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Arrêt
publié le 30 novembre 2009

Extrait de l'arrêt n° 158/2009 du 20 octobre 2009 Numéro du rôle : 4565 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Louvain. La Cour composée des présidents M. Bossuyt et P. Martens, et des juges M. Melchior, R. Henneuse, E. De Groo(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 158/2009 du 20 octobre 2009 Numéro du rôle : 4565 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Louvain.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et P. Martens, et des juges M. Melchior, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 7 novembre 2008 en cause de l'Etat belge contre Geert Swinnen et Anna Hermans, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 27 novembre 2008, le Tribunal de première instance de Louvain a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 356 du CIR 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne prévoit pas de délai dans lequel la cotisation subsidiaire doit être établie, alors que, pour l'établissement de l'imposition, un délai est normalement prévu par les articles 353 et 354 du CIR 1992 et que l'article 355 du CIR 1992 dispose que lorsque l'imposition a été annulée par le directeur régional ou par le fonctionnaire délégué par lui, l'administration peut établir une nouvelle cotisation dans les trois mois de la date à laquelle la décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui n'est plus susceptible de recours en justice ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Les articles 353, 354 et 359 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992) constituent le droit commun des délais d'imposition en matière fiscale.

L'article 353 du CIR 1992 dispose : « L'impôt dû sur la base des revenus et des autres éléments mentionnés sous les rubriques à ce destinées d'une formule de déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311, est établi dans le délai fixé à l'article 359, sans que ce délai puisse être inférieur à six mois à compter de la date à laquelle la déclaration est parvenue au service de taxation compétent.

Par dérogation à l'alinéa 1er, le délai fixé à l'article 359 ne peut pas être inférieur à six mois à compter de la date à laquelle la proposition d'imposition visée à l'article 306 est envoyée au contribuable ».

L'article 354 du CIR 1992 dispose : « En cas d'absence de déclaration, de remise tardive de celle-ci, ou lorsque l'impôt dû est supérieur à celui qui se rapporte aux revenus imposables et aux autres éléments mentionnés sous les rubriques à ce destinées d'une formule de déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311, l'impôt ou le supplément d'impôt peut, par dérogation à l'article 359 être établi pendant trois ans à partir du 1er janvier de l'année qui désigne l'exercice d'imposition pour lequel l'impôt est dû.

Ce délai est prolongé de deux ans en cas d'infraction aux dispositions du présent Code ou des arrêtés pris pour son exécution, commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.

Le précompte immobilier, l'amende administrative, et, dans la mesure où ils ne sont pas payés dans le délai prévu à l'article 412, le précompte mobilier et le précompte professionnel peuvent également être établis dans le délai fixé aux deux alinéas qui précèdent.

Lorsque le contribuable ou le conjoint sur les biens duquel l'imposition est mise en recouvrement, a introduit une réclamation conformément aux articles 366 et 371, dans le délai de 3 ans prévu à l'alinéa 1er, ce délai est prolongé d'une période égale à celle qui s'étend entre la date de l'introduction de la réclamation et celle de la décision du directeur ou du fonctionnaire délégué sans que cette prolongation puisse être supérieure à six mois ».

L'article 359 du CIR 1992 dispose : « L'exercice d'imposition commence le 1er janvier et finit le 31 décembre suivant.

Toutefois, l'impôt dû pour un exercice d'imposition peut être valablement établi jusqu'au 30 juin de l'année suivant celle dont le millésime désigne l'exercice d'imposition ».

B.1.2. Dès lors qu'il estimait que l'annulation, soit par le directeur régional, soit par le juge, de la cotisation initiale ne peut avoir pour effet d'exempter certains contribuables des impôts dont ils sont redevables, le législateur a prévu à l'article 32 de la loi du 20 août 1947 « apportant des modifications : a) aux lois et arrêtés relatifs aux impôts sur les revenus et à la contribution nationale de crise; b) aux lois et arrêtés relatifs aux taxes spéciales assimilées aux impôts directs » que l'administration fiscale peut établir dans ces cas une nouvelle cotisation ou une cotisation subsidiaire.

Si le « directeur des contributions » annulait la cotisation, l'administration fiscale avait le choix entre établir une nouvelle cotisation ou soumettre une cotisation subsidiaire à la cour d'appel.

Si le juge annulait la cotisation, seule subsistait la possibilité d'une cotisation subsidiaire.

La disposition a été ultérieurement reprise dans les articles 260 et 261 du CIR 1964, actuellement les articles 355 et 356 du CIR 1992.

B.1.3. Il s'agit d'une obligation pour l'administration fiscale dès que les conditions prescrites à cet égard sont remplies, étant donné qu'elle n'est pas libre de renoncer au recouvrement des impôts dus (Cass., 5 septembre 1967, Pas., 1968, I, p. 22).

B.1.4. Depuis la réforme de la procédure fiscale effectuée par la loi du 15 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/03/1999 pub. 27/03/1999 numac 1999003180 source ministere des finances Loi relative au contentieux en matière fiscale fermer relative au contentieux fiscal, la possibilité de choix de l'administration fiscale est limitée : la nouvelle cotisation prévue à l'article 355 du CIR 1992 ne peut désormais être établie que lorsque le directeur régional annule la cotisation initiale, tandis que la cotisation subsidiaire prévue à l'article 356 du CIR 1992 - la disposition en cause - ne peut être appliquée que si le juge annule la cotisation initiale.

L'article 355 du CIR 1992 dispose : « Lorsqu'une imposition a été annulée pour n'avoir pas été établie conformément à une règle légale autre qu'une règle relative à la prescription, l'administration peut, même si le délai fixé pour l'établissement de la cotisation est alors écoulé, établir à charge du même redevable, une nouvelle cotisation en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition, dans les trois mois de la date à laquelle la décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui n'est plus susceptible de recours en justice.

Lorsque l'imposition annulée a donné lieu à la restitution d'un crédit d'impôt, d'un précompte ou d'un versement anticipé, il est tenu compte de cette restitution lors de l'établissement de la nouvelle cotisation de remplacement ».

L'article 356 du CIR 1992 dispose : « Lorsqu'une décision du directeur des Contributions ou du fonctionnaire délégué par lui fait l'objet d'un recours en justice, et que la juridiction saisie prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription, l'administration peut même en dehors des délais prévus aux articles 353 et 354, soumettre à l'appréciation de la juridiction saisie qui statue sur cette demande, une cotisation subsidiaire à charge du même redevable et en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition que la cotisation initiale.

Lorsque l'imposition dont la nullité est prononcée par la juridiction, a donné lieu à la restitution d'un précompte ou d'un versement anticipé, il est tenu compte de cette restitution lors du calcul de la cotisation subsidiaire soumise à l'appréciation de la juridiction.

La cotisation subsidiaire n'est recouvrable ou remboursable qu'en exécution de la décision de la juridiction saisie.

Cette cotisation subsidiaire est soumise à la juridiction par requête signifiée au redevable; la requête est signifiée avec assignation à comparaître, lorsqu'il s'agit d'un redevable assimilé en vertu de l'article 357 ».

B.2.1. Cette possibilité de réimposition est, selon le législateur, justifiée en ce qu'il « est de justice élémentaire que tout contribuable paie sa redevance à l'Etat même si l'agent de l'administration a commis quelque erreur de procédure » (Doc. parl., Chambre, 1946-1947, n° 407, p. 59).

De même, « [lorsque] l'administration a commis une erreur dans l'application des lois, la juste répartition des charges fiscales ne doit pas en être influencée, sauf si le contribuable a acquis le bénéfice de la forclusion » (Doc. parl., Chambre, 1946-1947, n° 59, pp. 24-25).

B.2.2. Dans son arrêt n° 211/2004 du 21 décembre 2004, la Cour a jugé que, eu égard aux objectifs décrits en B.2.1, l'article 355 du CIR 1992 ne viole pas le principe d'égalité et de non-discrimination dans la mesure où cette disposition autorise l'administration fiscale à rectifier ses erreurs, tandis que le contribuable ne dispose pas de cette possibilité.

B.3.1. En l'espèce, ce n'est pas l'existence même de la possibilité de réimposition qui est en cause, mais la distinction relative aux délais de forclusion entre, d'une part, la nouvelle cotisation établie en vertu de l'article 355 du CIR 1992 et, d'autre part, la cotisation subsidiaire établie en vertu de la disposition en cause.

En effet, l'article 355 du CIR 1992 prévoit que l'administration fiscale dispose d'un délai de trois mois à partir de « la date à laquelle la décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui n'est plus susceptible de recours en justice ». En revanche, en vertu de la disposition en cause, l'administration fiscale n'est tenue à aucun délai de forclusion et elle peut même soumettre au juge la cotisation subsidiaire « en dehors des délais prévus aux articles 353 et 354 ».

B.3.2. Or, le contribuable dont la cotisation initiale a été annulée par le juge ne se trouve pas dans une situation essentiellement différente de celle du contribuable dont la cotisation initiale a été annulée par le directeur régional. En effet, cette annulation intervient dans les deux cas en raison de vices de forme qui ne sont pas imputables au contribuable; dans les deux cas, l'initiative revient à l'administration fiscale et il existe un objectif légitime de recouvrer l'impôt exigible.

B.4.1. L'administration fiscale utilise deux techniques pour établir la cotisation subsidiaire visée à la disposition en cause. La première technique consiste à soumettre une cotisation subsidiaire au contrôle du juge au cours de l'instance durant laquelle il est statué sur la nullité de la cotisation initiale, soit par la voie d'une action reconventionnelle, soit après un jugement interlocutoire annulant la cotisation. La seconde technique consiste en ce que l'administration fiscale soumet, après le jugement définitif qui annule la cotisation initiale, une cotisation subsidiaire au même juge dans le cadre d'une nouvelle instance.

B.4.2. Si, comme en l'espèce, l'administration fiscale attend jusqu'à ce qu'un jugement définitif ait été prononcé dans le litige initial et établit une cotisation subsidiaire dans le cadre d'une nouvelle procédure, elle décide de manière discrétionnaire du délai applicable à cette fin. Dans cette hypothèse, il convient d'examiner s'il existe une justification raisonnable à l'absence de délai de forclusion dans lequel la cotisation subsidiaire doit être soumise au juge.

B.5. L'objectif de la procédure de la cotisation subsidiaire consiste, comme le Conseil des ministres l'indique également, en « une accélération maximale de la procédure de manière à ce que la cotisation devienne définitive le plus rapidement possible » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-966/11, p. 162).

C'est la raison pour laquelle la cotisation subsidiaire est immédiatement soumise à l'appréciation du juge qui a annulé la cotisation initiale, de sorte que la phase de recours administratif soit omise. Dans cette mesure, les deux techniques décrites en B.4.1 satisfont à l'objectif d'économie de procédure.

B.6.1. L'absence de tout délai d'imposition, comme dans la disposition en cause, a pour effet que le principe de la sécurité juridique est violé, puisque le contribuable demeure indéfiniment dans l'incertitude en ce qui concerne l'exercice d'imposition concerné, sans disposer de la possibilité de faire accélérer la procédure.

B.6.2. Par conséquent, dans l'interprétation selon laquelle la cotisation subsidiaire peut, dans le cadre d'une nouvelle procédure, être soumise en dehors de tout délai au juge qui a annulé la cotisation initiale, la disposition en cause viole le principe d'égalité et de non-discrimination, de sorte que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.7.1. Toutefois, la disposition en cause est susceptible de recevoir une autre interprétation. Ainsi qu'il a été constaté en B.4.1, l'administration fiscale peut également soumettre la cotisation subsidiaire précitée au juge pendant l'instance au cours de laquelle il est statué sur la nullité de la cotisation initiale. Il ressort des travaux préparatoires qu'il s'agit de l'interprétation que le législateur de 1999 avait en vue : « Que l'on soit devant le tribunal de première instance ou devant la cour d'appel, si le tribunal ou la cour considère que la cotisation est nulle, il ou elle rend un jugement interlocutoire. A ce moment-là, l'administration, plutôt que de recommencer la procédure à zéro en enrôlant une nouvelle cotisation, soumettra une cotisation subsidiaire à l'appréciation du tribunal. Le fil rouge de tous les amendements déposés par le gouvernement [est de] provoquer une accélération maximale de la procédure de manière à ce que la cotisation devienne définitive le plus rapidement possible » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-966/11, pp. 161-162).

B.7.2. Si l'administration fiscale fait usage de la possibilité d'établir une cotisation subsidiaire au cours du litige initial, elle doit le faire dans un délai déterminé, à savoir avant la clôture des débats. Etant donné que, dans cette hypothèse, l'affaire reste pendante devant le juge, qui doit prendre en considération le principe général selon lequel une décision définitive doit être prise dans un délai raisonnable, il est justifié que la disposition en cause ne prévoie aucun délai de forclusion pour l'administration fiscale.

B.7.3. Dans cette interprétation, le principe d'égalité et de non-discrimination n'étant pas violé, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Interprété en ce sens qu'il permet à l'administration fiscale de soumettre la cotisation subsidiaire à l'appréciation du juge dans le cadre d'une nouvelle instance, l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 10 et 11 de la Constitution. - Interprété en ce sens qu'il permet uniquement à l'administration fiscale de soumettre la cotisation subsidiaire à l'appréciation du juge au cours de l'instance durant laquelle il est statué sur la nullité de la cotisation initiale, l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 20 octobre 2009.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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