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Arrêt
publié le 08 mars 2001

Extrait de l'arrêt n° 138/2000 du 21 décembre 2000 Numéro du rôle : 1777 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 332, alinéa 4, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance d'Anvers. La Cour d'arbitrage, c après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par ju(...)

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08/03/2001
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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 138/2000 du 21 décembre 2000 Numéro du rôle : 1777 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 332, alinéa 4, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance d'Anvers.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, A. Arts, R. Henneuse, M. Bossuyt et E. De Groot, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président G. De Baets, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 20 septembre 1999 en cause de J. De Bouw contre L. Lagae et Me B. Van Reempts, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 28 septembre 1999, le Tribunal de première instance d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 332, alinéa 4, du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en tant que l'action en contestation de paternité doit être intentée par la mère dans l'année de la naissance et par le mari également dans l'année de la naissance ou de la découverte de celle-ci, alors que la mère a ou peut toujours avoir connaissance des circonstances de la conception et peut intenter l'action dans les délais et que le mari qui a connaissance de la naissance mais qui n'a pas connaissance des circonstances de la conception et qui n'arrive à savoir ou qui ne présume que sa paternité est contestable qu'après venue à échéance du délai d'un an, ne peut intenter l'action dans les délais ? » (...) IV. En droit (...) B.1. L'article 332 du Code civil règle l'action en contestation de paternité du mari, désigne de façon restrictive les personnes habilitées à contester cette paternité et fixe les délais dans lesquels l'action doit être intentée.

B.2. La question préjudicielle porte sur l'article 332, alinéa 4, qui dispose : « L'action de la mère doit être intentée dans l'année de la naissance et celle du mari ou du précédent mari dans l'année de la naissance ou de la découverte de celle-ci. » B.3. Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'elle accorde, pour intenter l'action en contestation de paternité, des délais similaires à la mère (un an à compter de la naissance) et au mari (un an à compter de la naissance ou de la découverte de celle-ci), alors que la mère a ou peut toujours avoir connaissance des circonstances de la conception et peut intenter l'action dans les délais et que le conjoint qui a connaissance de la naissance mais qui n'a pas connaissance des circonstances de la conception et qui n'arrive à savoir ou qui ne présume que sa paternité est contestable qu'après l'échéance du délai d'un an, ne peut intenter l'action dans les délais.

B.4. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s'opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5. La loi du 31 mars 1987 a modifié, comme son intitulé l'indique, diverses dispositions légales relatives à la filiation; en particulier, son chapitre V a inséré un nouveau titre VII dans le livre Ier du Code civil, intitulé « De la filiation », dont fait partie la disposition citée ci-dessus.

Selon l'exposé des motifs, un des objectifs de la loi du 31 mars 1987 était de « cerner le plus près possible la vérité », c'est-à-dire la filiation biologique (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 305, 1, p. 3).

S'agissant de l'établissement de la filiation paternelle, il a été indiqué que « la volonté de régler l'établissement de la filiation en cernant le plus possible la vérité [devait] avoir pour conséquence d'ouvrir largement les possibilités de contestation » (ibid., p. 12).

Toutefois, il ressort des mêmes travaux préparatoires que le législateur a également entendu prendre en considération et protéger « la paix des familles », en tempérant si nécessaire à cette fin la recherche de la vérité biologique (ibid., p. 15). Il a choisi de ne pas s'écarter de l'adage « pater is est quem nuptiae demonstrant » (ibid., p. 11).

En fixant le délai d'introduction de l'action en contestation de paternité, le législateur a considéré que les intérêts de l'enfant devaient être prioritaires et qu'il était « inadmissible qu'un désaveu de paternité soit encore possible après un certain délai, c'est-à-dire après le moment à partir duquel on peut raisonnablement considérer qu'il y a possession d'état » (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904-2, p. 115).Il a donc voulu limiter ce délai à la période durant laquelle l'enfant n'a pas encore conscience de la signification de la paternité et il a entendu éviter que l'état de l'enfant né dans le mariage reste trop longtemps incertain.

B.6. Compte tenu de ces objectifs, la recevabilité de l'action en contestation de paternité a été soumise à un délai strict qui est sensiblement plus court que les délais de droit commun applicables aux actions relatives à la filiation, fixés par l'article 331 du Code civil. Ce délai est en outre un délai de forclusion.

Il ressort également des travaux préparatoires que le législateur a sciemment voulu exclure toute possibilité de prorogation du délai, le cas de force majeure excepté, parce que « toute prorogation de délai correspondra en fait à une absence de délai » (ibid., p. 113). Le législateur entendait donc que la paternité de fait primât la paternité biologique (ibid., p. 114).

B.7. Le législateur a pu estimer que l'homme, en se mariant, accepte d'être considéré, en principe, comme le père de tout enfant que sa femme aura.Compte tenu des préoccupations du législateur et des valeurs qu'il a voulu concilier, il n'apparaît pas comme déraisonnable, en principe, qu'il n'ait voulu accorder au mari qu'un court délai pour intenter l'action en contestation de paternité.

Des cas peuvent toutefois exister dans lesquels le conjoint n'a connaissance des faits qui démontrent l'absence d'un lien génétique entre lui et l'enfant né de sa femme qu'après l'écoulement du délai fixé par l'article 332, alinéa 4, du Code civil. La situation du mari diffère, à cet égard, de celle de la mère, qui a ou peut toujours avoir connaissance des circonstances de la conception.

B.8. L'écoulement du délai de forclusion fixé par l'article 332, alinéa 4, du Code civil empêche le mari de contester sa paternité.

Il appartient au législateur d'apprécier si et dans quelle mesure il y a lieu, compte tenu notamment de l'intérêt de l'enfant, de soumettre l'action en contestation de paternité à des délais de forclusion stricts.

L'article 3, paragraphe 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, approuvée notamment par la loi du 25 novembre 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/11/1991 pub. 29/11/2018 numac 2018014673 source service public federal interieur Loi portant approbation de la Convention relative aux droits de l'enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, prescrit que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt de l'enfant doit être une considération primordiale.

Compte tenu de cet objectif, il n'apparaît pas déraisonnable de donner la priorité à la paternité légale plutôt qu'à la paternité biologique et de rendre une action en contestation de paternité impossible, dans l'intérêt de l'enfant, dès lors que celui-ci peut prendre conscience de la paternité et qu'il peut être raisonnablement admis qu'il y a possession d'état à l'égard du père, avec le consentement de la mère, qui n'a pas exercé son droit personnel de contester cette paternité.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 332, alinéa 4, du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il dispose que le mari doit intenter l'action en contestation de paternité dans l'année de la naissance ou de la découverte de celle-ci.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 21 décembre 2000.

Le greffier, Le président, L. Potoms. G. De Baets.

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