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Arrêt
publié le 20 octobre 2014

Extrait de l'arrêt n° 102/2014 du 10 juillet 2014 Numéro du rôle : 5649 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 109 du décret de la Région wallonne du 30 avril 2009 « modifiant le Code wallon de l'Aménagement du Territoire, La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De G(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 102/2014 du 10 juillet 2014 Numéro du rôle : 5649 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 109 du décret de la Région wallonne du 30 avril 2009 « modifiant le Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine, le décret du 11 mars 1999 relatif au permis d'environnement et le décret du 11 mars 2004 relatif aux infrastructures d'accueil des activités économiques », posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, F. Daoût et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 223.625 du 29 mai 2013 en cause de la SPRL « Fernandez-Grandjean » contre la ville de Liège et la Région wallonne, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 6 juin 2013, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'interprétation de l'article 109 du décret du 30 avril 2009 en ce qu'elle postposerait l'entrée en vigueur d'une règle de compétence, à savoir l'article 114 du CWATUPE de manière indéfinie sous la seule limite de la date d'introduction d'une demande de permis est-elle compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une demande de dérogation introduite et traitée en 2012 sera traitée par le collège alors que la même année une demande introduite il y a des années mais ayant fait l'objet d'une annulation par le Conseil d'Etat ou d'un retrait d'acte sera traitée par le fonctionnaire délégué alors que rien ne justifie encore cette différence de traitement entre des administrés confrontés à une demande d'autorisation à trancher au même moment ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 109 du décret de la Région wallonne du 30 avril 2009 « modifiant le Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine, le décret du 11 mars 1999 relatif au permis d'environnement et le décret du 11 mars 2004 relatif aux infrastructures d'accueil des activités économiques » (ci-après : le décret du 30 avril 2009), qui disposait, au moment du litige soumis au juge a quo : « Toute demande de permis d'urbanisme, de lotir ou de modification du permis de lotir dont l'accusé de réception est antérieur à l'entrée en vigueur du présent décret poursuit son instruction sur la base des dispositions d'application avant l'entrée en vigueur du présent décret et tout permis d'urbanisme, de lotir ou de modification du permis de lotir octroyés, le cas échéant, se périme sur la base des dispositions d'application avant l'entrée en vigueur du présent décret ».

B.2.1. Le décret du 30 avril 2009 a modifié plusieurs dispositions du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine et de l'Energie (ci-après : CWATUPE), transférant, notamment, la compétence décisionnelle portant sur les dérogations aux plans communaux d'aménagement, du fonctionnaire délégué au collège communal.

L'ancien article 114 du CWATUPE disposait, en effet : « Pour toute demande de permis impliquant l'application des dispositions de la présente section, le Gouvernement ou le fonctionnaire délégué peut à titre exceptionnel accorder des dérogations, pour autant que la demande soit préalablement soumise aux mesures particulières de publicité déterminées par le Gouvernement ainsi qu'à la consultation visée à l'article 4, alinéa 1er, 3° ».

Il a été remplacé comme suit par l'article 71 du décret du 30 avril 2009 : « Pour toute demande de permis qui implique l'application des dispositions de la présente section, une ou plusieurs dérogations peuvent être accordées, à titre exceptionnel, pour autant que la demande soit préalablement soumise aux mesures particulières de publicité déterminées par le Gouvernement ainsi qu'à la consultation visée à l'article 4, alinéa 1er, 3°.

Sur avis préalable du fonctionnaire délégué, le collège communal accorde toute dérogation qui porte exclusivement sur les prescriptions d'un règlement communal d'urbanisme, d'un plan communal d'aménagement ou d'un permis de lotir ainsi qu'aux prescriptions d'un permis d'urbanisation visées à l'article 88, § 3, 3°, sauf lorsque la demande porte sur des actes et travaux visés à l'article 127, § 1er.

Dans les autres cas, toute dérogation est accordée par le Gouvernement ou le fonctionnaire délégué ».

B.2.2. L'exposé des motifs du décret mentionne : « Une autre modification de fond vise à déléguer davantage de compétences aux collèges communaux en matière de permis d'urbanisme et de dérogation aux plans, permis d'urbanisation et règlements de niveau communal. Dans ce cas, la connaissance de terrain est déterminante pour apprécier l'intégration urbanistique du projet. Cette disposition n'a pas d'incidence sur les pratiques administratives des services d'urbanisme communaux dans la mesure où la procédure d'instruction de permis ne sont pas modifiées » (Doc. parl., Parlement wallon, 2008-2009, n° 972/1, p. 4).

B.2.3. Poursuivant l'objectif ainsi décrit, le législateur décrétal a entendu élargir les hypothèses où le collège communal était dispensé de consulter préalablement le fonctionnaire délégué à d'autres hypothèses que celles d'actes et travaux de minime importance ou lorsque la commune s'est dotée d'outils d'aménagement, en visant les actes et travaux qui sont d'impact local et pour lesquels la connaissance du terrain est précieuse (ibid., p. 27).

Cette mesure a été justifiée comme suit : « Tout d'abord, il s'agit de poursuivre la logique opérée dans le décret du 18 juillet 2002 de responsabiliser davantage les communes en supprimant l'avis préalable conforme du fonctionnaire délégué.

L'expérience montre que les décisions des collèges communaux sont mieux motivées que par le passé. Comme déjà rappelé, depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, l'autorité compétente, dans le cadre des décisions relatives aux demandes de permis, est tenue de statuer dans le respect du bon aménagement des lieux, des résultats de l'évaluation environnementale du projet et de directives européennes telles la Convention européenne du paysage de Florence du 20 octobre 2000, ratifiée par la Région wallonne le 20 décembre 2001.

Ensuite, cette réforme s'inscrit dans l'équilibrage de la répartition des compétences entre les communes et la Région. Les réformes de l'article 127 de ces derniers mois vont dans le sens d'un renforcement du pouvoir du fonctionnaire délégué. Inversement, compte tenu aussi non seulement de l'encadrement de plus en plus effectif de l'action communale par des documents d'urbanisme divers (plans, schémas, RUE, règlements régionaux et communaux, ...), mais aussi par un renforcement des compétences par le biais notamment de la CCATM et des conseillers en aménagement du territoire et urbanisme (art. 12), il est possible de donner des compétences élargies aux communes.

Compte tenu des récentes réformes prônant la mise en valeur des documents communaux d'aménagement du territoire et d'urbanisme, la mise en place dans chaque commune d'une instance participative que constitue la CCATM et le développement de l'expertise au sein du personnel communal par le subventionnement de l'engagement d'un conseiller en aménagement du territoire et urbanisme, il est apparu utile de rendre autonome le collège communal amené à statuer sur des demandes de permis d'urbanisme dont l'objet ne nécessite pas une appréciation de l'autorité régionale.

Par ailleurs, il faut aussi souligner le fait que ce n'est pas parce qu'une demande de permis est exonérée de l'avis préalable - qui, faut-il le rappeler, n'est pas un avis conforme - du fonctionnaire délégué que les règles du bon aménagement des lieux ne seront pas appliquées par le collège communal dans sa prise de décision. En d'autres termes, rien ne dit que, nonobstant le respect de cette règle du doublement, un projet se verra pas refuser le permis par le collège communal pour des raisons de bon aménagement » (ibid., pp. 28 et 29).

B.2.4. En ce qui concerne les dérogations, le législateur décrétal a toutefois entendu maintenir l'avis préalable du fonctionnaire délégué, tout en attribuant au collège communal le pouvoir de décision. C'est ainsi que les travaux préparatoires du décret mentionnent, à propos du projet de modification de l'article 114 du CWATUPE : « Les articles en projet réorganisent le principe de la dérogation en tenant compte des points qui suivent.

Tout d'abord, ils insèrent l'hypothèse du permis d'urbanisation.

L'article 62 en projet implique qu'aucune dérogation ne peut être accordée par rapport à l'option urbanistique de base d'un permis d'urbanisation et qu'il peut seulement être dérogé à l'option architecturale d'ensemble et aux prescriptions d'ordre esthétique.

Tout projet d'urbanisme qui s'écarte de l'option urbanistique de base du permis d'urbanisation ne pourrait être envisagé qu'au terme de la modification de l'option urbanistique du permis d'urbanisation.

A l'exception de l'option urbanistique, la dérogation ne s'envisage que pour les prescriptions à valeur réglementaire du permis de lotir ou du permis d'urbanisation. Aussi, dès lors que, par l'effet de l'article 92, alinéa 2, en projet du Code ou de l'article 101, alinéa 3 ou 4, du présent décret, les prescriptions du permis de lotir ou du permis d'urbanisation acquièrent valeur de rapport urbanistique et environnemental, le permis d'urbanisme peut être accordé en s'écartant de ces prescriptions moyennant due motivation.

De manière générale, ils insèrent dans l'instruction des dérogations les critères issus de la Convention européenne du paysage de Florence du 20 octobre 2000, ratifiée par la Région wallonne le 20 décembre 2001.

Enfin, l'article 63 en projet attribue désormais au collège communal la décision en matière de dérogation à un document communal et non plus au fonctionnaire délégué, dont l'avis préalable reste toutefois requis. Cette nouvelle attribution au collège communal ne s'étend toutefois pas à l'option architecturale d'ensemble du permis d'urbanisation, laissant le soin au fonctionnaire délégué d'assumer la cohérence de l'implantation et des gabarits pour toutes les demandes de permis d'urbanisme successives au sein du périmètre d'un même permis d'urbanisation.

L'accord préalable du fonctionnaire délégué est maintenu pour les demandes de permis dérogatoires à un document régional » (ibid., p. 30).

B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 109 du décret du 30 avril 2009 en ce que celui-ci a pour effet de maintenir l'application des dispositions antérieures pour les demandes de dérogation ayant fait l'objet d'un accusé de réception avant l'entrée en vigueur du décret.

D'après le juge a quo, l'article 109 précité créerait une différence de traitement discriminatoire entre des administrés qui sont confrontés à une demande d'autorisation à trancher au même moment, dans la mesure où l'autorité décisionnelle compétente est tantôt le collège communal, tantôt le fonctionnaire délégué, en fonction de la date à laquelle ils ont introduit une demande de permis.

B.4.1. La partie requérante devant le juge a quo soutient que l'interprétation que celui-ci confère à l'article 109 en cause serait erronée. Par les termes « poursuit son instruction », la disposition en cause ne pourrait en effet viser que les mesures préalables à la prise de décision et non l'autorité compétente pour statuer. L'article 114 du CWATUPE devrait, en conséquence, trouver à s'appliquer même aux demandes de permis dont l'accusé de réception est antérieur à l'entrée en vigueur du décret du 30 avril 2009.

B.4.2. Il appartient en règle à la juridiction a quo d'interpréter les dispositions qu'elle applique, sous réserve d'une lecture manifestement erronée de la disposition en cause.

B.4.3. Le juge a quo mentionne, à propos de l'interprétation de la disposition en cause : « Considérant qu'il est admis que la formule ' poursuit son instruction ' utilisée par le législateur wallon à plusieurs reprises lors des modifications du CWATUPE traduit sa volonté de maintenir, pour les demandes visées, l'ensemble des dispositions du CWATUPE, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre règles de procédure et règles de fond y compris les règles de compétence pour déroger ou pour décider ».

B.4.4. Ni le texte du décret lui-même, ni ses travaux préparatoires ne font apparaître que l'interprétation que donne le juge a quo à l'article 109 du décret du 30 avril 2009 serait manifestement erronée.

B.5. En l'absence de disposition particulière fixant une autre date, l'article 114 du CWATUPE, tel qu'il a été modifié par l'article 71 du décret du 30 avril 2009, est entré en vigueur le dixième jour après sa publication au Moniteur belge, soit le 12 juin 2009.

B.6. C'est en règle au législateur décrétal qu'il appartient d'apprécier si un changement décrétal doit s'accompagner de mesures transitoires afin de tenir compte des attentes légitimes des personnes concernées et c'est à lui qu'il revient de déterminer à quelles conditions et dans quels délais il pourra être dérogé aux dispositions nouvelles au bénéfice de ces personnes.

Le propre d'une règle transitoire est d'établir une distinction entre les personnes qui sont concernées par des situations juridiques qui entrent dans le champ d'application de cette règle et les personnes qui sont concernées par des situations juridiques qui entrent dans le champ d'application d'une règle nouvelle. Semblable distinction ne viole pas, en soi, les articles 10 et 11 de la Constitution : toute disposition transitoire serait impossible s'il était admis que de telles dispositions violent les dispositions constitutionnelles précitées par cela seul qu'elles s'écartent des conditions d'application de la législation nouvelle.

Les mesures transitoires doivent cependant être générales et être fondées sur des critères objectifs et pertinents qui justifient les raisons pour lesquelles certaines personnes bénéficieront, à titre transitoire, de mesures dérogatoires au régime établi par la norme nouvelle.

B.7. En l'espèce, la différence de traitement visée par la question préjudicielle repose sur un critère objectif, à savoir la date de l'accusé de réception relatif à la demande de dérogation.

B.8. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur décrétal de décider qu'il convient de modifier la procédure applicable aux demandes de permis d'urbanisme en retirant au fonctionnaire délégué la compétence de statuer sur ces demandes et de l'attribuer aux collèges communaux, disposant, à son estime, d'une meilleure connaissance de terrain.

Dans un souci de sécurité juridique, le législateur décrétal a pu raisonnablement considérer que les personnes ayant introduit une demande de dérogation avant l'entrée en vigueur des dispositions nouvelles devaient s'attendre à ce que la procédure qui leur serait appliquée au moment de l'introduction de leur demande resterait applicable durant toute l'instruction de celle-ci, et ce jusqu'à la décision finale la concernant.

En outre, les intéressés qui veulent se voir appliquer les règles nouvelles qu'ils estimeraient plus favorables peuvent retirer leur demande et introduire une nouvelle demande de permis.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs la Cour dit pour droit : L'article 109 du décret de la Région wallonne du 30 avril 2009 « modifiant le Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine, le décret du 11 mars 1999 relatif au permis d'environnement et le décret du 11 mars 2004 relatif aux infrastructures d'accueil des activités économiques » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 10 juillet 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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