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Arrêt
publié le 22 janvier 2018

Extrait de l'arrêt n° 116/2017 du 12 octobre 2017 Numéro du rôle : 6503 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 319, alinéa 1 er , du Code des impôts sur les revenus 1992 et à l'article 63, alinéa 1 er , du La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 116/2017 du 12 octobre 2017 Numéro du rôle : 6503 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 319, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 et à l'article 63, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 27 juin 2016 en cause de la SA « Dranken Van Eetvelde », de la SPRL « Drankgigant » et de la SPRL « Bokslaar » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 septembre 2016, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 319, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 et l'article 63, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée violent-ils le droit à l'inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée, garantis par les articles 15 et 22 de la Constitution belge et par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, s'ils sont interprétés en ce sens qu'ils confèrent aux agents compétents de l'administration fiscale un droit général, inconditionnel et illimité, de libre accès aux locaux professionnels mentionnés dans ces articles, ce qui permet à ces agents, sans autorisation préalable, de visiter et de fouiller ces locaux et de réaliser d'autres actes faisant penser à une perquisition pénale, en vue d'examiner les livres et les documents qui s'y trouvent, que cette visite ait pour but de contrôler l'application de la législation fiscale ou de constater des infractions fiscales pénalement sanctionnées ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Le juge a quo demande si l'article 319, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992) et l'article 63, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : Code de la TVA) sont compatibles avec les articles 15 et 22 de la Constitution, combinés avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, lorsque ces dispositions sont interprétées en ce sens qu'elles confèrent aux agents compétents de l'administration fiscale un droit général, inconditionnel et illimité, de libre accès aux locaux professionnels mentionnés dans ces articles, ce qui permet à ces agents, sans autorisation préalable, de visiter et de fouiller ces locaux et de réaliser d'autres actes faisant penser à une perquisition pénale, en vue d'examiner les livres et les documents qui s'y trouvent, que cette visite ait pour but de contrôler l'application de la législation fiscale ou de constater des infractions fiscales pénalement sanctionnées.

B.2.1. L'article 319 du CIR 1992 dispose : « Les personnes physiques ou morales sont tenues d'accorder aux agents de l'administration en charge de l'établissement des impôts sur les revenus, munis de leur commission et chargés d'effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l'application de l'impôt sur les revenus, le libre accès, à toutes les heures où une activité s'y exerce, aux locaux professionnels ou aux locaux où les personnes morales exercent leurs activités tels que bureaux, fabriques, usines, ateliers, magasins, remises, garages ou à leurs terrains servant d'usine, d'atelier ou de dépôt de marchandises, à l'effet de permettre à ces agents d'une part de constater la nature et l'importance de ladite activité et de vérifier l'existence, la nature et la quantité de marchandises et objets de toute espèce que ces personnes y possèdent ou y détiennent à quelque titre que ce soit, en ce compris les moyens de production et de transport et d'autre part d'examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux précités.

Les agents de l'administration en charge de l'établissement des impôts sur les revenus, munis de leur commission, peuvent, lorsqu'ils sont chargés de la même mission, réclamer le libre accès à tous autres locaux, bâtiments, ateliers ou terrains qui ne sont pas visés à l'alinéa 1er et où des activités sont effectuées ou sont présumées être effectuées. Toutefois, ils ne peuvent pénétrer dans les bâtiments ou les locaux habités que de cinq heures du matin à neuf heures du soir et uniquement avec l'autorisation du juge de police.

Les agents précités, munis de leur commission, peuvent vérifier, au moyen du matériel utilisé et avec l'assistance des personnes visées à l'article 315bis, alinéa 3, la fiabilité des informations, données et traitements informatiques, en exigeant notamment la communication de documents spécialement établis en vue de présenter les données enregistrées sur les supports informatiques sous une forme lisible et intelligible ».

B.2.2. L'article 63 du Code de la TVA dispose : « Toute personne qui exerce une activité économique est tenue d'accorder, à tout moment et sans avertissement préalable, le libre accès des locaux où elle exerce son activité, aux fins de permettre aux agents habilités à contrôler l'application de la taxe sur la valeur ajoutée et munis de leur commission : 1° d'examiner tous les livres et documents qui s'y trouvent;2° de vérifier, au moyen du matériel utilisé et avec l'assistance de la personne requise, la fiabilité des informations, données et traitements informatiques, en exigeant notamment la communication de documents spécialement établis en vue de présenter les données enregistrées sur les supports informatiques sous une forme lisible et intelligible;3° de constater la nature et l'importance de l'activité qui s'y exerce et [du] personnel qui y est affecté, ainsi que des marchandises et tous les biens qui s'y trouvent, y compris les moyens de production et de transport. Sont notamment des locaux où une activité est exercée, les bureaux, fabriques, usines, ateliers, magasins, remises, garages et les terrains servant d'usines, d'ateliers ou de dépôts.

Ces agents peuvent, dans le même but, pénétrer librement, à tout moment, sans avertissement préalable, dans tous les bâtiments, ateliers, établissements, locaux ou autres lieux qui ne sont pas visés à l'alinéa précédent et où sont effectuées ou sont présumées être effectuées des opérations visées par le présent Code. Toutefois, ils ne peuvent pénétrer dans les bâtiments ou les locaux habités que de cinq heures du matin à neuf heures du soir et uniquement avec l'autorisation du juge de police.

Ils peuvent également arrêter et visiter à tout moment, sans avertissement préalable, tous moyens de transport, y compris les conteneurs, utilisés ou présumés être utilisés pour effectuer des opérations visées par le Code, en vue d'examiner les biens et les livres et documents transportés ».

B.2.3. En vertu de l'article 63, alinéa 1er, du Code de la TVA, toute personne qui exerce une activité économique est tenue d'accorder le libre accès des locaux où elle exerce son activité, aux fins de permettre aux agents habilités de contrôler l'application de la taxe sur la valeur ajoutée. L'article 319, alinéa 1er, du CIR 1992 confère aux agents chargés d'effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l'application de l'impôt sur les revenus un pouvoir d'investigation analogue. Par l'article 11 de la loi du 19 mai 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/05/2010 pub. 28/05/2010 numac 2010003319 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et diverses type loi prom. 19/05/2010 pub. 02/06/2010 numac 2010024175 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi portant des dispositions diverses en matière de santé fermer portant des dispositions fiscales et diverses, l'article 319, alinéa 1er, du CIR 1992 a été modifié afin d'aligner le pouvoir d'investigation prévu par cette disposition sur celui des agents compétents pour contrôler l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la base de l'article 63, alinéa 1er, du Code de la TVA (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2521/001, pp. 7-9). Le contenu des deux dispositions en cause a dès lors été voulu par le législateur comme largement équivalent.

B.3.1. L'article 15 de la Constitution dispose : « Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit ».

L'article 22 de la Constitution dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». B.3.2. Ces dispositions exigent que toute ingérence des autorités dans le droit au respect de la vie privée et du domicile soit prescrite par une disposition législative, suffisamment précise, corresponde à un besoin social impérieux et soit proportionnée à l'objectif légitime poursuivi par celle-ci.

B.4. Le juge a quo demande si le cadre légal du droit de visite en ce qui concerne les impôts sur les revenus et la taxe sur la valeur ajoutée, dans l'interprétation soumise à la Cour, offre des garanties suffisantes pour assurer le droit au respect de la vie privée et du domicile. L'affaire soumise au juge a quo ne porte pas sur l'accès de l'administration fiscale à un domicile privé. La question préjudicielle concerne uniquement l'obligation faite aux contribuables de donner aux agents compétents un libre accès aux locaux professionnels et de leur permettre d'examiner les livres et documents qui s'y trouvent. Le juge a quo dit expressément ne pas vouloir interroger la Cour concernant le fait d'emporter ou de copier des documents ou fichiers informatiques à l'occasion de la visite. La Cour ne fait dès lors pas intervenir ces aspects de la visite dans son examen.

B.5.1. Le droit au respect du domicile concerne non seulement les domiciles privés, mais s'applique également aux locaux utilisés à des fins professionnelles ou commerciales (CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, § 104; 27 septembre 2005, Petri Sallinen e.a. c. Finlande, § 70; 28 avril 2005, Buck c. Allemagne, § 31; 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § § 30-31). L'ingérence du législateur peut par ailleurs être plus importante lorsqu'il s'agit de locaux ou d'activités professionnelles ou commerciales (CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, § 104; 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 31).

Les dispositions en cause imposent aux personnes physiques ou morales, dans le cadre d'une visite fiscale, de donner libre accès aux locaux où l'activité économique se déroule, ce qui constitue une ingérence dans le droit au respect du domicile (voy. en ce sens CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, § 106).

B.5.2. Le droit au respect de la vie privée englobe le droit pour l'individu de nouer et de développer des relations au-delà de son cercle intime, y compris sur le plan professionnel ou commercial (CEDH, 23 mars 2006, Vitiello c. Italie, § 47; 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 29). De surcroît, les personnes physiques ou morales ont un intérêt légitime à assurer la protection de la vie privée des individus qui travaillent pour elles. Il convient de prendre en compte ces intérêts afin d'apprécier si l'ingérence des pouvoirs publics est justifiée (CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, § 107).

B.6. Du fait qu'une visite fiscale constitue une ingérence dans le droit au respect du domicile, cette ingérence doit satisfaire aux exigences mentionnées en B.3.2.

B.7. La visite fiscale telle qu'elle est réglée par l'article 319, alinéa 1er, du CIR 1992 et par l'article 63, alinéa 1er, du Code de la TVA doit permettre de faire les constats nécessaires en ce qui concerne la régularité de la déclaration fiscale et vise à assurer ainsi la perception des impôts nécessaire au bon fonctionnement de l'autorité et à la garantie du bien-être économique du pays. Elle poursuit donc un but légitime au sens de l'article 8.2 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.8.1. En réservant au législateur compétent le pouvoir de fixer dans quels cas et à quelles conditions il peut être porté atteinte à l'inviolabilité du domicile, l'article 15 de la Constitution garantit à toute personne qu'aucune immixtion dans ces droits ne peut avoir lieu qu'en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.

Outre cette exigence de légalité formelle, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme impose que l'ingérence dans le droit au respect du domicile soit libellée en des termes clairs et suffisamment précis qui permettent d'appréhender de manière prévisible les hypothèses dans lesquelles le législateur autorise pareille ingérence, de manière à ce que chacun puisse prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (CEDH, 17 février 2004, Maestri c. Italie, § 30). B.8.2. Il ressort de la motivation de la décision de renvoi et de la formulation de la question préjudicielle que le juge a quo demande s'il est satisfait à la condition de prévisibilité de l'ingérence dans le droit au respect du domicile si les articles 319, alinéa 1er, du CIR 1992 et 63, alinéa 1er, du Code de la TVA sont interprétés en ce sens qu'ils « confèrent aux agents compétents de l'administration fiscale un droit général, inconditionnel et illimité, de libre accès aux locaux professionnels mentionnés dans ces articles, ce qui permet à ces agents, sans autorisation préalable, de visiter [...] ces locaux [...] en vue d'examiner les livres et les documents qui s'y trouvent ».

B.9.1. Il ressort du libellé de l'article 319, alinéa 1er, du CIR 1992 et de l'article 63, alinéa 1er, du Code de la TVA que le contribuable est tenu de donner accès aux locaux professionnels aux agents chargés d'effectuer des contrôles en matière d'impôts sur les revenus et de taxe sur la valeur ajoutée. La visite fiscale est donc liée à une finalité, ce qui implique que l'administration fiscale ne peut utiliser son pouvoir d'investigation qu'en vue de contrôler le respect de la législation en matière d'impôts sur les revenus et de TVA et en vue de déterminer le montant exact de l'impôt dû.

B.9.2. En vertu de l'article 319 du CIR 1992, la visite des locaux professionnels effectuée dans le cadre des impôts sur les revenus permet aux agents compétents, d'une part, de constater la nature et l'importance des activités en question et de vérifier l'existence, la nature et la quantité de marchandises et objets de toute espèce que ces personnes y possèdent ou y détiennent à quelque titre que ce soit, en ce compris les moyens de production et de transport et, d'autre part, d'examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux précités.

L'article 63, alinéa 1er, du Code de la TVA habilite l'administration fiscale à examiner sur place tous les livres et documents qui s'y trouvent, à vérifier la fiabilité des informations, données et traitements informatiques et à constater la nature et l'importance de l'activité qui s'y exerce et du personnel qui y est affecté, ainsi que des marchandises et tous les biens qui s'y trouvent, y compris les moyens de production et de transport.

Ces dispositions contiennent donc une description claire de l'objet du contrôle. Elles précisent également à quels locaux le libre accès doit être accordé.

B.9.3. La visite dans le cadre des impôts sur les revenus ne peut être effectuée que durant les heures où une activité se déroule dans les locaux professionnels. La visite dans le cadre de la taxe sur la valeur ajoutée peut avoir lieu à tout moment et sans avertissement.

Les dispositions en cause précisent dès lors également quand la visite peut avoir lieu.

B.10.1. La question préjudicielle mentionne le fait que le droit d'accès de l'administration fiscale pourrait être exercé sans autorisation préalable du contribuable.

B.10.2. Les dispositions en cause imposent au contribuable ou à son mandataire de donner libre accès aux locaux professionnels et de collaborer ainsi à la visite fiscale. Elles n'autorisent cependant pas les agents compétents à se procurer par la contrainte un accès aux locaux professionnels lorsque cette coopération obligatoire est refusée. S'il avait voulu garantir l'accès aux locaux professionnels sans l'accord du contribuable, le législateur aurait dû le prévoir expressément et il aurait dû en préciser les modalités, ce qui n'est pas le cas.

B.10.3. Quant à l'obligation de coopération fondée sur l'article 319 du CIR 1992, le ministre des Finances a déclaré : « Le droit de visite dans le cadre de l'impôt sur les revenus n'est pas un droit de perquisition domiciliaire (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, 264/42, 217 et Doc. parl., Chambre, 1977-1978, 113/11, 23-24). Les fonctionnaires de l'administration des contributions directes n'ont en effet pas la possibilité de forcer manu militari le contribuable à respecter ses obligations [...] Les fonctionnaires compétents des contributions directes n'ont pas la possibilité d'extorquer le libre accès. Si le contribuable refuse d'accorder l'accès aux locaux concernés, la visite ne peut avoir lieu » (QRVA, Chambre, 2009-2010, n° 93, 8 février 2010, p. 546).

Le libellé de l'article 63, alinéa 1er, du Code de la TVA ne fait pas apparaître que le législateur ait conçu différemment le pouvoir de contrôle de l'administration fiscale dans ce contexte.

B.10.4. Si le contribuable refuse de coopérer à la visite, il peut être infligé soit une amende administrative (article 445 du CIR 1992 ou article 70, § 4, du Code de la TVA) soit, en cas d'infraction à des fins frauduleuses ou dans le but de nuire, une sanction pénale (article 449 du CIR 1992 ou article 73 du Code de la TVA). En cas de refus de coopération dans le cadre de la visite, il peut en outre être établi une cotisation d'office.

Enfin, dans les conditions prévues par la loi, les fonctionnaires de l'administration fiscale concernée portent à la connaissance du procureur du Roi les faits pénalement punissables aux termes des lois fiscales et des arrêtés pris pour leur exécution dont ils ont eu connaissance dans le cadre d'une visite fiscale.

B.11.1. La question préjudicielle mentionne également l'obligation, prévue par les dispositions en cause, de permettre aux agents compétents d'examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux.

B.11.2. Par un arrêt du 16 décembre 2003, la Cour de cassation s'est prononcée sur la portée du droit d'examiner les livres et documents dans les locaux professionnels, en vertu de l'article 63, alinéa 1er, 1°, du Code de la TVA : « Attendu que, d'une part, en vertu de l'article 61, § 1er, alinéa 1er, du Code de la Taxe sur la valeur ajoutée, toute personne est tenue de communiquer, sans déplacement, à toute réquisition des agents de l'administration qui a la taxe sur la valeur ajoutée dans ses attributions, les livres et documents qu'elle doit conserver conformément à l'article 60, à l'effet de permettre de vérifier l'exacte perception de la taxe à sa charge ou à la charge de tiers;

Que, d'autre part, conformément à l'article 63, alinéa 1er, 1°, du Code de la Taxe sur la valeur ajoutée, toute personne qui exerce une activité économique est tenue d'accorder à tout moment et sans avertissement préalable, le libre accès des locaux où elle exerce son activité, aux fins de permettre aux agents habilités à contrôler l'application de la taxe sur la valeur ajoutée et munis de leur commission d'examiner tous les livres et documents qui s'y trouvent;

Attendu qu'il ressort du rapprochement de ces dispositions que la mesure de contrôle visée à l'article 63, alinéa 1er, du Code de la Taxe sur la valeur ajoutée doit être distinguée de la mesure de contrôle visée à l'article 61, § 1er, alinéa 1er, du Code de la Taxe sur la valeur ajoutée; que l'article 63, alinéa 1er, 1°, du Code de la Taxe sur la valeur ajoutée vise à octroyer aux agents compétents un pouvoir de contrôle qu'ils ne puisent pas dans l'article 61, § 1er, alinéa 1er, du Code de la Taxe sur la valeur ajoutée;

Qu'il s'ensuit qu'en vertu de l'article 63, alinéa 1er, 1°, du Code de la Taxe sur la valeur ajoutée, les agents compétents ont le droit d'examiner quels livres et documents se trouvent dans les locaux où s'exerce l'activité ainsi que d'examiner les livres et documents qui s'y trouvent sans devoir requérir au préalable la remise de ces livres et documents » (Cass., 16 décembre 2003, Pas., 2003, n° 647).

Etant donné que la loi du 19 mai 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/05/2010 pub. 28/05/2010 numac 2010003319 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et diverses type loi prom. 19/05/2010 pub. 02/06/2010 numac 2010024175 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi portant des dispositions diverses en matière de santé fermer a aligné le pouvoir de visite en ce qui concerne les impôts sur les revenus sur celui en matière de taxe sur la valeur ajoutée, il convient d'admettre que l'enseignement de l'arrêt précité est également applicable aux impôts sur les revenus.

B.11.3. Afin de pouvoir déterminer l'impôt dû, les agents compétents disposent ainsi de pouvoirs d'investigation étendus et ils ont le droit d'examiner au cours de la visite quels livres et documents se trouvent dans les locaux et de les contrôler, sans devoir demander au préalable leur remise. Une interprétation raisonnable de l'obligation de coopération commande que l'administration fiscale ne soit pas tributaire du choix du contribuable de déterminer quels documents il permet de consulter et que le contribuable soit également tenu de coopérer afin d'ouvrir par exemple des armoires ou coffres fermés. Les dispositions en cause n'autorisent toutefois pas les agents compétents à exiger la consultation des livres et documents en question si le contribuable s'y oppose. Si le législateur avait voulu imposer un tel droit d'investigation, il aurait dû le prévoir expressément et il aurait dû en préciser les modalités, ce qui n'est pas le cas.

B.11.4. Comme il est dit en B.10.4, si le contribuable refuse de coopérer, il peut lui être infligé soit une amende administrative (article 445 du CIR 1992 ou article 70, § 4, du Code de la TVA) soit, en cas d'infraction à des fins frauduleuses ou dans le but de nuire, une sanction pénale (article 449 du CIR 1992 ou article 73 du Code de la TVA). En cas de refus de coopération, il peut en outre être établi une cotisation d'office. Enfin, dans les conditions prévues par la loi, les fonctionnaires de l'administration fiscale concernée portent à la connaissance du procureur du Roi les faits pénalement punissables aux termes des lois fiscales et des arrêtés pris pour leur exécution dont ils ont eu connaissance dans le cadre d'une visite fiscale.

B.12. Il ressort de ce qui précède que, contrairement à ce qui est mentionné dans la question préjudicielle, les agents compétents ne disposent pas, lors d'une visite fiscale, d'un droit général, inconditionnel et illimité de libre accès aux locaux professionnels.

Les dispositions en cause mentionnent les personnes qui sont tenues de conférer à l'administration fiscale un libre accès aux locaux professionnels, elles précisent où, quand et par qui la visite peut être effectuée et quel en est l'objet. Compte tenu de ce qui est dit en particulier en B.10.2 et B.11.3, elles sont suffisamment claires pour que le justiciable puisse savoir ce à quoi il doit s'attendre et elles satisfont ainsi à la condition de prévisibilité visée à l'article 8.2 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.13.1. Il convient encore d'examiner si les mesures sont nécessaires dans une société démocratique et si elles sont raisonnablement proportionnées au but poursuivi. Il importe à cet égard que la visite fiscale relative aux impôts sur les revenus et à la taxe sur la valeur ajoutée s'accompagne de garanties effectives contre les abus (CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, § 163).

B.13.2. La visite est un moyen important qui doit permettre à l'administration fiscale de faire les constats nécessaires quant à la régularité de la déclaration fiscale et peut donc être considérée comme nécessaire dans une société démocratique.

B.13.3. Les dispositions en cause concernent l'accès aux locaux professionnels et non l'accès à un domicile privé, de sorte qu'une autorisation judiciaire préalable en vue d'une visite fiscale n'est pas requise dans ces conditions (voy. en ce sens CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, § 172).

Les agents qui procèdent à la visite fiscale doivent cependant être en possession d'une commission, qui leur permet de se légitimer et qu'ils doivent pouvoir produire à la demande du contribuable (Cass., 12 septembre 2008, Pas., 2008, n° 469).

B.13.4. Lorsqu'ils procèdent à la visite fiscale, les agents compétents doivent veiller à ne pas entraver l'activité professionnelle du contribuable. Par ailleurs, les agents compétents ne peuvent contraindre le contribuable à violer le secret professionnel (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 112, Doc. parl., Sénat, 1961-1962, n° 366, p. 301).

Le secret professionnel tend à protéger le client et exclusivement pour les faits dont l'intéressé a eu connaissance dans l'exercice de son activité professionnelle (Cass., 30 octobre 1978, Pas. 1979, I, p. 248). Le secret professionnel ne peut être invoqué dans le seul but d'éviter un contrôle fiscal (Cass., 17 juin 1969, Pas. 1969, p. 960).

B.14.1. La question préjudicielle mentionne que la visite est possible indépendamment du fait qu'elle a lieu en vue de l'application de la législation fiscale ou en vue de constater des infractions fiscales pénalement sanctionnées.

B.14.2. Une visite fiscale et une perquisition ont une finalité fondamentalement différente. Les dispositions en cause confèrent aux agents compétents un pouvoir d'investigation administratif qui est lié à un objectif et qui ne peut être exercé qu'en vue de constater la régularité de la déclaration fiscale à l'impôt sur les revenus ou en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Il ne faut pas qu'il y ait présomption de fraude pour justifier une visite fiscale.

B.14.3. Les fonctionnaires des administrations fiscales en matière d'impôts sur les revenus et de taxe sur la valeur ajoutée ne disposent pas d'un pouvoir d'investigation judiciaire; ils portent par contre à la connaissance des autorités judiciaires, dans les conditions prévues par la loi, les faits pénalement punissables aux termes des lois fiscales et des arrêtés pris pour leur exécution dont ils ont eu connaissance. Il appartient à ces autorités d'apprécier les suites qu'il convient d'y donner.

B.14.4. Dans la mesure où la finalité de la visite fiscale consiste uniquement à établir une imposition exacte, le contribuable ne peut invoquer ni le droit de se taire ni le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination afin de se soustraire à son obligation de collaborer à la visite (CEDH, décision, 16 juin 2015, Van Weerelt c.

Pays-Bas, § 56). Ce n'est que dans le cadre d'une accusation au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que le contribuable peut invoquer le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination (CEDH, 25 février 1993, Funke c.

France, § 44). Ce droit implique que, dans une procédure pénale, il n'est pas recouru à une preuve obtenue par la contrainte ou les pressions au mépris de l'accusé (CEDH, 3 mai 2001, J.B. c. Suisse, § 64; 17 décembre 1996, Saunders c. Royaume-Uni, § 68). Le droit de ne pas s'incriminer soi-même ne s'étend toutefois pas à l'usage, dans une procédure pénale, de données qui peuvent être obtenues du contribuable en recourant à des pouvoirs coercitifs, mais qui existent indépendamment de la volonté du contribuable (CEDH, décision, 16 juin 2015, Van Weerelt c. Pays-Bas, § 55, 17 décembre 1996, Saunders c.

Royaume-Uni, § 69).

B.15.1. Comme il est dit en B.14.2, la visite fiscale est liée à un objectif et doit avoir lieu dans les limites indiquées dans les dispositions en cause en ce qui concerne le moment et l'objet du contrôle et la nature des locaux.

Lorsque les agents compétents excèdent les limites de leur pouvoir d'investigation, ceux-ci commettent un détournement de pouvoir ou un excès de pouvoir, ce qui peut, le cas échéant, impliquer que la visite est entachée de nullité.

B.15.2. Le tribunal de première instance connaît des contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt (article 569, 32°, du Code judiciaire). Au cours du contrôle judiciaire, il convient d'examiner si les conditions contenues dans les dispositions en cause ont été respectées et si la visite à laquelle il a été procédé était proportionnée au but poursuivi. Un contrôle juridictionnel effectif de la régularité d'une visite fiscale et de la preuve obtenue est donc possible.

B.16. Il ressort de ce qu'il est dit en B.9 à B.15, contrairement donc à ce qui est affirmé dans la question préjudicielle, ce qui a déjà été mentionné en B.12, que la visite fiscale en matière d'impôts sur les revenus et de taxe sur la valeur ajoutée est entourée de garanties suffisantes contre les abus. Le législateur a ainsi réalisé un juste équilibre entre, d'une part, les droits des contribuables concernés et, d'autre part, la nécessité de pouvoir procéder de manière efficace à un contrôle ou une enquête concernant l'application des impôts sur les revenus ou de la taxe sur la valeur ajoutée.

B.17. Compte tenu de ce qui est dit en B.16, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Compte tenu de ce qui est dit en B.16, l'article 319, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 et l'article 63, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ne violent pas les articles 15 et 22 de la Constitution, combinés avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 octobre 2017.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot

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