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Arrêt
publié le 25 janvier 2011

Extrait de l'arrêt n° 161/2010 du 22 décembre 2010 Numéro du rôle : 4769 En cause : le recours en annulation de l'article 12, § 1 er , première phrase, du décret de la Communauté française du 27 février 2003 sur les services d La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, des juges E. De Gr(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 161/2010 du 22 décembre 2010 Numéro du rôle : 4769 En cause : le recours en annulation de l'article 12, § 1er, première phrase, du décret de la Communauté française du 27 février 2003 sur les services de médias audiovisuels, tel qu'il a été modifié par l'article 16 du décret du 5 février 2009, introduit par la SA « INADI » et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey et P. Nihoul, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite M. Melchior, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 septembre 2009 et parvenue au greffe le 18 septembre 2009, un recours en annulation de l'article 12, § 1er, première phrase, du décret de la Communauté française du 27 février 2003 sur les services de médias audiovisuels, tel qu'il a été modifié par l'article 16 du décret du 5 février 2009 (publiés au Moniteur belge du 17 avril 2003, deuxième édition, et du 18 mars 2009, deuxième édition) a été introduit par la SA « INADI », dont le siège social est établi à 1030 Bruxelles, avenue Georgin 2, la SA « Cobelfra », dont le siège social est établi à 1030 Bruxelles, avenue Georgin 2, et la SA « Nostalgie », dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, Quai au Foin 55. (...) II. En droit (...) B.1.1. Avant sa modification par le décret du 5 février 2009, l'article 12, § 1er, première phrase, du décret de la Communauté française du 27 février 2003 sur la radiodiffusion disposait : « La communication publicitaire ne peut avoir pour objet ni les partis politiques, ni les organisations représentatives des employeurs ou des travailleurs ».

Cette disposition remplaçait l'article 27bis, § 1er, première phrase, du décret de la Communauté française du 17 juillet 1987 sur l'audiovisuel, tel qu'il avait été inséré par l'article 30 du décret de la Communauté française du 19 juillet 1991 « modifiant la loi du 6 février 1987 relative aux réseaux de radiodistribution et de télédistribution et à la publicité commerciale à la radio et à la télévision, le décret du 12 décembre 1977 portant statut de la Radio-Télévision belge de la Communauté française (RTBF) et le décret du 17 juillet 1987 sur l'audiovisuel ».

La première phrase de cet article 27bis, § 1er, disposait : « La publicité ne peut avoir pour objet ni les partis politiques, ni les organisations professionnelles ».

B.1.2. Le décret du 5 février 2009 « modifiant le décret du 27 février 2003 sur la radiodiffusion et le décret du 9 janvier 2003 relatif à la transparence, à l'autonomie et au contrôle des organismes publics, des sociétés de bâtiments scolaires et des sociétés de gestion patrimoniale qui dépendent de la Communauté française » modifie l'intitulé du décret du 27 février 2003. Ce dernier s'intitule désormais « décret sur les services de médias audiovisuels ».

L'article 16 du décret du 5 février 2009 précité remplace, à l'article 12 du décret du 27 février 2003, le mot « publicitaire » par le mot « commerciale ». Il ressort des travaux préparatoires du décret attaqué que « la notion de ' communication commerciale ' est préférée à celle de ' communication publicitaire ' car la définition de cette notion vise non seulement la publicité mais aussi le télé-achat, le parrainage, l'autopromotion, etc. » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2008-2009, n° 634/1, p. 8).

D'ailleurs, selon l'article 1er, 7°, du décret du 27 février 2003, tel qu'il a été inséré par le décret du 5 février 2009, il y a lieu d'entendre par communication commerciale : « toute forme de message inséré dans un service de médias audiovisuels qui est conçu pour promouvoir ou vendre, directement ou indirectement, les marchandises, les services ou l'image d'une personne physique ou morale qui exerce une activité économique. Ces messages sont insérés dans un service de médias audiovisuels moyennant paiement ou autre contrepartie, ou des fins d'autopromotion. La communication commerciale comprend notamment la communication commerciale interactive, la communication commerciale par écran partagé, la publicité, la publicité virtuelle, le parrainage, le télé-achat, l'autopromotion et le placement de produit ».

B.1.3. L'article 12, § 1er, première phrase, dispose désormais : « La communication commerciale ne peut avoir pour objet ni les partis politiques, ni les organisations représentatives des employeurs ou des travailleurs ».

Il s'agit de la disposition attaquée.

B.1.4. Par un arrêté du 26 mars 2009, le Gouvernement de la Communauté française a procédé à la coordination du décret du 27 février 2003 sur la radiodiffusion, tel qu'il a été « modifié par les décrets des 22 décembre 2005, 2 juillet 2007, 19 juillet 2007, 7 décembre 2007, 29 février 2008, 5 juin 2008, 18 juillet 2008, 12 décembre 2008, 5 février 2009, par l'arrêt n° 163/2006 de la Cour d'arbitrage du 8 novembre 2006 et par l'arrêté du Gouvernement du 19 janvier 2007 ».

Cet arrêté a été ratifié par un décret de la Communauté française du 30 avril 2009.

L'article 12, § 1er, première phrase, du décret de la Communauté française sur les services de médias audiovisuels, coordonné le 26 mars 2009, correspond à l'article 12, § 1er, première phrase, du décret du 27 février 2003 précité.

Quant à la recevabilité du recours B.2. Le Gouvernement de la Communauté française conteste l'intérêt à agir des parties requérantes qui, en tant qu'éditeurs de services radiophoniques, ne seraient pas les destinataires directs du décret, lequel viserait uniquement les partis politiques et les organisations représentatives des employeurs ou des travailleurs.

B.3. La disposition attaquée est susceptible d'influencer directement et défavorablement la situation des parties requérantes en les privant d'une activité publicitaire dont d'autres médias ne sont pas exclus par le décret attaqué.

L'exception est rejetée.

Quant au fond B.4. Un premier moyen est pris de la violation de l'article 19 de la Constitution, combiné ou non avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que la disposition attaquée porterait une atteinte injustifiée à la liberté d'expression.

B.5. Pour satisfaire aux exigences de l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.

Contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Communauté française, la requête en annulation contient un exposé clair de la manière dont, selon les parties requérantes, la liberté d'expression, comprise dans sa dimension tant active que passive, est violée par la disposition attaquée.

B.6.1. L'article 12, § 1er, du décret du 27 février 2003 fait partie de la réglementation des programmes qui sont diffusés par tout service de médias audiovisuels édité par la RTBF et tout service de médias audiovisuels d'un éditeur de services relevant de la compétence de la Communauté française (article 8 du décret du 27 février 2003).

B.6.2 L'interdiction faite aux éditeurs de services audiovisuels de diffuser de la publicité pour les partis politiques a été justifiée comme suit dans les travaux préparatoires du décret du 19 juillet 1991 : « Le § 1er interdit la publicité pour les partis politiques. La directive européenne ainsi que nos réglementations ne fixent pas d'interdiction spécifique en la matière. Cependant la loi du 6 février 1987 vise l'interdiction pour la publicité commerciale de présenter des tendances politiques, religieuses, syndicales, idéologiques ou philosophiques. Une publicité clairement identifiée politiquement n'est dès lors pas nécessairement couverte par ce libellé.

Afin d'éviter toute discrimination entre les tendances politiques et de favoriser l'accès du citoyen à une information politique équilibrée, il est dès lors proposé d'interdire la publicité pour les partis politiques, tout en considérant que l'organisation d'une information politique au moyen d'espaces concédés sous une forme équilibrée, à l'occasion des campagnes électorales, n'est pas concernée par cette interdiction » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 1990-1991, n° 196/1, p. 8).

B.7. Cette volonté d'assurer, d'une part, un traitement non discriminatoire entre les tendances politiques et, d'autre part, l'accès des citoyens à une information politique équilibrée constitue un objectif légitime qui permet de justifier une ingérence dans la liberté d'expression garantie par l'article 19 de la Constitution et par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 28 juin 2001, VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, § 62;

CEDH, 11 décembre 2008, TV Vest AS & Rogaland Pensjonistparti c.

Norvège, § 70). Il en va de même, mutatis mutandis, pour l'interdiction de diffuser de la publicité en faveur des organisations représentatives d'employeurs ou de travailleurs.

B.8. La Cour doit toutefois vérifier si la disposition attaquée est raisonnablement justifiée au regard de cet objectif.

A cet égard, le législateur dispose, en principe, d'une marge d'appréciation restreinte lorsqu'il entrave la liberté d'exprimer des opinions qui, comme celles des organisations d'employeurs ou de travailleurs, relèvent d'un débat touchant à l'intérêt général, même lorsqu'elles se matérialisent sous une forme publicitaire (voy., mutatis mutandis, CEDH, 28 juin 2001 précité, §§ 70-71). Un contrôle strict de proportionnalité doit également être appliqué lorsque le législateur entend limiter le recours par les partis politiques aux moyens publicitaires (CEDH, 11 décembre 2008 précité, § 64).

B.9.1. L'article 3, alinéa 3, du décret du 14 juillet 1997 « portant statut de la Radio-Télévision belge de la Communauté française (RTBF) » dispose : « L'entreprise, en arrêtant son offre de programmes, veille à ce que la qualité et la diversité des émissions offertes permettent de rassembler des publics les plus larges possibles, d'être un facteur de cohésion sociale tout en répondant aux attentes des minorités socio-culturelles, et permettent de refléter les différents courants d'idées de la société, sans discrimination, notamment culturelle, raciale, sexuelle, idéologique, philosophique ou religieuse et sans ségrégation sociale. Ces émissions tendent à provoquer le débat et à clarifier les enjeux démocratiques de la société, à contribuer au renforcement des valeurs sociales, notamment par une éthique basée sur le respect de l'être humain et du citoyen, à favoriser l'intégration et l'accueil des populations d'origine étrangère vivant en Communauté française ».

L'article 68 du décret sur les services de médias audiovisuels, coordonné le 26 mars 2009, impose une même obligation aux télévisions locales.

B.9.2. En vertu de l'article 3, alinéa 7, du même décret, la RTBF conclut avec la Communauté française un contrat de gestion afin de déterminer les modalités d'exécution de sa mission de service public.

Le troisième « contrat de gestion de la Radio-Télévision belge de la Communauté française pour les années 2007 à 2011 incluses », conclu le 13 octobre 2006, contient plusieurs dispositions relatives à la diffusion des opinions des partis politiques et des organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs.

L'article 7 dudit contrat dispose : « 7.1. La RTBF s'engage de manière générale à ne pas produire, coproduire, acquérir, programmer et diffuser des programmes et des contenus audiovisuels : a) qui seraient contraires aux lois ou à l'intérêt général, ce qui ne préjudicie en rien sa capacité de provoquer le débat dans ses programmes et contenus audiovisuels, et de clarifier les enjeux démocratiques de la société;b) qui porteraient atteinte au respect de la dignité humaine, la RTBF se faisant fort de contribuer au renforcement des valeurs sociales et civiques;c) qui contiendraient des incitations à la violence, à la haine, ou des formes de discrimination ou de ségrégation, fondées notamment sur le sexe, l'orientation sexuelle, la prétendue race, la couleur, la langue, l'origine ethnique, nationale ou sociale, les opinions politiques ou toutes autres opinions, la religion ou les conceptions philosophiques, le handicap, l'âge, la fortune, la naissance, la RTBF se faisant fort d'être un vecteur de cohésion sociale notamment à l'égard des minorités sociales et un vecteur d'accueil et d'intégration harmonieuse des diverses populations vivant en Communauté française;d) qui tendraient à la négation, la minimisation, la justification, l'approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale ou de toute autre forme de génocide;e) qui favoriseraient un courant de pensée, de croyance ou d'opinion constituant une menace pour les libertés fondamentales garanties par la Constitution ou la Convention européenne des droits de l'homme ou visant à abuser de la crédulité du public;f) qui seraient susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ». L'article 22 du même contrat dispose : « 22.1. La RTBF programme et diffuse régulièrement, selon des périodicités décidées par son conseil d'administration, des programmes de radio et de télévision, et, dans la mesure du possible, offre à la demande des contenus audiovisuels, en vue de contribuer notamment à la formation, l'éducation, l'information des consommateurs, la sensibilisation à l'environnement et au cadre de vie, l'éducation à la santé et la vulgarisation scientifique, la compréhension de la vie sociale, politique et économique, l'information et l'engagement des jeunes, la parentalité, les questions éducatives, l'éducation aux médias et à la citoyenneté. 22.2. En matière d'éducation permanente, la RTBF veille à traiter de manière transversale, dans ses programmes et contenus audiovisuels, et notamment dans ses magazines et documentaires : a) les questions relatives à la pédagogie des enjeux démocratiques en vue de la rendre accessible au plus grand nombre, et notamment les questions liées au renforcement du lien social, à la responsabilisation individuelle et collective, au rôle des relations familiales et intergénérationnelles, à l'intérêt de l'engagement citoyen et des jeunes en particulier en Communauté française [...] ».

B.9.3. L'article 36, § 1er, du décret de la Communauté française sur les services de médias audiovisuels, coordonné le 26 mars 2009 dispose : « L'éditeur de services dont le service de médias audiovisuels est distribué via une plateforme de distribution fermée doit : [...] 3° s'il diffuse de l'information, établir un règlement d'ordre intérieur relatif à l'objectivité dans le traitement de l'information et s'engager à le respecter; [...] 5° être indépendant de tout gouvernement, de tout parti politique ou organisation représentative des employeurs ou des travailleurs ». L'article 67, § 1er, du même décret dispose : « Pour être autorisée et pour conserver son autorisation, chaque télévision locale doit remplir les conditions suivantes : [...] 8° être responsable de sa programmation et assurer la maîtrise éditoriale de l'information dans un esprit d'objectivité, sans censure préalable ou quelconque ingérence d'une autorité publique ou privée;9° assurer dans le traitement de l'information un équilibre entre les diverses tendances idéologiques respectant les principes démocratiques, présentes dans la zone de couverture;10° assurer, dans sa programmation, son indépendance par rapport aux gouvernements, aux autorités communales et provinciales, aux organismes publics et intercommunaux, aux distributeurs de services, aux partis politiques, aux organisations représentatives des employeurs ou de travailleurs et aux mouvements philosophiques ou religieux; [...] ».

B.10. Sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la question de savoir s'il est ou non raisonnablement justifié d'interdire aux partis politiques, aux candidats et aux tiers qui souhaitent faire de la publicité en faveur de partis politiques ou de candidats de diffuser des spots publicitaires commerciaux à la radio et à la télévision, il faut constater que l'interdiction en cause frappant la publicité pour les partis politiques a une portée absolue et permanente et qu'elle ne se limite pas à la campagne électorale. En raison de son caractère absolu et permanent, cette interdiction faite aux médias audiovisuels de diffuser de la publicité pour les partis politiques et les organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs n'est pas raisonnablement justifiée. Elle peut en effet avoir pour conséquence d'empêcher certaines formations d'accéder à un moyen important pour elles de faire connaître leurs positions au public (voir CEDH, 11 décembre 2008, précité, § 73).

B.11. Le premier moyen est fondé.

B.12. Dans la mesure où le second moyen et le moyen soulevé d'office ne peuvent aboutir à une annulation plus étendue, il n'y a pas lieu de les examiner.

Par ces motifs, la Cour annule l'article 12, § 1er, première phrase, du décret de la Communauté française du 27 février 2003 sur les services de médias audiovisuels, tel qu'il a été modifié par le décret du 5 février 2009.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 22 décembre 2010.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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