck loco Me B. André, avocats au barreau de Bruxelles, pour les parties requérantes dans l'affaire portant le numéro 1485 du rôle; . Me M. Kestemont-Soumeryn et Me A. Vagman, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté française; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. Objet des dispositions en cause Le décret de la Communauté française du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française, en son article 1er, dispose : A Dans le décret du 6 juin 1994 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l'enseignement officiel subventionné modifié par les décrets des 10 avril 1995 et 25 juillet 1996, le chapitre VIII : Suspension préventive est remplacé par le chapitre suivant : 'Chapitre VIII : De la suspension préventive : Mesure administrative

Art. 60.§ 1er. Lorsque l'intérêt du service ou de l'enseignement le requiert, une procédure de suspension préventive peut être entamée à l'égard d'un membre du personnel nommé à titre définitif : 1° s'il fait l'objet de poursuites pénales;2° dès qu'une procédure disciplinaire est engagée contre lui par le pouvoir organisateur;3° dès que le pouvoir organisateur lui notifie, par lettre recommandée à la poste, la constatation d'une incompatibilité. § 2. La suspension préventive organisée par le présent chapitre est une mesure purement administrative n'ayant pas le caractère d'une sanction.

Elle est prononcée par le pouvoir organisateur et est motivée. Elle a pour effet d'écarter le membre du personnel de ses fonctions.

Pendant la durée de la suspension préventive, le membre du personnel reste dans la position administrative de l'activité de service. § 3. Avant toute mesure de suspension préventive, le membre du personnel doit avoir été invité à se faire entendre par le pouvoir organisateur. [...]

Art. 60bis.§ 1er. Par dérogation au § 1er de l'article 60, le membre du personnel est d'office suspendu préventivement lorsqu'il est inculpé ou prévenu pour des faits et/ou agissements punissables en vertu d'un des articles mentionnés ci-après qui figurent au : Titre VII ou VIII du Livre II du Code pénal : - 364, 365, 368, 369, 370, 372, 379, 380bis, §§ 4 et 5, 380quinquies, § 1er, 382bis, 383bis, 386, 396, 401bis; - 373, 375, 376, 377, 378bis, 393, 394, 397 pour autant que la victime du crime ou du délit soit un mineur d'âge ou un élève majeur de l'établissement scolaire ou du home visé à l'article 1er, 1°, du présent décret où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 1er, 1°, pour autant que la personne majeure qui y est visée soit un élève de l'établissement scolaire ou du home visé à l'article 1er, 1°, du présent décret où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 1er, 4°, pour autant que la personne majeure dont la débauche ou la prostitution a été exploitée est un élève de l'établissement scolaire ou du home visé à l'article 1er, 1°, du présent décret où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 2, pour autant qu'il s'agisse de la tentative de commettre les infractions visées au § 1er, 1° et 4°, et seulement dans les limites précisées ci-avant pour ces dispositions; - 380bis, § 3, pour autant qu'il s'agisse des infractions visées au § 1er, 1° et 4°, et seulement dans les limites précisées ci-avant pour ces dispositions; - 380quater, pour autant que la personne provoquée à la débauche soit une personne mineur d'âge ou un élève majeur de l'établissement scolaire ou du home visé à l'article 1er, 1°, du présent décret où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380quinquies, § 2 et § 3, pour autant qu'une personne mineur d'âge ou qu'un élève majeur de l'établissement scolaire ou du home visé à l'article 1er, 1°, du présent décret où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions soit en cause dans les offres de service qui y sont visées; - 385 pour autant que l'outrage soit commis en présence d'un mineur d'âge ou d'un élève majeur de l'établissement scolaire ou du home visé à l'article 1er, 1°, du présent décret où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 398, 399, 400, 401 pour autant que les coups ou blessures soient portés à un élève mineur ou majeur de l'établissement scolaire ou du home visé à l'article 1er, 1°, du présent décret où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions.

Dès le jour où le pouvoir organisateur a connaissance de l'inculpation ou de la prévention du membre du personnel, il doit prendre à son égard la mesure d'écartement visée au § 4 de l'article 60.

Dans les dix jours ouvrables qui suivent la mesure d'écartement, la procédure de suspension préventive doit être engagée dans le respect notamment des '§ 3 et 4, alinéa 2, du même article. § 2. Si le pouvoir organisateur ne se conforme pas aux dispositions du § 1er, le Gouvernement lui adresse une mise en demeure par laquelle il l'invite, dans un délai de trente jours calendrier à dater de cette mise en demeure, à apporter la preuve que les mesures prévues au § 1er ont été prises. Le Gouvernement peut, par arrêté, déléguer cette compétence au ministre fonctionnellement compétent.

Si, à l'échéance de ce délai de trente jours calendrier, le pouvoir organisateur n'a pas apporté la preuve de ce qu'il a pris les mesures prévues au § 1er, il perd, pour une durée déterminée ci-après, le bénéfice des subventions de fonctionnement pour l'établissement ou les établissements où le membre du personnel concerné exerce tout ou partie de ses fonctions.

La période visée à l'alinéa précédent débute à l'échéance du délai de trente jours calendrier et court jusqu'au jour où le pouvoir organisateur a apporté la preuve qu'il a pris les mesures prévues au § 1er. § 3. La mesure de suspension préventive d'office visée au § 1er, alinéa 1er, est maintenue à l'égard du membre du personnel qui fait l'objet : 1° d'une condamnation pénale non définitive prononcée sur base d'un des articles du Code pénal visés au § 1er, alinéa 1er, et contre laquelle le membre du personnel a fait usage de ses droits de recours ordinaires;2° d'une procédure disciplinaire engagée ou poursuivie à la suite d'une condamnation pénale définitive prononcée sur base d'un des articles du Code pénal visés au § 1er, alinéa 1er. Par contre, la mesure de suspension préventive d'office cesse ses effets si le membre du personnel fait l'objet d'un jugement d'acquittement rendu en première instance et qui fait l'objet d'un recours ordinaire.

Toutefois, dans ce cas, le pouvoir organisateur peut décider de maintenir la suspension préventive du membre du personnel concerné en application de l'article 60. [...] » Le décret de la Communauté française du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française, en son article 2, dispose : « Dans le décret du 1er février 1993 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l'enseignement libre subventionné modifié par les décrets des 22 décembre 1994, 15 avril 1995 et 25 juillet 1996, le chapitre X : De la suspension préventive est remplacé par le chapitre suivant : 'Chapitre X : De la suspension préventive : Mesure administrative

Art. 87.§ 1er. Lorsque l'intérêt du service ou de l'enseignement le requiert, une procédure de suspension préventive peut être entamée à l'égard d'un membre du personnel engagé à titre définitif : 1° s'il fait l'objet de poursuites pénales;2° dès qu'une procédure disciplinaire est engagée contre lui par le pouvoir organisateur;3° dès que le pouvoir organisateur lui notifie, par lettre recommandée à la poste, la constatation d'une incompatibilité. § 2. La suspension préventive organisée par le présent chapitre est une mesure purement administrative n'ayant pas le caractère d'une sanction.

Elle est prononcée par le pouvoir organisateur et est motivée. Elle a pour effet d'écarter le membre du personnel de ses fonctions.

Pendant la durée de la suspension préventive, le membre du personnel reste dans la position administrative de l'activité de service. § 3. Avant toute mesure de suspension préventive, le membre du personnel doit avoir été invité à se faire entendre par le pouvoir organisateur. [...]

Art. 87bis.§ 1er. Par dérogation au § 1er de l'article 87, le membre du personnel est d'office suspendu préventivement lorsqu'il est inculpé ou prévenu pour des faits et/ou agissements punissables en vertu d'un des articles mentionnés ci-après qui figurent aux Titres VII ou VIII du Livre II du Code pénal : - 364, 365, 368, 369, 370, 372, 379, 380bis, §§ 4 et 5, 380quinquies, § 1er, 382bis, 383bis, 386, 396, 401bis; - 373, 375, 376, 377, 378bis, 393, 394, 397 pour autant que la victime du crime ou du délit soit un mineur d'âge ou un élève majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 1er, 1°, pour autant que la personne majeure qui y est visée soit un élève de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 1er, 4°, pour autant que la personne majeure dont la débauche ou la prostitution a été exploitée est un élève de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 2, pour autant qu'il s'agisse de la tentative de commettre les infractions visées au § 1er, 1° et 4°, et seulement dans les limites précisées ci-avant pour ces dispositions; - 380bis, § 3, pour autant qu'il s'agisse des infractions visées au § 1er, 1° et 4°, et seulement dans les limites précisées ci-avant pour ces dispositions; - 380quater, pour autant que la personne provoquée à la débauche soit une personne mineur d'âge ou un élève majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380quinquies, § 2 et § 3, pour autant qu'une personne mineur d'âge ou qu'un élève majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions soit en cause dans les offres de service qui y sont visées; - 385 pour autant que l'outrage soit commis en présence d'un mineur d'âge ou d'un élève majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 398, 399, 400, 401 pour autant que les coups ou blessures soient portés à un élève mineur ou majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions.

Dès le jour où le pouvoir organisateur a connaissance de l'inculpation ou de la prévention du membre du personnel, il doit prendre à son égard la mesure d'écartement visée au § 4 de l'article 87.

Dans les trois jours ouvrables qui suivent la mesure d'écartement, la procédure de suspension préventive doit être engagée dans le respect notamment des §§ 3 et 4, alinéa 3, du même article. § 2. Si le pouvoir organisateur ne se conforme pas aux dispositions du § 1er, le Gouvernement lui adresse une mise en demeure par laquelle il l'invite, dans un délai de trente jours calendrier à dater de cette mise en demeure, à apporter la preuve que les mesures prévues au § 1er ont été prises. Le Gouvernement peut, par arrêté, déléguer cette compétence au ministre fonctionnellement compétent.

Si, à l'échéance de ce délai de trente jours calendrier, le pouvoir organisateur n'a pas apporté la preuve de ce qu'il a pris les mesures prévues au § 1er, il perd, pour une durée déterminée ci-après, le bénéfice des subventions de fonctionnement pour l'établissement ou les établissements où le membre du personnel concerné exerce tout ou partie de ses fonctions.

La période visée à l'alinéa précédent débute à l'échéance du délai de trente jours calendrier et court jusqu'au jour où le pouvoir organisateur a apporté la preuve qu'il a pris les mesures prévues au § 1er. § 3. La mesure de suspension préventive d'office visée au § 1er, alinéa 1er, est maintenue à l'égard du membre du personnel qui fait l'objet : 1° d'une condamnation pénale non définitive prononcée sur base d'un des articles du Code pénal visés au § 1er, alinéa 1er, et contre laquelle le membre du personnel a fait usage de ses droits de recours ordinaires;2° d'une procédure disciplinaire engagée ou poursuivie à la suite d'une condamnation pénale définitive prononcée sur base d'un des articles du Code pénal visés au § 1er, alinéa 1er. Par contre, la mesure de suspension préventive d'office cesse ses effets si le membre du personnel fait l'objet d'un jugement d'acquittement rendu en première instance et qui fait l'objet d'un recours ordinaire.

Toutefois, dans ce cas, le pouvoir organisateur peut décider de maintenir la suspension préventive du membre du personnel concerné en application de l'article 87. [...] » Le décret de la Communauté française du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française, en son article 3, dispose : « Dans l'arrêté royal du 22 mars 1969 fixant le statut des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d'éducation, du personnel paramédical des établissements d'enseignement gardien, primaire, spécial, moyen, technique et artistique de l'Etat, des internats dépendant de ces établissements et des membres du personnel du service d'inspection chargé de la surveillance de ces établissements le chapitre IXbis : De la suspension préventive y inséré par l'arrêté de l'Exécutif de la Communauté française du 24 septembre 1991 et modifié par l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 10 juin 1993 est remplacé par le chapitre suivant : Chapitre IXbis : De la suspension préventive : Mesure administrative

Art. 157bis.§ 1er. Lorsque l'intérêt du service ou de l'enseignement le requiert, une procédure de suspension préventive peut être entamée à l'égard d'un membre du personnel définitif : 1° s'il fait l'objet de poursuites pénales;2° avant l'exercice de poursuites disciplinaires ou s'il fait l'objet de poursuites disciplinaires;3° dès que le ministre lui notifie, par lettre recommandée à la poste, la constatation d'une incompatibilité. § 2. La suspension préventive organisée par le présent chapitre est une mesure purement administrative n'ayant pas le caractère d'une sanction.

Elle est prononcée par le ministre et est motivée. Elle a pour effet d'écarter le membre du personnel de ses fonctions.

Pendant la durée de la suspension préventive, le membre du personnel reste dans la position administrative de l'activité de service. § 3. Avant toute mesure de suspension préventive, le membre du personnel doit avoir été invité à se faire entendre par le chef de l'administration. [...]

Art. 157ter.Par dérogation au § 1er de l'article 157bis, le membre du personnel est d'office suspendu préventivement lorsqu'il est inculpé ou prévenu pour des faits et/ou agissements punissables en vertu d'un des articles mentionnés ci-après qui figurent aux Titres VII ou VIII du Livre II du Code pénal : - 364, 365, 368, 369, 370, 372, 379, 380bis, §§ 4 et 5, 380quinquies, § 1er, 382bis, 383bis, 386, 396, 401bis; - 373, 375, 376, 377, 378bis, 393, 394, 397 pour autant que la victime du crime ou du délit soit un mineur d'âge ou un élève majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 1er, 1°, pour autant que la personne majeure qui y est visée soit un élève de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 1er, 4°, pour autant que la personne majeure dont la débauche ou la prostitution a été exploitée est un élève de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380bis, § 2, pour autant qu'il s'agisse de la tentative de commettre les infractions visées au § 1er, 1° et 4°, et seulement dans les limites précisées ci-avant pour ces dispositions; - 380bis, § 3, pour autant qu'il s'agisse des infractions visées au § 1er, 1° et 4°, et seulement dans les limites précisées ci-avant pour ces dispositions; - 380quater, pour autant que la personne provoquée à la débauche soit une personne mineur d'âge ou un élève majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 380quinquies, § 2 et § 3, pour autant qu'une personne mineur d'âge ou qu'un élève majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions soit en cause dans les offres de service qui y sont visées; - 385 pour autant que l'outrage soit commis en présence d'un mineur d'âge ou d'un élève majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions; - 398, 399, 400, 401 pour autant que les coups ou blessures soient portés à un élève mineur ou majeur de l'établissement scolaire ou de l'internat où le membre du personnel exerce tout ou partie de ses fonctions.

Dès le jour où le ministre a connaissance de l'inculpation ou de la prévention du membre du personnel, il prend à son égard la mesure d'écartement visée au § 4 de l'article 157bis.

Dans les dix jours ouvrables qui suivent la mesure d'écartement, la procédure de suspension préventive doit être engagée dans le respect notamment des §§ 3 et 4, alinéa 2, du même article.

La mesure de suspension préventive d'office visée à l'alinéa 1er est maintenue à l'égard du membre du personnel qui fait l'objet : 1° d'une condamnation pénale non définitive prononcée sur base d'un des articles du Code pénal visés à l'alinéa 1er et contre laquelle le membre du personnel a fait usage de ses droits de recours ordinaires;2° d'une procédure disciplinaire engagée ou poursuivie à la suite d'une condamnation pénale définitive prononcée sur base d'un des articles du Code pénal visés à l'alinéa 1er. Par contre, la mesure de suspension préventive d'office cesse ses effets si le membre du personnel fait l'objet d'un jugement d'acquittement rendu en première instance et qui fait l'objet d'un recours ordinaire.

Toutefois, dans ce cas, le ministre peut décider de maintenir la suspension préventive du membre du personnel concerné en application de l'article 157bis. [...] » IV. En droit - A - Position du requérant dans l'affaire portant le numéro 1484 du rôle A.1. Le requérant demande l'annulation du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 A portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française », en ce qu'il modifie les articles 60, § 2, alinéa 1er, et 60bis du décret du 6 juin 1994 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l'enseignement officiel subventionné (article 1er), les articles 87, § 2, alinéa 1er, et 87bis du décret du 1er février 1993 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l'enseignement libre subventionné (article 2) et les articles 157bis, § 2, alinéa 1er, et 157ter de l'arrêté royal du 22 mars 1969 fixant le statut des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d'éducation, du personnel paramédical des établissements d'enseignement gardien, primaire, spécial, moyen, technique et artistique de l'Etat, des internats dépendant de ces établissements et des membres du personnel du service d'inspection chargé de la surveillance de ces établissements (article 3).

A.2. Le requérant est enseignant dans un collège qui relève de l'enseignement subventionné par la Communauté française. En raison d'une instruction en cours, il risque de faire l'objet d'une mesure de suspension préventive et a donc intérêt au recours en annulation.

A.3. Le premier moyen est pris de la violation des règles répartitrices de compétences, en particulier de l'article 127 de la Constitution, et des articles 4, 5 et 11 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. En assortissant de manière automatique une inculpation pénale d'une mesure de suspension d'office, d'écartement du service et de réduction du traitement, la Communauté française empiète sur les compétences du législateur fédéral en matière répressive et de procédure pénale. Cette mesure ne peut être considérée comme une mesure purement administrative n'ayant pas le caractère d'une sanction, puisqu'elle s'attache directement à une inculpation pénale. Or, le législateur fédéral est seul compétent pour modifier explicitement ou implicitement les articles 364, 365, 368, 369, 370, 372, 373, 375, 376, 377, 378bis, 379, 380bis, 380quater, 380quinquies, 382bis, 383bis, 386, 393, 394, 396, 397, 398, 399, 400, 401 et 401bis des titres VII ou VIII du livre II du Code pénal.

En toute hypothèse, selon le requérant, le législateur communautaire est intervenu dans la procédure pénale en portant atteinte aux règles inhérentes à l'inculpation, à la prévention et à la présomption d'innocence, empiétant ainsi sur les compétences du législateur fédéral.

A.4. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément et conjointement avec les articles 13, 144, 145 et 160 de la Constitution, du principe du droit à un recours effectif, de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

En prévoyant une mesure de suspension provisoire, d'écartement du service et de réduction du traitement de manière automatique, la disposition entreprise porte atteinte de manière disproportionnée à la présomption d'innocence, puisque la sanction s'attache au simple fait d'une inculpation ou d'une prévention alors même qu'aucune condamnation pénale coulée en force de chose jugée n'est acquise.

Par hypothèse, une instruction pénale peut être introduite in rem à l'égard de faits accomplis il y a un certain temps. Il est souvent demandé un certain nombre de devoirs qui requièrent également du temps. En admettant même qu'il y ait inculpation, cette mesure ne fait pas l'objet comme telle de mesures de publicité particulières. L'on ne voit pas très bien comment le pouvoir organisateur peut en prendre connaissance. L'on ne voit en aucune manière la raison qui viendrait à déroger à la procédure de suspension ordinaire définie aux articles 60, 87 et 157bis des dispositions modifiées par le décret et ce d'autant plus que cette procédure est assortie de mesures d'écartement sur le champ « lorsque les griefs qui lui sont reprochés revêtent un caractère de gravité tel qu'il est souhaitable, dans l'intérêt de l'enseignement, que le membre du personnel ne soit plus présent à l'école ».

Selon le requérant, le fait que la mesure soit considérée comme une sanction et ne puisse faire l'objet d'un recours est une atteinte grave au droit de recours effectif. L'avis de la section de législation du Conseil d'Etat sur l'avant-projet de décret est rappelé. Il y a donc une discrimination entre l'inculpé ou le prévenu enseignant visé par le décret et les autres citoyens inculpés ou prévenus ainsi qu'entre les membres du personnel visés par le décret inculpés pour l'un des comportements incriminés par le Code pénal et les mêmes membres qui seraient inculpés pour d'autres faits dont la gravité pourrait être aussi importante.

Position des requérants dans l'affaire portant le numéro 1485 du rôle A.5. Le recours en annulation dans l'affaire portant le numéro 1485 du rôle porte sur l'article 2 du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française.

Les requérants sont enseignants dans l'enseignement libre subventionné et ils ont fait l'objet ou ils sont susceptibles de faire l'objet de mesures de suspension préventives. Ils ont donc intérêt à attaquer la disposition entreprise.

A.6. Le moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et des articles 3 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il vise les dispositions entreprises en ce qu'elles établissent la suspension d'office du membre du personnel lorsque celui-ci est inculpé ou prévenu pour les faits et/ou agissements punissables visés et en ce qu'elles assortissent ladite suspension d'une réduction de moitié du traitement du membre du personnel concerné. Le moyen comprend deux branches. Dans une première branche, les requérants reprochent aux dispositions entreprises d'infliger à un membre du personnel présumé innocent un traitement inhumain et dégradant et de violer le principe d'égalité entre les Belges en privant cette personne de la protection établie par l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans une seconde branche, les requérants reprochent aux dispositions entreprises de porter une atteinte grave aux droits de la défense et de violer de ce fait l'égalité entre les Belges en privant les personnes concernées de la protection établie par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ou à tout le moins du bénéfice du principe général des droits de la défense.

Les requérants estiment que le but poursuivi - garantir et préserver la santé physique et morale des enfants dont l'enseignement a la charge - est louable mais que les moyens mis en oeuvre sont totalement disproportionnés. L'avis de la section de législation du Conseil d'Etat est invoqué à l'appui de cette thèse. Si l'on admet par ailleurs que le législateur a également en vue l'intérêt collectif d'un enseignement serein, l'on doit admettre que le nouveau texte n'améliore en rien cet intérêt et que la modification du décret n'était pas nécessaire. Au contraire, le caractère automatique de la mesure de suspension aura pour conséquence de rendre publiques des situations qui, sans cela, seraient restées couvertes par le secret de l'instruction.

A.7. A l'appui de la première branche du moyen, les requérants invoquent la jurisprudence de la Cour et de la Commission européenne des droits de l'homme à propos de la notion de traitement inhumain ou dégradant. Ils en concluent que la suspension d'office de l'enseignant, pourtant présumé innocent, constitue un tel traitement, puisqu'elle inflige à cette personne des souffrances morales, psychologiques et sociales sans proportion avec le but recherché par les autorités. « Le membre du personnel ainsi suspendu, est littéralement montré du doigt, dénoncé, comme un être potentiellement dangereux, présumé coupable d'avoir commis des actes de pédophilie et/ou de violence, ce qui, dans le contexte actuel, équivaut à une mise à mort sociale. » Des extraits des travaux préparatoires sont invoqués pour montrer que les auteurs du décret étaient conscients des conséquences désastreuses que ces soupçons pouvaient avoir.

Les requérants considèrent par ailleurs que la réduction pour moitié du traitement, telle qu'elle résulte du nouvel article 88, alinéa 1er, du décret du 1er février 1993, constitue également un traitement inhumain et dégradant notamment en ce que sa durée n'est pas définie et sera assurément de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Elle ne sera en effet rapportée qu'à l'issue de la procédure pénale ou disciplinaire. La jurisprudence judiciaire et administrative est invoquée à l'appui de cette thèse.

A.8. Concernant la seconde branche, les requérants invoquent également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme à propos de l'applicabilité de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et du respect du droit d'accès à un tribunal indépendant, impartial et établi par la loi. Selon eux, ces garanties ne sont pas remplies parce que le caractère automatique de la suspension et de la réduction de traitement exclut tout contrôle de la juridiction administrative, si ce n'est sur le respect des formes. De plus, un contrôle qui ne porte que sur l'utilisation par la personne publique de ses pouvoirs discrétionnaires d'une manière compatible avec l'objet et le but de la loi est trop limité que pour constituer un contrôle judiciaire effectif au sens de l'article 6.1 de la Convention susdite. Il ne suffit pas de qualifier la mesure de suspension de mesure d'ordre pour écarter l'application de ces dispositions, puisqu'il peut s'agir d'une peine disciplinaire déguisée par laquelle l'autorité punit l'agent en raison de ses agissements.

Les dispositions entreprises méconnaissent également le droit à être jugé dans un délai raisonnable puisqu'aucune limite dans le temps n'est portée à la réduction du traitement ou à la suspension dès lors que l'administration n'est pas tenue de prononcer une peine administrative dans des délais raisonnables.

Le principe général des droits de la défense est également méconnu malgré l'audition préalable prévue par le décret. La mesure de suspension est en effet prononcée d'office, peu importe les arguments invoqués par la personne. Cette audition préalable est donc privée de tout intérêt et de tout objet. Elle n'existe que pour laisser l'impression que le membre du personnel peut se défendre. Elle ne modifie en rien le caractère automatique de la suspension. L'avis du Conseil d'Etat est à nouveau invoqué à l'appui de cette thèse.

La méconnaissance de l'article 6.2 de la Convention européenne des droits de l'homme est encore invoquée par les requérants puisque les mesures prises ont pour effet de sanctionner les personnes concernées pour des actes pour lesquels elles n'ont pas encore été jugées.

Position du Gouvernement de la Communauté française A.9. Selon le Gouvernement de la Communauté française, le requérant dans l'affaire portant le numéro 1484 du rôle, qui appartient au personnel enseignant de l'enseignement libre subventionné par la Communauté française, ne justifie d'un intérêt qu'à l'annulation de l'article 2 du décret attaqué, qui seul concerne cet enseignement.

Quant au moyen tiré de la violation des règles répartitrices de compétences A.10. Selon le Gouvernement de la Communauté française, la mesure de suspension préventive constitue une simple mesure d'ordre intérieur prévue dans l'intérêt du service, qui a pour objet d'écarter du service une personne qui pourrait, par ses agissements ou par sa présence, nuire au bon fonctionnement de l'école. Il ne s'agit ni d'une sanction disciplinaire ni d'une sanction pénale. La mesure est décidée et maintenue dans l'attente de l'issue d'une procédure disciplinaire ou pénale.

L'on n'aperçoit pas en quoi le fait que la suspension préventive interviendrait d'office aurait pour conséquence de transformer la mesure en sanction pénale réservée à la compétence fédérale. Le pouvoir organisateur est tout au contraire privé de toute possibilité d'apprécier la « culpabilité de l'intéressé », les faits qui lui sont imputés et l'intérêt du service. La Communauté française a précisément voulu éviter toute appréciation quelconque à cet égard dans certains cas, strictement et limitativement définis, dans lesquels il apparaît que l'intérêt des élèves risque d'être mis à mal de manière directe et grave : c'est exclusivement lorsque l'intéressé est inculpé ou prévenu à raison de faits de moeurs ou de pédophilie ou d'autres crimes et délits commis sur des mineurs d'âge ou sur des élèves mineurs ou majeurs de l'établissement où l'enseignant exerce tout ou partie de ses fonctions, qu'il y a une mesure de suspension préventive d'office.

A l'appui de l'intérêt supérieur de l'enfant, le Gouvernement de la Communauté française invoque la Convention relative aux droits de l'enfant.

C'est dans le même but que le législateur a affecté lui-même le montant de la retenue opérée sur le traitement de l'enseignant. Il n'y a donc pas d'atteinte à la présomption d'innocence. Il a encore été souligné dans les travaux préparatoires que lorsqu'une personne est inculpée ou prévenue, la présomption d'innocence n'est pas mise en cause jusqu'au moment où le tribunal s'est prononcé quant au fond.

Le Gouvernement de la Communauté française précise encore que si le décret attaqué se réfère à certains articles du Code pénal, il ne modifie ces dispositions, pas plus qu'il ne porte atteinte aux pouvoirs et compétences du ministère public et du juge d'instruction, lesquels restent libres de décider, selon le cas, de citer directement l'intéressé devant le tribunal ou de l'inculper. « Et force est de constater qu'aucune des dispositions ici attaquées ne contraint ces magistrats à avertir le pouvoir organisateur de l'inculpation ou du renvoi devant le tribunal compétent de l'un des membres de son personnel. Cette information sera assurée, certes, mais en vertu d'un accord intervenu entre les autorités fédérales et communautaires. » Le décret se réfère par ailleurs à la notion d'inculpation telle qu'elle est définie dans la loi fédérale, sans modifier ni son sens ni son contenu. La qualité de prévenu, si elle n'est pas définie par une loi, est néanmoins consacrée par la pratique judiciaire et pénale comme étant la qualité d'une personne qui comparaît devant une juridiction pénale en raison de faits qui lui sont reprochés et pour lesquels elle est susceptible de se voir condamner à une peine prévue par la loi.

C'est à cette notion très précise que le décret fait référence.

Le législateur communautaire est donc manifestement resté dans les limites de sa compétence.

Quant au moyen tiré de la violation des règles d'égalité et de non-discrimination A.11. Concernant le moyen tiré de la violation des règles d'égalité et de non-discrimination, le Gouvernement de la Communauté française rappelle que la mesure de suspension préventive d'office ne porte en rien atteinte à la présomption d'innocence. Le pouvoir organisateur ne pourra prendre cette mesure que lorsqu'il aura été informé de la prévention ou de l'inculpation et qu'il aura vérifié que les conditions fixées par le décret sont effectivement remplies. La réunion de ces conditions sera notamment examinée lors de l'audition de l'intéressé. Ce n'est que lorsqu'il y a inculpation au sens de l'article 61bis du Code d'instruction criminelle et/ou si l'intéressé est renvoyé devant une juridiction pénale que la mesure peut être prise. L'information du pouvoir organisateur sera assurée via le ministère de la Justice par le ministère de la Communauté française.

Dans son avis, le Conseil d'Etat a reproché à la disposition l'absence de recours effectif pour le motif que le contrôle du juge se limite, tout comme celui du pouvoir organisateur, à vérifier que les conditions objectives fixées par le législateur sont bien remplies.

Le Gouvernement de la Communauté française reconnaît qu'il y a effectivement une différence entre la situation d'un membre du personnel enseignant qui est inculpé ou prévenu en raison de faits étrangers à ceux qui fondent une suspension préventive d'office puisque dans ce cas le pouvoir organisateur peut apprécier si l'intérêt du service justifie la suspension de l'intéressé alors que ce pouvoir d'appréciation disparaît lorsque les conditions objectives aboutissant à la suspension d'office sont réunies.

Le Gouvernement de la Communauté française estime toutefois que cette différence de traitement est parfaitement et raisonnablement justifiée. Il s'agit en effet de comportements extrêmement graves qui concernent directement soit des élèves que l'enseignant a la possibilité de rencontrer directement sur son lieu de travail et à l'égard desquels il est, au surplus, susceptible d'exercer son autorité, soit de personnes ou d'enfants dont l'enseignant peut abuser en raison de la faiblesse due à leur âge et qui un jour pourraient être ses élèves. Les circonstances qui justifient la suspension d'office sont donc intrinsèquement liées au fonctionnement de l'enseignement ainsi qu'à ses premiers destinataires et intéressés, à savoir les élèves.

Le législateur a voulu protéger ici l'intérêt du service d'un enseignement serein et surtout l'intérêt supérieur des élèves et il a voulu éviter que dans ces cas-là, il y ait matière à discussion. Il n'a donc laissé aucun pouvoir d'appréciation au pouvoir organisateur.

Il a été relevé dans les travaux préparatoires que certains pouvoirs organisateurs - principalement ceux de l'enseignement libre subventionné - hésitaient à prendre les mesures qui s'imposent tant pour des motifs financiers que pour d'obscures raisons de diplomatie interne.

Concernant la différence de traitement entre les enseignants visés par la disposition et les autres citoyens, il faut d'abord relever que l'action de la Communauté française est limitée par les compétences qui lui ont été attribuées. La Communauté a par ailleurs pris d'autres dispositions concernant des professions qui mettent des adultes au contact des enfants dans le décret relatif à l'aide aux enfants victimes de maltraitance. De toute manière, il faut relever que les enseignants constituent une catégorie de citoyens objective et particulière qui se différencie des autres notamment par le fait qu'ils sont appelés à être en contact direct et quotidien avec des élèves et des enfants qui passent le plus clair de leur temps dans leur établissement scolaire. La relation pédagogique revêt en outre un caractère spécifique en ce qu'elle implique un lien d'autorité à l'égard des personnes plus faibles dont il convient de ne pas abuser.

Le monde enseignant et le milieu scolaire méritaient donc d'être réglementés par des mesures spécifiques, déterminées en raison de leur caractéristique propre.

A.12. Concernant le moyen invoqué dans l'affaire portant le numéro 1485 du rôle, le Gouvernement de la Communauté française estime tout d'abord que le moyen doit être déclaré irrecevable parce que, s'il ressort de la requête que les victimes de la discrimination seraient les enseignants frappés d'une mesure de suspension d'office avec réduction de traitement, il est impossible de déterminer à quelle catégorie de personnes il faut comparer ces personnes. Le Gouvernement de la Communauté française ne répond donc qu'à titre subsidiaire aux arguments invoqués quant au fond par ces requérants.

A.13. Concernant le traitement inhumain et dégradant, le Gouvernement de la Communauté française n'aperçoit pas en quoi les mesures de suspension d'office avec réduction de traitement devraient constituer un tel traitement, sauf à considérer que ce serait le cas de toute mesure de suspension comportant une réduction de revenus.

Concernant l'atteinte à l'honneur, le Gouvernement de la Communauté française estime que ce n'est pas tant la mesure de suspension préventive qui est susceptible de nuire à l'intéressé et à sa réputation mais plutôt la circonstance qu'il soit prévenu ou inculpé.

Il relève aussi que la doctrine et la jurisprudence admettent que le principe du secret de l'instruction n'est plus absolu et qu'une communication d'avis de poursuite peut être faite à des autorités administratives. Il estime enfin qu'une mesure de suspension d'office porte peut-être moins atteinte à la réputation qu'une mesure de suspension préventive qui interviendrait à l'issue d'une procédure ordinaire.

Concernant la réduction de traitement, le Gouvernement de la Communauté française insiste sur le fait qu'elle n'est que de moitié et ne peut être inférieure au montant des allocations de chômage. Elle ne peut donc être qualifiée de traitement inhumain ou dégradant, sauf à considérer qu'il en va de même pour une allocation de chômage compte tenu de son montant. Le Gouvernement de la Communauté française n'aperçoit pas en quoi cette réduction de traitement léserait plus l'intéressé que celle attachée à une suspension ordinaire. Il insiste aussi sur le fait que la mesure de réduction de traitement sera ultérieurement rapportée dans plusieurs hypothèses et notamment si aucune condamnation définitive n'est prononcée à l'égard de l'intéressé, avec même une augmentation par l'octroi d'intérêts de retard. Il rappelle aussi la jurisprudence dite du « service fait », selon laquelle toute rémunération nécessite en principe une contrepartie, à savoir les prestations accomplies par le membre du personnel et précise enfin que l'enseignant suspendu peut exercer une activité lucrative complémentaire.

La jurisprudence citée par les requérants n'est pas pertinente parce qu'elle ne condamne que des mesures de suspension préventive avec suppression totale du traitement.

A.14. Concernant la seconde branche du moyen, le Gouvernement de la Communauté française ajoute aux arguments déjà évoqués la précision suivante : la juridiction compétente pour connaître de la légalité d'une décision de suspension préventive n'est pas, pour ce qui concerne l'enseignement libre, le Conseil d'Etat puisque les décisions du pouvoir organisateur de l'enseignement libre n'émanent pas d'autorités administratives, mais de personnes de droit privé. Les juridictions compétentes sont donc les juridictions du travail de l'ordre judiciaire, statuant éventuellement en référé.

Le Gouvernement de la Communauté française n'accepte pas non plus l'idée que, par nature et nécessairement, toute sanction disciplinaire ou pénale n'interviendrait jamais dans un délai raisonnable.

Concernant la proportionnalité, le Gouvernement de la Communauté française relève que d'autres moyens d'atteindre le but poursuivi, à savoir la protection de l'enfant, pris par exemple par le juge d'instruction qui pourrait placer l'intéressé en détention préventive ou le laisser en liberté moyennant certaines conditions telles l'éloignement temporaire de ses victimes potentielles et ce en l'affectant à des tâches administratives, sont en réalité des mesures plus graves encore que la suspension préventive d'office, dont les juges d'instruction pourraient être tentés d'abuser à défaut d'autres mesures. On ne voit d'ailleurs pas où un enseignant pourrait être affecté, si ce n'est dans un établissement scolaire. La mesure aboutirait en réalité alors à le priver totalement de son emploi et de sa rémunération.

Le Gouvernement de la Communauté française estime donc que la Communauté française a pris les mesures qui étaient nécessaires en vue de préserver un intérêt jugé et qualifié de supérieur par la Convention relative aux droits de l'enfant.

Réponse du requérant dans l'affaire portant le numéro 1484 du rôle A.15. Concernant l'intérêt à agir, le requérant réplique au Gouvernement de la Communauté française que les dispositions décrétales visent les enseignants en leur qualité spécifique et prévoient des régimes analogues pour les réseaux officiel ou libre : en sa qualité d'enseignant pouvant exercer tant dans l'enseignement officiel que dans l'enseignement libre, le requérant est directement concerné par les normes attaquées.

A.16. Le requérant réplique au Gouvernement de la Communauté française que le décret entrepris viole les règles de compétence parce qu'il ajoute indirectement aux règles de procédure pénale existantes, qui relèvent de la seule compétence de l'autorité fédérale, une mesure d'interdiction professionnelle qui, matériellement, s'assimile à une sanction. En outre, l'automaticité de la mesure porte directement atteinte à la présomption d'innocence, qui implique qu'en dehors de l'information ou de l'instruction pénale nécessitée par les besoins d'assurer l'ordre public, aucune conséquence de droit spécifique ne soit assortie du simple fait d'une inculpation ou d'une prévention.

Les seules exceptions possibles - telle la détention préventive - sont toujours de nature exceptionnelle, prises au cas par cas et encadrées de garanties juridictionnelles spécifiques.

A.17. Le requérant critique par ailleurs l'objectif du législateur tel qu'il est précisé par le Gouvernement de la Communauté française.

Selon lui, quand elle invoque l'inertie de certains pouvoirs organisateurs, la Communauté ne poursuit pas comme objectif d'alléger la tâche du pouvoir organisateur mais bien de le contraindre à exercer ses propres tâches. Ensuite et plus fondamentalement, le requérant estime que la Communauté française se méprend radicalement sur la portée de la procédure disciplinaire. L'objectif premier d'une procédure disciplinaire n'est pas tant la personne concernée que les nécessités du bon fonctionnement du service. Ce n'est dès lors pas tant la nature même des faits qui est importante pour une procédure disciplinaire que les répercussions sur le fonctionnement et la bonne fin des missions qui sont conférées aux personnes intéressées. Il en va de même, sinon davantage, des mesures qualifiées de mesures d'ordre puisqu'elles ne doivent avoir aucun caractère disciplinaire. Ces mesures traduisent la liberté d'autorités administratives d'organiser et de réorganiser les services et de disposer du potentiel humain que constituent les agents de la façon la plus opportune pour la bonne marche de l'administration. Dans la procédure disciplinaire, ce qui compte, ce n'est pas d'abord l'acte mais ses conséquences; c'est pour cela qu'il n'y a aucune incrimination prédéfinie. La procédure est par ailleurs autonome et implique un examen au cas par cas des incidences du comportement imputé à un agent sur la bonne fin du service qu'il assure. « Prévoir une mesure/sanction automatique dans le cadre de la procédure disciplinaire revient à remettre en cause tout l'équilibre de ladite procédure. Ce ne sont plus les conséquences sur le fonctionnement du service qui sont prises en compte, mais bien le comportement personnel de l'agent auquel s'attache la sanction automatique. C'est là dériver de la procédure disciplinaire elle-même pour glisser vers la procédure pénale, par l'imposition d'une sanction indirecte. » Le requérant estime la mesure excessive, et dès lors non justifiée et discriminatoire, et relève que le décret permettait de prendre d'autres mesures - suspension ordinaire et, éventuellement, mesure d'écartement sur-le-champ - qui rencontraient les objectifs du législateur. Le requérant invoque à l'appui de cette thèse l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat et de la Ligue des droits de l'homme.

Réponse des requérants dans l'affaire portant le numéro 1485 du rôle A.18. Concernant la recevabilité du moyen, les requérants répliquent au Gouvernement de la Communauté française qu'un moyen n'est irrecevable que s'il n'indique pas ou ne permet pas de déceler la règle constitutionnelle qui serait violée ainsi que les dispositions qui violeraient cette règle et en quoi celle-ci aurait été transgressée par ces dispositions.

Le deuxième terme de comparaison est tout à fait défini ou à tout le moins décelable, les enseignants visés doivent être comparés aux personnes qui, tout en étant dans la même situation que les membres du personnel enseignant - soit les autres membres du personnel d'établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française, qui sont inculpés ou prévenus pour des faits ou agissements visés à l'article 87bis, § 1er, du décret du 1er février 1993 - sans être privés de certains de leurs droits fondamentaux. Il s'agit également des membres du personnel enseignant inculpés ou prévenus pour d'autres faits que ceux qui sont visés, dont la gravité peut être aussi importante mais auxquels ne s'applique pas la suspension d'office avec suspension de traitement.

A.19. Le requérant réplique que l'atteinte à l'honneur et à la réputation de l'enseignant est bien plus importante quand il y a une suspension d'office puisque les autres membres du personnel, les parents et les élèves sauront que le membre du personnel est soupçonné de faits particulièrement graves à l'encontre de mineurs alors qu'ils ne peuvent savoir pour quelle raison une mesure de suspension ordinaire est adoptée.

Etre prévenu ou inculpé n'a rien en soi d'attentatoire à la réputation. Ce qui est reproché ici, c'est le fait de porter la prévention ou l'inculpation à la connaissance de tiers. Les règles de procédure pénale visent au contraire à protéger tant que faire se peut la réputation de l'inculpé. Le requérant reproche par ailleurs au Gouvernement de la Communauté française de tirer des arguments de l'expérience et de la pratique, en particulier des réactions de parents d'élèves. Les requérants pourraient d'ailleurs développer les conséquences désastreuses de l'application du décret quant aux réactions de leur entourage professionnel et familial.

A.20. Concernant la réduction de traitement, les requérants répliquent qu'une réduction brutale des revenus de l'intéressé, sans limitation précise dans le temps, constitue un traitement inhumain et/ou dégradant. La mesure est plus préjudiciable qu'une réduction de traitement dont serait assortie une suspension ordinaire parce qu'elle ne sera rapportée qu'après un délai indéfini, lorsqu'une juridiction se sera prononcée sur la culpabilité du membre du personnel, que ce membre et sa famille seront donc tributaires des lenteurs judiciaires et qu'il n'y a aucun recours effectif contre cette décision, à l'inverse de ce qui se passe dans une procédure ordinaire. Un remboursement ultérieur ne compense pas la privation durant toute la suspension et les intérêts accordés seront toujours inférieurs au taux pratiqué par les organismes bancaires.

Concernant la jurisprudence du service fait, aucune référence n'est donnée. Il est par ailleurs difficile de comprendre pourquoi l'article 88 du décret du 1er février 1993, tel que modifié par les dispositions entreprises, prévoit que tout membre du personnel suspendu préventivement maintient son droit au traitement. Des motifs d'économie, pas plus que la protection des élèves, ne sont pas suffisants pour justifier une violation de droits fondamentaux.

A.21. Les requérants relèvent enfin que le système mis en place ne permet pas de contrôle judiciaire puisque le rôle du juge ne consiste plus qu'à vérifier que les conditions d'application légales ont bien été respectées.

Concernant la présomption d'innocence, les requérants relèvent que, en vue d'éviter que dans certains cas les pouvoirs organisateurs préjugent de la culpabilité d'un membre du personnel, la Communauté française a préféré porter elle-même une appréciation générale sur la culpabilité des membres du personnel, appréciation générale selon laquelle le membre du personnel est présumé coupable, jusqu'à preuve du contraire. Aucune des justifications invoquées n'autorise une violation de la présomption d'innocence.

Concernant le droit à un recours effectif, les requérants maintiennent que les mesures sont disproportionnées. « Si les mesures prises par le juge d'instruction peuvent en effet être plus graves que celles adoptées en application des dispositions entreprises, on relèvera qu'elles sont prises par un magistrat qui est le mieux à même d'évaluer la potentialité du danger que représente le membre du personnel puisqu'il dispose de l'ensemble des éléments du dossier, ce qui n'est évidemment pas le cas [du Gouvernement] de la Communauté française. » Une mise en liberté pourrait en outre être conditionnée par l'affectation du membre du personnel à une tâche administrative de secrétariat.

Concernant le délai raisonnable, « alléguer que les procédures pénales sont souvent très longues en raison, notamment, de l'arriéré judiciaire, n'a rien d'inadmissible ». - B - Quant à l'étendue du recours B.1. Il ressort du contenu des deux requêtes que les griefs que formulent les requérants concernent les mesures de suspension préventive consécutives, de manière automatique, à une inculpation ou à une mise en prévention, auxquelles s'attache une réduction de traitement. Ces griefs concernent le décret attaqué en ce qu'il introduit un article 60bis dans le décret du 6 juin 1994 (enseignement officiel subventionné), un article 87bis dans le décret du 1er février 1993 (enseignement libre subventionné) et un article 157ter dans l'arrêté royal du 22 mars 1969 (enseignement de l'Etat).

Quant à la recevabilité B.2.1. Selon le Gouvernement de la Communauté française, le requérant dans l'affaire portant le numéro 1484 du rôle, qui appartient au personnel enseignant de l'enseignement libre subventionné par la Communauté française, ne justifie d'un intérêt qu'à l'annulation de l'article 2 du décret attaqué, qui seul concerne cet enseignement.

B.2.2. Cette question suppose que soient préalablement déterminés l'objet et la portée des dispositions entreprises. Elle est liée au fond et sera examinée avec celui-ci.

Quant au moyen tiré de la violation des règles répartitrices de compétences B.3.1. Le premier moyen dans l'affaire portant le numéro 1484 du rôle est pris de la violation des règles répartitrices de compétences.

B.3.2. L'article 127, § 1er, 2°, de la Constitution confie à la Communauté française et à la Communauté flamande le soin de régler par décret l'enseignement, à l'exception : a) de la fixation du début et de la fin de l'obligation scolaire, b) des conditions minimales pour la délivrance des diplômes et c) du régime des pensions.

Les communautés ont, en vertu de cette disposition, la plénitude de compétence pour régler l'enseignement dans la plus large acception du terme, sauf les exceptions qui y sont explicitement mentionnées.

Cette compétence comprend la fixation des règles relatives au statut administratif et pécuniaire du personnel de l'enseignement, à l'exclusion de son régime de pension.

B.3.3. Compétentes pour fixer les règles relatives au statut administratif et pécuniaire du personnel de l'enseignement, les communautés sont compétentes pour régler le régime de suspension préventive et les conséquences pécuniaires qui peuvent en résulter.

En adoptant les dispositions entreprises, la Communauté française n'a pas méconnu les règles qui déterminent les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions.

Le premier moyen est rejeté.

Quant au moyen pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution B.4.1. Le requérant dans l'affaire portant le numéro 1484 du rôle invoque un deuxième moyen qui est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou conjointement avec les articles 13, 144, 145 et 160 de la Constitution, du principe du droit à un recours effectif, de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les requérants dans l'affaire portant le numéro 1485 du rôle invoquent un moyen pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et des articles 3 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.4.2. Dans son avis sur l'avant-projet de décret, le Conseil d'Etat a attiré l'attention de la Communauté française sur les graves difficultés juridiques que pose la conséquence automatique qui est attachée à l'inculpation d'une personne. Il a rappelé à cet égard les droits fondamentaux de l'inculpé et le respect du principe d'égalité.

Il ressort des travaux préparatoires que la Communauté française a pris en considération cet avis dans la discussion mais qu'elle a estimé que l'atteinte aux droits fondamentaux de l'enseignant était justifiée par le principal objectif du projet, qui est de garantir et de préserver la protection de la santé physique et morale des enfants dont l'enseignement a la charge (Doc., Parlement de la Communauté française, 1997-1998, n° 211/1, p. 2), et par le but d'assurer, dans la sérénité, la poursuite de l'enseignement et de l'éducation donnés dans l'établissement scolaire : « A côté de l'addition de ces deux intérêts, l'un collectif (sérénité de l'enseignement dispensé dans un établissement scolaire comprenant en moyenne plusieurs centaines d'enfants), l'autre particulier (celui de l'enfant en cause) apparaît l'intérêt particulier de l'enseignant faisant l'objet de la mesure de suspension préventive d'office.

Si dans une société démocratique, chaque citoyen est en droit de penser qu'il conviendrait de privilégier plutôt l'un ou l'autre de ces intérêts, il apparaît que la Communauté française compétente en matière d'enseignement mais également en matière de protection de l'enfance et de la jeunesse se doit quant à elle légalement mais aussi plus fondamentalement moralement, de garantir et de préserver d'abord l'intérêt collectif d'un enseignement serein et l'intérêt particulier d'un enfant peut-être violé dans sa chair. » (ibid., p. 4) (voy. aussi Doc., Parlement de la Communauté française, 1997-1998, n° 211/8, p. 3) Il ressort également des travaux préparatoires que le législateur décrétal a voulu par ces dispositions agir contre l'inertie de certains pouvoirs organisateurs (Doc., Parlement de la Communauté française, 1997-1998, n° 211/1, p. 7) et leur faciliter la tâche, en évitant, par l'automaticité de la mesure de suspension préventive, toute discussion qui ferait davantage encore présumer la culpabilité de l'enseignant : « Une telle procédure protège l'ensemble des établissements des conflits potentiels qui ont été suscités jadis et qui ont divisé la communauté éducative; elle protège bien entendu les enfants et évite ainsi qu'on s'interroge sur la culpabilité éventuelle du professeur. » (Doc., Parlement de la Communauté française, 1997-1998, n° 211/8, p. 10).

B.4.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4.4. Les dispositions entreprises créent une différence de traitement au détriment des enseignants puisque seuls ceux-ci, dans un tel cas, peuvent faire l'objet d'une mesure de suspension préventive automatique, avec une réduction de traitement.

Cette différence de traitement est fondée sur un critère objectif.

La mesure prise par le législateur décrétal est par ailleurs pertinente au regard des objectifs poursuivis, l'objectif principal de protection des enfants et l'objectif d'assurer la sérénité dans l'établissement d'enseignement.

B.4.5. La Cour doit encore vérifier si la mesure est dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec les objectifs poursuivis, compte tenu de l'atteinte aux droits fondamentaux.

Même si elle n'est pas une mesure pénale ni une mesure disciplinaire et même si elle se présente comme étant de nature purement administrative, une suspension préventive est une mesure grave pour la personne qui en est l'objet. Elle doit donc toujours être fondée sur des motifs qui sont appréciés in concreto au regard des intérêts supérieurs en cause, ici plus particulièrement les intérêts des enfants et de l'enseignement. Le contrôle du juge sur ces motifs - ainsi que sur la régularité de la procédure - est une garantie fondamentale pour l'intéressé.

Par les dispositions entreprises, le législateur s'est efforcé de déterminer de manière objective des faits et agissements particulièrement graves qui doivent justifier dès le moment où il y a inculpation ou mise en prévention une mesure automatique de suspension. Il a supprimé tout pouvoir d'appréciation in concreto d'une autorité et notamment du pouvoir organisateur et a limité dès lors corrélativement de manière importante le contrôle qui pourrait être exercé par un juge quant aux motifs fondant la mesure administrative.

Les dispositions entreprises sacrifient de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi les droits fondamentaux de l'enseignant inculpé.

B.5. Les dispositions attaquées manifestent la volonté du législateur décrétal d'établir un système uniforme de suspension automatique dans tous les réseaux d'enseignement.

Si la Cour devait limiter l'annulation du décret au régime de suspension préventive dans un seul de ces réseaux, il en résulterait une violation manifeste du principe d'égalité entre enseignants que le législateur décrétal a entendu respecter.

B.6. La Cour annule dès lors les dispositions du décret attaqué en ce qu'elles introduisent un système de suspension automatique dans l'enseignement organisé par la Communauté française, ainsi que dans l'enseignement officiel et dans l'enseignement libre qu'elle subsidie.

Par ces motifs, la Cour annule les dispositions du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française, en ce qu'elles introduisent : - un article 60bis dans le décret du 6 juin 1994 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l'enseignement officiel subventionné; - un article 87bis dans le décret du 1er février 1993 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l'enseignement libre subventionné; - un article 157ter dans l'arrêté royal du 22 mars 1969 fixant le statut des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d'éducation, du personnel paramédical des établissements d'enseignement gardien, primaire, spécial, moyen, technique et artistique de l'Etat, des internats dépendant de ces établissements et des membres du personnel du service d'inspection chargé de la surveillance de ces établissements.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 19 janvier 2000.

Le greffier, L. Potoms Le président, M. Melchior

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