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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 30 juin 2000

Arrêt n° 67/2000 du 14 juin 2000 Numéro du rôle : 1612 En cause : le recours en annulation des articles 1 er , 2, 4°, 3, 4 et 5 du décret de la Région wallonne du 19 novembre 1998 instaurant une taxe sur les logements abandonnés en R La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges P. Martens(...)

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Arrêt n° 67/2000 du 14 juin 2000 Numéro du rôle : 1612 En cause : le recours en annulation des articles 1er, 2, 4°, 3, 4 et 5 du décret de la Région wallonne du 19 novembre 1998 instaurant une taxe sur les logements abandonnés en Région wallonne, introduit par l'a.s.b.l. Syndicat national des propriétaires et autres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges P. Martens, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts et E. De Groot, assistée de la référendaire B. Renauld, faisant fonction de greffier, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 1er février 1999 et parvenue au greffe le 2 février 1999, l'a.s.b.l.

Syndicat national des propriétaires, dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, rue de la Violette 43, J.-P. Vermote, demeurant à 1800 Vilvorde, Vogelzangstraat 8, et R. Verhelst, demeurant à 8318 Bruges-Assebroek, Omendreef 17, ont introduit un recours en annulation des articles 1er, 2, 4°, 3, 4 et 5 du décret de la Région wallonne du 19 novembre 1998 instaurant une taxe sur les logements abandonnés en Région wallonne (publié au Moniteur belge du 27 novembre 1998).

II. La procédure Par ordonnance du 2 février 1999, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 25 mars 1999.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 9 avril 1999.

Le Gouvernement wallon, rue Mazy 25-27, 5100 Namur, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 5 juillet 1999.

Ce mémoire a été notifié conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettre recommandée à la poste le 15 juillet 1999.

Par ordonnance du 13 juillet 1999, le président en exercice a prorogé jusqu'au 30 septembre 1999 le délai pour introduire un mémoire en réponse.

Les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 24 septembre 1999.

Par ordonnances du 29 juin 1999 et du 27 janvier 2000, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 1er février 2000 et 1er août 2000 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 22 décembre 1999, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 19 janvier 2000.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 24 décembre 1999.

A l'audience publique du 19 janvier 2000 : - ont comparu : . Me E. Grégoire, avocat au barreau de Liège, pour les parties requérantes; . Me V. Thiry, avocat au barreau de Liège, pour le Gouvernement wallon; - les juges-rapporteurs P. Martens et E. De Groot ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. Les dispositions décrétales en cause 1. Aux termes de l'article 1er du décret du 19 novembre 1998, « il est établi au profit de la Région wallonne une taxe annuelle sur les logements abandonnés dans les conditions et selon les modalités déterminées par le présent décret ». L'article 2, 5°, donne la définition suivante à la notion de logement abandonné : « inachevé ou inoccupé ».

L'article 2, 4°, dispose : « Au sens du présent décret, on entend par : 'logement inoccupé' : le logement correspondant à l'un des cas suivants : 1° le logement déclaré inhabitable depuis au moins douze mois;2° le logement qui n'est pas garni du mobilier indispensable à son affectation pendant une période d'au moins douze mois consécutifs;3° le logement pour lequel la consommation d'eau ou d'électricité constatée pendant une période d'au moins douze mois consécutifs est inférieure à la consommation minimale fixée par le Gouvernement;4° le logement pour lequel aucune personne n'est inscrite dans les registres de la population pendant une période d'au moins douze mois consécutifs. L'occupation sans droit ni titre par une personne sans abri n'interrompt pas l'inoccupation ».

Les articles 3, 4 et 5 du décret sont rédigés comme suit : «

Art. 3.Est redevable de la taxe, le propriétaire d'un logement abandonné au 1er janvier de l'année qui suit la période d'imposition.

En cas de démembrement du droit de propriété, le redevable de la taxe est le titulaire du droit réel de jouissance.

Art. 4.Le montant de la taxe est fixé à FB 400 par m2 ou fraction de m2 de surface habitable, avec un minimum de FB 25.000 par logement.

A défaut de réaffectation du logement par le redevable, le montant de la taxe est doublé pour l'exercice qui suit le premier enrôlement et triplé pour les exercices ultérieurs.

En cas de changement de propriétaire, le montant de la taxe est doublé pour l'exercice qui suit le premier enrôlement du nouveau propriétaire, et triplé pour les exercices ultérieurs.

Art. 5.Le redevable est exonéré de la taxe : 1° pour les logements appartenant, donnés en gestion ou en location à une agence immobilière sociale agréée par la Région wallonne ou à une société de logement, et ce, durant la période couverte par le contrat de gestion ou de location;2° pour les logements situés dans les limites d'un plan d'expropriation approuvé par l'autorité compétente ou ne pouvant plus faire l'objet d'un permis d'urbanisme parce qu'un plan d'expropriation est en préparation;3° pendant le délai de traitement du dossier de restauration par l'autorité compétente, pour les logements classés en vertu du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine;4° s'il prouve la réaffectation du logement avant le 31 décembre de l'année qui suit la période imposable;5° lorsque l'inoccupation est subséquente à un sinistre survenu indépendamment de la volonté du redevable, le délai de réaffectation est prolongé de douze mois ». Le décret ne comportant pas de dispositions relatives à son entrée en vigueur, celle-ci est intervenue le 7 décembre 1998, soit dix jours après sa publication au Moniteur belge.

Les articles 1er, 2, 4°, 3, 4 et 5 du décret du 19 novembre 1998 sont les dispositions attaquées. 2. Par l'article unique du décret du 6 mai 1999 modifiant le décret du 19 novembre 1998 instaurant une taxe sur les logements abandonnés en Région wallonne, l'article 2, 4°, (4°), du décret du 19 novembre 1998 est remplacé par le texte suivant : « 4° Le logement pour lequel aucune personne n'est inscrite dans les registres de la population pendant une période d'au moins douze mois consécutifs, sauf si le titulaire de droits réels justifie que le logement a servi effectivement soit d'habitation, soit de lieu d'exercice d'activités économiques, sociales ou autres. L'occupation sans droit ni titre par une personne sans abri n'interrompt pas l'inoccupation. » Ce décret ne comportant pas de dispositions relatives à son entrée en vigueur, celle-ci est intervenue le 20 juin 1999, soit dix jours après sa publication au Moniteur belge. 3. L'article 19 du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales directes dispose : « La période imposable est l'année civile à laquelle se rapporte la situation qui fait l'objet de la taxe, ou la partie de cette année civile pendant laquelle le redevable a réuni les conditions d'assujettissement à la taxe. L'exercice d'imposition est l'année civile qui suit la période imposable.

La taxe due pour un exercice d'imposition est établie sur la base imposable relative à la période imposable. » A défaut de dispositions relatives à son entrée en vigueur, celle-ci est intervenue dix jours après sa publication au Moniteur belge du 1er juillet 1999, soit le 11 juillet 1999.

IV. En droit - A - Quant à l'intérêt des parties requérantes A.1.1. L'a.s.b.l. Syndicat national des propriétaires, première partie requérante, fonde son intérêt sur le fait que son objet statutaire est la défense du droit de propriété privée immobilière et que nombre de ses membres sont propriétaires d'immeubles inoccupés visés par la taxe instaurée par les dispositions attaquées.

A.1.2. Le Gouvernement wallon conteste cet intérêt en indiquant que cette association requérante ne démontre pas en quoi le droit de propriété serait atteint.

A.2.1. Les deuxième et troisième requérants sont propriétaires d'une résidence secondaire située en Région wallonne et ils sont redevables de la taxe sur la base de l'article 2, 4°, (3°) et (4°), du décret du 19 novembre 1998.

Même si l'article 2, 4°, (4°), a été modifié par le décret du 6 mai 1999 pour éviter de taxer les secondes résidences, ces requérants considèrent qu'ils peuvent toujours rester redevables de la taxe s'ils n'habitent pas cette résidence pendant plus de douze mois. En outre, la taxe serait due par ailleurs sur la base de l'article 2, 4°, (3°).

Le Gouvernement wallon, se fondant sur le remplacement de l'article 2, 4°, (4°), du décret du 19 novembre 1998 par le décret du 6 mai 1999, considère que la taxe n'est plus applicable aux secondes résidences et qu'elle ne serait donc pas due par ces requérants.

Quant au premier moyen A.3.1. Par un premier moyen, fondé sur l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, les requérants considèrent que la taxe litigieuse a un effet équivalent aux droits de douane, qu'elle constitue une entrave aux échanges interrégionaux et à la libre circulation des capitaux, qu'elle ne respecte pas le cadre général de l'union économique belge et qu'elle ne pouvait donc être adoptée par la Région wallonne.

A.3.2. Le Gouvernement de la Région wallonne répond que, par le décret en cause, elle n'a pas visé un effet non fiscal que ses compétences ne lui permettaient pas de poursuivre, mais que la taxe a inévitablement pour conséquence une modification dans le type de comportement des contribuables visés (cf. l'arrêt n° 18/97 de la Cour).

L'instauration de la taxe vise à inciter les propriétaires de biens immeubles destinés à l'habitation à affecter ceux-ci au logement, en sorte de réduire les cas d'inoccupation et de taudis, d'augmenter l'offre de logements et donc de contribuer à la mise en oeuvre du droit à un logement décent consacré par l'article 23 de la Constitution.

Selon le Gouvernement wallon, la taxe n'est pas un droit de douane intérieur et ne constitue pas une taxe d'effet équivalent. Elle n'est pas liée au franchissement de la limite territoriale de la Région et ne crée aucune entrave aux échanges interrégionaux.

Quant au deuxième moyen A.4.1.1. Le deuxième moyen des requérants, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, est divisé en deux branches.

Par la première branche, il est reproché au décret de prévoir que les propriétaires d'immeubles inoccupés bien entretenus visés à l'article 2, 4°, subiront la taxe au même titre que les propriétaires d'immeubles inoccupés et non entretenus. Les requérants donnent comme exemple les propriétaires d'immeubles en aménagement et transformation, de secondes résidences, de gîtes ruraux, d'immeubles donnés en location à des preneurs résidant à l'étranger mais désirant garder un pied-à-terre, d'immeubles inoccupés pour les réserver à des enfants deux ou trois ans plus tard et d'immeubles destinés à la vente ou à la location mais ne trouvant pas amateur. Ils invoquent à cet égard l'avis réservé du Conseil d'Etat qui critiquait le caractère disproportionné de la mesure.

A.4.1.2. En regard du but poursuivi, le Gouvernement wallon considère la mesure comme parfaitement adaptée, reposant sur un critère objectif et de nature à inciter les propriétaires des biens visés à affecter ceux-ci au logement. En n'opérant pas de distinction entre les immeubles inoccupés selon qu'ils sont ou non entretenus par le propriétaire, le législateur a visé à ne pas vider le décret de son contenu, à éviter de créer une insécurité juridique et à déjouer des spéculations diverses qui auraient résulté de l'exonération des propriétaires d'immeubles inoccupés mais entretenus. De même, il n'a pu tenir compte des circonstances indépendantes de la volonté des propriétaires, difficiles à cerner avec objectivité.

A.4.2.1. Par la deuxième branche, les requérants soutiennent que l'article 5, 1°, du décret, crée une discrimination injustifiée en accordant une exonération pour « les logements appartenant, donnés en gestion ou en location à une agence immobilière sociale agréée par la Région wallonne ou à une société de logement et ce, durant la période couverte par le contrat de gestion ou de location ». En outre, cette exonération porterait une grave atteinte à la liberté de commerce et d'entreprise puisque les propriétaires seraient encouragés à confier leurs immeubles à des sociétés agréées ou à des agences immobilières sociales et que l'exonération constituera donc un argument commercial pour ces sociétés de gestion par rapport aux sociétés de gestion immobilière privées.

A.4.2.2. Selon le Gouvernement wallon, cette branche du moyen est irrecevable, à défaut de mentionner les catégories de personnes comparées.

Si le moyen dénonce la différence entre les propriétaires privés et les opérateurs publics visés par la disposition, le moyen n'est pas fondé. Il s'agit en effet, selon le Gouvernement wallon, de catégories fondamentalement différentes, ces opérateurs publics poursuivant des missions légales de service public, contrôlées par les pouvoirs publics.

Quant au troisième moyen A.5.1. Par un troisième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, les requérants reprochent au décret de faire échapper à la taxe les propriétaires de logements publics ou privés laissés à l'abandon et/ou inoccupés, mais non affectés au logement, comme par exemple les immeubles privés affectés au commerce, à l'industrie et les immeubles publics, et ce alors que, de plus en plus, ce type d'immeubles est réaffecté en logement. Il est difficile, selon les requérants, de contrôler la véritable affectation d'un immeuble.

A.5.2. Pour ce qui concerne la différence de traitement entre les propriétaires de logements inoccupés, selon qu'ils sont privés ou publics, le Gouvernement wallon renvoie à sa réponse donnée à la deuxième branche du deuxième moyen. En ce qu'il dénonce la différence entre les propriétaires de bâtiments inoccupés, selon qu'ils sont destinés à l'habitation, au commerce ou à l'industrie, le moyen manquerait en droit. Le décret visant à inciter les propriétaires de biens immeubles destinés à l'habitation à affecter ceux-ci au logement, il ne pouvait pas s'appliquer aux bâtiments destinés au commerce et à l'industrie sous peine d'interférer dans la liberté de commerce et d'industrie. - B - Quant à l'intérêt de la première partie requérante B.1.1. Le Gouvernement wallon conteste l'intérêt de l'a.s.b.l.

Syndicat national des propriétaires, première partie requérante, au motif que cette association ne démontrerait pas en quoi le droit de propriété de nombreux de ses membres serait atteint.

B.1.2. Les statuts de la première partie requérante disposent notamment : « L'association a pour objet la défense du droit de propriété privée immobilière et mobilière [...]. Elle a pour objet également l'introduction devant les juridictions pénales, civiles et administratives [...] de toutes les actions en justice qui se justifieraient par la défense de son objet et des intérêts collectifs ou privés de ses membres [...] ».

Le décret attaqué établit une taxe annuelle sur les logements abandonnés et incite ainsi les propriétaires à affecter leurs immeubles au logement. Une telle mesure peut affecter directement et défavorablement l'exercice du droit de propriété.

L'exception est rejetée.

Quant à l'intérêt des deuxième et troisième parties requérantes B.2.1. Le Gouvernement wallon, se fondant sur le remplacement de l'article 2, 4°, (4°), du décret du 19 novembre 1998 par le décret du 6 mai 1999, considère que la taxe n'est plus applicable aux secondes résidences et qu'elle ne serait donc pas due par les deuxième et troisième requérants.

B.2.2. Il n'est pas contesté que ces requérants sont propriétaires de résidences secondaires inoccupées en Région wallonne; ils peuvent donc être soumis à la taxe litigieuse sur la base de l'article 2, 4°, (3°) et (4°), du décret attaqué. La modification de l'article 2, 4°, (4°), du décret par le décret du 6 mai 1999 maintient l'applicabilité de la taxe litigieuse aux logements pour lesquels aucune personne n'est inscrite dans les registres de la population pendant une période d'au moins douze mois consécutifs, lorsque le titulaire de droits réels n'a pas utilisé l'immeuble comme habitation ou comme « lieu d'exercice d'activités économiques, sociales ou autres ». De même, après le décret du 6 mai 1999, la taxe reste applicable, aux termes de l'article 2, 4° (3°), non modifié, du décret attaqué, lorsque la consommation d'eau ou d'électricité pendant au moins douze mois consécutifs est inférieure à la consommation minimale fixée par le Gouvernement, même s'il s'agit d'une résidence secondaire.

Il n'est donc pas exclu que les deuxième et troisième requérants soient soumis à la taxe litigieuse.

L'exception est rejetée.

Quant au premier moyen B.3.1. Par un premier moyen, fondé sur l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les requérants considèrent que la taxe litigieuse a un effet équivalent aux droits de douane, qu'elle constitue une entrave aux échanges interrégionaux et à la libre circulation des capitaux, qu'elle ne respecte donc pas le cadre général de l'union économique belge.

B.3.2. La notion de taxe d'effet équivalent à un droit de douane se définit comme « une charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique et frappant les marchandises nationales ou étrangères à raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, [...] alors même qu'elle ne serait pas perçue au profit de l'Etat, qu'elle n'exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur et que le produit imposé ne se trouverait pas en concurrence avec une production nationale » (Cour de justice des Communautés européennes, arrêts du 1er juillet 1969, affaire 24/68, Commission c.

Italie, Rec. 1969, p. 193, et affaires jointes 2 et 3/69, Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders c. S.A. Ch. Brachfeld & Sons et Chougol Diamond Co., Rec. 1969, p. 211; dans le même sens, arrêt du 7 juillet 1994, affaire C-130/93, Lamaire s.a. et Office national des débouchés agricoles et horticoles, Rec. 1994, I, 3215).

La taxe litigieuse vise, aux termes de l'article 1er du décret attaqué, les logements abandonnés, c'est-à-dire, selon l'article 2, 5°, du décret, les logements inachevés ou inoccupés. Elle ne porte pas sur une opération impliquant que des marchandises franchissent la limite territoriale de la Région wallonne.

B.3.3. L'article 56 (ancien article 73 B) du Traité C.E. interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre Etats membres; il s'applique notamment aux investissements immobiliers.

Le caractère inconditionnel de sa formulation a permis à la Cour de justice des Communautés européennes de lui reconnaître un effet direct (C.J.C.E., affaire C-163/94, 14 décembre 1995, Sanz de Lera).

Toutefois, l'article 56 doit être lu, comme l'indique l'arrêt précité, en combinaison avec les autres dispositions du chapitre IV, notamment l'article 58 (ancien article 73 D), qui reconnaît aux Etats membres le droit de maintenir certaines entraves à la libre circulation des mouvements de capitaux. Il en résulte, suivant le paragraphe 1er, la possibilité pour un Etat d'invoquer des motifs liés « à l'ordre public et à la sécurité publique », c'est-à-dire des exigences impératives d'intérêt général.

Outre ses objectifs fiscaux, le décret attaqué veut favoriser « la généralisation de la lutte contre les taudis », « l'amélioration de l'habitat » et la « relance du secteur de la construction » (Doc., Parlement wallon, 1997-1998, n° 415/1, p. 3). Il n'est pas contesté que ces objectifs concourent à la satisfaction de l'intérêt général.

Les mesures attaquées ne peuvent donc être considérées comme ayant pour effet de limiter de manière injustifiée la libre circulation des capitaux.

B.3.4. Le décret attaqué ne comporte aucune violation du cadre normatif général de l'union économique et monétaire, dans le respect duquel les régions doivent exercer leurs compétences, aux termes de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980.

B.3.5. Le premier moyen n'est pas fondé.

Quant à la première branche du deuxième moyen B.4.1. Par la première branche du deuxième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, il est reproché à l'article 2, 4°, du décret attaqué de prévoir que les propriétaires d'immeubles inoccupés bien entretenus visés par cette disposition subiront la taxe au même titre que les propriétaires d'immeubles inoccupés et non entretenus.

B.4.2.1. Il résulte de la combinaison des articles 1er et 2, 5°, que le décret attaqué établit une taxe annuelle portant notamment sur les logements inoccupés. L'article 2, 4°, définit les cas dans lesquels un logement doit être considéré comme inoccupé, sans distinguer selon que ce logement est entretenu ou non.

B.4.2.2. Il ressort des travaux préparatoires que le décret attaqué a été adopté conjointement avec d'autres décrets mettant en oeuvre l'autonomie fiscale des régions inscrite à l'article 170, § 2, de la Constitution, dans le cadre d'une « harmonisation du champ fiscal des différents pouvoirs » (Doc., Parlement wallon, 1997-1998, n° 413/2, p. 5, auquel il est renvoyé dans Doc., Parlement wallon, 1997-1998, n° 415/8, p. 3), c'est-à-dire de l'adoption de taxes applicables de manière uniforme sur l'ensemble du territoire de la Région wallonne à des matières faisant généralement l'objet d'une fiscalité disparate au sein des communes (Doc., Parlement wallon, 1997-1998, n° 413/2, p. 3).

B.4.2.3. Le décret attaqué se propose comme objectifs « la généralisation de la lutte contre les taudis » et l'« amélioration de l'habitat », outre le fait que « cette mesure est de nature à favoriser une relance du secteur de la construction » (Doc., Parlement wallon, 1997-1998, n° 415/1, p. 3; n° 413/2, p. 4). En ce que la taxe litigieuse frappe tant les immeubles inoccupés entretenus que les immeubles inoccupés non entretenus, le but invoqué consiste à « mobiliser les espaces disponibles afin de garantir le droit au logement » (Doc., Parlement wallon, 1997-1998, n° 413/2, p. 4).

B.4.2.4. En énonçant à l'article 2, 4°, du décret les quatre cas dans lesquels un logement doit être considéré comme inoccupé, le législateur a visé des situations dans lesquelles des propriétaires ou d'autres titulaires de droits réels de jouissance sur des immeubles inoccupés contribuent au maintien de taudis en Région wallonne.

L'objectif d'amélioration de l'habitat est, dans cette mesure, atteint par cet article.

B.4.2.5. Appliquée de manière égale aux habitations, bien entretenues ou non, la mesure est en rapport avec l'objectif de lutte contre l'inoccupation. Compte tenu de l'obligation faite, par l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution, aux législateurs, notamment au législateur régional, de garantir le droit à un logement décent et compte tenu des compétences régionales en la matière, qui résultent de l'article 134 de la Constitution et de l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980, il est en rapport avec cet objectif de lever la taxe litigieuse.

B.4.2.6. Toutefois, lorsque les situations visées sont celles de personnes ayant un droit de propriété ou d'autres droits réels sur des immeubles inoccupés et bien entretenus dont le logement est inoccupé pour des raisons indépendantes de leur volonté, la mesure est disproportionnée à cet objectif. Certes le législateur fiscal peut prendre des mesures à caractère général et il est nécessairement amené à n'appréhender la réalité qu'avec un certain degré d'approximation.

Mais ces contraintes, qui ne l'empêchent pas par ailleurs d'accorder des exonérations telles que celles prévues par l'article 5, ne peuvent l'autoriser à adopter des mesures à ce point disproportionnées.

B.4.2.7. Les dispositions de l'article 2, 4°, (3°) et (4°), violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elles atteignent des personnes dont le logement est inoccupé pour des raisons indépendantes de leur volonté.

Quant à la deuxième branche du deuxième moyen B.5.1. Par la deuxième branche du deuxième moyen, dirigé contre l'article 5, 1°, du décret attaqué et pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, les requérants soutiennent que cette disposition crée une discrimination en accordant une exonération pour « les logements appartenant, donnés en gestion ou en location à une agence immobilière sociale agréée par la Région wallonne ou à une société de logement et ce, durant la période couverte par le contrat de gestion ou de location ».

B.5.2. Par ce moyen, les requérants comparent la situation des propriétaires et des autres titulaires de droits réels sur les logements visés par l'article 5, 1°, du décret attaqué, et celle des propriétaires et des autres titulaires de droits réels de jouissance sur les autres logements. L'exception d'irrecevabilité de cette branche du moyen, soulevée par le Gouvernement wallon, selon lequel les personnes comparées ne seraient pas mentionnées, doit donc être rejetée.

B.5.3. Les agences immobilières sociales agréées par la Région wallonne, la Société régionale wallonne du logement et les sociétés immobilières de service public agréées par celle-ci, qui sont visées par l'exonération contenue à l'article 5, 1°, du décret, ont pour mission légale d'affecter à l'habitation les logements qui leur appartiennent ou qu'elles ont reçu en location ou en gestion.

L'autorité publique dispose de moyens spécifiques, prévus par les législations applicables à ces organismes, de contrôler la réalité de cette affectation. Il est donc justifié de les soustraire à la taxe litigieuse, celle-ci visant les propriétaires et autres titulaires de droits réels de jouissance à l'égard desquels la Région ne dispose pas des mêmes pouvoirs.

B.5.4. Les requérants font valoir que les propriétaires seraient encouragés à confier leurs immeubles à des sociétés agréées ou à des agences immobilières sociales et que l'exonération constituerait donc un argument commercial pour ces sociétés de gestion par rapport aux sociétés de gestion immobilière privées. Cette conjecture résulte d'une simple affirmation des requérants, qui n'en établissent pas à suffisance la probabilité. L'exonération apparaît en outre comme visant des situations marginales, qui ne sont pas de nature à établir le caractère discriminatoire de la mesure. Enfin, elle pourrait éventuellement causer un préjudice aux sociétés de gestion privée mais n'atteindrait qu'indirectement les requérants.

B.5.5. Le moyen, dans sa deuxième branche, n'est pas fondé.

Quant au troisième moyen B.6.1. Par un troisième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, les requérants reprochent au décret de faire échapper à la taxe les propriétaires de logements publics ou privés laissés à l'abandon et/ou inoccupés, mais non affectés au logement, comme par exemple les immeubles privés affectés au commerce, à l'industrie et les immeubles publics, et ce alors que, de plus en plus, ce type d'immeubles est réaffecté au logement. Il est difficile, selon les requérants, de contrôler la véritable affectation d'un immeuble.

B.6.2. En vertu de l'article 1er du décret attaqué, la taxe est applicable aux logements. L'article 2, 1°, donne à la notion de logement la définition suivante : « le bâtiment ou la partie de bâtiment structurellement destiné à l'habitation d'un ou de plusieurs ménages. Est assimilé à un logement, le bâtiment non affecté au logement, mais utilisable pour l'habitation d'une ou plusieurs personnes lorsqu'il répond aux conditions de confort minimum. [...] ».

Il se déduit de cette définition large que l'affectation première d'un immeuble à une activité autre que le logement, comme le commerce, l'industrie ou le service public, n'empêche pas l'application du décret à cet immeuble lorsqu'il est utilisable comme logement. La possibilité de cette utilisation fait l'objet d'un contrôle par les autorités chargées du recouvrement de la taxe, en vertu du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales directes, applicable à la taxe instaurée par le décret attaqué. Il n'appartient pas à la Cour d'apprécier l'éventuelle difficulté qu'il y aurait à effectuer ce contrôle, dès lors qu'il ne s'avère raisonnablement ni impossible ni exagérément difficile et qu'en outre toute omission, inexactitude ou fraude en la matière par les personnes concernées donne lieu aux mesures prévues par ledit décret, notamment la rectification de la déclaration, la taxation d'office et l'application de sanctions administratives.

B.6.3. Le moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour - annule l'article 2, 4°, (3°) et (4°), du décret de la Région wallonne du 19 novembre 1998 instaurant une taxe sur les logements abandonnés en Région wallonne en ce que ces dispositions réputent inoccupés, au sens du décret, des logements inoccupés pour des raisons indépendantes de la volonté du propriétaire ou du titulaire d'un droit réel sur ces logements; - rejette le recours pour le surplus.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 juin 2000 par le siège précité, dans lequel le juge H. Coremans est remplacé, pour le prononcé, par le juge M. Bossuyt, conformément à l'article 110 de la même loi.

Le greffier f.f., B. Renauld.

Le président, M. Melchior.

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