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Arrêt
publié le 11 décembre 2008

Extrait de l'arrêt n° 169/2008 du 27 novembre 2008 Numéro du rôle : 4377 En cause : le recours en annulation de l'article 19 de la loi du 26 avril 2007 modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire, introduit par La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Ma(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 169/2008 du 27 novembre 2008 Numéro du rôle : 4377 En cause : le recours en annulation de l'article 19 de la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 12/06/2007 numac 2007009536 source service public federal justice Loi modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire fermer modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire, introduit par Johan Blomme et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 11 décembre 2007 et parvenue au greffe le 12 décembre 2007, un recours en annulation de l'article 19 de la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 12/06/2007 numac 2007009536 source service public federal justice Loi modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire fermer modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire (publiée au Moniteur belge du 12 juin 2007) a été introduit par Johan Blomme, demeurant à 9000 Gand, Oude Houtlei 107, Beatrix Ceulemans, demeurant à 1800 Vilvorde, James Ensorlaan 49, Geert De Coninck, demeurant à 9080 Beervelde, Toleindestraat 37, Guy Delvoie, demeurant à 3051 Sint-Joris-Weert, Kaubergstraat 14, Isabelle Diercxsens, demeurant à 1180 Bruxelles, avenue De Fré 253, Els Herregodts, demeurant à 3090 Overijse, Smetslaan 29, Pierre Lefranc, demeurant à 9830 Sint-Martens-Latem, Perrestraat 12, Koenraad Moens, demeurant à 1500 Hal, Kapittel 17, Michel Ryde, demeurant à 8900 Ypres, Dikkebusseweg 514, Marc Sterkens, demeurant à 2200 Herentals, Zeven Zillen 5, Kathleen Transaux, demeurant à 2018 Anvers, Solvijnsstraat 33, Martin Van den Bossche, demeurant à 1730 Asse, Waalborrelaan 23A, Patrick Vandermotten, demeurant à 3000 Louvain, Capucijnenvoer 231A1, Philippe Van Volsem, demeurant à 9200 Termonde, Cyriel De Baerestraat 3, Charles-Philippe Vermylen, demeurant à 1200 Bruxelles, avenue de la Chapelle 50, Annik Bouché, demeurant à 1170 Bruxelles, avenue du Geai 10, Françoise Carlier, demeurant à 1170 Bruxelles, boulevard du Souverain 78, Christine Dalcq, demeurant à 1180 Bruxelles, avenue de la Floride 75, Erna Debaenst, demeurant à 8670 Koksijde, Constant Permekelaan 23, Pierre De Dobbeleer, demeurant à 1780 Wemmel, avenue J. de Ridder 142, Yves Demanche, demeurant à 1421 Ophain, rue des Merisiers 3, Anne De Poortere, demeurant à 2910 Essen, Collegelaan 58, Yves De Ruyver, demeurant à 1401 Baulers, rue Lossignol 23, Anne-Elisabeth Hauzeur, demeurant à 1140 Bruxelles, rue Henri Van Nerom 23, Etienne Marique, demeurant à 1050 Bruxelles, rue Defacqz 41, Pierre Saint-Remy, demeurant à 1150 Bruxelles, avenue Alfred Madoux 95, Mireille Salmon, demeurant à 1170 Bruxelles, rue du Bien-Faire 4, Yves Vandersteen, demeurant à 1342 Limelette, Clos de la Rivière 19, Philippe Van Lierde, demeurant à 1300 Wavre, avenue de la Warche 17, Guy Wezel, demeurant à 1380 Lasne, avenue des Pèlerins 20, Pierre-André Wustefeld, demeurant à 1200 Bruxelles, rue du Bois de Linthout 25, Frank Camberlain, demeurant à 9170 De Klinge, Kapelstraat 58, Marc De Gendt, demeurant à 1730 Asse, Stationsstraat 13, Ida De Kempeneer, demeurant à 3010 Kessel-Lo, Baron Auguste de Becker-Remyplein 1, Erwin De Luyck, demeurant à 2660 Hoboken, Eikenlei 34, Christian Denoyelle, demeurant à 1830 Machelen, Heirbaan 180, Philippe de Rémont, demeurant à 6700 Arlon, rue de la Bellevue 85, François Francis, demeurant à 5560 Finnevaux Houyet, rue du Village 2, Brigitte Hänsch, demeurant à 2640 Mortsel, Armand Segerslei 31, Jacques Maes, demeurant à 2018 Anvers, Hemelstraat 36, Jean-François Marot, demeurant à 4500 Huy, rue Rioul 42, André Monhonval, demeurant à 6820 Florenville, rue de France 50, Hugo Rogghe, demeurant à 1600 Sint-Pieters-Leeuw, Mekingenweg 66, Paul Troisfontaines, demeurant à 4651 Battice, Route de Bolland 54, Gaby Van den Bossche, demeurant à 1731 Relegem, Poverstraat 33, Suzy Vanhoonacker, demeurant à 1730 Mollem, Kasteelstraat 26, André Van Praet, demeurant à 1780 Wemmel, avenue Thyssen 43, Guy Van Raemdonck, demeurant à 2540 Hove, Diependaele 11, Raf Van Ransbeeck, demeurant à 8000 Bruges, Rustenburgstraat 34, Sandra Van Steenwinkel, demeurant à 1140 Bruxelles, chaussée de Louvain 948, Carl Verbeke, demeurant à 8501 Heule, Stijn Streuvelslaan 57, Greet Verellen, demeurant à 3000 Louvain, Groefstraat 11/2/1, et Bart Willocx, demeurant à 9200 Grembergen, Hamsesteenweg 79. (...) II. En droit (...) B.1. Les parties requérantes demandent l'annulation de l'article 19 de la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 12/06/2007 numac 2007009536 source service public federal justice Loi modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire fermer modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire.

Cette disposition remplace comme suit l'article 770 du Code judiciaire : « § 1er. Lorsque le juge tient la cause en délibéré pour prononcer le jugement, il fixe le jour de cette prononciation, qui doit avoir lieu dans le mois, à partir de la clôture des débats.

Si la cause est communiquée au ministère public, le délai de la prononciation prend cours à la date où celui-ci a donné son avis ou, le cas échéant, à l'expiration du délai dont disposent les parties pour déposer leurs conclusions concernant ledit avis.

Si la prononciation ne peut avoir lieu dans ce délai, il est fait mention à la feuille d'audience de la cause du retard.

La mention à la feuille d'audience de la cause du retard doit pouvoir être objectivement justifiée à l'autorité hiérarchique chargée d'exercer le contrôle du respect des délais du délibéré. § 2. Les greffiers établissent la liste, en deux exemplaires, des affaires dans lesquelles le prononcé a été reporté au-delà d'un mois.

Cette liste est soumise à la signature du magistrat ou des magistrats concernés, ceux-ci ayant ainsi l'occasion de formuler des observations écrites.

Les listes sont établies et envoyées chaque mois, à l'initiative du greffier en chef, au chef de corps de la juridiction et au chef de corps du ministère public près [...] cette juridiction.

Le greffier en chef de la justice de paix adresse la liste au procureur du Roi du tribunal de première instance de son arrondissement judiciaire.

Une copie est conservée au greffe.

En suivant les mêmes règles, ces listes sont mensuellement actualisées. § 3. Si le juge prolonge son délibéré au-delà de trois mois, il en avise le chef de corps et le premier président de la cour d'appel ou de la cour du travail, sans préjudice de la possibilité pour une partie d'en prendre l'initiative. § 4. Dans le cas visé au paragraphe 3, le magistrat ou les magistrats concernés sont convoqués sans délai par le chef de corps afin d'être entendus sur les causes du retard.

Dans les cas visés au paragraphe 2, cette convocation est obligatoire s'il s'agit de manquements répétés.

Le chef de corps et le magistrat ou les magistrats concernés élaborent des solutions concertées afin de pallier ce retard.

L'audition donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal. § 5. Les informations visées au § 3 ainsi que les procès-verbaux y afférents sont susceptibles d'être pris en compte à l'occasion de poursuites disciplinaires, de l'évaluation périodique du magistrat ou d'une procédure de nomination ou de désignation le concernant.

Si une sanction disciplinaire est justifiée, la peine infligée ne pourra en aucun cas être inférieure à une peine majeure de premier degré ».

B.2.1. Selon le Conseil des ministres, le recours n'est recevable qu'en ce qu'il concerne le paragraphe 5, alinéa 2, de l'article 770 du Code judiciaire, inséré par la disposition attaquée. L'exposé des moyens ferait en effet apparaître que les parties requérantes ne formulent des griefs que contre ce deuxième alinéa.

B.2.2. La Cour peut uniquement annuler les dispositions législatives explicitement attaquées contre lesquelles des moyens sont dirigés et, le cas échéant, des dispositions qui n'ont pas été attaquées, mais qui sont indissolublement liées aux dispositions qui doivent être annulées.

B.2.3. Bien qu'il soit exact que le premier moyen n'est dirigé que contre le paragraphe 5, alinéa 2, de l'article 770 du Code judiciaire, inséré par la disposition attaquée, ce n'est pas le cas des deuxième et troisième moyens.

L'exception est rejetée.

Quant au premier moyen B.3. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'en prévoyant que la peine disciplinaire pour le manquement disciplinaire visé par l'article 770 du Code judiciaire ne peut en aucun cas être inférieure à une peine majeure de premier degré, l'article 770, § 5, alinéa 2, du Code judiciaire limite la compétence de l'autorité disciplinaire en ce qui concerne la détermination de la mesure de la peine et crée ainsi une différence de traitement non justifiée entre les magistrats qui font l'objet d'une procédure disciplinaire, selon que cette procédure a été engagée ou non en raison du manquement disciplinaire visé par l'article 770 du Code judiciaire.

B.4.1. Selon le paragraphe 5, alinéa 2, de la disposition attaquée, si une sanction disciplinaire est justifiée, la peine infligée ne pourra en aucun cas être inférieure à une peine majeure de premier degré.

Ainsi, cette disposition empêche l'autorité disciplinaire d'infliger une peine disciplinaire mineure pour le manquement disciplinaire que constitue le non-respect par un juge des délais prévus par la loi pour prononcer un jugement.

En vertu de l'article 405 du Code judiciaire, les peines disciplinaires mineures sont l'avertissement et la réprimande.

Les peines disciplinaires majeures de premier degré sont la retenue de traitement, la suspension disciplinaire, le retrait du mandat visé à l'article 58bis du Code judiciaire et la suspension disciplinaire avec retrait de ce mandat. Les peines disciplinaires majeures de second degré sont la démission d'office et la destitution ou la révocation.

B.4.2. La disposition attaquée a dès lors pour effet que ledit manquement disciplinaire est sanctionné au minimum d'une retenue de traitement. L'article 405, § 3, du Code judiciaire dispose à cet égard : « La retenue de traitement s'applique pendant deux mois au plus et ne peut être supérieure à celle prévue à l'article 23, alinéa 2, de la loi du 12 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/04/1965 pub. 08/03/2007 numac 2007000126 source service public federal interieur Loi concernant la protection de la rémunération des travailleurs fermer concernant la protection de la rémunération des travailleurs. [...] ».

L'article 23, alinéa 2, de la loi du 12 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/04/1965 pub. 08/03/2007 numac 2007000126 source service public federal interieur Loi concernant la protection de la rémunération des travailleurs fermer concernant la protection de la rémunération des travailleurs dispose : « Le total des retenues ne peut dépasser le cinquième de la rémunération en espèces due à chaque paie, déduction faite des retenues effectuées en vertu de la législation fiscale, de la législation relative à la sécurité sociale et en vertu des conventions particulières ou collectives concernant les avantages complémentaires de sécurité sociale ».

B.4.3. L'exclusion des peines disciplinaires mineures a été justifiée comme suit lors des travaux préparatoires : « Ceci se justifie par le fait que de tels retards portent gravement atteinte à la confiance que le justiciable doit avoir en la justice.

Cette atteinte est d'autant plus importante que le juge est l'arbitre de la procédure, celui qui doit être impartial, juste et diligent aux yeux du justiciable. Si le délibéré s'éternise, on touche à la notion de déni de justice, qui est la négation même de la fonction de juge, et dont l'interdiction est un principe fondateur de notre démocratie.

En réponse à une question [...], la ministre précise que le Conseil d'Etat n'a émis aucune observation à propos de cette disposition au regard des principes d'égalité et de non-discrimination, pas plus d'ailleurs que le Conseil supérieur de la Justice. Comme elle vient de l'évoquer, l'importance de la sanction se justifie en l'espèce par la gravité de la faute commise et l'impact qu'elle a sur la confiance du citoyen en la justice, pour autant bien entendu que la procédure disciplinaire ait conclu à la faute du magistrat » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2811/005, p. 33).

B.5. Aucune disposition constitutionnelle ou conventionnelle n'empêche le législateur de préciser, pour les membres d'un service public dont il règle le statut, qu'un comportement ou une négligence déterminés doivent être considérés comme un manquement disciplinaire.

B.6. En ce qui concerne le droit disciplinaire des magistrats des cours et tribunaux, le législateur a fixé les peines disciplinaires à l'article 405 précité du Code judiciaire.

B.7. Le fait que le droit disciplinaire n'assortit pas, en principe, les manquements disciplinaires concrets de peines disciplinaires spécifiques, en fonction de leur gravité, ne permet pas de déduire que le pouvoir d'appréciation de l'autorité disciplinaire soit illimité quant au choix à opérer parmi les peines disciplinaires préalablement fixées. En effet, lorsqu'elle inflige une peine disciplinaire, l'autorité disciplinaire doit appliquer le principe général du droit de la proportionnalité de la peine disciplinaire, ce qui implique que la peine doit se trouver dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec le manquement disciplinaire.

B.8. Lorsque le législateur limite, pour certains manquements disciplinaires, le choix de l'autorité disciplinaire parmi les sanctions disciplinaires préalablement fixées, comme c'est le cas en l'espèce, cette limitation du pouvoir d'appréciation de l'autorité disciplinaire entraîne une différence de traitement entre les personnes qui font l'objet d'une procédure disciplinaire, en fonction de la nature du manquement disciplinaire, différence qui ne saurait se justifier s'il devait s'avérer que la mesure empêche l'application du principe général du droit de la proportionnalité de la peine disciplinaire par l'autorité disciplinaire. Sous cette réserve, le législateur démocratiquement élu peut toutefois limiter la liberté d'appréciation de l'autorité disciplinaire quant au choix de la peine disciplinaire.

B.9. La Cour doit donc examiner si la limitation des peines disciplinaires prévues pour le manquement disciplinaire visé par la disposition attaquée s'oppose ou non à l'application du principe général de droit de la proportionnalité de la peine disciplinaire. A cette fin, il faut préalablement examiner la nature et la portée réelles du manquement disciplinaire en question.

B.10. Selon l'article 770, § 1er, alinéa 1er, du Code judiciaire, le juge, lorsqu'il tient la cause en délibéré pour prononcer le jugement, doit fixer le jour de cette prononciation, qui doit avoir lieu en principe dans le mois, à partir de la clôture des débats. Le deuxième alinéa de ce paragraphe comporte un régime spécifique de délai pour les cas dans lesquels le ministère public donne un avis.

La disposition attaquée prévoit ensuite une obligation particulière de justification et de communication pour le cas où le délai prévu ne peut être respecté. Selon le paragraphe 1er, alinéas 3 et 4, la cause du retard doit être mentionnée sur la feuille d'audience, si la prononciation ne peut avoir lieu dans un délai d'un mois. Le retard doit pouvoir être objectivement justifié auprès de l'autorité hiérarchique chargée d'exercer le contrôle du respect des délais du délibéré (obligation de justification). Les greffiers établissent chaque mois la liste des affaires dans lesquelles le prononcé a été reporté au-delà d'un mois, liste qui est soumise à la signature du magistrat ou des magistrats concernés, ceux-ci ayant ainsi l'occasion de formuler des observations écrites (paragraphe 2). Les listes sont ensuite envoyées au chef de corps de la juridiction, au chef de corps du ministère public ou, lorsqu'il s'agit d'une justice de paix, au procureur du Roi près le tribunal de première instance.

Selon le paragraphe 3, le juge doit aviser le chef de corps et le premier président de la cour d'appel ou de la cour du travail s'il prolonge son délibéré au-delà de trois mois (obligation de communication). De même, une partie peut prendre l'initiative à cette fin. Si le délibéré est prolongé au-delà de trois mois, le chef de corps convoque le magistrat concerné afin de l'entendre sur les causes du retard (paragraphe 4). Le chef de corps agit également de la sorte lorsque le magistrat concerné omet à plusieurs reprises de rendre ses décisions dans le délai d'un mois. Lorsque le chef de corps a convoqué le magistrat concerné, il élabore avec ce dernier une solution concertée afin de pallier le retard. L'audition donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal.

B.11. Il ressort des travaux préparatoires que l'article 770 nouveau du Code judiciaire s'inspire dans une certaine mesure d'une recommandation du Conseil supérieur de la justice : « Il ressort du rapport annuel 2004 du Conseil supérieur de la Justice (Voir rapport annuel 2004, p. 71 www.csj.be) que plusieurs plaintes de justiciables et d'avocats sur le retard mis par certains juges à prononcer leur décision ont été déclarées fondées.

Dans le prolongement de ce rapport, le Conseil supérieur de la Justice a émis la recommandation [...] dont les éléments essentiels sont repris ci-dessous : ' [...] Sauf circonstances particulières, il est difficilement justifiable que certains magistrats s'installent, au mépris de l'article 770 du Code judiciaire, dans des habitudes de lenteur : - en règle, lorsque le juge tient la cause en délibéré, la date du prononcé doit être fixée; - ce prononcé doit avoir lieu dans le mois à partir de la clôture des débats; - si le prononcé ne peut avoir lieu dans ce délai, il est fait mention à la feuille d'audience de la cause du retard; - si le juge prolonge son retard au delà-de trois mois, il doit en aviser le premier président de la cour d'appel ou de la cour du travail.

Si le non-respect de ces exigences est sans incidence sur la régularité du jugement, il constitue toutefois, le cas échéant, un manquement aux devoirs de la charge. [...] ' » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2811/001, pp. 22-23).

B.12.1. Les travaux préparatoires font également apparaître que le législateur a tout d'abord voulu renforcer le « rôle de manager » du chef de corps dans sa lutte contre l'arriéré judiciaire : « Fondamentalement, il s'agit de renforcer le rôle de manager du chef de corps, en lui en donnant les moyens. Celui-ci doit pouvoir disposer à tout moment d'un véritable tableau de bord des délais de délibérés de sa juridiction. Cette idée n'est pas neuve. De tels outils existent déjà au sein de certaines juridictions, et certains chefs de corps exercent réellement cette mission naturelle de bonne gestion de leur juridiction. Mais cette bonne pratique est malheureusement loin d'être généralisée, alors pourtant qu'elle constitue un instrument d'une utilité incontestable. [...] En outre, il faut insister sur le fait que bien avant que la sanction ne soit évoquée par le texte en projet, l'accent est essentiellement mis sur les contacts qui doivent avoir lieu entre le chef de corps et le magistrat qui est confronté à un retard anormal pour rendre une décision. Ces contacts doivent bien entendu avoir lieu naturellement, et on peut espérer que le formalisme prévu par le projet sera souvent inutile. Mais à défaut, il est important de rappeler que la concertation est la règle, et que le premier réflexe d'un chef de corps doit être, lorsqu'il constate qu'un juge accuse un retard important dans son travail, d'essayer de comprendre pourquoi et de trouver les solutions qui permettront d'y mettre un terme. Le projet prévoit à cet égard expressément que lors de la réunion qui fait suite à un retard anormal, ' le chef de corps et le magistrat concerné élaborent des solutions concertées pour pallier ce retard '.

C'est donc bien essentiellement une logique positive qui prédomine, et non pas un simple mécanisme de sanction » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2811/005, pp. 31-32).

B.12.2. Il ressort également des travaux préparatoires que le manquement disciplinaire visé dans la disposition attaquée ne peut être apprécié en faisant abstraction de la concertation entre le magistrat concerné et le chef de corps, visée au paragraphe 4 : « Une concertation entre le chef de corps et le ou les magistrat(s) concerné(s) a lieu afin de trouver des solutions visant à pallier ce retard.

Un procès-verbal en sera dressé. De là, deux possibilités s'offrent : - Soit, la solution proposée est mise en oeuvre et un nouveau délai limité dans le temps pourra être accordé au magistrat. - Soit, aucune solution n'est proposée car le chef de corps estime que les justifications ne sont pas pertinentes ou que le magistrat concerné ne collabore pas. En ce dernier cas et s'il s'agit d'un retard de plus de trois mois du délai du délibéré, des sanctions disciplinaires peuvent être infligées conformément au Titre V du Code judiciaire ' De la Discipline '. [...] Il est important de relever que l'objectif est d'inciter chacun et plus particulièrement le chef de corps à remplir efficacement et effectivement sa mission de contrôle interne. S'il remplit correctement son rôle préventif, la procédure disciplinaire ne devra pas être mise en branle pour ce type de comportement. Pour le surplus, il ne s'agit pas d'instaurer une sanction disciplinaire automatique en cas de dépassement du prononcé au-delà de trois mois. Le chef de corps conserve son pouvoir d'appréciation quant à l'initiative de la procédure disciplinaire en fonction des éléments invoqués par le ou les magistrats » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2811/001, pp. 24-25).

B.12.3. Il découle de ce qui précède qu'il ne suffit pas, pour que ledit manquement disciplinaire soit établi, de constater que le magistrat concerné a prolongé le délibéré au-delà de trois mois ou a reporté à plusieurs reprises ses prononciations de plus d'un mois. Il est de plus exigé qu'il ne puisse justifier objectivement le retard, en raison notamment de sa charge globale de travail, de la difficulté ou de l'ampleur de l'affaire, ou qu'il ne collabore pas pendant la concertation organisée par le chef de corps en vue d'élaborer une solution ou lors de la mise en oeuvre de la solution élaborée.

B.13. Il a enfin été souligné lors des travaux préparatoires que les autorités disciplinaires conservent le plein pouvoir d'apprécier s'il faut engager une procédure disciplinaire et infliger une peine disciplinaire : « L'autonomie de la procédure disciplinaire n'est pas remise en question. Il n'est pas imposé au chef de corps d'initier une procédure disciplinaire dès qu'un juge accuse du retard pour rendre un jugement.

Il reste seul juge de l'opportunité de lancer une telle procédure. De même, l'autorité chargée de se prononcer à l'issue de la procédure est tout à fait libre de décider qu'il n'y a pas lieu à une sanction disciplinaire » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2811/005, pp. 32-33).

Il s'ensuit qu'il appartient aux autorités disciplinaires compétentes de décider in concreto si le manque de justification objective pour le retard ou la mauvaise collaboration du magistrat concerné sont à ce point graves que l'infliction d'une sanction disciplinaire soit souhaitable.

B.14. Compte tenu, d'une part, de la nature et de la portée du manquement disciplinaire, telle qu'il est défini en B.12.3, et, d'autre part, du fait que ce manquement disciplinaire risque de compromettre le droit du justiciable à un prononcé dans un délai raisonnable, il n'est pas dépourvu de justification que, si les autorités disciplinaires estiment que le manquement disciplinaire en question doit être sanctionné, la peine infligée ne puisse être l'avertissement ou la réprimande, mais au minimum une retenue de traitement, laquelle, comme il est exposé en B.4.2, doit demeurer dans certaines limites quant à sa durée et à son montant. La mesure litigieuse n'empêche donc pas l'application du principe général de droit de la proportionnalité des peines disciplinaires infligées par les autorités disciplinaires.

B.15. Le premier moyen n'est pas fondé.

Quant aux deuxième et troisième moyens B.16. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la disposition attaquée crée une différence de traitement injustifiée entre les magistrats, selon qu'ils font partie des cours et tribunaux ordinaires ou d'autres juridictions, comme la Cour constitutionnelle, le Conseil d'Etat et le Conseil du Contentieux des étrangers, puisque seuls les premiers doivent se justifier en cas de dépassement des délais prévus dans la loi pour prononcer une décision et que seuls les premiers sont soumis à cet égard à un régime disciplinaire spécifique.

Le troisième moyen, également pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, qui critique la différence de traitement créée par la disposition attaquée entre les magistrats, d'une part, des cours et tribunaux et, d'autre part, du Conseil d'Etat, se confond avec le deuxième moyen.

B.17. La disposition attaquée fait partie du Code judiciaire, dont l'article 1er énonce que ce Code régit l'organisation des cours et tribunaux, la compétence et la procédure.

L'organisation et la compétence de la Cour constitutionnelle, du Conseil d'Etat, du Conseil du Contentieux des étrangers ainsi que la procédure devant ceux-ci sont réglées par d'autres dispositions légales et réglementaires que celles du Code judiciaire.

B.18.1. Les « cours et tribunaux » visés dans le Code judiciaire sont les cours et tribunaux prévus par l'article 40 de la Constitution. Le statut constitutionnel de ceux-ci est réglé par les dispositions du chapitre VI (« Du pouvoir judiciaire ») du titre III (« Des pouvoirs ») de la Constitution.

B.18.2. Le statut constitutionnel des juridictions autres que les « cours et tribunaux » est réglé par d'autres dispositions, qui figurent dans d'autres chapitres du titre III de la Constitution.

La base constitutionnelle de la Cour constitutionnelle est l'article 142 de la Constitution, qui fait partie du chapitre V (« De la Cour constitutionnelle, de la prévention et du règlement de conflits ») du titre III (« Des pouvoirs »).

La base constitutionnelle du Conseil d'Etat est l'article 160 de la Constitution et celle des juridictions administratives - au rang desquelles doit être compté le Conseil du Contentieux des étrangers - est l'article 161 de la Constitution. Les deux articles font partie du chapitre VII (« Du Conseil d'Etat et des juridictions administratives ») du titre III (« Des pouvoirs »).

B.18.3. Il découle de ce qui précède que le Constituant a lui-même créé une distinction entre les cours et tribunaux, la Cour constitutionnelle, le Conseil d'Etat et les juridictions administratives.

B.19.1. En ce que la disposition attaquée prévoit une obligation particulière de justification et de communication pour les magistrats des cours et tribunaux qui ne respectent pas les délais prévus pour le délibéré, cette disposition règle un aspect de l'organisation interne des cours et tribunaux. Comme il a déjà été constaté en B.12.1, le législateur a, par ces obligations de justification et de communication, plus précisément voulu renforcer « le rôle de manager du chef de corps », et ce en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire.

B.19.2. Lorsque le législateur prend une mesure concernant l'organisation interne des cours et tribunaux dans le cadre de la lutte contre l'arriéré judiciaire, les articles 10 et 11 de la Constitution ne l'obligent pas à adopter une mesure analogue en ce qui concerne l'organisation interne des autres juridictions. En effet, une différence de traitement sur ce plan trouve sa justification dans la distinction, créée par le Constituant lui-même, entre les cours et tribunaux, la Cour constitutionnelle, le Conseil d'Etat et les juridictions administratives.

B.20.1. En ce que la disposition attaquée prévoit que si une peine disciplinaire est justifiée, la peine infligée ne peut en aucun cas être inférieure à une peine majeure de premier degré, cette disposition règle un aspect de la procédure disciplinaire applicable aux magistrats des cours et tribunaux.

B.20.2. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui résulte de l'application de procédures disciplinaires différentes devant des autorités différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait y avoir de discrimination que si la différence de traitement résultant de l'application de ces procédures allait de pair avec une limitation disproportionnée des droits des parties concernées.

B.20.3. La disposition attaquée ne faisant pas obstacle, comme la Cour l'a constaté lors de l'examen du premier moyen, à l'application du principe général de droit de la proportionnalité de la peine disciplinaire, elle n'entraîne pas de limitation disproportionnée des droits des magistrats concernés.

B.21. Les deuxième et troisième moyens ne sont pas fondés.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours, sous réserve de ce qui est mentionné en B.12.3.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 27 novembre 2008.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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