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Arrêt
publié le 05 novembre 2014

Extrait de l'arrêt n° 122/2014 du 19 septembre 2014 Numéro du rôle : 5694 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 324ter, § 1 er , et 5, alinéa 3, 2°, du Code pénal, posées par la Cour d'appel de Gand. composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snapp(...)

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Extrait de l'arrêt n° 122/2014 du 19 septembre 2014 Numéro du rôle : 5694 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 324ter, § 1er, et 5, alinéa 3, 2°, du Code pénal, posées par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 27 juin 2013 en cause du ministère public contre D.D. et autres, avec la SPRL « Vuylsteke » et autres et l'Etat belge comme parties civiles, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 juillet 2013, la Cour d'appel de Gand a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 324ter, § 1er, du Code pénal viole-t-il le principe d'égalité inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il dispose que lorsqu'une organisation criminelle utilise l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou recourt à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions, toute personne qui, sciemment et volontairement, en fait partie est punie d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de cent [euros] à cinq mille [euros] ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 à 69, alors que ni les articles 139 à 141ter du Code pénal, ni les articles 322 à 324 du même Code ne rendent punissable une telle forme d'implication ? L'article 5, alinéa 3, 2°, du Code pénal viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les sociétés commerciales en formation y sont assimilées aux personnes morales passibles de sanctions pénales, alors que tel n'est pas le cas pour les personnes morales de droit civil en formation ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la première question préjudicielle (participation à une organisation criminelle) B.1. La juridiction a quo demande si l'article 324ter, § 1er, du Code pénal viole les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il dispose que toute personne qui, sciemment et volontairement, fait partie d'une organisation criminelle est punie de peines correctionnelles, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 à 69 du Code pénal, alors que ni les articles 139 à 141ter du Code pénal (organisations terroristes), ni les articles 322 à 324 du même Code (association de malfaiteurs) ne rendent punissable une telle forme d'implication.

B.2.1. L'article 324ter, § 1er, qui figure depuis la loi du 10 janvier 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/01/1999 pub. 26/02/1999 numac 1999009159 source ministere de la justice Loi relative aux organisations criminelles fermer dans le chapitre I (« De l'association formée dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés et de l'organisation criminelle ») du titre VI (« Des crimes et des délits contre la sécurité publique ») du livre II (« Des infractions et de leur répression en particulier ») du Code pénal, dispose, après avoir été remplacé par la loi du 10 août 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009652 source service public federal justice Loi modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la luttre contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil type loi prom. 10/08/2005 pub. 07/09/2005 numac 2005009650 source service public federal justice et service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi portant des mesures d'accompagnement en ce qui concerne l'institution d'un groupe spécial de négociation, d'un organe de représentation et de procédures relatives à l'implication des travailleurs au sein de la Société européenne type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009653 source service public federal justice Loi modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne les traitements des référendaires et juristes de parquet près les cours et les tribunaux de première instance, des greffiers et des secrétaires de parquet et modifiant les articles 259duodecies et 285bis du même Code type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009651 source service public federal justice Loi visant à compléter la protection pénale des mineurs fermer : « Lorsque l'organisation criminelle utilise l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou recourt à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions, toute personne qui, sciemment et volontairement, en fait partie, est punie d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de cent euros à cinq mille euros ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 à 69 ».

B.2.2. Il ressort de la décision de renvoi que la Cour est interrogée sur l'article 324ter, § 1er, tel qu'il a été modifié par la loi du 10 août 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009652 source service public federal justice Loi modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la luttre contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil type loi prom. 10/08/2005 pub. 07/09/2005 numac 2005009650 source service public federal justice et service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi portant des mesures d'accompagnement en ce qui concerne l'institution d'un groupe spécial de négociation, d'un organe de représentation et de procédures relatives à l'implication des travailleurs au sein de la Société européenne type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009653 source service public federal justice Loi modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne les traitements des référendaires et juristes de parquet près les cours et les tribunaux de première instance, des greffiers et des secrétaires de parquet et modifiant les articles 259duodecies et 285bis du même Code type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009651 source service public federal justice Loi visant à compléter la protection pénale des mineurs fermer.

B.2.3. Par ses arrêts nos 92/2005 du 11 mai 2005 et 116/2005 du 30 juin 2005, la Cour a jugé, au sujet de l'article 324ter, § 1er, originaire, du Code pénal, « que l'infraction d'appartenance à une organisation criminelle est suffisamment précise pour permettre à toute personne d'en connaître l'élément matériel et l'élément moral » et que cette disposition ne violait dès lors pas le principe de légalité en matière pénale, garanti par les articles 12 et 14 de la Constitution.

B.3.1. La Cour est invitée à comparer l'incrimination de l'article 324ter, § 1er, du Code pénal avec l'absence d'incrimination similaire dans les articles 139 à 141ter du Code pénal, d'une part, et dans les articles 322 à 324 du Code pénal, d'autre part.

B.3.2. Les articles 139 et suivants du Code pénal, insérés par la loi du 19 décembre 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/12/2003 pub. 29/12/2003 numac 2003009963 source service public federal justice Loi relative aux infractions terroristes fermer relative aux infractions terroristes, disposaient avant les modifications apportées par la loi du 18 février 2013 : «

Art. 139.Constitue un groupe terroriste l'association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, et qui agit de façon concertée en vue de commettre des infractions terroristes visées à l'article 137.

Une organisation dont l'objet réel est exclusivement d'ordre politique, syndical, philanthropique, philosophique ou religieux ou qui poursuit exclusivement tout autre but légitime ne peut, en tant que telle, être considérée comme un groupe terroriste au sens de l'alinéa 1er.

Art. 140.§ 1er. Toute personne qui participe à une activité d'un groupe terroriste, y compris par la fourniture d'informations ou de moyens matériels au groupe terroriste, ou par toute forme de financement d'une activité du groupe terroriste, en ayant connaissance que cette participation contribue à commettre un crime ou un délit du groupe terroriste, sera punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d'une amende de cent euros à cinq mille euros. § 2. Tout dirigeant du groupe terroriste est passible de la réclusion de quinze ans à vingt ans et d'une amende de mille euros à deux cent mille euros.

Art. 141.Toute personne qui, hors les cas prévus à l'article 140, fournit des moyens matériels, y compris une aide financière, en vue de la commission d'une infraction terroriste visée à l'article 137, sera punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d'une amende de cent euros à cinq mille euros.

Art. 141bis.Le présent titre ne s'applique pas aux activités des forces armées en période de conflit armé, tels que définis et régis par le droit international humanitaire, ni aux activités menées par les forces armées d'un Etat dans l'exercice de leurs fonctions officielles, pour autant qu'elles soient régies par d'autres règles de droit international.

Art. 141ter.Aucune disposition du présent Titre ne peut être interprétée comme visant à réduire ou à entraver des droits ou libertés fondamentales tels que le droit de grève, la liberté de réunion, d'association ou d'expression, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier pour la défense de ses intérêts, et le droit de manifester qui s'y rattache, et tels que consacrés notamment par les articles 8 à 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

B.3.3. Les articles 322 à 324 du Code pénal, qui traitent de l'association de malfaiteurs, disposent : «

Art. 322.Toute association formée dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés est un crime ou un délit, qui existe par le seul fait de l'organisation de la bande.

Art. 323.Si l'association a eu pour but la perpétration de crimes emportant la peine de réclusion à perpétuité ou la réclusion de dix ans à quinze ans ou un terme supérieur, les provocateurs de cette association, les chefs de cette bande et ceux qui y auront exercé un commandement quelconque, seront punis de la réclusion de cinq ans à dix ans.

Ils seront punis d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans, si l'association a été formée pour commettre d'autres crimes, et d'un emprisonnement de six mois à trois ans, si l'association a été formée pour commettre des délits.

Art. 324.Tous autres individus faisant partie de l'association et ceux qui auront sciemment et volontairement fourni à la bande ou à ses divisions des armes, munitions, instruments de crime, logements, retraite ou lieu de réunion, seront punis : Dans le premier cas prévu par l'article précédent, d'un emprisonnement de six mois à cinq ans;

Dans le second cas, d'un emprisonnement de deux mois à trois ans;

Et dans le troisième, d'un emprisonnement d'un mois à deux ans ».

B.3.4. La Cour est en particulier invitée à contrôler la disposition en cause dans la mesure où elle sanctionne de peines correctionnelles une personne qui, sciemment et volontairement, « fait partie » d'une organisation criminelle, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières visées aux articles 66 à 69 du Code pénal, lesquels disposent : «

Art. 66.Seront punis comme auteurs d'un crime ou d'un délit : Ceux qui l'auront exécuté ou qui auront coopéré directement à son exécution;

Ceux qui, par un fait quelconque, auront prêté pour l'exécution une aide telle que, sans leur assistance, le crime ou le délit n'eût pu être commis;

Ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront directement provoqué à ce crime ou à ce délit;

Ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques, qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, auront provoqué directement à le commettre, sans préjudice des peines portées par la loi contre les auteurs de provocations à des crimes ou à des délits, même dans le cas où ces provocations n'ont pas été suivies d'effet.

Art. 67.Seront punis comme complices d'un crime ou d'un délit : Ceux qui auront donné des instructions pour le commettre;

Ceux qui auront procuré des armes, des instruments, ou tout autre moyen qui a servi au crime ou au délit, sachant qu'ils devaient y servir;

Ceux qui, hors le cas prévu par le § 3 de l'article 66, auront, avec connaissance, aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs du crime ou du délit dans les faits qui l'ont préparé ou facilité, ou dans ceux qui l'ont consommé.

Art. 68.Ceux qui, connaissant la conduite criminelle des malfaiteurs exerçant des brigandages ou des violences contre la sûreté de l'Etat, la paix publique, les personnes ou les propriétés, leur auront fourni habituellement logement, lieu de retraite ou de réunion, seront punis comme leurs complices.

Art. 69.Les complices d'un crime seront punis de la peine immédiatement inférieure à celle qu'ils encourraient s'ils étaient auteurs de ce crime, conformément aux articles 80 et 81 du présent code.

La peine prononcée contre les complices d'un délit n'excédera pas les deux tiers de celle qui leur serait appliquée s'ils étaient auteurs de ce délit ».

B.4.1. En vertu de l'article 324bis, alinéa 1er, du Code pénal, « constitue une organisation criminelle l'association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, en vue de commettre de façon concertée, des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave, pour obtenir, directement ou indirectement, des avantages patrimoniaux ».

B.4.2. L'article 324ter, § 1er, originaire a été inséré dans le Code pénal par l'article 3 de la loi du 10 janvier 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/01/1999 pub. 26/02/1999 numac 1999009159 source ministere de la justice Loi relative aux organisations criminelles fermer relative aux organisations criminelles.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, le législateur poursuivait deux objectifs : en premier lieu, « fournir un critère juridique solide pour l'action contre la criminalité organisée » en définissant plus précisément la notion d'« organisation criminelle » et « [le] deuxième objectif est de rendre punissables toutes formes de participation aux organisations criminelles ainsi définies. Il s'agit de permettre de sanctionner des personnes non plus en raison de leur participation personnelle à des infractions ou de leur intention personnelle de commettre des infractions, mais en raison de leur appartenance même à des organisations criminelles, telles que définies par la loi, ou en raison de leur participation à des activités licites de ces organisations criminelles, ou encore en raison de leur participation à la prise de décision au sein de ces organisations. Une telle possibilité permettra de sanctionner des personnes qui, à l'heure actuelle, sont la plupart du temps à l'abri de toute sanction, alors que leur contribution à des organisations criminelles peut être tout à fait essentielle pour le développement des activités tant licites qu'illicites de celles-ci. Le critère déterminant pour la pénalité sera celui de la connaissance par la personne du caractère criminel de l'organisation à laquelle elle appartient ou aux activités de laquelle elle participe » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 954/1, pp. 1-2; ibid., n° 954/17, p. 3, et dans un sens analogue, Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-662/4, p. 3).

B.4.3. Il a été précisé au cours des travaux préparatoires, en réponse à l'avis du Conseil d'Etat, que la notion d'« appartenance » à une organisation criminelle, telle qu'elle figure dans l'article 324ter, § 1er, du Code pénal, doit être distinguée des différentes formes de « participation » incriminées par les autres dispositions introduites par la loi relative aux organisations criminelles (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 954/1, pp. 6-7 et 15-17). On peut déduire du texte même de la loi que l'appartenance n'implique pas la commission d'infractions ou la participation, en tant que coauteur ou complice, à ces infractions dans le cadre de l'organisation criminelle, ces comportements faisant l'objet d'infractions distinctes. Le législateur a voulu que l'on puisse poursuivre aussi les membres d'une organisation criminelle, par exemple le chauffeur, les membres du personnel de maison et de sécurité du dirigeant d'une organisation criminelle, et les personnes qui sont rémunérées sous une forme ou une autre par l'organisation criminelle pour constituer un cercle de relations sociales au profit de l'organisation, en vue de lui assurer une apparence et une implantation sociale licites dans la société (ibid., p. 16, et Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-662/4, p. 5). Des exemples ont été donnés de circonstances d'où le juge pourrait déduire dans un cas concret l'affiliation à l'organisation criminelle : la présence régulière aux réunions de l'organisation criminelle ou l'actionnariat d'une structure relevant du droit des sociétés utilisée par l'organisation criminelle comme écran (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 954/6, p. 18).

Toutefois, il convient encore de préciser que, pour l'application de l'article 324ter, § 1er, les mots « sciemment et volontairement » qui précèdent les mots « fait partie » impliquent que la partie poursuivante démontre que la personne poursuivie ait « une attitude positive, en connaissance de cause » (Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-662/3, p. 6). Le législateur a précisé cependant que l'intention personnelle de commettre des infractions au sein de l'association ou d'y participer n'est pas requise (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 954/1, p. 2, et n° 954/6, p. 6), pas plus que la volonté de contribuer aux buts de l'organisation criminelle (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 954/6, p.18).

Le ministre souligna encore à ce propos que « l'appartenance à l'organisation » criminelle « implique l'existence d'un lien étroit et durable » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 954/6, p. 10).

B.4.4. Au cours des débats en commission de la Chambre, le ministre précisa également : « L'organisation criminelle possède une ou plusieurs structures, dont certaines, tout en étant licites, contribuent à la finalité de l'organisation. Une organisation criminelle compte des membres qui n'ont pas l'intention de commettre personnellement des infractions - ce qui les rendrait complices -, mais qui collaborent en revanche à l'organisation.

Face à cette réalité, un choix clair s'impose : ou bien on choisit de poursuivre uniquement les auteurs de faits punissables, ou bien on vise l'organisation criminelle dans son ensemble, y compris ses composantes licites dont on sait qu'elles soutiennent des objectifs illicites. [...] » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 954/17, pp. 29-30).

Au cours des débats en commission du Sénat, le ministre souligna également à cet égard : « La notion d'organisation criminelle vise une association structurée et permanente qui présente toutes les caractéristiques citées à l'article 324bis proposé. Comme cette forme de collaboration revêt un caractère plus grave, ce sont toutes les formes d'implication, comme l'implication par simple appartenance, l'implication des ' sleepers ', des personnes extérieures, etc., qui sont incriminées (voir à ce sujet le premier rapport intermédiaire de la commission d'enquête, doc.

Sénat, n° 1-326/7, 53-60 - annexe I) » (Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-662/4, p.39). « Les organisations criminelles sont mieux structurées, étendent leurs ramifications tant sur le plan national que sur le plan international et sont constituées de manière occulte mais en s'intégrant de manière beaucoup plus complète dans la société. Les organisations réellement visées sont les organisations ' maffieuses ', celles qui sont implantées en Italie par exemple, ou en Russie ou au Japon. L'enquête réalisée sur la criminalité organisée a démontré que toutes ces organisations avaient des activités sur le territoire belge » (ibid., p. 48). B.4.5. Il ressort dès lors des travaux préparatoires que l'article 324ter, § 1er, du Code pénal réprime le fait d'appartenir sciemment et volontairement à une organisation criminelle telle qu'elle a été définie en B.4.1, lorsqu'elle recourt à certaines méthodes afin de parvenir à ses buts, même vis-à-vis des personnes qui n'ont pas elles-mêmes commis ou eu l'intention de commettre une quelconque infraction dans le cadre de cette organisation criminelle, ni eu l'intention de s'y associer en tant que complice ou co-auteur.

Par son arrêt du 25 octobre 2005, la Cour de cassation a jugé « que l' [ancien] article 324ter, § 1er, du Code pénal vise à punir une personne, non pas en raison de sa participation personnelle à des infractions ou de son intention personnelle de commettre des infractions, mais uniquement en raison de son appartenance à l'organisation criminelle définie à l'article 324bis du Code pénal, et pourvu qu'elle ait connaissance de la nature criminelle de l'organisation à laquelle elle appartient » (Cass., 25 octobre 2005, Pas., 2005, n° 537).

Est donc passible de sanctions correctionnelles la personne qui entretient sciemment et volontairement des liens solides et durables avec les membres d'une organisation criminelle, qui a recours à un certain modus operandi, alors même qu'elle n'est pas impliquée dans les activités licites ou illicites de l'organisation criminelle à laquelle elle appartient en raison des liens qu'elle entretient, en connaissance de cause, avec ses membres. Cette incrimination ne suppose donc pas que l'on doive prouver, dans le chef de la personne incriminée, les éléments constitutifs de l'organisation criminelle (Cass., 5 juin 2007, Pas., 2007, n° 307).

B.4.6. Les modifications apportées, par la loi du 10 août 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009652 source service public federal justice Loi modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la luttre contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil type loi prom. 10/08/2005 pub. 07/09/2005 numac 2005009650 source service public federal justice et service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi portant des mesures d'accompagnement en ce qui concerne l'institution d'un groupe spécial de négociation, d'un organe de représentation et de procédures relatives à l'implication des travailleurs au sein de la Société européenne type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009653 source service public federal justice Loi modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne les traitements des référendaires et juristes de parquet près les cours et les tribunaux de première instance, des greffiers et des secrétaires de parquet et modifiant les articles 259duodecies et 285bis du même Code type loi prom. 10/08/2005 pub. 02/09/2005 numac 2005009651 source service public federal justice Loi visant à compléter la protection pénale des mineurs fermer, aux articles 324bis et 324ter du Code pénal ont été justifiées de la manière suivante : « Le gouvernement ayant décidé de ratifier [la] Convention [des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée], la mise en conformité du droit belge avec les dispositions normatives de la Convention est nécessaire. En effet, la mise en conformité du droit belge constitue l'exécution des nouvelles obligations internationales de la Belgique.

Pour ce faire, il convient de modifier les articles 324bis et 324ter du Code pénal. [...] Cet article supprime à l'article 324bis, alinéa 1er, du Code pénal les mots ' en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions '. Pour qu'un groupe criminel soit considéré comme une organisation criminelle en droit belge, il ne faudra plus le recours à l'un des modi operandi énumérés de façon limitative à l'article 324bis, alinéa 1er, actuel du Code pénal.

Le Conseil d'Etat avait en effet relevé dans son avis du 19 décembre 2002 que l'article 324bis, alinéa 1er, du Code pénal requiert pour qu'une association soit reconnue comme une organisation criminelle, qu'elle utilise ' l'intimidation, la menace, la violence, les manoeuvres frauduleuses ou la corruption', ou qu'elle recoure' à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions ', alors que l'article 2 a) de la Convention ne retient pas cette référence à un modus operandi particulier. [...] En vue de remplir ses nouvelles obligations internationales et d'améliorer l'efficacité de la lutte internationale contre le crime organisé, la Belgique doit adapter l'article 324bis, alinéa 1er, du Code pénal aux exigences de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et supprimer la référence aux modi operandi. [...] La suppression à l'article 324bis de la référence aux modi operandi étend la portée de l'incrimination de la participation passive à une organisation criminelle au-delà de ce que le législateur de 1999 désirait.

A l'époque, l'incrimination de participation passive à une organisation criminelle se concevait lorsqu'une personne appartenait sciemment et volontairement à une organisation criminelle, en connaissait les buts et objectifs, ainsi que le modus operandi. Ce qui est punissable, c'est l'appartenance en connaissance de cause à une organisation qui n'hésite pas à recourir aux moyens particulièrement répréhensibles que sont l'utilisation de l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou le recours à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation de ces infractions.

Pour maintenir cette incrimination en l'état malgré la modification de l'article 324bis, il est nécessaire de réintroduire à l'article 324ter, § 1er, la référence à ces modi operandi.

Par ailleurs, il faut noter que l'article 324ter est conforme à la Convention de Palerme et va même au-delà des exigences du droit international, tant dans son ancienne version que dans la nouvelle version qui est proposée.

En effet, la Convention de Palerme prévoit en son article 5, § 1er, alinéa a) ii) l'incrimination de la ' participation active d'une personne ayant connaissance soit du but et de l'activité criminelle générale d'un groupe criminel organisé, soit de son intention de commettre des infractions en question : a) aux activités criminelles du groupe organisé; b) à d'autres activités du groupe criminel organisé lorsque cette personne sait que sa participation contribuera à la réalisation du but criminel susmentionné '.

L'article 324ter, § 1er, du Code pénal vise la participation d'une personne à une organisation criminelle ' même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants '. Il s'agit d'une incrimination de l'appartenance à une organisation criminelle lorsqu'elle se fait sciemment et volontairement. Ce paragraphe va au-delà de l'article 5, § 1er, a) ii) a) de la Convention de Palerme, qui ne vise que la participation active aux activités criminelles du groupe criminel organisé. Pour remplir ses obligations internationales sur ce point, les articles 66 et suivants du Code pénal suffisent » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1560/004, pp. 4-8).

B.4.7. En outre, l'article 324ter, § 1er, du Code pénal ne fait pas obstacle à l'application éventuelle de la cause d'excuse prévue à l'article 326 du même Code.

B.5. Lorsque le législateur estime que certains comportements doivent faire l'objet d'une répression, il relève en principe de son pouvoir d'appréciation de déterminer quels sont les comportements qui méritent d'être pénalement sanctionnés. Encore faut-il que les choix qu'il fait soient raisonnablement justifiés.

B.6.1. En ce qui concerne la comparaison avec les infractions en matière d'association de malfaiteurs visées par les articles 322 à 324 du Code pénal, les travaux préparatoires indiquent que l'organisation criminelle dispose d'une « organisation plus étendue, plus structurée, plus permanente et commettant des délits et des crimes de façon plus systématique » et que « dans le cadre de l'association de malfaiteurs, chacun des membres de cette association a une intention personnelle de commettre des infractions ou d'être membre de cette association » (Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-662/4, p. 48, et Chambre, 1996-1997, n° 954/17, p. 29). « A l'inverse de l'association de malfaiteurs, dont tous les membres ont personnellement l'intention d'en faire partie ou de participer à des infractions, l'organisation criminelle possède une ou plusieurs structures, dont certaines, tout en étant licites, contribuent à la finalité de l'organisation. Une organisation criminelle compte des membres qui n'ont pas l'intention de commettre personnellement des infractions - ce qui les rendrait complices -, mais qui collaborent en revanche à l'organisation. [...] Si, dans le cas de l'association de malfaiteurs, l'objectif essentiel est l'enrichissement personnel du membre de l'association, les organisations criminelles sont, quant à elles, dotées d'une structure hiérarchique qui fait que l'enrichissement profite généralement à ceux qui sont à la tête de l'organisation, tandis que les membres ordinaires perçoivent plutôt une sorte de salaire (quelquefois légal) » (ibid., n° 954/17, p. 29).

B.6.2. Compte tenu de l'objectif de la disposition en cause, qui est de lutter contre des organisations criminelles dotées le plus souvent de moyens financiers importants et imbriquées de manière quasiment invisible dans la société, les éléments précités peuvent justifier raisonnablement que, contrairement à la simple participation à une association de malfaiteurs, la simple participation, sciemment et volontairement, à une organisation criminelle soit réprimée lorsque cette organisation utilise l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou recourt à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

A cet égard, le législateur a raisonnablement pu considérer que les règles applicables à l'association de malfaiteurs, en ce compris celles relatives à la participation visées aux articles 66 à 69 du Code pénal, se sont avérées insuffisantes dans la lutte contre les organisations criminelles.

B.7.1. Pour ce qui est de la comparaison entre une organisation criminelle et un « groupe terroriste » au sens des articles 139 et suivants du Code pénal, la nature des infractions commises par l'organisation constitue une différence objective : dans le second cas, il s'agit d'infractions terroristes définies à l'article 137 du Code pénal; dans le cas d'une organisation criminelle, il s'agit d'infractions « punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave, pour obtenir, directement ou indirectement, des avantages patrimoniaux ».

Certes, les deux incriminations concernent une association structurée, dotée d'une certaine permanence, constituée dans le but de commettre ou d'ourdir de façon concertée des infractions déterminées. Par ailleurs, les infractions peuvent être dans certains cas de nature similaire. L'impact provoqué par des infractions terroristes sur la société peut même être plus lourd que l'impact d'infractions commises par des organisations criminelles.

Même si la seule participation à un groupe terroriste n'a pas été incriminée comme c'est le cas pour une organisation criminelle, l'article 140 du Code pénal dispose que la participation à une quelconque activité d'un groupe terroriste est punissable de peines correctionnelles si la personne qui participe a connaissance qu'elle contribue, par cette participation, à commettre un crime ou un délit du groupe terroriste.

B.7.2. Le législateur a pu raisonnablement considérer qu'il était nécessaire de prévoir l'incrimination de personnes qui, indépendamment du fait d'avoir ou non l'intention de commettre des infractions déterminées dans le cadre d'une organisation criminelle ou de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 à 69 du Code pénal, font partie, sciemment et volontairement, de cette organisation, lorsque cette dernière utilise l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou recourt à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

Une telle mesure légitime ne perd pas sa justification du fait que le législateur n'a pas incriminé de la même manière la participation de personnes à d'autres faits ou organisations répréhensibles, et plus particulièrement la participation à un groupe terroriste. Le législateur a pu tenir compte de ce que les organisations criminelles, en vue de leur but lucratif, exercent généralement des activités tant légales qu'illégales, alors que les organisations terroristes commettent des infractions terroristes au sens de l'article 137 du Code pénal.

B.8. Même si la disposition en cause peut donner lieu à des peines correctionnelles, la mesure contestée n'a pas d'effets disproportionnés au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.

La ténacité avec laquelle persistent ou apparaissent les organisations criminelles, nonobstant l'arsenal répressif disponible auparavant, y compris les dispositions relatives à la participation punissable, et le degré de difficulté - voire parfois l'impossibilité - d'identifier les personnes qui, au sein de l'organisation criminelle, ont l'intention de commettre les infractions de l'organisation ou de s'y associer et les personnes qui fournissent seulement l'équipement ou des services, qu'ils soient légaux ou bien illégaux, susceptibles de servir à l'organisation, peuvent raisonnablement justifier l'adoption par le législateur de la mesure en cause, pour autant qu'il s'agisse de personnes qui font partie, sciemment et volontairement, d'une organisation criminelle, lorsque celle-ci s'adonne aux activités visées à l'article 324ter, § 1er, du Code pénal et commet des crimes ou délits punis d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus lourde.

B.9. Les termes « sciemment et volontairement » impliquent en outre que la personne qui se contente d'appartenir à l'organisation criminelle ne peut être poursuivie si elle ignore que l'organisation utilise les méthodes visées à l'article 324ter du Code pénal.

B.10. Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.9, la disposition en cause n'est pas sans justification raisonnable.

La première question préjudicielle appelle dès lors une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle (incrimination des sociétés en formation) B.11.1. L'article 5 du Code pénal dispose : « Toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte.

Lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée. Si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable.

Sont assimilées à des personnes morales : 1° les associations momentanées et les associations en participation;2° les sociétés visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, ainsi que les sociétés commerciales en formation;3° les sociétés civiles qui n'ont pas pris la forme d'une société commerciale. Ne peuvent pas être considérées comme des personnes morales responsables pénalement pour l'application du présent article : l'Etat fédéral, les régions, les communautés, les prézones, l'agglomération bruxelloise, les communes, les zones pluricommunales, les organes territoriaux intra-communaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d'aide sociale ».

B.11.2. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 5, alinéa 3, 2°, du Code pénal est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il assimile les sociétés commerciales en formation à des personnes morales passibles de sanctions pénales, alors qu'il ne prévoit pas une telle assimilation pour « les personnes morales de droit civil en formation ».

B.12. Les travaux préparatoires de l'article 5 du Code pénal indiquent que le législateur entendait lutter contre la « criminalité organisée », soulignant qu'il est généralement impossible de s'y attaquer sérieusement « en raison de l'impossibilité d'engager des poursuites pénales contre des personnes morales », ce qui « assure souvent l'impunité de certains comportements criminels, malgré les troubles sociaux et économiques souvent très graves qu'ils provoquent » (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 2093/5, p. 2). Il voulait également donner suite à des recommandations formulées par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe « au sujet de la criminalité des affaires et de la responsabilité des entreprises personnes morales pour les infractions commises à l'occasion de l'exercice de leurs activités » (ibid.). Son initiative s'inscrivait en outre « dans le droit fil de certaines lois récentes, à savoir la loi du 10 janvier 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/01/1999 pub. 26/02/1999 numac 1999009159 source ministere de la justice Loi relative aux organisations criminelles fermer relative aux organisations criminelles et la loi du 10 février 1999 relative à la répression de la corruption » (ibid.). Le législateur a dès lors estimé devoir assimiler les personnes morales aux personnes physiques en matière pénale.

B.13.1. A l'alinéa 3 de l'article 5 du Code pénal, le législateur a assimilé plusieurs entités à des personnes morales. Il s'agit notamment des sociétés commerciales en formation (2°).

B.13.2. En ce qui concerne l'alinéa 3 de l'article 5 du Code pénal, les travaux préparatoires précisent : « La responsabilité est étendue aux entités qui ne possèdent pas la personnalité juridique (ni par conséquent de patrimoine propre). Il s'agit en particulier des associations momentanées et des associations en participation, des sociétés sans personnalité juridique visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales - c'est-à-dire les sociétés à objet commercial qui n'ont pas déposé leurs actes conformément à l'article 10, [ § 1er,] alinéa 1er, de la même loi - des sociétés en formation et des sociétés civiles.

La raison de l'extension de la responsabilité pénale aux entités précitées consiste justement à éviter une discrimination. Il ne serait en effet pas acceptable que les infractions donnent lieu à des poursuites différentes, lorsqu'elles sont commises par une même entité économique, selon que cette entité a formellement adopté ou non la forme de la personnalité juridique. Sans cette assimilation, des personnes morales qui forment une entité économique identique, pourraient être poursuivies comme des entités sans personnalité juridique pour les mêmes infractions sur la base de leur propre responsabilité pénale, tandis que pour ces autres entités, la responsabilité pénale individuelle des personnes physiques doit être établie. Cette assimilation est par conséquent fondée sur la même philosophie de base déjà exposée ci-dessus. La présente proposition limite cependant cette assimilation aux entités ayant des activités essentiellement économiques, parce que cette problématique est moins pertinente pour d'autres groupements dans la société » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/1, p. 3).

B.14.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la seconde question préjudicielle n'appelle pas de réponse, parce que la différence de traitement en cause serait inexistante. La notion de « société commerciale en formation » ferait référence aux articles 60 et 68 du Code des sociétés, de sorte qu'il faut considérer comme société en formation la société qui est normalement dotée de la personnalité juridique mais qui n'aurait pas encore acquis cette personnalité juridique; une société civile qui pose des actes civils prend la forme d'une société commerciale et relève, selon le Conseil des ministres, de l'application de l'article 5, alinéa 3, 2°, du Code pénal.

B.14.2. Le juge a quo n'a pas limité la seconde question préjudicielle à la catégorie des « sociétés civiles en formation », comme semble le considérer le Conseil des ministres, mais l'a étendue aux « personnes morales de droit civil en formation ».

B.14.3. L'exception est rejetée.

B.15. La notion de « personne morale de droit civil » recouvre des entités très diverses, dont les sociétés civiles et des personnes morales ne poursuivant pas un but de lucre, telles que les associations sans but lucratif.

Les sociétés sont en principe créées « dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect » (article 1er du Code des sociétés). Cette caractéristique vaut tant pour les sociétés ayant un objet commercial que pour les sociétés ayant un objet civil.

Les associations sans but lucratif poursuivent un but désintéressé.

Elles ne peuvent en principe pas se livrer à « des opérations industrielles ou commerciales » et elles ne peuvent pas procurer à leurs membres « un gain matériel » (article 1er de la loi du 27 juin 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1921 pub. 19/08/2013 numac 2013000498 source service public federal interieur Loi sur les associations sans but lucratif, les associations internationales sans but lucratif et les fondations. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer sur les associations sans but lucratif, les associations internationales sans but lucratif et les fondations).

B.16. Comme le soutient le Conseil des ministres, les sociétés civiles en formation qui prennent la forme d'une société commerciale entrent dans le champ d'application de l'article 5, alinéa 3, 2°, du Code pénal.

Même si les sociétés civiles qui n'ont pas pris la forme d'une société commerciale sont assimilées à des personnes morales par l'article 5, alinéa 3, 3°, du Code pénal, l'hypothèse d'une société civile en formation n'a pas à être envisagée dès lors qu'une société en formation suppose qu'elle ait vocation à avoir la personnalité juridique; or, tel n'est pas le cas lorsqu'une société civile est constituée.

B.17. Comme il a été rappelé plus haut, les choix opérés par le législateur, en ce qui concerne l'incrimination, doivent être raisonnablement justifiés. Il en va notamment ainsi lorsqu'il règle la responsabilité pénale des personnes morales ou des entités qu'il assimile à celles-ci.

B.18. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.13.2 que le législateur a assimilé les sociétés commerciales en formation à des personnes morales passibles de sanctions pénales afin d'éviter une différence de traitement par rapport aux sociétés commerciales déjà constituées. La limitation de cette assimilation aux sociétés commerciales en formation - et donc l'instauration d'une différence de traitement avec les personnes morales sans but lucratif en formation - a été justifiée par les activités économiques qu'exercent ces sociétés.

Compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont il dispose dans sa politique répressive, le législateur a pu raisonnablement considérer qu'en ce qui concerne la responsabilité pénale, l'assimilation en cause s'imposait plus pour les personnes morales de droit privé en formation poursuivant un but de lucre que pour les personnes morales de droit privé en formation poursuivant un but désintéressé, même si celles-ci peuvent aussi exercer des activités économiques.

De même, compte tenu de la nature et de la portée relativement limitée de l'activité économique des sociétés agricoles, le législateur a pu considérer, en dépit de ce que les sociétés agricoles en formation ont vocation à avoir la personnalité juridique en tant que sociétés civiles, que l'assimilation desdites sociétés agricoles en formation aux personnes morales passibles de sanctions pénales ne s'imposait pas.

B.19. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.9, l'article 324ter, § 1er, du Code pénal ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. - L'article 5, alinéa 3, 2°, du Code pénal ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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