Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 01 septembre 2015

Extrait de l'arrêt n° 102/2015 du 2 juillet 2015 Numéro du rôle : 6184 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance d'Anvers, division Anvers.

source
cour constitutionnelle
numac
2015203831
pub.
01/09/2015
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 102/2015 du 2 juillet 2015 Numéro du rôle : 6184 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance d'Anvers, division Anvers.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 23 mars 2015 en cause de C.N. contre O.V., en présence de N. V.D.M., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 avril 2015, le Tribunal de première instance d'Anvers, division Anvers, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 329bis, § 2, alinéa 3, in fine, du Code civil viole-t-il l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution en ce que cet article dispose que le tribunal peut refuser la reconnaissance si elle est ' manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant ', dans l'interprétation selon laquelle il n'autorise le juge qu'à opérer un contrôle marginal de l'intérêt de l'enfant ? ».

Le 28 avril 2015, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs E. Derycke et P. Nihoul ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 329bis, § 2, du Code civil dispose : « § 2. Si l'enfant est mineur non émancipé, la reconnaissance n'est recevable que moyennant le consentement préalable du parent à l'égard duquel la filiation est établie, ou de la mère si la reconnaissance est faite avant la naissance de l'enfant.

Est en outre requis, le consentement préalable de l'enfant s'il a douze ans accomplis. Ce consentement n'est pas requis de l'enfant dont le tribunal estime, en raison d'éléments de fait constatés par procès-verbal motivé, qu'il est privé de discernement.

A défaut de ces consentements, le candidat à la reconnaissance cite les personnes dont le consentement est requis devant le tribunal. Les parties sont entendues en chambre du conseil. Le tribunal tente de les concilier. S'il concilie les parties, le tribunal reçoit les consentements nécessaires. A défaut de conciliation, la demande est rejetée s'il est prouvé que le demandeur n'est pas le père ou la mère biologique. Lorsque la demande concerne un enfant âgé d'un an ou plus au moment de l'introduction de la demande, le tribunal peut en outre refuser la reconnaissance si elle est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant.

Si une action publique est intentée contre le candidat à la reconnaissance, du chef d'un fait visé à l'article 375 du Code pénal, commis sur la personne de la mère pendant la période légale de conception, la reconnaissance ne peut avoir lieu et le délai d'un an visé à l'alinéa 4 est suspendu jusqu'à ce que la décision sur l'action publique soit coulée en force de chose jugée. Si le candidat à la reconnaissance est reconnu coupable de ce chef, la reconnaissance ne peut avoir lieu et la demande d'autorisation de reconnaissance est rejetée ».

B.2. Le juge a quo demande si l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil est compatible avec l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle, lors de l'examen d'une demande de reconnaissance d'un enfant mineur non émancipé, l'intérêt de l'enfant ne peut être pris en compte par le juge que de façon marginale.

Le juge a quo déduit cette interprétation des mots « manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant » contenus dans la disposition en cause.

B.3. L'article 22bis de la Constitution dispose : « Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.

Chaque enfant a le droit de s'exprimer sur toute question qui le concerne; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement.

Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement.

Dans toute décision qui le concerne, l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent ces droits de l'enfant ».

B.4.1. L'alinéa 4 de cette disposition, qui se réfère à l'intérêt de l'enfant, est issu, comme les alinéas 2, 3 et 5, de la révision constitutionnelle du 22 décembre 2008 qui visait à étendre la reconnaissance constitutionnelle des droits de l'enfant à ce qui constitue l'essence de la Convention relative aux droits de l'enfant (Doc. parl., Sénat, 2004-2005, n° 3-265/3, p. 41).

B.4.2. L'article 3.1 de cette Convention dispose : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».

B.4.3. Tant l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l'article 3.1 de la Convention relative aux droits de l'enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant.

L'article 22bis, alinéa 5, de la Constitution donne par ailleurs au législateur compétent la mission de garantir que l'intérêt de l'enfant soit pris en considération de manière primordiale.

B.5.1. L'article 329bis a été inséré dans le Code civil par la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci fermer modifiant les dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci.

Les travaux préparatoires de cette loi font apparaître que le législateur a cherché à créer des parallélismes, sinon une uniformité, dans le mode d'établissement des différents types de filiation, tantôt en ce qui concerne les conditions de la reconnaissance et celles de l'action en recherche de paternité et de maternité (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/3 p. 16), tantôt en ce qui concerne les actions en recherche de maternité et celles en recherche de paternité (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/024, p. 67).

La formulation retenue, permettant au tribunal de refuser la reconnaissance si celle-ci est « manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant », est aussi celle qui fut retenue pour l'article 329bis, § 3, alinéa 5, et pour l'article 332quinquies, § 2, du Code civil.

B.5.2. Dans la proposition de loi initiale, l'article 332quinquies prévoyait que le tribunal décide en tenant compte de l'intérêt de l'enfant : « Les actions en recherche de maternité ou de paternité sont rejetées si l'enfant majeur ou mineur émancipé s'y oppose. Si le refus émane d'un enfant mineur non émancipé qui a 12 ans accomplis, ou de celui des auteurs de l'enfant dont la filiation est établie, le tribunal décide, en tenant compte de l'intérêt de l'enfant, si la filiation peut être établie. En toute hypothèse, le tribunal rejette la demande s'il est prouvé que celui ou celle dont la filiation est recherchée n'est pas le père ou la mère biologique de l'enfant » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0597/001, p. 18, et 2004-2005, DOC 51-0597/024, p. 68).

Cette formulation fut écartée au terme des observations suivantes : « Dans l'hypothèse D [celle de l'article 332quinquies], le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation plus large que dans les hypothèses A-C [celles des autres dispositions visées ci-dessus], où il n'a qu'un droit de contrôle marginal (' manifestement contraire '), alors que dans l'hypothèse D, il décide ' en tenant compte de l'intérêt de l'enfant '. Pour éviter d'éventuelles discriminations, il est préférable de rationaliser la procédure et de ne prévoir, ici aussi, qu'un contrôle marginal » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/032, p. 85).

A l'occasion de la discussion portant sur l'article 329bis, l'intérêt de l'enfant et le contrôle marginal exercé par le juge firent l'objet des observations suivantes : « La prise en compte de l'intérêt de l'enfant doit être toujours possible, ou ne jamais l'être. En outre, cette possibilité doit évidemment être identique dans les articles 329bis et 332quinquies.

Quoi qu'il en soit, il est préférable que cette possibilité de prendre en compte l'intérêt de l'enfant soit marginale si l'on consacre la réalité biologique.

Dans son arrêt le plus récent en la matière, la Cour d'arbitrage a clairement estimé que la prise en compte de l'intérêt de l'enfant mineur devrait être toujours possible (arrêt n° 66/2003), revenant ainsi sur la jurisprudence antérieure.

Cet arrêt s'inscrit en outre dans le droit fil de la jurisprudence européenne. La Cour européenne des droits de l'homme a estimé que la reconnaissance paternelle peut être refusée dans l'intérêt de l'enfant, bien que l'existence du lien biologique ne soit pas contestée (CEDH, arrêt Yousef c. Pays-Bas du 5 novembre 2002).

Cela ne signifie pas pour autant que la règle selon laquelle la prise en compte de l'intérêt de l'enfant n'est jamais possible serait contraire à notre Constitution ou à l'article 8 de la CEDH. L'orateur renvoie du reste à la proposition de loi n° 0209/001, bien qu'elle n'ait trait, à tort, qu'à la reconnaissance de la paternité et non à l'établissement de celle-ci par voie judiciaire.

L'intervenant est d'avis qu'en ce qui concerne la filiation initiale, la vérité biologique peut prévaloir, de sorte qu'il n'est jamais nécessaire de prendre en compte l'intérêt de l'enfant.

Lorsque l'établissement de la filiation avec le parent biologique est susceptible de nuire à l'enfant, le fonctionnement peut en être exclu, par exemple, par le biais d'une déchéance de l'autorité parentale.

Lorsque l'établissement de la filiation avec un parent non biologique serait souhaitable pour l'enfant, l'adoption constitue une solution efficace » (ibid., DOC 51-0597/024, p. 119).

Il fut encore affirmé que le mot « manifestement » était introduit à l'article 329bis, § 2, parce qu'il était nécessaire que le contrôle reste marginal, afin de « prendre uniquement en compte le danger grave pour l'enfant » (ibid., p. 57).

B.5.3. Il s'ensuit que l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil impose au juge un contrôle marginal de l'intérêt de l'enfant, celui-ci n'étant pris en compte que lorsqu'il est gravement atteint.

B.6. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, doit permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis.

B.7. La Cour européenne des droits de l'homme a par ailleurs précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, l'intérêt de l'enfant revêt une importance particulière.

Elle a ainsi jugé : « La Cour réaffirme que lorsque sont en jeu les droits garantis aux parents par l'article 8 et ceux d'un enfant, les cours et tribunaux doivent attacher la plus grande importance aux droits de l'enfant.

Lorsqu'une mise en balance des intérêts s'impose, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l'enfant » (CEDH, 5 novembre 2002, Yousef c.

Pays-Bas, § 73).

Elle a ajouté : - qu'il faut tenir compte « notamment des intérêts supérieurs de l'enfant » et que « l'intérêt de l'enfant doit primer dans ce genre d'affaires » (CEDH, 26 juin 2003, Maire c. Portugal, §§ 71 et 77); - qu'une « importance particulière » doit être attachée à l'intérêt supérieur de l'enfant « qui, selon sa nature et sa gravité, peut l'emporter sur celui des parents » (8 juillet 2003, Sommerfeld c.

Allemagne, § 64); - « qu'il existe actuellement un large consensus - y compris en droit international - autour de l'idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (voir, ci-dessus, les multiples références citées dans les paragraphes 49-56) » (CEDH, 6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, § 135); - « L'examen de ce qui sert au mieux l'intérêt de l'enfant concerné est toujours d'une importance prépondérante dans toute affaire de cette sorte; selon sa nature et sa gravité, l'intérêt supérieur de l'enfant peut l'emporter sur celui des parents (voir Sommerfeld, cité ci-dessus, § 66, et Görgülü c. Allemagne, n° 74969/01, § 43, 26 février 2004) » (CEDH, 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 63).

Par ailleurs, « d'après les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour, là où l'existence d'un lien familial avec un enfant se trouve établie, l'Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et accorder une protection juridique rendant possible l'intégration de l'enfant dans sa famille » (CEDH, 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, § 119).

B.8. Comme il a été relevé en B.4.3, tant l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l'article 3.1 de la Convention relative aux droits de l'enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant, ce qui englobe les procédures relatives à l'établissement de la filiation.

B.9. Si l'intérêt de l'enfant revêt un caractère primordial, il n'a pas pour autant un caractère absolu. Dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, l'intérêt de l'enfant occupe une place particulière du fait qu'il représente la partie faible dans la relation familiale. Cette place particulière ne permet pas pour autant de ne pas prendre également en compte les intérêts des autres parties en présence.

B.10. En disposant que le tribunal peut refuser la reconnaissance si elle est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant, l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil n'autorise néanmoins le juge qu'à opérer un contrôle marginal de l'intérêt de l'enfant, qui est incompatible avec l'exigence de l'article 22bis de la Constitution, combiné avec l'article 3.1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, d'accorder, dans la balance des intérêts en présence, une place prépondérante à l'intérêt de l'enfant.

B.11. Compte tenu de ce qui est dit en B.9, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En disposant que le tribunal ne peut refuser la reconnaissance que si elle est « manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant », l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil, interprété en ce sens qu'il n'autorise le tribunal qu'à opérer un contrôle marginal de l'intérêt de l'enfant, viole l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 2 juillet 2015.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

^