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Arrêt
publié le 06 février 2006

Extrait de l'arrêt n° 187/2005 du 14 décembre 2005 Numéro du rôle : 3176 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 7, alinéa 1 er , 2°, du Code électoral et l'article 86, 1°, b), du décret de la Communauté flama La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 187/2005 du 14 décembre 2005 Numéro du rôle : 3176 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 7, alinéa 1er, 2°, du Code électoral et l'article 86, 1°, b), du décret de la Communauté flamande du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l'Enseignement communautaire, posées par le Tribunal de première instance de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 24 novembre 2004 en cause de A.B. contre la Communauté flamande et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 3 décembre 2004, le Tribunal de première instance de Gand a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 7, 2°, du Code électoral du 12 avril 1894 viole-t-il le principe général de droit selon lequel seul le juge peut infliger des peines, ainsi que les principes contenus aux articles 13 et 145 de la Constitution coordonnée ? 2. L'article 7, 2°, du Code électoral du 12 avril 1894 viole-t-il les principes d'égalité et de non-discrimination contenus aux articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, lus séparément ou en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, au motif que par application de l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 19 décembre 1966 et approuvé par la loi du 15 mai 1981, nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays, au motif que cela reviendrait à une violation du principe général de droit contenu dans l'adage ' non bis in idem ' et au motif qu'une telle décision ne peut être prise sans contrôle juridictionnel par une juridiction indépendante ? 3. L'article 86, 1°, b), du décret [...] du 27 mars 1997 [lire : 1991] relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement communautaire viole-t-il le principe général de droit selon lequel seul le juge peut infliger des peines, ainsi que les principes contenus aux articles 13, 144 et 145 de la Constitution coordonnée ? 4. L'article 86, 1°, b), du décret [...] du 27 mars 1997 [lire : 1991] relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement communautaire viole-t-il les principes d'égalité et de non-discrimination contenus aux articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, lus séparément ou en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, (a) parce qu'une différence de traitement est créée entre des catégories comparables de personnel enseignant (fonctionnaires et non-fonctionnaires), (b) parce que la sanction de la démission d'office entre en vigueur même en cas de suspension temporaire des droits électoraux, ce qui diffère pourtant d'une suspension définitive des droits électoraux et (c) parce que par application de l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 19 décembre 1966 et approuvé par la loi du 15 mai 1981, nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays, (d) parce que cela reviendrait à une violation du principe général de droit contenu dans l'adage ' non bis in idem ' et (e) parce qu'une telle décision ne peut être prise sans contrôle juridictionnel ? 5. Y a-t-il violation des principes d'égalité et de non-discrimination en cas d'application conjointe de l'article 7, 2°, du Code électoral du 12 avril 1894 et de l'article 86, 1°, b), du décret [...] du 27 mars 1997 [lire : 1991] relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement communautaire (a) parce qu'une différence de traitement est créée entre des condamnés comparables en raison d'une infraction déterminée, (b) parce qu'une différence de traitement est créée entre plusieurs catégories de personnel enseignant (fonctionnaires et non-fonctionnaires), (c) parce que la sanction de la démission d'office entre en vigueur même en cas de suspension temporaire des droits électoraux, ce qui diffère pourtant d'une suspension définitive des droits électoraux, (d) parce que par application de l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 19 décembre 1966 et approuvé par la loi du 15 mai 1981, nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays, (e) parce que cela reviendrait à une violation du principe général de droit contenu dans l'adage ' non bis in idem ' et (f) parce qu'une telle décision ne peut être prise sans contrôle juridictionnel ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 7, alinéa 1er, 2°, du Code électoral et sur l'article 86, 1°, b), du décret de la Communauté flamande du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement communautaire.

L'article 7, alinéa 1er, 2°, du Code électoral, tel qu'il a été remplacé par l'article 149 de la loi du 21 décembre 1994Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/1994 pub. 07/03/2012 numac 2012000130 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses . - Traduction allemande d'extraits fermer portant des dispositions sociales et diverses, énonce : « Sont frappés de la suspension des droits électoraux et ne peuvent être admis au vote pendant la durée de l'incapacité : [...] 2° Ceux qui ont été condamnés à une peine d'emprisonnement de plus de quatre mois, à l'exception de ceux qui ont été condamnés sur la base des articles 419 et 420 du Code pénal. La durée de l'incapacité est de six ans si la peine est de plus de quatre mois à moins de trois ans, et de douze ans si la peine est de trois ans au moins ».

B.2. L'article 7, alinéa 1er, 2°, du Code électoral prévoit une suspension de plein droit des droits électoraux actifs pour ceux qui ont été condamnés à une peine d'emprisonnement de plus de quatre mois, à l'exception de ceux qui ont été condamnés sur la base des articles 419 et 420 du Code pénal. Les personnes en question ne peuvent être admises au vote, même si elles figurent sur les listes électorales.

Cette suspension de l'exercice des droits électoraux a été explicitement conçue par le législateur comme une incapacité temporaire. La durée de l'incapacité est de six ans si la peine est de plus de quatre mois à moins de trois ans et de douze ans si la peine est de trois ans au moins. Toutefois, si la condamnation est prononcée avec sursis, l'incapacité est suspendue pendant la durée du sursis. Si la condamnation est prononcée partiellement avec sursis, seule la partie de la peine prononcée sans sursis est à prendre en considération (article 9 du Code électoral). En cas de condamnation à plusieurs peines visées à l'article 7, alinéa 1er, 2°, les incapacités qui en découlent sont cumulées, sans que la durée totale puisse excéder douze ans. En vertu de l'article 8 du Code électoral, le droit de grâce n'est pas applicable aux cas d'incapacité visés aux articles 6 et 7 du Code électoral.

B.3. L'article 86, 1°, b), du décret de la Communauté flamande du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement communautaire, tel qu'il a été modifié par l'article 10.33 du décret du 13 juillet 2001 relatif à l'enseignement XIII-Mosaïque (ci-après : le décret du 27 mars 1991), énonce : « Sans préjudice des dispositions de l'article 23 relatives à la fin de la désignation temporaire, les membres du personnel désignés à titre temporaire ou nommés à titre définitif sont, sauf disposition contraire, démis de leurs fonctions, d'office et sans préavis : 1° s'ils ne satisfont plus à une des conditions suivantes : a) être ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou de l'Association européenne de Libre-Echange, sauf dispense accordée par le Gouvernement flamand;b) jouir des droits civils et politiques, sauf dispense accordée par le Gouvernement flamand qui est compatible avec celle visée au a); c) [...] ».

Quant aux questions préjudicielles B.4. Il ressort de la formulation des questions préjudicielles et de la motivation du jugement de renvoi que le juge a quo souhaite avant tout savoir, en substance, si les dispositions en cause, séparément ou conjointement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec le droit d'accès au juge et à un recours juridictionnel effectif, qui découle de l'article 13 de la Constitution et qui est également garanti par un principe général de droit ainsi que par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et avec le principe non bis in idem, qui est garanti par l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que la suspension de l'exercice des droits électoraux est infligée automatiquement et donc de plein droit sans la moindre intervention d'un juge (première et troisième questions préjudicielles, deuxième question préjudicielle, in fine, quatrième question préjudicielle, e), et cinquième question préjudicielle, f)) et en ce que nul ne peut être puni une deuxième fois pour un fait punissable pour lequel il a déjà été condamné ou acquitté (deuxième question préjudicielle partiellement, quatrième question préjudicielle, c) et d), et cinquième question préjudicielle, d) et e)).

Il soumet ensuite à la censure de la Cour un certain nombre de différences de traitement [quatrième question préjudicielle, a) et b), cinquième question préjudicielle, a), b) et c)).

Quant au fond B.5.1. Les droits d'élire et d'être élu, qui découlent notamment de l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, doivent, en vertu de l'article 14 de cette Convention et des articles 10 et 11 de la Constitution, être garantis sans discrimination. S'il s'agit de droits fondamentaux pour la démocratie et l'Etat de droit, ils ne sont cependant pas absolus et ils peuvent faire l'objet de restrictions. Celles-ci ne peuvent toutefois atteindre ces droits dans leur substance même et les priver de leur effectivité; elles doivent poursuivre un but légitime et les moyens employés ne peuvent être disproportionnés (voir Cour européenne des droits de l'homme, Grande chambre, Hirst c/Royaume uni (n° 2), 6 octobre 2005, et la jurisprudence citée dans cet arrêt).

B.5.2. L'article 8, alinéa 2, de la Constitution dispose : « La Constitution et les autres lois relatives aux droits politiques, déterminent quelles sont, outre cette qualité de Belge, les conditions nécessaires pour l'exercice de ces droits ».

L'article 61 de la Constitution dispose : « Les membres de la Chambre des représentants sont élus directement par les citoyens âgés de dix-huit ans accomplis et ne se trouvant pas dans l'un des cas d'exclusion prévus par la loi.

Chaque électeur n'a droit qu'à un vote ».

Il est renvoyé à cette disposition en ce qui concerne l'élection des sénateurs (article 67, § 1er, alinéa 1er, 1° et 2°, de la Constitution).

B.5.3. En ce qui concerne l'éligibilité, l'article 64, 2°, pour la Chambre des représentants, et l'article 69, 2°, pour le Sénat, exigent du candidat qu'il jouisse des droits civils et politiques. Des dispositions analogues s'appliquent aux autres assemblées élues.

B.5.4. Le législateur puise dans les dispositions précitées la compétence de déterminer quels sont les citoyens exclus du droit de participer aux élections.

B.5.5. Les questions préjudicielles n'interrogent pas la Cour sur le caractère raisonnable ou excessif des sanctions, élément qui a été pris en considération par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Hirst précité. Elles concernent uniquement le caractère automatique des incapacités prévues par la loi, qui porterait atteinte au droit d'accès au juge et au principe non bis in idem.

B.5.6. La privation temporaire des droits électoraux était inspirée, dans le Code électoral du 12 avril 1894, par la volonté de priver de ces droits les citoyens dont, en raison des infractions qu'ils ont commises, il peut être présumé qu'ils ne sont pas dignes de participer aux élections. L'automaticité de la mesure a été instaurée parce que, lorsqu'elle était facultative, le juge s'abstenait généralement de la prononcer, quelle que soit la gravité du délit (Pasin., 1894, p. 204).

B.5.7. En ce que la mesure porte atteinte à un droit fondamental, il convient de mettre en balance le souci d'écarter des élections les citoyens indignes et celui de ne pas priver les citoyens de manière disproportionnée d'un droit fondamental. Cette recherche d'un équilibre s'impose d'autant plus que, en droit pénal, l'accent a été mis de plus en plus sur la réinsertion du délinquant et que celle-ci implique qu'il puisse à nouveau faire partie d'une société démocratique qui suppose l'élection de ses représentants par la collectivité dans son ensemble.

B.5.8. Le Code électoral du 12 avril 1894 prévoyait une suspension des droits électoraux de dix ou vingt ans, selon que la peine était inférieure ou supérieure à un mois, pour certaines infractions. Il prévoyait également, en toute matière, une suspension de dix ou vingt ans selon la gravité de la peine, si celle-ci dépassait un mois, à l'exclusion des condamnations pour certaines infractions de négligence.

B.5.9. L'exposé des motifs de la loi du 25 juillet 1976 apportant des modifications à la législation électorale annonce que la loi sera revue pour les raisons suivantes : « Les articles 6 à 9bis de notre Code électoral qui sont relatifs à l'exclusion de l'électorat et à la suspension des droits électoraux étaient les plus marqués par l'âge. Leur complexité, leur sévérité, leur ignorance totale de l'évolution du droit pénal les prédestinaient à une révision profonde (parfois des délits involontaires pouvaient entraîner des incapacités).

Enfin les cumuls aboutissaient fréquemment à priver à vie de l'électorat des condamnés dont le reclassement social était acquis depuis longtemps » (Doc. parl., Sénat, 1975-1976, n° 691/1, p. 5).

Cette préoccupation ne s'est cependant traduite que par la fixation à trois mois au moins d'emprisonnement correctionnel principal, du chef d'un délit volontaire, la condamnation déclenchant une incapacité de six ou douze ans selon que la peine est inférieure ou supérieure à trois ans.

B.5.10. La loi du 21 décembre 1994Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/1994 pub. 07/03/2012 numac 2012000130 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses . - Traduction allemande d'extraits fermer portant des dispositions sociales et diverses, d'où est issu le texte actuel de la disposition en cause, a maintenu le caractère automatique de la déchéance. Celle-ci s'attache à la condamnation prononcée, par l'effet de la loi, sans faire l'objet d'une décision spécifique prononcée par le tribunal.

B.5.11. Il découle de ce qui précède que, si l'article 7, alinéa 1er, 2°, du Code électoral continue d'être conforme à l'objectif légitime poursuivi en 1894, il a des effets disproportionnés en ce qu'il prive de plein droit de leurs droits électoraux des personnes condamnées, pendant un délai qui peut être très supérieur à celui de l'exécution de leur peine.

B.5.12. Ce caractère automatique est d'autant plus disproportionné que les conséquences d'une suspension des droits civils et politiques ont été notablement aggravées, notamment, par la disposition, inscrite aujourd'hui à l'article 112, § 2, 3°, de l'arrêté royal portant le statut des agents de l'Etat et reprise dans de nombreuses dispositions - dont l'article 86, 1°, b), du décret de la Communauté flamande qui fait l'objet des troisième, quatrième et cinquième questions préjudicielles -, selon laquelle perd d'office et sans préavis la qualité d'agent celui qui ne jouit plus de ses droits civils et politiques, fût-ce de manière temporaire.

B.5.13. L'ensemble des questions préjudicielles appelle une réponse affirmative, dans la mesure indiquée au dispositif.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 7, alinéa 1er, 2°, du Code électoral viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il suspend de plein droit les droits électoraux des condamnés qu'il vise.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 décembre 2005.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, A. Arts.

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