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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 27 mars 2001

Arrêt n° 36/2001 du 13 mars 2001 Numéro du rôle : 1858 En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 10 juin 1999 portant sur le parrainage de manifestations se déroulant sur des infrastructures appartenant à la Régio La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 36/2001 du 13 mars 2001 Numéro du rôle : 1858 En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 10 juin 1999 portant sur le parrainage de manifestations se déroulant sur des infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées par elle, introduit par le Gouvernement flamand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, A. Arts, M. Bossuyt et E. De Groot, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président G. De Baets, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 27 décembre 1999 et parvenue au greffe le 28 décembre 1999, le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles, a introduit un recours en annulation du décret de la Région wallonne du 10 juin 1999 portant sur le parrainage de manifestations se déroulant sur des infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées par elle (publié au Moniteur belge du 29 juin 1999, première édition).

II. La procédure Par ordonnance du 28 décembre 1999, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 4 février 2000.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 16 février 2000.

Le Gouvernement wallon, rue Mazy 25-27, 5100 Namur, a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 22 mars 2000.

Ce mémoire a été notifié conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettre recommandée à la poste le 17 août 2000.

Le Gouvernement flamand a introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 5 septembre 2000.

Par ordonnances des 31 mai 2000 et 29 novembre 2000, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 27 décembre 2000 et 27 juin 2001 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 21 décembre 2000, le président G. De Baets a soumis l'affaire à la Cour réunie en séance plénière.

Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 25 janvier 2001.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 22 décembre 2000.

A l'audience publique du 25 janvier 2001 : - ont comparu : . Me P. Van Orshoven, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement flamand; . Me C. Botteman et Me N. Brahy, avocats au barreau de Liège, pour le Gouvernement wallon; - les juges-rapporteurs E. De Groot et L. François ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. En droit - A - A.1. Le Gouvernement flamand soutient que le décret de la Région wallonne du 10 juin 1999 « portant sur le parrainage de manifestations se déroulant sur des infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées par elle » a pour objet de mettre hors vigueur, tout au moins temporairement et partiellement, la loi du 10 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/12/1997 pub. 11/02/1998 numac 1998022015 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi interdisant la publicité pour les produits du tabac fermer « interdisant la publicité pour les produits du tabac », afin de préserver l'organisation d'un certain nombre d'« événements sportifs » qui dépendraient financièrement de la publicité pour le tabac ou du parrainage par l'industrie du tabac, comme le Grand Prix annuel de Belgique de Formule 1 à Spa-Francorchamps. Ceci a pour effet de fausser la libre concurrence entre les organisateurs de tels événements dans les différentes régions, puisque la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale laissent intacte la loi fédérale.

A.2.1. Le moyen unique est pris de la violation des règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions, en particulier l'article 5, § 1er, I, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980.

A.2.2. Bien qu'en vertu de l'article 5, § 1er, I, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980, « L'éducation sanitaire, ainsi que les activités et services de médecine préventive, à l'exception des mesures prophylactiques nationales » relèvent de la politique de la santé et ressortissent donc à la compétence des communautés, le Gouvernement flamand déclare qu'il découle des travaux préparatoires de cette disposition que le législateur spécial a exclu de ce transfert de compétences la matière de la « réglementation en matière de denrées alimentaires » par laquelle il visait la loi du 24 janvier 1977 « relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits », loi qui, à l'époque de l'élaboration de la loi spéciale, incluait la réglementation relative au tabac et aux produits similaires. Selon le Gouvernement flamand, il résulte de ceci que le législateur fédéral est demeuré compétent pour réglementer la publicité comme le parrainage en rapport avec les produits du tabac et les produits qui y sont liés en raison de la marque utilisée. Puisque la publicité et le parrainage ont en commun le fait qu'ils visent à promouvoir, directement ou indirectement, la vente de produits du tabac, leur connexité ne saurait être contestée.

A.2.3. Le Gouvernement flamand considère que le décret attaqué rapporte l'interdiction, instaurée par la loi du 10 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/12/1997 pub. 11/02/1998 numac 1998022015 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi interdisant la publicité pour les produits du tabac fermer, de la publicité pour et du parrainage par les produits du tabac et les produits assimilés à ceux-ci. En effet, le décret autorise sans restriction le parrainage de manifestations se déroulant sur des infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées directement ou indirectement par elle, sans qu'une interdiction soit préalablement prévue, de sorte qu'il est bel et bien porté atteinte à l'interdiction fédérale. Plus particulièrement, sous la forme de dispositions transitoires, le parrainage des manifestations précitées qui a pour but de promouvoir le tabac ou un produit lié au tabac est autorisé jusqu'au 1er janvier 2004 (lire : jusqu'au 30 juillet 2003) et, pour des événements ayant un rayonnement international, jusqu'au 1er octobre 2006.

Le Gouvernement flamand conclut que le décret attaqué constitue une réglementation en matière de publicité pour le tabac et de parrainage par le tabac, qui est définie à l'article 1er du décret, alors que l'interdiction de parrainage par le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires ainsi que l'interdiction de la publicité pour ces produits relèvent de la compétence fédérale, de sorte que le décret attaqué est entaché d'excès de compétence. Le Gouvernement flamand renvoie sur ce point aux arrêts de la Cour n° 102/99 du 30 septembre 1999 et n° 6/92 du 5 février 1992.

A.3. Le Gouvernement wallon dresse, en préambule, un aperçu des différentes normes régissant la matière de la publicité pour et du parrainage par les produits du tabac en Région wallonne et fait référence à cette occasion à la directive 98/43/CE du 6 juillet 1998, à la loi du 10 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/12/1997 pub. 11/02/1998 numac 1998022015 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi interdisant la publicité pour les produits du tabac fermer annulée par la Cour, dans son arrêt n° 102/99 du 30 septembre 1999, « en tant qu'[elle] s'applique avant le 31 juillet 2003 aux événements et activités organisés au niveau mondial », et au décret attaqué, qui procède en deux étapes : tandis que l'article 2 autorise sans restriction « le parrainage de manifestations se déroulant sur les infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées directement ou indirectement par elle », l'article 3 n'accorde en principe cette autorisation que jusqu'au 30 juillet 2003 et, pour les événements organisés au niveau mondial, jusqu'au 1er octobre 2006, en ce qui concerne le parrainage visant directement ou indirectement la promotion du tabac ou d'un produit lié au tabac.

A.4.1. Le Gouvernement wallon met tout d'abord en avant la compétence d'attribution de la Région wallonne en matière de politique économique, visée à l'article 6, § 1er, VI, de la loi spéciale du 8 août 1980, compétence qui inclut aussi celle relative à l'expansion économique, et la compétence d'attribution en matière de politique de l'emploi, visée à l'article 6, § 1er, IX, de la loi spéciale du 8 août 1980. Il fait ensuite référence au principe d'autonomie, lequel implique que le législateur spécial a transféré l'ensemble de la politique relative aux matières attribuées. Le Gouvernement wallon estime que le décret attaqué a été adopté afin de préserver la santé économique et l'expansion économique de la Région wallonne, puisque ce décret a pour but de préserver l'organisation de certaines manifestations sportives ou autres organisées essentiellement via le parrainage de l'industrie du tabac (par exemple, le Grand Prix de Belgique de Formule 1) en autorisant à leur égard, jusqu'au 1er octobre 2006 au plus tard, le parrainage ayant pour but direct ou indirect de promouvoir un produit du tabac.

A.4.2. Le Gouvernement wallon estime qu'il a aussi respecté le principe de proportionnalité. Tout d'abord, les exceptions prévues par le décret à l'interdiction fédérale sont conformes aux délais prévus par la directive européenne précitée. En second lieu, il s'avère que la consommation de cigarettes n'a pas diminué depuis l'entrée en vigueur de l'interdiction fédérale de la publicité pour les produits du tabac, ce qui démontre la très faible influence de la publicité pour et du parrainage par un produit du tabac. Enfin, le Gouvernement wallon considère que seule une politique de prévention constituerait un moyen adéquat pour modifier le comportement des consommateurs à l'égard des produits du tabac. Le Gouvernement wallon estime dès lors qu'eu égard aux intérêts économiques en jeu, la Région wallonne n'a pas fait en l'espèce un usage abusif de ses propres compétences.

A.4.3. A titre subsidiaire, le Gouvernement wallon considère qu'il peut être fait application en l'espèce de la théorie des pouvoirs implicites. Compte tenu de l'importance économique de l'organisation sur le territoire de la Région wallonne de manifestations de niveau mondial organisées essentiellement via le concours de l'industrie du tabac, la Région wallonne peut, via le décret attaqué, adopter les mesures nécessaires à la sauvegarde de l'économie de toute la Région.

La matière se prête en outre à un règlement différencié puisque le décret attaqué concerne le parrainage de certaines activités ou manifestations, à savoir celles qui sont organisées ou non au niveau mondial et qui se déroulent sur une infrastructure appartenant à la Région wallonne ou subsidiée par celle-ci. L'incidence sur la compétence du législateur fédéral est par conséquent marginale.

A.5.1. A titre tout à fait subsidiaire et indépendamment de la question de la répartition de compétences en droit interne, le Gouvernement wallon se demande si la directive 98/43/CE de même que toute norme adoptée par un Etat membre de l'Union européenne en vue de transposer cette directive ne sont pas contraires aux articles 49 à 55 (anciens articles 59 à 66) du Traité instituant la Communauté européenne et à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

A.5.2. Le Gouvernement wallon soutient que les cigarettiers sont les utilisateurs des services de communications commerciales et sont aussi les destinataires des services de publicité prestés par les publicitaires. Les organisateurs d'événements culturels ou sportifs doivent également être considérés comme des « prestataires de services de spectacles, les spectateurs ou téléspectateurs en étant les destinataires, ces spectacles ne peuvant être effectivement organisés que grâce au parrainage de cigarettiers ». Ces prestations de services transfrontalières sont entravées par l'interdiction totale de la publicité pour et du parrainage par le tabac, ce qui est contraire à l'article 49 (ex 59) du Traité instituant la Communauté européenne.

Bien qu'une telle restriction soit inspirée par un but légitime, à savoir la santé publique, elle n'est pas adéquate, compte tenu de la très faible influence de la publicité pour et du parrainage par un produit du tabac sur l'usage du tabac par les consommateurs : seule une politique de prévention et d'information pourrait inciter les consommateurs à réduire leur consommation de tabac. Enfin, le Gouvernement wallon déclare qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne de justice que l'interdiction de commercialiser un produit est disproportionnée si un étiquetage adéquat peut suffire pour attirer l'attention du public sur les caractéristiques particulières du produit.

A.5.3. Le Gouvernement wallon souligne que la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme comprend aussi la liberté de faire de la publicité commerciale et que les législations précitées portent atteinte à la liberté d'expression, puisqu'elles entendent empêcher à terme toute forme de publicité pour et le parrainage par un produit du tabac. Compte tenu de son inefficacité, une telle interdiction ne peut atteindre l'objectif fixé, à savoir de préserver la santé publique.

A.5.4. Le Gouvernement wallon aboutit à la conclusion qu'une question préjudicielle doit être posée à la Cour de justice des Communautés européennes sur la conformité du droit dérivé communautaire au droit communautaire primaire et que, compte tenu de l'article 234 (ex 177) du Traité instituant la Communauté européenne, la Cour est tenue de poser cette question, sauf dans l'hypothèse où elle considérerait celle-ci comme non pertinente, ce qui ne saurait être le cas en l'espèce puisque la directive 98/43/CE fait déjà l'objet d'un recours devant la Cour de justice. Le Gouvernement wallon formule cette question comme suit : « La directive n° 98/43 du 6 juillet 1998 du Parlement Européen et du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac, ainsi que les législations adoptées par les différents Etats membres de l'Union européenne aux fins d'intégrer le contenu de cette directive en droit interne, en ce qu'elles interdisent à terme toute forme de publicité et de parrainage par un produit du tabac au sein de l'Union Européenne, violent-elles les articles 49 à 55 (anciens articles 59 à 66) du Traité de Rome du 25 mars 1957 et 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ? ».

A.6.1. Le Gouvernement flamand répond que la seule question de droit qui est à l'ordre du jour dans la requête concerne les règles répartitrices de compétences en matière de publicité pour et de parrainage par les produits du tabac et les produits qui y sont liés du fait de la marque utilisée. Le Gouvernement flamand considère que les arguments du Gouvernement wallon sur ce point ont déjà été réfutés dans la jurisprudence de la Cour et que la compétence des régions en matière d'économie et d'emploi ne peut avoir pour effet qu'une loi fédérale soit mise hors vigueur. Dans ce dernier cas, il est tout au moins porté atteinte au principe de proportionnalité.

A.6.2. Les arguments supplémentaires du Gouvernement wallon concernant la libre prestation de services dans l'Union européenne et la liberté d'expression sont, selon le Gouvernement flamand, dénués de pertinence en l'espèce, compte tenu du moyen unique invoqué, et ne sauraient par ailleurs avoir pour effet qu'un législateur incompétent devienne compétent et puisse intervenir dans un domaine qui relève d'un autre législateur. - B - B.1. La partie requérante demande l'annulation du décret de la Région wallonne du 10 juin 1999 portant sur le parrainage de manifestations se déroulant sur les infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées par elle. Ce décret autorise sans restriction le parrainage de manifestations se déroulant sur les infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées directement ou indirectement par elle (article 2). L'article 1er définit la notion de parrainage. Le parrainage de telles manifestations, qui a pour but ou pour effet direct ou indirect de promouvoir un produit du tabac, est autorisé jusqu'au 30 juillet 2003 et jusqu'au 1er octobre 2006 en ce qui concerne les activités ou événements organisés au niveau mondial (article 3), à la condition que les organisateurs puissent démontrer que le parrainage par un produit lié au tabac est essentiel pour la viabilité de leur manifestation et que celle-ci a des répercussions positives sur l'économie locale, sur les recettes des taxes communales ou régionales escomptées, sur l'attrait touristique de la région et de la localité concernées ou sur les activités du secteur Horeca (article 4, alinéa 1er). Les organisateurs d'événements organisés au niveau mondial doivent en outre pouvoir démontrer que les montants issus de ce parrainage sont en diminution d'année en année et qu'ils mettent en place des mesures volontaires de limitation de la visibilité du produit, pendant la période transitoire précitée (article 4, alinéa 2). L'article 5 dispose que le décret entre en vigueur le 1er janvier 1999.

B.2. Dans un moyen unique, le Gouvernement flamand affirme qu'étant donné que le décret attaqué rapporte l'interdiction de la publicité pour et du parrainage par les produits du tabac et les produits assimilés à ceux-ci, instaurée par la loi du 10 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/12/1997 pub. 11/02/1998 numac 1998022015 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi interdisant la publicité pour les produits du tabac fermer, les règles répartitrices de compétences, en particulier celle inscrite à l'article 5, § 1er, I, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980, sont violées : en effet, il ressort des travaux préparatoires de cette disposition que « la réglementation en matière de denrées alimentaires », qui comprend la réglementation pour le tabac et les produits assimilés à ceux-ci, est demeurée de la compétence du législateur fédéral.

Selon le Gouvernement wallon, le décret attaqué est fondé sur les compétences attribuées à la Région wallonne en matière de politique économique et d'emploi, visées à l'article 6, § 1er, VI et IX, de la loi spéciale du 8 août 1980. En ordre subsidiaire, le Gouvernement wallon affirme que l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 peut être invoqué.

B.3. Il ressort des travaux préparatoires du décret attaqué que celui-ci a été adopté afin d'atténuer l'interdiction fédérale de la publicité pour et du parrainage par des produits du tabac, instaurée par la loi du 10 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/12/1997 pub. 11/02/1998 numac 1998022015 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi interdisant la publicité pour les produits du tabac fermer « interdisant la publicité pour les produits du tabac », entrée en vigueur le 1er janvier 1999, parce qu'il était considéré qu'une telle interdiction « met gravement en péril le maintien d'une activité économique relativement importante dans les Régions concernées, aussi bien du côté wallon que du côté flamand. » (Doc., Parlement wallon, 1997-1998, n° 346/3, p. 3). « A ce titre, afin de permettre aux nombreux organisateurs wallons de solliciter d'autres types de parrainage pour assurer la viabilité de leurs organisations, il est proposé de mettre en place des dispositions transitoires reprises d'une directive européenne en préparation et qui permettent d'aller graduellement dans le temps vers la disparition de tout parrainage lié aux tabac dans le cadre de ces manifestations. Ainsi, le secteur touristique et économique intimement lié à la tenue de ces événements ou de ces manifestations ne sera pas mis en danger par une application aveugle et brutale d'une mesure linéaire d'interdiction, mettant en péril des manifestations renforçant l'image, l'attrait et la reconnaissance de la Wallonie à l'égard du monde extérieur et des Wallons eux-mêmes. » (Doc., Parlement wallon, 1997-1998, n° 346/1, p. 2) Le décret attaqué vise donc, en substance, à prévoir une période transitoire pour l'entrée en vigueur de l'interdiction fédérale du parrainage par des produits du tabac, prévue à l'article 3 de la loi du 10 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/12/1997 pub. 11/02/1998 numac 1998022015 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi interdisant la publicité pour les produits du tabac fermer, en sorte que cette interdiction est reportée au 30 juillet 2003 et au 1er octobre 2006 pour les événements organisés au niveau mondial.

B.4.1. Aux termes de l'article 5, § 1er, I, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980, figurent parmi les matières personnalisables, au titre de la politique de santé : « 2° l'éducation sanitaire ainsi que les activités et services de médecine préventive, à l'exception des mesures prophylactiques nationales. » Il ressort des travaux préparatoires de cette loi spéciale (Doc. parl, Sénat, 1979-1980, n° 434-2, pp. 124-125; Chambre, 1979-1980, n° 627-10, p. 52) que le législateur spécial, « pour des raisons de sauvegarde de l'union économique et de l'unité monétaire et de protection de la santé publique » (Doc. parl., Sénat, 1992-1993, n° 558-1, p. 23), a notamment exclu du transfert de compétence réalisé par la disposition précitée la matière de la « réglementation relative aux denrées alimentaires ». Cette appellation désignait l'objet de la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits. Cette loi incluait, à l'époque de l'élaboration de la loi spéciale, la réglementation de la publicité pour le tabac et les produits similaires. Il s'ensuit que le législateur fédéral est demeuré compétent pour réglementer la publicité concernant les produits du tabac et ceux qui y sont liés du fait de la marque utilisée.

B.4.2. Cette réserve de compétence s'étend également à la réglementation du parrainage par des produits du tabac.

La publicité et le parrainage ont en commun de tendre à promouvoir directement ou indirectement la vente des produits du tabac, de telle sorte que la connexité de ces mesures n'est pas contestable.

B.4.3. Il découle de ce qui précède que l'interdiction du parrainage par le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires, comme l'interdiction de la publicité relative à ces produits et à ceux de marques liées auxdits produits relèvent de la compétence fédérale, même lorsque ces interdictions affectent des manifestations se déroulant sur des infrastructures appartenant à une région ou subsidiées directement ou indirectement par celle-ci.

B.5. Le fait qu'une telle interdiction, compte tenu de ses effets économiques au niveau local et de la perte d'emplois qui en résulte inévitablement, a une influence sur des matières qui relèvent de la compétence des régions, n'empêche pas qu'il s'agit d'une matière relevant de la compétence du législateur fédéral, l'interdiction en cause ne rendant pas impossible ou exagérément difficile l'exercice des compétences régionales.

B.6.1. En vertu de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, les décrets peuvent porter des dispositions relatives à des matières pour lesquelles ce n'est pas le législateur décrétal mais le législateur fédéral qui est en principe compétent, soit en vertu d'une réserve expresse formulée dans cette loi, soit sur la base de sa compétence résiduaire. Il est requis à cette fin que la réglementation adoptée soit nécessaire à l'exercice des compétences de la région, que la matière se prête à un régime différencié et que l'incidence des dispositions en cause sur cette matière ne soit que marginale.

B.6.2. Les régions, qui détiennent la plénitude de compétence dans les matières économiques, lesquelles comprennent en tout cas la politique d'expansion économique, doivent lors de l'exercice de ces compétences tenir compte des pouvoirs réservés au législateur fédéral. Si chaque région devait prendre séparément des mesures dont le but est de moduler la matière du parrainage par le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires, aussi bien que la publicité se rapportant à ces produits et aux produits de marques liées à ceux-ci, il en résulterait que l'interdiction instaurée à cet égard par l'Etat fédéral serait appliquée différemment dans les différentes régions, ce qui serait contraire à l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980. En effet, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires, le législateur spécial, « pour des raisons de sauvegarde de l'union économique et de l'unité monétaire et de protection de la santé publique » (Doc. parl., Sénat, 1992-1993, n° 558-1, p. 23), n'a pas voulu que la réglementation des produits concernés soit partagée entre différentes autorités.

La matière concernée ne se prête donc pas à un règlement différencié, de sorte qu'il n'est pas satisfait aux conditions d'application de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.

B.7. Compte tenu de ce que les arguments formulés par le Gouvernement wallon en ce qui concerne la libre prestation de services dans l'Union européenne et la liberté d'expression n'ont aucun rapport avec les règles qui répartissent les compétences entre diverses autorités au sein d'un même ordre juridique étatique, il n'y a pas lieu de poser à la Cour de justice des Communautés européennes la question suggérée par le Gouvernement wallon.

La Cour observe du reste que la directive 98/43/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 « concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac » a été annulée par un arrêt de la Cour de justice du 5 octobre 2000.

Par ces motifs, la Cour annule le décret de la Région wallonne du 10 juin 1999 portant sur le parrainage de manifestations se déroulant sur des infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées par elle.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 13 mars 2001 par le siège précité, dans lequel le juge M. Bossuyt est remplacé, pour le prononcé, par le juge L. Lavrysen, conformément à l'article 110 de la même loi.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, G. De Baets.

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