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Arrêt
publié le 09 août 2016

Extrait de l'arrêt n° 87/2016 du 2 juin 2016 Numéro du rôle : 6202 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 318 du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Namur, division Namur. La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snapp(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 87/2016 du 2 juin 2016 Numéro du rôle : 6202 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 318 du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Namur, division Namur.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 6 mai 2015 en cause de K.F. contre P.P. et D.H., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 mai 2015, le Tribunal de première instance de Namur, division Namur, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 318 du Code civil, en ce qu'il prescrit que l'action de celui qui revendique la paternité de l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte qu'il est le père de l'enfant, ne viole-t-il pas les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, voire d'autres dispositions légales supranationales telles notamment la Convention européenne des droits de l'homme (en son article 8), en ce qu'il érige en fin de non-recevoir absolue l'action en contestation de paternité non intentée dans le délai légal, sans possibilité pour le juge saisi de pareille demande d'apprécier si, compte tenu des intérêts en présence (et singulièrement l'intérêt supérieur et primordial de l'enfant) et du comportement des parties, la vérité biologique ne doit pas coïncider avec la réalité socio-affective vécue par l'enfant concerné, dans une espèce où il n'a jamais existé et n'existe actuellement aucun lien généralement quelconque entre l'enfant et son père légal (l'enfant est né et a été élevé au sein d'une cellule familiale composée notamment de sa mère et de son père biologique, avant qu'ils ne se séparent), ce qui mène à entériner en fait une filiation erronée et purement artificielle et à reconnaître des droits limités au père biologique, cantonné à pouvoir seulement revendiquer un droit aux relations personnelles, alors qu'en réalité, il exerce un hébergement de l'enfant qu'il convient de qualifier de matériel quasiment exclusif (la mère le rencontrant via un espace-rencontres) et ' une autorité parentale ' (dont il ne dispose pas aux termes de la loi) particulièrement importante, l'enfant étant [de] surcroît privé de son identité véritable, dès lors qu'il porte un nom qui n'est pas celui de son père et qui ne correspond à aucune réalité généralement quelconque, ce qui est susceptible aussi de contrevenir à la Convention européenne des droits de l'homme ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Bien qu'elle vise l'article 318 du Code civil dans son intégralité, la question préjudicielle porte sur le paragraphe 2 de cet article. L'article 318, § § 1er et 2, dispose : « § 1er. A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard du mari, la présomption de paternité peut être contestée devant le tribunal de la famille par la mère, l'enfant, l'homme à l'égard duquel la filiation est établie, l'homme qui revendique la paternité de l'enfant et la femme qui revendique la comaternité de l'enfant. § 2. L'action de la mère doit être intentée dans l'année de la naissance. L'action du mari doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant, celle de celui qui revendique la paternité de l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte qu'il est le père de l'enfant et celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que le mari n'est pas son père. L'action de la femme qui revendique la comaternité doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'elle a consenti à la conception, conformément à l'article 7 de la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes, et que la conception peut en être la conséquence.

Si le mari est décédé sans avoir agi, mais étant encore dans le délai utile pour le faire, sa paternité peut être contestée, dans l'année de son décès ou de la naissance, par ses ascendants et par ses descendants.

La paternité établie en vertu de l'article 317 peut en outre être contestée par le précédent mari ».

B.1.2. La présomption de paternité a pour fondement l'article 315 du Code civil, qui dispose que l'enfant né pendant le mariage ou dans les 300 jours qui suivent la dissolution ou l'annulation du mariage a pour père le mari.

B.2.1. Dans la présente affaire, la Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 318, § 2, du Code civil avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'« il érige en fin de non-recevoir absolue l'action en contestation de paternité non intentée dans le délai légal, sans possibilité pour le juge saisi de pareille demande d'apprécier si, compte tenu des intérêts en présence (et singulièrement l'intérêt supérieur et primordial de l'enfant) et du comportement des parties, la vérité biologique ne doit pas coïncider avec la réalité socio-affective vécue par l'enfant concerné ».

B.2.2. Il ressort du libellé de la question préjudicielle et de la motivation de la décision de renvoi que le litige soumis au juge a quo porte sur une action en contestation de la présomption de paternité intentée par un homme qui revendique la paternité de l'enfant, que cet homme est le père biologique de l'enfant, que l'enfant n'a pas atteint l'âge de douze ans, qu'il n'a jamais eu de lien avec son père légal, qu'il est né et a été élevé au sein d'une cellule familiale composée de sa mère et de son père biologique et qu'il est actuellement hébergé de manière quasi exclusive par cet homme qui exerce sur lui « une autorité parentale » particulièrement importante.

La Cour limite son examen à cette hypothèse.

La détermination du moment où une personne découvre qu'elle est le père de l'enfant relève de la compétence du juge du fond, qui a, à cet égard, un pouvoir d'appréciation étendu.

B.3. La loi du 31 mars 1987 a, comme son intitulé l'indique, modifié diverses dispositions légales relatives à la filiation.

Selon l'exposé des motifs, un des objectifs de cette loi était de « cerner le plus près possible la vérité », c'est-à-dire la filiation biologique (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 305/1, p. 3). S'agissant de l'établissement de la filiation paternelle, il a été indiqué que « la volonté de régler l'établissement de la filiation en cernant le plus possible la vérité [devait] avoir pour conséquence d'ouvrir largement les possibilités de contestation » (ibid., p. 12).

Toutefois, il ressort des mêmes travaux préparatoires que le législateur a également entendu prendre en considération et protéger « la paix des familles », en tempérant si nécessaire à cette fin la recherche de la vérité biologique (ibid., p. 15). Il a choisi de ne pas s'écarter de l'adage « pater is est quem nuptiae demonstrant » (ibid., p. 11).

Cependant, la présomption de paternité ne pouvait être contestée à l'époque que par le mari, par la mère et par l'enfant, conformément à l'ancien article 332 du Code civil.

B.4.1. Le droit de la filiation a ensuite fait l'objet d'une profonde réforme par l'adoption de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci fermer modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci.

Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que le législateur a entendu procéder à une réforme des textes qui ont été censurés par la Cour en la matière et tenir compte de l'évolution sociologique en rapprochant la filiation dans le mariage et la filiation hors mariage : « La loi de 1987 a pratiquement gommé toutes les différences pour ce qui concerne les effets mais elle a conservé un mécanisme de présomption de paternité du mari qui aboutit à des conséquences choquantes pour ce qui concerne l'établissement de la filiation. [...] La présente proposition a donc également pour objet tout en conservant la présomption de paternité du mari de donner à celle-ci des effets à peu près équivalents à ceux d'une reconnaissance » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0597/001, p. 6). « Enfin, l'action doit être introduite dans un délai d'un an (à dater de la découverte de la naissance ou de l'année de la découverte du fait par le mari ou l'auteur de la reconnaissance qu'il n'est pas le père de l'enfant) » (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-0597/037, p. 5). B.4.2. A la suite de cette modification de la loi, la présomption de paternité peut actuellement être contestée par la mère, l'enfant, l'homme à l'égard duquel la filiation est établie et la personne qui revendique la paternité de l'enfant.

La situation du père biologique d'un enfant né d'une femme mariée, qui n'avait pas le droit de contester la paternité établie à l'égard du mari de cette femme, était au coeur des préoccupations du législateur.

Le père biologique était ainsi totalement dépendant de l'attitude adoptée par la mère. Les travaux préparatoires indiquent sur ce point : « Il s'agit de remédier à une situation considérée comme choquante par les auteurs de la proposition, qui empêche le père biologique d'un enfant né d'une femme mariée de contester la paternité du mari. Dans l'état actuel des textes, le père biologique est dépourvu de tout recours et tributaire de l'attitude de la mère » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/024, p. 59).

B.4.3.1. Une première proposition de loi prévoyait que la paternité établie sur la base de la présomption de paternité puisse être contestée « par tout intéressé », à l'instar de la contestation de la reconnaissance de paternité (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0597/001, p. 14, et Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/024, p. 59). Ces termes visaient en premier lieu le père biologique de l'enfant né d'une femme mariée (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0597/001, p. 10).

Cette proposition d'offrir à « tout intéressé » la possibilité de contester une paternité basée sur le mariage fut toutefois considérée comme déraisonnable : il était à craindre qu'elle perturbe par trop la paix familiale au sein du couple marié (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/024, p. 61).

B.4.3.2. Il fut décidé en fin de compte d'étendre le droit de contestation à « la personne qui revendique la paternité de l'enfant », tout en instaurant la possession d'état comme cause d'irrecevabilité de telles actions (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, amendement n° 112, et Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/029, sous-amendement n° 134).

Le compromis obtenu visait, d'une part, à limiter le droit d'action aux personnes effectivement concernées, à savoir le mari, la mère, l'enfant et l'homme qui revendique la paternité, et, d'autre part, à protéger autant que possible la cellule familiale au sein de laquelle l'enfant grandit en disposant que la possession d'état de l'enfant fait obstacle à ce droit d'action et en prévoyant des délais stricts pour l'exercice de ce droit (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6; Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/032, p. 31).

B.4.4.1. En ce qui concerne le délai prévu pour l'homme qui revendique la paternité de l'enfant, il fut proposé que le droit d'action nouvellement instauré soit exercé « dans l'année de la découverte de la naissance » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026; Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/02; Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/033, p. 8).

La proposition de loi précitée fut critiquée parce qu'elle était susceptible de prolonger inutilement l'insécurité juridique et le trouble au sein de la famille, dans tous les cas de filiation paternelle dans le mariage, par la menace d'une contestation de la paternité.

B.4.4.2. Il fut finalement décidé que l'action de celui qui revendique la paternité de l'enfant devait être intentée « dans l'année de la découverte qu'il est le père de l'enfant » (article 318, § 2, du Code civil).

B.5. Par son arrêt n° 145/2014 du 9 octobre 2014, la Cour a contrôlé l'article 318, § 2, alinéa 1er, deuxième membre de la deuxième phrase, du Code civil au regard de l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Elle a jugé : « B.6. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de protéger les personnes contre les ingérences dans leur vie privée et leur vie familiale.

L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée mais ils exigent que cette ingérence soit prévue par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle corresponde à un besoin social impérieux et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; CEDH, grande chambre, 12 octobre 2013, Söderman c. Suède, § 78; 3 avril 2014, Konstantinidis c.

Grèce, § 42).

B.7. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation de paternité concernent la vie privée du requérant, parce que la matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c.

Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier 2006, Mizzi c. Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, § § 48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 60;12 février 2013, Krisztiàn Barnabàs Tóth c.

Hongrie, § 28).

Le régime en cause de contestation de la présomption de paternité relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.8.1. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, § § 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c.

Roumanie, § 33).

Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble mais il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51).

Lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, le législateur doit en principe permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis.

Tant l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant.

La Cour européenne des droits de l'homme a précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l'enfant (CEDH, 5 novembre 2002, Yousef c. Pays-Bas, § 73; 26 juin 2003, Maire c. Portugal, § § 71 et 77; 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, § § 64 et 66; 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, § 119; 6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c.

Suisse, § 135; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 63).

Si l'intérêt de l'enfant doit être une considération primordiale, il n'a pas un caractère absolu. Dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, l'intérêt de l'enfant occupe une place particulière du fait qu'il représente la partie faible dans la relation familiale.

Il ne ressort pas de cette place particulière que les intérêts des autres parties en présence ne pourraient pas être pris en compte.

B.8.2. En ce qui concerne en particulier les délais dans le droit de la filiation, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas estimé que l'instauration de délais était en soi contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme; seule la nature d'un tel délai peut être considérée comme contraire au droit au respect de la vie privée (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 45; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 45; 29 janvier 2013, Röman c.

Finlande, § 50; 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 46).

B.8.3. La Cour européenne des droits de l'homme admet en outre que la marge d'appréciation du législateur national est plus grande lorsqu'il n'existe pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe concernant l'intérêt en cause ou la manière dont cet intérêt doit être protégé (CEDH, 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 68). De plus, la Cour européenne souligne qu'il ne lui incombe pas de prendre des décisions à la place des autorités nationales (CEDH, 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 41).

B.9.1. La paix des familles et la sécurité juridique des liens familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte pour empêcher que la contestation de paternité puisse être exercée sans limitation, de sorte que le législateur a pu prévoir des délais de déchéance (voir CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark, § 41; 12 janvier 2006, Mizzi c. Malte, § 88; 6 juillet 2010, Backlund c.

Finlande, § 45; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 45; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 50).

B.9.2. Dans cette optique, il est pertinent de ne pas faire primer a priori la réalité biologique sur la réalité socio-affective de la paternité.

B.10. Il est dès lors raisonnablement justifié que l'homme qui revendique la paternité de l'enfant ne dispose que d'un bref délai pour contester la présomption de paternité du mari de la mère ».

La Cour a dès lors dit pour droit dans cet arrêt que l'article 318, § 2, alinéa 1er, du Code civil ne viole pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'homme qui revendique la paternité de l'enfant doit intenter l'action en contestation de paternité dans l'année de la découverte du fait qu'il est le père de l'enfant.

B.6. Pour les motifs indiqués dans l'arrêt n° 145/2014 et rappelés en B.5, la question préjudicielle appelle une réponse négative en ce qu'elle porte sur la compatibilité de l'article 318, § 2, alinéa 1er, du Code civil avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.7. La Cour doit encore examiner la compatibilité de l'article 318, § 2, alinéa 1er, du Code civil avec l'article 22bis de la Constitution, dans l'hypothèse où l'action en contestation de la présomption de paternité concerne un enfant qui n'a pas atteint l'âge de douze ans.

B.8. L'article 22bis de la Constitution dispose : « Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.

Chaque enfant a le droit de s'exprimer sur toute question qui le concerne; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement.

Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement.

Dans toute décision qui le concerne, l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent ces droits de l'enfant ».

B.9. L'article 318, § 2, alinéa 1er, du Code civil permet à l'enfant d'introduire l'action en contestation de paternité au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans. Par cette disposition, le législateur garantit le droit à l'identité qui, selon la Cour européenne des droits de l'homme, doit faire l'objet d'un examen approfondi lorsque l'on compare les intérêts en présence (CEDH, 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 47). Un enfant qui n'a pas atteint l'âge de douze ans ne peut en revanche pas introduire une action en contestation de paternité.

B.10. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci fermer que le législateur n'a pas voulu que le père ou la mère d'un enfant puisse « contourner la forclusion qui frappe sa propre action, en intentant cette action au nom de l'enfant » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/4, p. 9). Le législateur a dès lors prévu expressément que l'action de l'enfant ne peut pas être intentée avant l'âge de douze ans. Cet âge a été retenu « comme étant celui du discernement » (ibid., n° 3-1402/7, p. 52). L'auteur principal précise « qu'il ne s'agit pas pour l'enfant d'intenter une action lui-même, mais bien par l'intermédiaire d'un tuteur ad hoc, qui pourra apprécier l'opportunité de la demande de l'enfant » (ibid.).

En prenant en compte la capacité de discernement de l'enfant pour ne pas l'autoriser à introduire une action en contestation de paternité avant l'âge de douze ans, la disposition en cause est compatible avec l'article 22bis de la Constitution qui précise expressément que l'opinion de l'enfant est prise en considération, « eu égard à son âge et à son discernement ». Le législateur a tenu compte de la gravité de l'acte d'introduire une action en justice à l'encontre d'un de ses parents et du fait que l'enfant peut être influencé par l'un de ses parents ou de ses proches. Le législateur n'a, par ailleurs, pas voulu que l'action de l'enfant soit introduite par un autre titulaire de l'action en contestation, le père légal, la mère ou l'homme qui revendique la paternité, qui n'a pas agi dans le délai qui lui est imparti par la disposition en cause, en raison de l'opposition d'intérêts qui peut exister entre l'enfant et ce titulaire.

Il est vrai que dans l'hypothèse visée en B.2.2, la disposition en cause a pour effet de priver temporairement l'enfant de son droit à l'identité et de la possibilité de voir son intérêt pris en compte dans la mise en balance par le juge des différents intérêts en présence. Or, l'intérêt de l'enfant doit être une considération primordiale, même s'il n'a pas un caractère absolu, parce que l'enfant représente la partie faible dans la relation familiale.

Cette privation n'est cependant que temporaire puisque l'enfant pourra introduire l'action en contestation de paternité, en étant représenté par un tuteur ad hoc, conformément à l'article 331sexies du Code civil.

B.11. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 318, § 2, alinéa 1er, du Code civil ne viole pas les articles 10, 11, 22 et 22bis de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'homme qui revendique la paternité de l'enfant doit intenter l'action en contestation de paternité dans l'année de la découverte du fait qu'il est le père de l'enfant.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 2 juin 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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