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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 27 novembre 1999

Extrait d'arrêt n° 99/99 du 15 septembre 1999 Numéro du rôle : 1371 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 71, § 1 er , 3, et § 2, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1964, posée par la Cour d'ap La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)

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27/11/1999
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COUR D'ARBITRAGE


Extrait d'arrêt n° 99/99 du 15 septembre 1999 Numéro du rôle : 1371 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 71, § 1er, 3, et § 2, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1964, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, J. Delruelle, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 24 juin 1998 en cause de T. Hyde contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 2 juillet 1998, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 10 et 11 de la Constitution sont-ils violés par l'article 71, § 1er, 3, juncto l'article 71, § 2, alinéa 2, du C.I.R./ancien, en tant que ces dispositions législatives impliquent que les rentes alimentaires qu'a payées un contribuable au cours d'une période imposable ultérieure à celle au cours de laquelle elles sont dues, en exécution d'une décision judiciaire avec effet rétroactif, ne peuvent être déduites de ses revenus nets si le ou les paiements ont été effectués avant l'exercice d'imposition 1992, en d'autres termes avant le 1er janvier 1991 ? » (...) IV. En droit (...) B.1.1. Les dispositions en cause concernent le régime fiscal des rentes alimentaires dans le cadre des impôts sur les revenus.

L'article 71, § 2, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1964 (article 104, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992) a été inséré par l'article 6 de la loi du 28 décembre 1990 relative à diverses dispositions fiscales et non fiscales et est libellé comme suit : « Par dérogation au § 1er, 3°, sont déductibles les quatre-vingts centièmes des rentes dues par le contribuable aux conditions qui y sont fixées mais qui sont payées au cours d'une période imposable ultérieure à celle au cours de laquelle elles sont dues et ce, en exécution d'une décision judiciaire qui en a fixé ou augmenté le montant avec effet rétroactif. » L'article 71, § 1er, 3°, disposait : « Sont déduits de l'ensemble des revenus nets des différentes catégories visées à l'article 6, dans la mesure où ils n'ont pas pu être déduits pour la détermination de ces revenus nets : (...) 3° les quatre-vingts centièmes des rentes ou capitaux régulièrement payés ou attribués par le contribuable à des personnes qui ne font pas partie de son ménage, lorsque ces rentes ou ces capitaux leur sont payés ou attribués en exécution d'une obligation résultant des articles 203, 203bis, 205, 205bis, 206, 207, 213, 221, 223, 301, 303, 306, 307, 307bis, 308, 311bis, 334, 336, 339bis, 364, 370, 475bis ou 475quinquies du Code civil ou des articles 1258, 1271, 1280, 1288 ou 1306 du Code judiciaire;».

L'article 5 de la loi précitée du 28 décembre 1990 avait également inséré dans le Code des impôts sur les revenus 1964 (C.I.R. 1964) un article 67, 3°, b (article 90, 4°, du C.I.R. 1992) qui prévoyait que les rentes alimentaires visées à l'article 71, § 2, alinéa 2, étaient imposées à charge du bénéficiaire de la rente, selon les règles précisées dans ces dispositions.

B.1.2. L'article 32 de la loi du 28 décembre 1990 dispose que les articles 5 et 6 précités sont applicables à partir de l'exercice d'imposition 1992.

B.1.3. L'introduction des mesures susdites a été justifiée comme suit dans les travaux préparatoires : « Suivant les directives administratives actuelles qui s'appuient sur un arrêt de la Cour d'Appel d'Anvers du 31 mars 1980, en cause Anna Francken [ . ], les rentes alimentaires payées en une fois en exécution post factum d'obligations mensuelles de plusieurs années ne peuvent être considérées comme régulières ou périodiques au sens de l'article 67, 3°, CIR et ne sont dès lors pas imposables dans le chef du bénéficiaire (ni déductibles dans le chef du débirentier).

Ces directives sont jugées inéquitables dans les cas où les rentes alimentaires ou rentes alimentaires complémentaires sont payées au cours d'une période imposable ultérieure à celle à laquelle elles se rapportent, en exécution d'un arrêt ou d'un jugement exécutoires qui en fixe ou en augmente le montant avec effet rétroactif.

C'est pourquoi il est proposé d'autoriser dorénavant la déduction, dans le chef du débirentier, des rentes alimentaires qui sont payées au cours d'une période imposable ultérieure à celle au cours de laquelle elles étaient dues mais dont le paiement non régulier est justifié par une décision judiciaire fixant ou modifiant la rente et corrélativement d'imposer également celles-ci dans le chef du bénéficiaire. » (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1366/3, pp. 6 et 7, et n° 1366/6, p.25).

B.2.1. Il ressort de ce qui précède que le législateur a voulu mettre fin à une interprétation administrative de la législation fiscale qui était jugée « inéquitable ».

Alors que les pensions alimentaires régulièrement payées étaient toujours fiscalement déductibles, la déduction des pensions alimentaires payées au cours d'une période imposable ultérieure à celle au cours de laquelle elles étaient dues, et ce en exécution d'une décision judiciaire qui en avait fixé ou augmenté le montant avec effet rétroactif, n'était pas possible, selon l'interprétation défendue par l'administration fiscale et par certaines juridictions, parce qu'elles ne présentaient pas le caractère de régularité exigé par la loi.

Il en résultait une différence de traitement, non seulement entre ceux qui paient régulièrement et périodiquement une pension alimentaire et ceux qui paient une somme globale en une seule fois en exécution d'une telle décision judiciaire ayant effet rétroactif, mais également, au sein de cette dernière catégorie, selon que l'administration fiscale ou le juge acceptait ou non cette déductibilité, ce qui a conduit à ce que des contribuables se trouvant dans une situation identique étaient traités de manière différente.

Antérieurement à l'adoption des mesures en cause, le ministre des Finances s'était déjà distancié de l'interprétation suivie par l'administration fiscale et avait déclaré que, selon lui, les rentes alimentaires visées étaient, sous l'empire de l'ancienne législation également, déductibles dans le chef du débirentier. Une disposition législative expresse fut toutefois jugée nécessaire en raison des décisions divergentes de l'administration fiscale et des juridictions (Q.R., Sénat, 6 novembre 1990, n° 5, p. 193).

B.2.3. Il y a lieu de souligner que la modification législative dont il est question ne vise que les cas dans lesquels les rentes alimentaires en cause sont payées en exécution d'une décision judiciaire qui en a fixé pour la première fois ou en a augmenté le montant avec effet rétroactif. Il n'entrait pas dans les intentions du législateur d'autoriser la déduction fiscale des rentes alimentaires auxquelles le débiteur est condamné pour le motif qu'il n'a, par sa faute, pas rempli ou rempli qu'avec retard ses obligations.

B.3.1. La loi du 28 décembre 1990 a été publiée au Moniteur belge du 29 décembre 1990. Les dispositions soumises à la Cour étaient applicables à partir de l'exercice d'imposition 1992, c'est-à-dire pour tout paiement d'une pension alimentaire effectué à partir du 1er janvier 1991.

B.3.2. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 71, § 1er, 3°, juncto l'article 71, § 2, alinéa 2, du C.I.R./ancien viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il implique que les rentes alimentaires payées par un contribuable au cours d'une période imposable ultérieure à celle au cours de laquelle elles sont dues, en exécution d'une décision judiciaire avec effet rétroactif, ne peuvent être déduites de ses revenus nets si ces paiements ont été effectués antérieurement à l'exercice d'imposition 1992, en d'autres termes avant le 1er janvier 1991.

B.4.1. Il appartient en principe au législateur de choisir le moment à partir duquel une loi produit ses effets. La détermination de ce moment instaure une distinction entre les justiciables auxquels la norme s'applique et ceux auxquels elle ne s'applique pas. Cette différence n'est pas en soi contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.4.2. Toutefois, lorsque le législateur se voit contraint de mettre un terme à une situation d'insécurité juridique résultant de décisions administratives et juridictionnelles contradictoires, en raison d'un manque de clarté de la législation, on peut raisonnablement s'attendre à ce que la nouvelle réglementation remédie sans retard à cette situation. Il en est d'autant plus ainsi que le législateur lui-même a reconnu que la situation juridique qu'il entendait modifier était inéquitable.

B.4.3. Pour l'autorité fiscale, il existait un lien nécessaire entre la déductibilité des rentes alimentaires dans le chef de leur débiteur et leur imposition dans le chef du créancier, ainsi qu'il ressort également des travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 1990.

B.4.4. Compte tenu des principes généraux qui régissent l'organisation des impôts et compte tenu des difficultés administratives liées à une réglementation ayant un effet rétroactif, le législateur a pu considérer qu'il était souhaitable de ne pas intervenir dans des situations définitivement taxées. Envisagée du point de vue du crédirentier, il serait source d'insécurité juridique qu'une modification législative porte atteinte à une situation fiscale définitivement acquise avant l'entrée en vigueur de la loi. Il n'est pas déraisonnable que, pour des situations définitivement taxées, les rentes restent non déductibles dans le chef du débiteur d'aliments.

B.4.5. Par contre, rien ne s'opposait à ce que le législateur confère à la mesure en cause un effet immédiat pour tous les cas dans lesquels la situation fiscale à laquelle ces rentes alimentaires se rapportaient n'était pas encore définitivement acquise.

Il est admis qu'en matière d'impôts sur les revenus, le fait imposable ne se prescrit qu'au 31 décembre de l'année qui précède l'exercice d'imposition et que des modifications peuvent encore être apportées à la dette fiscale, dans un sens positif ou dans un sens négatif, jusqu'à cette date.

B.4.6. En reportant l'entrée en vigueur de la mesure à l'exercice d'imposition 1992, le législateur a utilisé un critère qui est certes objectif mais qui n'est pas pertinent au regard du but poursuivi, étant donné qu'il n'est mis fin à la situation fiscale jugée inéquitable que pour les rentes alimentaires payées après le 1er janvier 1991 et non pour tous les cas dans lesquels le fait imposable auquel se rapportaient ces rentes alimentaires n'était pas encore définitivement acquis au moment de la publication de la loi. Les dispositions en cause engendrent ainsi une discrimination entre des contribuables.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 32 de la loi du 28 décembre 1990 relative à diverses dispositions fiscales et non fiscales viole les articles 10 et 11 de la Constitution en tant que cette disposition implique que les rentes alimentaires qu'a payées un contribuable au cours d'une période imposable ultérieure à celle à laquelle elles se rapportent, et ce en exécution d'une décision judiciaire qui en a fixé ou augmenté le montant avec effet rétroactif, ne peuvent être déduites de ses revenus nets si ces paiements ont été effectués avant l'exercice d'imposition 1992 et si le fait imposable auquel se rapportent ces rentes alimentaires n'était pas encore définitivement acquis au moment de la publication de la loi.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 15 septembre 1999.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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