Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 22 septembre 2001

Extrait de l'arrêt n° 78/2001 du 7 juin 2001 Numéro du rôle : 1841 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 137, alinéa 2, de l'ordonnance du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 août 1991 organique de la plan La Cour d'arbitrage, composée du président M. Melchior, des juges L. François, A. Arts, R. Henne(...)

source
cour d'arbitrage
numac
2001021443
pub.
22/09/2001
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 78/2001 du 7 juin 2001 Numéro du rôle : 1841 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 137, alinéa 2, de l'ordonnance du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 août 1991 organique de la planification et de l'urbanisme, posées par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

La Cour d'arbitrage, composée du président M. Melchior, des juges L. François, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, du président émérite G. De Baets et du juge honoraire J. Delruelle, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par ordonnance du 1er décembre 1999 en cause de A. Marchini-Camia et autres contre C. Unikowski et I. Waaker, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 10 décembre 1999, le président du Tribunal de première instance de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 137, alinéa 2, de l'ordonnance du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 août 1991, organique de la planification de l'urbanisme, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, et ce en ce qu'il instaure un régime de permis tacite, a. dont la nature exclurait tout recours en annulation et, le cas échéant, en suspension, devant la section d'administration du Conseil d'Etat, b.dont le contrôle par les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire ne serait pas équivalent aux contrôles juridictionnels exercés à l'encontre d'un permis d'urbanisme délivré par une autorité compétente pour ce faire, en particulier : - en ce que ce contrôle ne pourrait se fonder sur la violation d'autres dispositions que celles que le demandeur est tenu de respecter en vertu de l'article 137, alinéa 2, de l'ordonnance organique de la planification de l'urbanisme - en ce que ce contrôle ne pourrait, même marginalement, porter sur le respect des principes du bon aménagement des lieux ou le respect des conditions d'une dérogation ou d'une exception à une interdiction de bâtir préexistante ? 2. Cette violation n'existe-t-elle pas à tout le moins lorsque ce permis tacite résulte de l'absence de décision du Gouvernement régional alors que la ou les autres autorités compétentes qui auraient statué en premier ou en second degré auraient refusé de délivrer le permis d'urbanisme ? 3.Cette violation n'existe-t-elle pas à tout le moins lorsque ce permis tacite ne concerne pas un terrain où la construction est en principe admise, mais un terrain où, en raison d'une servitude non aedificandi, elle est en principe exclue et ne peut être autorisée qu'exceptionnellement, moyennant une appréciation effective et motivée de l'autorité administrative portant sur l'existence de conditions locales spécifiques ? » (...) IV. En droit (...) B.1. Les questions préjudicielles invitent la Cour à se prononcer sur la conformité de l'article 137, alinéa 2, de l'ordonnance du Conseil de la Région de Bruxelles-capitale du 29 août 1991 organique de la planification et de l'urbanisme, aux articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.

B.2. L'article 137 de l'ordonnance énonce que : « A défaut de notification de la décision dans le délai prévu à l'article 136, le demandeur peut, par lettre recommandée, adresser un rappel au Gouvernement.

Si, à l'expiration d'un nouveau délai de trente jours prenant cours à la date du dépôt à la poste de l'envoi recommandé contenant rappel, le demandeur n'a pas reçu de décision, il peut sans autre formalité, passer à l'exécution des travaux ou accomplir les actes, en se conformant aux indications du dossier qu'il a déposé, aux lois et règlements, notamment aux prescriptions des plans approuvés, ainsi qu'aux dispositions du permis de lotir.

Lorsque le recours a été introduit par le collège des bourgmestre et échevins ou le fonctionnaire délégué, le demandeur peut passer à l'exécution des travaux ou accomplir les actes en se conformant à la décision du Collège d'urbanisme.

Lorsque le demandeur passe à l'exécution des travaux ou accomplit les actes, il est tenu de le porter à la connaissance des tiers, dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 121, par voie d'affiche sur le bien.

Le Gouvernement détermine les modalités d'application du présent article. » En ce qui concerne la première question préjudicielle B.3.1. La première question préjudicielle interroge la Cour sur le point de savoir s'il n'est pas discriminatoire, en matière d'urbanisme, d'une part, que le résultat d'une procédure administrative ne puisse être contesté devant le Conseil d'Etat par les personnes intéressées par cette procédure et, d'autre part, que le contrôle qui peut être exercé par les juridictions judiciaires quant aux travaux qui peuvent être exécutés en vertu de la disposition en cause n'équivaut pas à celui qui pourrait être exercé à l'égard d'un acte administratif.

B.3.2. Contrairement à ce que paraît suggérer la question préjudicielle, la disposition en cause ne prévoit pas l'octroi d'un permis tacite par l'administration, mais bien l'autorisation, par l'effet direct de l'ordonnance, de passer à l'exécution des travaux.

Le silence de l'administration ne reçoit donc pas, aux termes de l'ordonnance, la signification d'un acte administratif tacite de refus ou d'acceptation de la demande de l'administré.

B.4. L'absence d'acte administratif dans le système législatif considéré, rend impossible l'intervention du Conseil d'Etat, tant sur la base de l'article 14, § 1er, des lois coordonnées que sur celle de l'article 14, § 3, des mêmes lois.

Il y a toutefois lieu de constater que, en vertu de la disposition en cause, l'exécution des travaux par le demandeur de permis peut être contrôlée par le juge judiciaire quant à la conformité des travaux par rapport « aux indications du dossier qu'il a déposé, aux lois et règlements, notamment aux prescriptions des plans approuvés, ainsi qu'aux dispositions [de l'éventuel] permis de lotir ».

B.5. En soi, la différence de traitement entre les justiciables selon que des recours peuvent être introduits devant les juridictions judiciaires ou devant le Conseil d'Etat n'est pas discriminatoire.

Elle ne le devient que lorsque les garanties offertes par l'une des voies de recours sont sensiblement inférieures à celles qu'offre l'autre.

B.6.1. La différence de traitement qui résulte de l'application de l'article 137, alinéa 2, de l'ordonnance bruxelloise repose sur un critère objectif : l'absence d'acte administratif susceptible d'un recours au Conseil d'Etat.

B.6.2. Cette disposition reprend le contenu de l'article 55, § 2, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, modifié par l'article 12 de la loi du 22 décembre 1970.

Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 29 mars 1962 (Doc. parl., Sénat, 1959-1960, n° 275, p. 67) ainsi que des travaux préparatoires de la loi du 22 décembre 1970 (Doc. parl., Sénat, 1969-1970, n° 525, pp. 69-70) que l'objectif poursuivi par le législateur en instituant une telle procédure était de ne pas pénaliser l'administré pour la passivité, voire l'incurie ou la mauvaise volonté, de l'administration.

B.6.3. Le moyen employé par l'ordonnance bruxelloise pour atteindre ce but est pertinent : la possibilité de passer à l'exécution des travaux moyennant l'accomplissement de certaines formalités préalables et l'écoulement d'un certain délai permet, en effet, au demandeur de permis d'obtenir satisfaction en cas de carence de l'administration.

B.6.4. Il reste toutefois à vérifier si le moyen employé par l'ordonnance pour atteindre l'objectif poursuivi par le législateur bruxellois ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des tiers, malgré la possibilité qui existe pour eux de saisir le juge judiciaire.

B.7. En matière d'urbanisme, il est, de façon générale, essentiel, tant pour le demandeur du permis que pour les tiers intéressés, qu'ils ne soient pas privés du service qu'une administration spécialisée peut rendre en appréciant leur situation in concreto et que puisse être examinée par le juge la question de savoir si l'administration n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la demande est ou non conforme au bon aménagement des lieux ou en accordant une dérogation aux dispositions planologiques en vigueur.

Ce contrôle peut être exercé par le Conseil d'Etat lorsqu'une décision administrative a été prise ou est réputée, en cas de silence de l'administration, avoir été prise. En présence d'une telle décision administrative, le juge judiciaire pourrait, en vertu de l'article 159 de la Constitution, exercer un contrôle comparable.

Dans la situation créée par la disposition en cause, toutefois, le juge judiciaire n'est pas en présence d'une décision administrative dont il puisse exercer le contrôle. Par ailleurs, charger le juge judiciaire, dans de telles circonstances, de substituer son appréciation au pouvoir discrétionnaire d'appréciation de l'administration reviendrait à lui reconnaître une compétence incompatible avec les principes qui régissent les rapports entre l'administration et les juridictions.

B.8. Il en résulte une atteinte disproportionnée aux droits des tiers intéressés, ce qui discrimine cette catégorie de personnes par rapport à celles auxquelles un contrôle juridictionnel est garanti.

B.9. La première question préjudicielle appelle une réponse positive.

B.10. L'examen de la première question préjudicielle ayant conduit à un constat de violation des articles 10 et 11 de la Constitution, il n'y a pas lieu de procéder à un examen des autres questions préjudicielles, qui ne pourrait conduire à un constat d'inconstitutionnalité plus étendu.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 137, alinéa 2, de l'ordonnance du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 août 1991 organique de la planification et de l'urbanisme viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 7 juin 2001, par le siège précité, dans lequel le président émérite G. De Baets est remplacé, pour le prononcé, par le président H. Boel, conformément à l'article 110 de la même loi.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, M. Melchior

^