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Arrêt
publié le 19 juillet 2000

Extrait de l'arrêt n° 79/2000 du 21 juin 2000 Numéro du rôle : 1666 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 192, 195, 196, 197, 199 et 200 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, posée par le juge La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 79/2000 du 21 juin 2000 Numéro du rôle : 1666 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 192, 195, 196, 197, 199 et 200 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, posée par le juge de paix du canton de Torhout.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, J. Delruelle, A. Arts et E. De Groot, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président G. De Baets, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 27 avril 1999 en cause de B. Billiet, G. Kisters et B. Kisters, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 3 mai 1999, le juge de paix du canton de Torhout a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 10 et 11 de la Constitution, pris isolément ou lus conjointement avec l'article 144 de la Constitution et les articles 6, § 1er, et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sont-ils violés par : - la procédure prévue par les articles 189 et suivants du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, en particulier les articles 195, 196, 199 et 200, dès lors que la contestation portant sur la détermination de la valeur des biens est soustraite au juge du fond et que le juge qui doit apprécier la désignation d'experts concernant une expertise de contrôle se voit privé du pouvoir réel de déterminer la valeur d'expertise, cependant que la décision finale et définitive consistant à déterminer la valeur des biens est confiée à un expert ou à un collège d'experts, en dehors du cas de l'accord des parties à ce sujet, dès lors que la partie acquéreuse (comme l'appelle l'article 190) (en l'occurrence, les consorts Kisters) se voit privée du droit d'utiliser pleinement et d'épuiser ses moyens de défense, parmi lesquels le droit d'utiliser des voies de recours contre la détermination finale de la valeur, puisque l'article 199 du Code des droits d'enregistrement prévoit explicitement que la décision du ou des experts n'est susceptible d'aucun recours, - les règles légales applicables à l'expertise de contrôle prévue par le Code des droits d'enregistrement, plus particulièrement les articles 192, 195, 196, 197, 199 et 200 de ce Code interprétés en ce sens que ces dispositions ne pourraient obliger l'expert désigné par le juge de paix à respecter les règles concernant le caractère contradictoire, qui sont fixées, en matière civile, par les articles 962 et suivants du Code judiciaire ou pour le moins un minimum de règles concernant le caractère contradictoire; et, le cas échéant, les articles 2, 962 et suivants du Code judiciaire, s'ils sont interprétés en ce sens que l'expertise ordonnée dans le cadre de l'` expertise de contrôle ' est exclue de leur champ d'application, alors que les experts désignés conformément au droit commun et en application de l'article 185 du Code des droits d'enregistrement sont effectivement tenus de respecter les règles concernant le caractère contradictoire par application des articles 962 et suivants du Code judiciaire ? » (...) V. En droit (...) B.1. Le juge a quo demande à la Cour si les articles 192, 195, 196, 197, 199 et 200 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe violent les articles 10 et 11 de la Constitution, pris isolément ou lus en combinaison avec l'article 144 de la Constitution et avec les articles 6.1 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'ils feraient dépendre la valeur vénale des biens d'une expertise non contradictoire et sans recours.

La question invite à comparer la situation des contribuables dont le bien est soumis à une expertise de contrôle en matière de droits d'enregistrement et celle des personnes qui sont concernées par une expertise dans le cadre d'une procédure de droit commun. Sous ce rapport, les catégories de personnes visées sont comparables, en particulier en ce qui concerne le pouvoir d'appréciation du juge à l'égard de l'expertise.

B.2.1. L'article 44 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe soumet les ventes, échanges et toutes conventions translatives à titre onéreux de propriété ou d'usufruit de biens immeubles à un droit d'enregistrement de 12,50 p.c. En ce qui concerne les ventes, ce droit est liquidé, conformément à l'article 45, « sur le montant du prix et des charges stipulés ».

L'article 46 du même Code dispose : « Toutefois, la base imposable ne peut, en aucun cas, être inférieure à la valeur vénale des immeubles transmis. » B.2.2. Les dispositions en cause font partie du titre Ier (droit d'enregistrement), chapitre X (moyens de preuve), section II (expertise de contrôle) du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe établi par l'arrêté royal n° 64 du 30 novembre 1939, confirmé par la loi du 16 juin 1947.

L'article 189 dudit Code confère au receveur de l'enregistrement la faculté de requérir le cas échéant, indépendamment des modes de preuve visés à l'article 185 de ce Code, une expertise de contrôle pour faire déterminer, par un ou trois experts, la valeur vénale du bien concerné, en vue d'établir l'insuffisance du prix énoncé ou de la valeur déclarée. Les articles 190 à 200 règlent toutes les modalités de cette expertise de contrôle.

B.2.3. Le rôle du juge dans le régime de l'expertise de contrôle en matière de droits d'enregistrement se limite à désigner un ou trois experts, à défaut d'un accord entre les parties sur ce point (article 192), à statuer sur les éventuelles demandes de récusation de l'expert ou des experts ainsi désignés (article 194) et à se prononcer sur les demandes de nullité de l'expertise « pour contravention à la loi, pour erreur matérielle ou pour violation des formes substantielles ». Si la nullité est prononcée pour l'un de ces motifs, le tribunal ordonne une nouvelle expertise (article 199).

Les experts entendent les parties dans leurs dires et observations et tout document communiqué aux experts par l'une des parties doit en même temps être envoyé à la partie adverse (article 195). Les experts énoncent leur avis « de manière raisonnée et avec justifications à l'appui, sans aucune restriction ni réserve » (article 196, alinéa 2).

Le juge ne peut pas se prononcer sur l'évaluation des experts. Hormis les causes de nullité de l'expertise énumérées dans la loi, le travail des experts ne peut être contesté et leur décision n'est susceptible d'aucun recours (article 199). Si la valeur estimée est supérieure au prix énoncé ou à la valeur déclarée, l'acquéreur doit payer les droits supplémentaires, augmentés des intérêts moratoires et, le cas échéant, des frais de procédure ainsi que d'une amende (article 200).

B.3. Dans le régime de droit commun du Code judiciaire (articles 962 et suivants), une partie peut faire trancher par le juge la question de l'opportunité de l'expertise.

Le Code judiciaire règle la récusation et le remplacement des experts (articles 966 à 970 et 977) et le caractère contradictoire des opérations (articles 972 et s.). A l'issue de celles-ci, les experts donnent connaissance de leurs constatations aux parties et actent leurs observations (article 978).

L'article 973 dispose expressément que les experts procèdent à leur mission « sous le contrôle du juge ». Si le juge ne trouve pas dans le rapport les éclaircissements suffisants, il peut ordonner soit un complément d'expertise, soit une nouvelle expertise (article 987).

L'article 986 du Code judiciaire dispose : « Les juges ne sont point astreints à suivre l'avis des experts si leur conviction s'y oppose. » B.4.1. L'expertise de contrôle vise à fixer correctement la base imposable des droits d'enregistrement lors de la vente de biens immobiliers.

La circonstance qu'il soit dérogé, à cette occasion, aux dispositions du Code judiciaire en matière d'expertise ne constitue pas en soi une violation des règles d'égalité et de non-discrimination.

B.4.2. L'expertise de contrôle ne vise pas seulement à combattre la fraude fiscale (« Sans préjudice de l'application des dispositions relatives à la dissimulation de prix » - article 189), mais aussi à garantir, dans les cas où le prix énoncé ou la valeur déclarée sembleraient insuffisants, que la valeur vénale réelle des immeubles transmis serve de base imposable minimale conformément à l'article 46 cité plus haut.

Compte tenu de cet objectif et de la nature de la base imposable - qui ne peut être déterminée préalablement parce qu'elle dépend des fluctuations de l'offre et de la demande dans le secteur immobilier -, il est raisonnablement justifié que l'administration fiscale, outre les moyens de preuve de droit commun dont elle dispose, puisse requérir une expertise de contrôle en vue d'établir l'insuffisance du prix énoncé ou de la valeur déclarée, et demander à cette fin la désignation, par le juge, d'un ou de trois experts.

Il n'est pas manifestement déraisonnable que l'opportunité de la demande d'expertise de contrôle ne soit pas soumise à l'appréciation du juge, contrairement à la règle générale dans le cas d'une demande d'expertise en droit commun.

La circonstance que l'expertise de contrôle ne soit pas soumise aux articles 962 et suivants du Code judiciaire, en particulier - comme le précise la question préjudicielle - pour ce qui est de son caractère contradictoire, ne discrimine pas les redevables dont les biens sont soumis, en matière de droits d'enregistrement, à une expertise de contrôle. En vertu de l'article 195 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, les parties doivent en effet être entendues par le ou les experts et les documents qui sont remis aux experts pour consultation doivent également être communiqués à la partie adverse.

B.4.3. Il s'ensuit que ni les articles 192, 195 et 196 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, en eux-mêmes et indépendamment de l'autorité conférée, dans les articles suivants, à l'intervention du ou des experts, ni les articles 2 et 962 et suivants du Code judiciaire, dans l'interprétation du juge a quo, ne violent le principe d'égalité et de non-discrimination contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.5.1. La Cour constate que l'expertise de contrôle est déterminante pour le paiement ou non, par la partie acquéreuse, non seulement d'un droit supplémentaire et d'intérêts moratoires, mais en outre d'une amende égale au montant des droits éludés et des frais de la procédure, lorsque l'insuffisance constatée atteint ou dépasse le huitième du prix énoncé ou de la valeur déclarée, même s'il n'est pas question de dissimulation du prix ou de simulation (articles 200, 201 et 203 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe).

B.5.2. Il ressort des articles 197 et 199 que les constatations du ou des experts ne peuvent pas être contestées et que le juge ne peut revoir la valeur déterminée par les experts. Il peut seulement ordonner une nouvelle expertise s'il constate une contravention à la loi, une erreur matérielle ou une violation des formes substantielles.

B.5.3. En conséquence, les articles 10 et 11 de la Constitution sont violés par lesdits articles 197 et 199 en ce que, contrairement au cas de l'expertise réglée par le Code judiciaire, le juge ne peut exercer aucun contrôle de la valeur déterminée par les experts dans la procédure visée par les articles 192, 195, 196, 197, 199 et 200 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe.

Le fait que l'expertise de contrôle vise à préserver les intérêts du Trésor ne constitue pas une justification suffisante pour prévoir un tel traitement dérogatoire au droit commun : ces intérêts ne doivent pas peser sur les citoyens de manière discriminatoire.

B.5.4. Il n'y a pas lieu d'examiner en outre si, comme le suggère la question préjudicielle, les articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec les articles 6.1 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme sont violés et de vérifier à cette occasion si les dispositions de ces articles de la susdite Convention sont applicables en l'espèce. Il n'y a pas davantage lieu de le faire à propos de l'article 144 de la Constitution, qui se borne à prévoir que les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Les articles 192, 195, 196 et 200 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution. - Les articles 197 et 199 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe violent les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 21 juin 2000.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, G. De Baets.

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