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Arrêt
publié le 19 octobre 2004

Extrait de l'arrêt n° 152/2004 du 15 septembre 2004 Numéro du rôle : 2877 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 159 et 191 du Code d'instruction criminelle, posée par la Cour de cassation. La Cour d'arbitrage,

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Extrait de l'arrêt n° 152/2004 du 15 septembre 2004 Numéro du rôle : 2877 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 159 et 191 du Code d'instruction criminelle, posée par la Cour de cassation.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, M. Bossuyt, A. Alen, J.-P. Moerman et J. Spreutels, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 2 décembre 2003 en cause de G. Van Volsem contre W. Smets et J. Meulepas, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 19 décembre 2003, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 159 et 191 du Code d'instruction criminelle violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il découle de ces dispositions que l'inculpé peut introduire une demande en dommages-intérêts contre la partie civile devant la chambre des mises en accusation statuant en application des articles 136, 136bis, 235 et 235bis du Code d'instruction criminelle sur la base du fait que la plainte de cette dernière est irrecevable ainsi que téméraire et vexatoire, alors que la partie civile ne peut introduire une telle demande lorsque l'inculpé utilise devant cette même juridiction un moyen ou une voie de recours téméraire et vexatoire ? » (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle concerne les articles 159 et 191 du Code d'instruction criminelle. Ces dispositions sont libellées comme suit : «

Art. 159.Si le fait ne présente ni délit ni contravention de police, le tribunal annulera la citation et tout ce qui aurait suivi, et statuera par le même jugement sur les demandes en dommages-intérêts. » «

Art. 191.Si le fait n'est réputé ni délit ni contravention de police, le tribunal annulera l'instruction, la citation et tout ce qui aura suivi, renverra le prévenu, et statuera sur les demandes en dommages-intérêts. » L'article 212 du Code d'instruction criminelle, qui est connexe aux dispositions litigieuses, énonce : « Si le jugement est réformé, parce que le fait n'est réputé délit ni contravention de police par aucune loi, la cour renverra le prévenu, et statuera, s'il y a lieu, sur ses dommages-intérêts. » B.2. Par la question préjudicielle, il est demandé à la Cour si les articles 159, 191 et 212 du Code d'instruction criminelle sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'ils instaurent une différence de traitement entre, d'une part, la partie civile qui a fait appel de l'ordonnance de non-lieu prononcée à l'égard de l'inculpé et qui, sur requête de ce dernier, peut être condamnée aux dommages-intérêts pour cause d'appel téméraire et vexatoire par la chambre des mises en accusation, sur la base des dispositions susmentionnées, dans l'interprétation que leur donne la juridiction a quo, et, d'autre part, l'inculpé qui a fait appel d'une ordonnance de renvoi devant le juge du fond et qui, faute de dispositions législatives interprétées de la même manière, ne peut être condamné aux dommages-intérêts pour cause d'appel téméraire et vexatoire.

B.3.1. A la suite du remplacement de l'article 136 du Code d'instruction criminelle par l'article 31 de la loi du 12 mars 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/03/1998 pub. 02/04/1998 numac 1998009267 source ministere de la justice Loi relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction fermer relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction (Moniteur belge , 2 avril 1998, première édition), la chambre des mises en accusation n'est plus obligée de condamner la partie civile à payer à l'inculpé des dommages-intérêts lorsqu'elle succombe dans son appel (« opposition ») formé sur la base de l'ancien article 135 du même Code contre les ordonnances de la chambre du conseil empêchant la poursuite de l'action pénale.

Dans ses arrêts n° 43/95 du 6 juin 1995, n° 76/95 du 9 novembre 1995 et n° 34/99 du 17 mars 1999, la Cour avait déclaré que l'ancien article 136 du Code d'instruction criminelle, sur lequel cette obligation était basée, était compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Dans le cadre de la réforme de la procédure pénale qui allait aboutir à la loi précitée du 12 mars 1998, les avantages du maintien de cette possibilité ont certes été reconnus mais n'ont pas été jugés suffisants pour qu'on envisage de l'inscrire dans la loi. A cet égard, les travaux préparatoires de cette loi mentionnent ce qui suit : « L'article 136 en vigueur a un intérêt : celui de faire l'économie d'une procédure distincte dans l'hypothèse où la personne qui bénéficie d'un non-lieu veut exiger des dommages et intérêts de la part de la partie civile qui a formé opposition et qui succombe de son action. Initialement, la Commission avait maintenu cette condamnation en lui donnant un caractère facultatif, afin que la chambre des mises en accusation puisse ne plus condamner, proprio motu, à des dommages et intérêts la partie civile qui succombe. En pratique, cette condamnation n'était d'ailleurs plus automatique.

Comme le Conseil d'Etat l'a fait remarquer dans son avis, la question se pose de savoir, si avec cette modification dans le cadre du projet de loi, la différence de traitement qui existe entre l'inculpé et la partie civile - qui peut être condamnée à des dommages et intérêts envers le suspect, d'une part, mais qui, d'autres part, ne peut réclamer des dommages et intérêts à l'inculpé, se justifie encore. Le fait que la Cour d'arbitrage ait, par [le] passé, jugé que cette différence de traitement, [telle qu'elle est actuellement inscrite dans la loi, était parfaitement justifiée (voir Cour d'arbitrage, 6 juin 1995, n° 43/95; 9 novembre 1995, n° 76/95)], ne donne aucune garantie pour l'avenir, dans la mesure où le projet actuel élargit considérablement les possibilités de recours.

Dans ces circonstances, la Commission pour le droit de la procédure pénale a estimé qu'il était préférable de supprimer purement et simplement la possibilité de condamner la partie civile à payer des dommages et intérêts en raison d'un recours non fondé, plutôt que d'introduire la même possibilité en faveur de l'inculpé. » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 857/1, pp. 65-66) B.3.2. La juridiction a quo a toutefois interprété les articles 159, 191 et 212 du Code d'instruction criminelle en ce sens qu'ils confèrent néanmoins à la chambre des mises en accusation le pouvoir de condamner aux dommages-intérêts pour cause d'appel téméraire et vexatoire, sur requête de l'inculpé mis hors cause, la partie civile dont l'appel contre une ordonnance de non-lieu prononcée à l'égard de l'inculpé a été déclaré non fondé.

La Cour doit contrôler au regard des articles 10 et 11 de la Constitution les dispositions susdites, dans l'interprétation qui leur est donnée par la juridiction a quo.

B.4. Le traitement différent de la partie civile et de l'inculpé repose sur un critère objectif, à savoir leur qualité en tant que parties au procès et les motifs distincts pour lesquels ils peuvent désormais interjeter appel des ordonnances de la chambre du conseil, sur la base des paragraphes 1er et 2 de l'article 135 du Code d'instruction criminelle. A la différence de la partie civile, l'inculpé ne peut contester en appel une ordonnance de la chambre du conseil que pour un nombre restreint de motifs, ce qui est susceptible de justifier la différence de traitement entre les deux parties en ce qui concerne la possibilité de condamnation pour cause d'appel téméraire et vexatoire.

B.5. La voie de recours utilisée par la partie civile, sur la base de l'article 135 du Code d'instruction criminelle, contre une ordonnance de la chambre du conseil prononçant le non-lieu à l'égard de l'inculpé demeure, même après la modification des articles 135 et 136 du Code d'instruction criminelle par la loi précitée du 12 mars 1998, une exception à la règle selon laquelle l'action publique est exercée par le ministère public. L'appel interjeté par la partie civile a un effet identique à celui de l'appel du ministère public, puisque la chambre des mises en accusation ne se prononce pas sur l'action civile, mais bien sur l'action publique. On ne saurait exclure, à cet égard, que des parties civiles abusent de leur droit d'appel et nuisent à l'inculpé en allongeant l'instruction judiciaire pour des motifs étrangers à l'intérêt général, en formant un appel intempestif et en prolongeant ainsi l'action publique.

Dans l'interprétation qui leur est donnée par la juridiction a quo, les dispositions en cause offrent dès lors la possibilité - mais nullement l'obligation - de condamner la partie civile aux dommages-intérêts lorsqu'elle succombe dans son appel contre une ordonnance de non-lieu à l'égard de l'inculpé prononcée par la chambre du conseil. De cette manière, l'inculpé mis hors cause est protégé et la partie civile est mise en garde contre l'usage injustifié de la voie de recours de l'appel contre une ordonnance de non-lieu. La distinction est donc pertinente pour atteindre l'objectif.

B.6. La mesure, dans l'interprétation qu'en donne la juridiction a quo, n'est pas non plus disproportionnée à l'objectif poursuivi.

La mesure n'empêche nullement l'intentement de l'appel, qui est parfaitement légitime lorsque cette voie de recours vise à sauvegarder un intérêt digne de protection, notamment la réformation ou l'annulation, fondée sur des griefs sérieux, d'une décision judiciaire préjudiciable. Seul l'abus manifeste de la faculté de contester une ordonnance de non-lieu devant la chambre des mises en accusation peut donner lieu à une condamnation aux dommages-intérêts, et ceci du reste non pas d'office mais sur requête de la partie mise hors cause et après débat. Il appartient à la chambre des mises en accusation d'apprécier, sur la base des éléments concrets du dossier, si l'appel doit être qualifié de téméraire et vexatoire et si l'action en dommages-intérêts est fondée.

La mesure ne limite pas non plus de manière excessive les droits des parties civiles, qui conservent toujours le droit de porter leurs demandes devant le juge civil. Il peut par contre se justifier, du point de vue de l'économie du procès, que l'action en dommages-intérêts intentée par la personne mise hors cause, qui découle exclusivement du caractère téméraire et vexatoire de l'appel formé contre l'ordonnance de la chambre du conseil qui l'a mise hors cause, soit tranchée par la juridiction qui doit être considérée comme la plus à même de se prononcer sur ce point.

B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 159, 191 et 212 du Code d'instruction criminelle ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, interprétés en ce sens qu'ils confèrent à la chambre des mises en accusation le pouvoir de connaître de l'action en dommages-intérêts intentée par l'inculpé mis hors cause pour cause d'appel téméraire et vexatoire interjeté par la partie civile contre l'ordonnance de la chambre du conseil ayant prononcé le non-lieu.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 15 septembre 2004.

Le greffier, L. Potoms Le président, A. Arts

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