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Arrêt
publié le 01 octobre 2004

Extrait de l'arrêt n° 89/2004 du 19 mai 2004 Numéros du rôle : 2701 et 2716 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posées par le Conseil d'Etat. La Cour d'arbitrage,

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 89/2004 du 19 mai 2004 Numéros du rôle : 2701 et 2716 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posées par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par arrêt n° 119.261 du 12 mai 2003 en cause de A. Brouillard contre la Chambre des représentants, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 16 mai 2003, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat est-il conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution, combinés au principe de la séparation des pouvoirs, en ce qu'il assimilerait une autorité parlementaire à une autorité administrative en permettant au Conseil d'Etat, sans que le texte ne le prévoie expressément, de contrôler par voie d'exception la conformité d'une décision d'une assemblée parlementaire aux règles de droit supérieures ? 2. L'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété en ce sens que les actes administratifs des assemblées législatives relatifs aux membres de leur personnel sont les actes individuels, à l'exclusion des actes à caractère réglementaire, alors que les membres du personnel des autorités administratives peuvent, par voie d'action ou d'exception, exercer un recours au Conseil d'Etat à l'encontre des dispositions relatives à leur recrutement et à leur statut et en invoquer l'illégalité sur la base de l'article 159 de la Constitution ? » b.Par arrêt n° 119.643 du 21 mai 2003 en cause de R. Veulemans contre la Cour des comptes, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 13 juin 2003, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété en ce sens que les ' actes administratifs ' des assemblées législatives ou de leurs organes et ceux de la Cour des comptes relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel sont uniquement les actes individuels, à l'exclusion des actes réglementaires régissant le recrutement et le statut de ce personnel, alors que les membres du personnel des autorités administratives peuvent demander au Conseil d'Etat l'annulation - et, par voie de conséquence, la suspension de l'exécution, accessoire de l'annulation - des dispositions réglementaires relatives à leur recrutement et à leur statut ? » Ces affaires, inscrites sous les numéros 2701 et 2716 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) En ce qui concerne l'affaire n° 2701 Quant à la portée des questions posées B.1.1. La motivation de l'arrêt de renvoi et la manière dont les deux questions préjudicielles sont formulées font apparaître que la Cour est interrogée au sujet de l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, interprété en ce sens que, par les termes « actes administratifs des assemblées législatives ou de leurs organes [...] relatifs [...] aux membres de leur personnel », cet article vise exclusivement les actes individuels et non les actes de nature réglementaire.

B.1.2. Par la deuxième question préjudicielle, il est demandé à la Cour si l'article 14, § 1er, ainsi interprété, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les membres du personnel des assemblées législatives ou de leurs organes, contrairement aux membres du personnel des autorités administratives, n'ont pas la possibilité de contester, par voie d'action ou d'exception, la légalité des dispositions réglementaires relatives à leur recrutement et à leur statut.

B.1.3. La première question préjudicielle considère que le texte de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne prévoit pas explicitement que le Conseil d'Etat puisse contrôler, par voie d'exception, la conformité d'une décision d'une assemblée parlementaire aux règles de droit supérieures et vise à demander à la Cour si l'article 14, § 1er, interprété en ce sens que le Conseil d'Etat, sans que le texte de l'article ne le prévoie expressément, est néanmoins compétent pour contrôler, par voie d'exception, la légalité des actes réglementaires des assemblées parlementaires, est conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec le principe de la séparation des pouvoirs.

Quant à la disposition en cause et à l'interprétation que lui donne le juge a quo B.2.1. L'article 14, § 1er, en cause, est libellé comme suit : « La section statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives, ainsi que contre les actes administratifs des assemblées législatives ou de leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, de la Cour des comptes et de la Cour d'arbitrage, ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel. » B.2.2. La disposition en cause, dans sa formulation actuelle, résulte de l'article 2 de la loi du 25 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999000448 source ministere de l'interieur et ministere de la justice Loi modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire fermer « modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire », modification qui donne suite à l'arrêt de la Cour n° 31/96 du 15 mai 1996.

La modification a pour effet que la section d'administration du Conseil d'Etat peut statuer sur les recours en annulation formés contre les « actes administratifs » des assemblées législatives ou de leurs organes, relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel.

B.2.3. Les travaux préparatoires de la loi du 25 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999000448 source ministere de l'interieur et ministere de la justice Loi modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire fermer font apparaître que l'article 2 a été adopté sur la base d'un amendement déposé par un député, inspiré d'une proposition de loi déposée antérieurement par ce même député, dans lequel étaient utilisés les termes « bestuurshandelingen » et « actes administratifs » (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 1640, p. 6, et Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1733/1).

Saisi d'une demande d'avis portant sur une autre proposition de loi tendant à donner suite à l'arrêt de la Cour n° 31/96, dans laquelle étaient utilisés les termes « akten en reglementen » et « actes et règlements », le Conseil d'Etat a notamment relevé la portée plus large de cette autre proposition par rapport à celle évoquée ci-dessus : « Selon l'intention des auteurs, la compétence du Conseil d'Etat s'étendrait non seulement aux actes individuels mais aussi à l'activité réglementaire des assemblées législatives. A cet égard, elle semble être en contraste avec la proposition de loi n° 1733/1 faite par M. Landuyt qui ne vise que les actes administratifs et non les règlements émanant des organes des assemblées législatives.

Il appartient au Parlement d'apprécier si la compétence attribuée au Conseil d'Etat doit se limiter aux seuls actes individuels ou peut être étendue aux actes réglementaires. » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 893/3, p. 2) B.2.4. Bien que ce soit le terme « administratieve handelingen » (et non « bestuurshandelingen ») qui est utilisé dans le texte néerlandais de l'article 14 modifié, on ne peut déduire du terme « actes administratifs » utilisé dans le texte français de cet article que le législateur ait voulu se distancier de l'interprétation restrictive que le Conseil d'Etat donnait aux termes « actes administratifs » et « bestuurshandelingen ».

Quant au fond B.3. En vertu de l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, les fonctionnaires qui sont au service d'une autorité administrative peuvent, pour autant qu'ils justifient de l'intérêt requis, introduire un recours en annulation devant le Conseil d'Etat contre les actes administratifs de cette autorité, que ceux-ci aient une portée individuelle ou soient de nature réglementaire.

Dans le cadre d'un recours en annulation d'un acte administratif individuel, ces fonctionnaires peuvent en outre contester, par voie d'exception, la légalité de l'acte administratif réglementaire qui sert de fondement à l'acte attaqué.

Le pouvoir du Conseil d'Etat d'écarter, par voie d'exception, l'application d'un acte administratif réglementaire ne découle pas de l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat mais de l'article 159 de la Constitution, aux termes duquel les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.

B.4.1. En vertu de la disposition en cause, les membres du personnel d'une assemblée législative ont la possibilité de demander l'annulation d'un acte administratif individuel de cette assemblée ou de l'un de ses organes; ils ne peuvent toutefois demander l'annulation d'un acte réglementaire de cette assemblée ou de l'un de ses organes.

B.4.2. On peut déduire de la loi du 25 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999000448 source ministere de l'interieur et ministere de la justice Loi modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire fermer que le législateur a voulu soumettre les actes administratifs individuels des assemblées législatives ou de leurs organes, relatifs à leur personnel, au même régime de protection juridique que celui qui est applicable aux actes des autorités administratives. On ne peut toutefois déduire de cette loi que le législateur ait voulu soumettre les actes réglementaires de ces assemblées ou de leurs organes à ce système de protection juridique.

Lorsqu'ils ont introduit devant le Conseil d'Etat un recours contre un acte individuel d'une assemblée législative ou de l'un de ses organes, les membres du personnel de cette assemblée ne peuvent contester, par voie d'exception, la légalité de l'acte réglementaire qui sert de fondement à l'acte attaqué.

B.5. Le caractère propre des assemblées législatives, qui sont élues et détentrices du résidu de la souveraineté, exige que leur indépendance soit garantie.

La nécessité de sauvegarder cette indépendance ne justifie toutefois pas que les fonctionnaires des assemblées législatives soient privés de la possibilité de contester, dans le cadre d'un recours en annulation formé contre des actes individuels, la légalité de l'acte réglementaire qui sert de fondement à l'acte attaqué, par voie d'exception ou via une procédure aboutissant au même résultat, ni qu'ils soient privés d'un recours en annulation contre ces actes réglementaires.

L'absence de ces garanties juridictionnelles qui sont reconnues par contre aux fonctionnaires relevant des autorités administratives est contraire au principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination; elle est disproportionnée au souci légitime de sauvegarder la liberté d'action des élus, car l'intérêt protégé par l'institution de ces garanties juridictionnelles est aussi réel et aussi légitime chez les fonctionnaires des assemblées législatives que chez ceux relevant des autorités administratives.

B.6. Il ne peut être remédié à cette situation que par la création d'un recours organisé par l'organe normatif compétent qui puisse envisager des garanties spécifiques assurant l'indépendance des assemblées législatives, consacrée notamment par l'article 60 de la Constitution et les dispositions analogues des lois de réformes institutionnelles.

B.7. Il résulte de ce qui précède que la discrimination trouve son origine dans le défaut d'organisation, d'une part, d'un droit de contester, à la suite d'un recours en annulation d'un acte individuel, la légalité de l'acte réglementaire qui sert de fondement à l'acte attaqué et, d'autre part, d'un recours en annulation des actes réglementaires pris par les assemblées législatives ou leurs organes à l'égard de leur personnel.

B.8. Pour ces raisons, la deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative et la première question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

En ce qui concerne l'affaire n° 2716 B.9. La motivation de l'arrêt de renvoi fait apparaître que la question préjudicielle porte sur l'article 14, § 1er, dont les termes « actes administratifs [...] de la Cour des comptes [...] relatifs [...] aux membres de [son] personnel » visent uniquement les actes individuels et non les actes de nature réglementaire.

B.10. La disposition en cause a pour effet que les fonctionnaires qui sont au service de la Cour des comptes, contrairement aux fonctionnaires qui sont au service d'une autorité administrative, n'ont pas le droit de demander l'annulation d'un acte réglementaire de la Cour des comptes relatif à son personnel.

B.11. L'article 180 de la Constitution dispose : « Les membres de la Cour des comptes sont nommés par la Chambre des représentants et pour le terme fixé par la loi. [...] Cette Cour est organisée par la loi. » L'article 20 de la loi du 29 octobre 1846, relative à l'organisation de la Cour des comptes, dispose : « Il ne peut être fait de changement au règlement d'ordre de la Cour des comptes qu'avec l'approbation de la Chambre des représentants. » B.12. La nécessité de sauvegarder l'indépendance de la Chambre des représentants ne saurait justifier que les fonctionnaires de la Cour des comptes soient privés d'un recours en annulation des actes réglementaires qui règlent le recrutement et le statut de ce personnel.

L'absence de cette garantie juridictionnelle qui est reconnue par contre aux fonctionnaires relevant des autorités administratives est contraire au principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination.

Cette discrimination trouve son origine dans le défaut d'organisation d'un recours en annulation des actes réglementaires relatifs au recrutement et au statut des membres du personnel de la Cour des comptes.

B.13. Pour cette raison, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. La première question préjudicielle dans l'affaire n° 2701 n'appelle pas de réponse.2. Le défaut d'organisation d'un recours en annulation des actes administratifs réglementaires relatifs au recrutement et au statut des membres du personnel des assemblées législatives et de la Cour des comptes, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.3. Le défaut d'organisation d'une procédure permettant de contester, à la suite d'un recours en annulation d'un acte individuel d'une assemblée législative ou de l'un de ses organes, relatif aux membres de son personnel, la légalité de l'acte réglementaire qui sert de fondement à l'acte attaqué viole les articles 10 et 11 de la Constitution.4. L'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les actes administratifs des assemblées législatives, de leurs organes et de la Cour des comptes, relatifs aux membres de leur personnel, que cette disposition mentionne, sont uniquement les actes individuels, à l'exclusion des actes de nature réglementaire. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 19 mai 2004.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

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