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Arrêt
publié le 09 mai 2018

Extrait de l'arrêt n° 25/2018 du 1 er mars 2018 Numéros du rôle : 6580 et 6582 En cause : les recours en annulation de l'article 98 du décret de la Région wallonne du 23 juin 2016 modifiant le Code de l'Environnement, le Code de l'E La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, des juges L. Lavryse(...)

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Extrait de l'arrêt n° 25/2018 du 1er mars 2018 Numéros du rôle : 6580 et 6582 En cause : les recours en annulation de l'article 98 du décret de la Région wallonne du 23 juin 2016 modifiant le Code de l'Environnement, le Code de l'Eau et divers décrets en matière de déchets et de permis d'environnement, introduits par l'ASBL « Belgisch Fonds voor de Inzameling en Verwerking van Elektrohuishoudtoestellen » et autres et par l'ASBL « Bebat » et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, des juges L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, F. Daoût et T. Giet, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite E. De Groot, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure Par deux requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste le 4 janvier 2017 et parvenues au greffe le 5 janvier 2017, des recours en annulation de l'article 98 du décret de la Région wallonne du 23 juin 2016 modifiant le Code de l'Environnement, le Code de l'Eau et divers décrets en matière de déchets et de permis d'environnement (publié au Moniteur belge du 8 juillet 2016) ont été introduits respectivement par l'ASBL « Belgisch Fonds voor de Inzameling en Verwerking van Elektrohuishoudtoestellen », l'ASBL « Recupel Audio - Video », l'ASBL « Recupel SDA », l'ASBL « Recupel ICT », l'ASBL « Recupel E.T. & Garden », l'ASBL « LightRec », l'ASBL « MeLarec », l'ASBL « Recupel », l'ASBL « Federatie van de Elektriciteit en de Elektronica », l'ASBL « Agoria », l'ASBL « Fédération Belge des Fournisseurs de Machines, bâtiments et Equipements pour l'Agriculture et les Espaces verts », l'ASBL « Groupement professionnel belge des Importateurs et Concessionnaires d'Usines d'Outillage », la SA « Miele », la SA « Electrolux Belgium » et la SA « BSH Home Appliances » et par l'ASBL « Bebat », l'ASBL « Federatie van de Elektriciteit en de Elektronica » et l'ASBL « Traxio », assistées et représentées par Me D. Lagasse et Me A. Visschers, avocats au barreau de Bruxelles.

Ces affaires, inscrites sous les numéros 6580 et 6582 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée et à son contexte B.1.1. Les parties requérantes poursuivent l'annulation de l'article 98 du décret de la Région wallonne du 23 juin 2016 « modifiant le Code de l'Environnement, le Code de l'Eau et divers décrets en matière de déchets et de permis d'environnement ». Cet article introduit un nouveau chapitre VIbis, intitulé « Taxe sur les organismes d'exécution des obligations de reprise », dans le décret fiscal du 22 mars 2007 « favorisant la prévention et la valorisation des déchets en Région wallonne et portant modification du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales directes » (ci-après : le décret fiscal).

Ce nouveau chapitre comprend les articles 26/1 à 26/4, qui disposent : «

Art. 26/1.Pour l'année civile 2016, il est établi au profit de la Région wallonne une taxe à charge des organismes assurant l'exécution de l'obligation de reprise des producteurs en vertu de l'article 8bis du décret du 27 juin 1996 relatif aux déchets et dont les fonds propres et provisions au 31 décembre 2013 excèdent les besoins nécessaires à l'accomplissement de l'obligation de reprise durant 24 mois.

Les besoins visés à l'alinéa 1er sont calculés sur la base d'une moyenne des frais de fonctionnement des cinq derniers exercices comptables.

Art. 26/2.Le fait générateur de la taxe est la perception auprès des consommateurs, au 31 décembre 2013 au plus tard, de la cotisation destinée à financer les obligations de gestion des déchets.

Art. 26/3.Le montant de la taxe due est fixé à 5,22 % des fonds propres des redevables tels qu'ils paraissent dans les comptes annuels approuvés pour l'année 2013, multiplié par le nombre d'habitants en Région wallonne et divisé par le nombre d'habitants en Belgique au 1er janvier de la même année.

Art. 26/4.La taxe visée au présent chapitre ne peut pas être répercutée dans les cotisations à la charge des consommateurs ».

B.1.2. Par l'article 26 du décret du 21 décembre 2016 contenant le budget des recettes de la Région wallonne pour l'année budgétaire 2017, les mots « Pour l'année civile 2016 », à l'article 26/1 du décret fiscal, sont remplacés par les mots « Pour les années 2016 à 2021 ».

B.2.1. En vertu de l'article 8bis du décret du 27 juin 1996 relatif aux déchets, le Gouvernement wallon peut imposer aux producteurs une obligation de reprise de biens ou déchets résultant de la mise sur le marché ou de l'utilisation pour leur usage propre de biens, matières premières ou produits en vue d'assurer la prévention, la réutilisation, le recyclage, la valorisation ou une gestion adaptée de ces biens ou déchets et d'internaliser tout ou partie des coûts de gestion. L'obligation de reprise comporte la couverture des coûts y afférents.

B.2.2. Le régime des obligations de reprise s'insère « dans le concept plus large de la responsabilité élargie des producteurs au sens de l'article 8 de la directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives » (Doc. parl., Parlement Wallon, 2015-2016, n° 484/1, p. 7).

B.2.3. La politique de l'Union européenne dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur (article 191.2 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne).

La directive précitée 2008/98/CE fait référence au principe du « pollueur-payeur » en tant que principe directeur aux niveaux européen et international. Conformément à ce principe, le coût de l'élimination des déchets doit être supporté par le détenteur des déchets, les détenteurs antérieurs ou les producteurs du produit générateur de déchets (considérant 1). Le producteur des déchets et le détenteur des déchets doivent les gérer d'une manière propre à assurer un niveau de protection élevé pour l'environnement et la santé humaine (considérant 26). L'introduction de la responsabilité élargie du producteur est l'un des moyens de soutenir la conception et la fabrication de produits selon des procédés qui prennent pleinement en compte et facilitent l'utilisation efficace des ressources tout au long de leur cycle de vie, y compris en matière de réparation, de réemploi, de démontage et de recyclage, sans compromettre la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur (considérant 27). Les coûts doivent être attribués de manière à traduire le coût environnemental réel de la production et de la gestion des déchets (considérant 25).

Les coûts de la gestion des déchets sont supportés, conformément au principe du « pollueur-payeur », par le producteur de déchets initial ou par le détenteur actuel ou antérieur des déchets (article 14.1 de la directive). Les Etats membres peuvent décider que les coûts de la gestion des déchets doivent être supportés en tout ou en partie par le producteur du produit qui est à l'origine des déchets et faire partager ces coûts aux distributeurs de ce produit (article 14.2).

B.3.1. En application de l'article 2 de l'arrêté du Gouvernement wallon du 23 septembre 2010 instaurant une obligation de reprise de certains déchets, sont notamment soumis à l'obligation de reprise, les déchets de piles et accumulateurs et les déchets d'équipements électriques et électroniques.

B.3.2. En vue de se conformer à cette obligation, les producteurs concernés peuvent soit remplir eux-mêmes leur obligation de reprise, soit la faire exécuter par un organisme agréé auquel ils ont adhéré ou conclure une convention environnementale visée par le décret du 20 décembre 2001 relatif aux conventions environnementales et confier dans ce cadre l'exécution de tout ou partie des obligations à un organisme de gestion (article 8bis, § 3, du décret précité du 27 juin 1996 et article 3, § 1er, de l'arrêté précité du 23 septembre 2010).

B.3.3. Les organismes agréés pour remplir l'obligation de reprise des déchets concernés et l'organisme de gestion de la convention environnementale doivent être constitués sous la forme d'association sans but lucratif (article 11, 1°, et article 22, § 1er, du même arrêté). Ils se chargent de la collecte d'équipements électriques et électroniques mis au rebut ou de piles et accumulateurs usagés. Ils sont financés par les cotisations environnementales que les producteurs adhérents obligataires de reprise leur paient par appareil, pile ou accumulateur lors de la commercialisation du produit concerné et par les cotisations de membre des producteurs adhérents.

B.4. La disposition attaquée met à charge des organismes assurant l'exécution de l'obligation de reprise des producteurs une taxe calculée sur leurs fonds propres et provisions.

Quant à la recevabilité des recours B.5.1. Le Gouvernement wallon soulève une première exception d'irrecevabilité des recours, tirée du défaut d'intérêt légitime à agir dans le chef de toutes les parties requérantes.

B.5.2. Les personnes qui sont soumises à une taxe ont, en principe, intérêt à en poursuivre l'annulation devant la Cour. Cet intérêt ne devient pas illégitime pour le motif que le législateur fiscal entend, par la taxe contestée, viser des réserves financières qui « ont pris des proportions excessives » excédant les besoins desdits organismes et qu'il juge en conséquence « injustifiées au regard du principe pollueur-payeur » (Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 484/1, p. 114). B.5.3. Pour le surplus, dès lors que l'intérêt à agir des première à huitième parties requérantes dans l'affaire n° 6580 et de la première partie requérante dans l'affaire n° 6582, qui sont soumises à la taxe attaquée, est établi, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres exceptions d'irrecevabilité des recours qui portent sur l'intérêt à agir des autres parties requérantes.

Quant à la compétence territoriale B.6. La Cour examine d'abord le deuxième moyen, qui concerne principalement la compétence territoriale de la Région wallonne en matière fiscale. Ce moyen est pris de la violation des articles 5, 39, 134, 143, § 1er, et 170, § 2, de la Constitution, de l'article 1erter de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, du principe de la répartition exclusive des compétences, du principe de la libre circulation des services et du principe de la loyauté fédérale.

Les parties requérantes font valoir que la taxe attaquée ne peut pas être localisée sur le territoire de la Région wallonne, de sorte que la situation qu'elle vise peut également être visée par les autres législateurs régionaux, dès lors que les fonds propres concernés sont générés par l'activité déployée par les organismes redevables sur l'ensemble du territoire belge.

B.7.1. L'article 170, § 2, de la Constitution dispose : « Aucun impôt au profit de la communauté ou de la région ne peut être établi que par un décret ou une règle visée à l'article 134.

La loi détermine, relativement aux impositions visées à l'alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée ».

B.7.2. L'article 1erter de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions dispose : « L'exercice des compétences fiscales des régions visées dans la présente loi s'opère dans le respect de la loyauté fédérale visée à l'article 143 de la Constitution et du cadre normatif général de l'union économique et de l'unité monétaire, ainsi que des principes suivants : 1° l'exclusion de toute concurrence fiscale déloyale;2° l'évitement de la double imposition;3° la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux. En cas de demande d'un contribuable visant à éviter la double imposition, jugée fondée par une autorité, celle-ci se concerte avec les autres autorités concernées en vue de remédier à l'imposition contraire au principe évoqué à l'alinéa 1er, 2°.

Une concertation sur la politique fiscale et sur les principes visés à l'alinéa 1er est organisée annuellement au sein du Comité de concertation visé à l'article 31 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles ».

Cette disposition ne vaut que pour l'exercice des compétences fiscales des régions visées par la loi spéciale de financement. Elle ne s'applique donc pas à l'exercice de leur compétence fiscale propre visée en B.7.1, qui résulte directement de la Constitution.

B.8. Le champ d'application territorial de la compétence fiscale propre des entités fédérées ne résulte pas des dispositions précitées.

En ce qui concerne les régions, il résulte de l'article 19, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et de l'article 7, alinéa 2, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises que leurs décrets ou ordonnances ne sont d'application que dans leur propre région. Toute norme adoptée par un législateur doit pouvoir être localisée dans le territoire de sa compétence, de sorte que toute relation et toute situation concrètes soient réglées par un seul législateur.

B.9.1. Le point de rattachement de la taxe, tel qu'il est conçu par la disposition attaquée, ne peut être localisé à l'intérieur du territoire de compétence de la Région wallonne. La taxe vise en effet tous les organismes de gestion, quel que soit leur lieu d'établissement, et frappe l'ensemble de leurs fonds propres et pas seulement certains fonds de l'association qui permettraient de déterminer l'origine géographique des moyens qui les composent.

B.9.2. La circonstance que le montant de la taxe est, en application de l'article 26/3 du décret fiscal, inséré par la disposition attaquée, affecté d'un coefficient correspondant au pourcentage de la population wallonne par rapport à l'ensemble de la population belge n'est pas de nature à modifier cette conclusion. En effet, il n'y a pas nécessairement de relation entre le nombre d'habitants en Région wallonne et la part des activités des associations visées sur le territoire de la Région wallonne, en sorte qu'il n'est pas possible de conclure que le mode de calcul retenu permet d'imposer uniquement des fonds qui sont le produit d'activités localisées sur ce territoire.

B.10.1. La disposition attaquée ne relève donc pas de la compétence territoriale de la Région wallonne. Le deuxième moyen est fondé.

B.10.2. Partant, la disposition attaquée doit être annulée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens.

B.10.3. Il convient d'annuler également l'article 26 du décret du 21 décembre 2016 contenant le budget des recettes de la Région wallonne pour l'année budgétaire 2017, qui remplace les mots « Pour l'année civile 2016 », à l'article 26/1 du décret fiscal annulé, par les mots « Pour les années 2016 à 2021 », les deux dispositions étant indissociablement liées.

Par ces motifs, la Cour annule : - l'article 98 du décret de la Région wallonne du 23 juin 2016 modifiant le Code de l'Environnement, le Code de l'Eau et divers décrets en matière de déchets et de permis d'environnement; - l'article 26 du décret du 21 décembre 2016 contenant le budget des recettes de la Région wallonne pour l'année budgétaire 2017.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 1er mars 2018.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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