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Arrêt
publié le 12 août 2019

Extrait de l'arrêt n° 65/2019 du 8 mai 2019 Numéro du rôle : 7091 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 39 du décret flamand du 21 juin 2013 portant diverses dispositions relatives au domaine politique du Bien-être, de la La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 65/2019 du 8 mai 2019 Numéro du rôle : 7091 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 39 du décret flamand du 21 juin 2013 portant diverses dispositions relatives au domaine politique du Bien-être, de la Santé publique et de la Famille, posée par le Tribunal de police d'Anvers, division Anvers.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, E. Derycke, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 11 décembre 2018 en cause de la « Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap » contre la SA « Baloise Belgium », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 janvier 2019, le Tribunal de police d'Anvers, division Anvers, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 39 du décret du 21 juin 2013 portant diverses dispositions relatives au domaine politique du Bien-être, de la Santé publique et de la Famille, compris en ce sens qu'il constitue une disposition interprétative qui est donc applicable à compter de l'entrée en vigueur de l'article 14, alinéa 4, du décret du 7 mai 2004 ' portant création de l'agence autonomisée interne dotée de la personnalité juridique " Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap " ' malgré le point de vue adopté par la Cour de cassation dans ses arrêts P.16.0893.N du 24 janvier 2017 et C.16.0545.N du 23 novembre 2017, est-il compatible avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 84 et 144 de la Constitution, et, pour autant que de besoin, avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? ».

Le 16 janvier 2019, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs J. Moerman et T. Giet ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1.1. La Cour est interrogée sur l'article 39 du décret flamand du 21 juin 2013 « portant diverses dispositions relatives au domaine politique du Bien-être, de la Santé publique et de la Famille » (ci-après : le décret du 21 juin 2013), qui dispose : « L'indemnité payée, visée à l'article 14, alinéa 4, du même décret doit être interprétée comme portant sur toutes les indemnités que l'agence a accordées pour la personne handicapée ».

B.1.2. L'article 39 du décret du 21 juin 2013 fait référence à l'article 14, alinéa 4, du décret flamand du 7 mai 2004 « portant création de l'agence autonomisée interne dotée de la personnalité juridique ' Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap ' (Agence flamande pour les Personnes handicapées) » (ci-après : le décret du 7 mai 2004), qui dispose : « L'agence subroge la personne handicapée dans ses droits et actions contre des tiers redevables de l'indemnité visée au troisième alinéa, à concurrence du montant payé à ladite personne ».

B.1.3. L'article 14, alinéa 4, du décret du 7 mai 2004 accorde à l'Agence flamande pour les personnes handicapées un droit de subrogation légal. L'Agence a déjà l'obligation d'octroyer sous certaines conditions une intervention à des personnes handicapées dans l'attente de l'indemnisation effective (article 14, alinéa 3, du décret du 7 mai 2004). Un droit de subrogation légal y a été associé afin que l'Agence puisse recouvrer l'intervention qu'elle a octroyée sur les tiers redevables de l'indemnisation.

Quant au fond B.2. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 39 du décret du 21 juin 2013 avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés avec ses articles 84 (lire : 133) et 144, et avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans l'interprétation selon laquelle la disposition en cause est une disposition interprétative, qui rétroagit donc jusqu'à la date d'entrée en vigueur de l'article 14, alinéa 4, du décret du 7 mai 2004.

B.3. Une disposition décrétale est interprétative quand elle confère à une disposition décrétale le sens que, dès son adoption, le législateur décrétal a voulu lui donner et qu'elle pouvait raisonnablement recevoir. C'est donc le propre d'une telle disposition décrétale de sortir ses effets à la date d'entrée en vigueur de la disposition décrétale qu'elle interprète.

Toutefois, la garantie de la non-rétroactivité des décrets ne pourrait être éludée par le seul fait qu'une disposition décrétale ayant un effet rétroactif serait présentée comme une disposition décrétale interprétative.

B.4.1. Il ressort des travaux préparatoires du décret du 21 juin 2013 que par la disposition interprétative en cause, le législateur décrétal a cherché à remédier à l'insécurité juridique relative à l'interprétation de l'article 14, alinéa 4, du décret du 7 mai 2004 : « L'un des principes énoncés par l'article 14 du décret constitutif est celui de la subrogation. L'Agence flamande pour les personnes handicapées peut octroyer une intervention à une personne handicapée dans l'attente que celle-ci reçoive une indemnité d'une tierce partie, et recouvrer ensuite cette intervention sur le tiers débiteur de l'indemnité.

C'est par rapport à ce principe que des problèmes d'interprétation ont parfois été constatés.

Le texte de l'article 14, alinéa 4, du décret constitutif est libellé comme suit : ' L'agence subroge la personne handicapée dans ses droits et actions contre des tiers redevables de l'indemnité visée au troisième alinéa, à concurrence du montant payé à ladite personne '.

Certaines compagnies d'assurances invoquent le membre de phrase ' à concurrence du montant payé à ladite personne ' pour faire valoir que les interventions de l'Agence flamande pour les personnes handicapées doivent réellement être payées à la personne en mains propres. Cela signifie que selon elles, des interventions dans le cadre de soins ne relèvent pas du champ d'application de l'article 14, alinéa 4, du décret constitutif. En effet, selon elles, de telles interventions sont versées par subventionnement à la structure concernée, et non à la personne en mains propres.

La jurisprudence est partagée sur cette question [...] » (Doc. parl., Parlement flamand, 2012-2013, n° 1966/1, p. 37). « Sur le plan de la jurisprudence, l'on dénombre des cas où le tribunal ou la cour a estimé que des subventions au bénéfice de tiers, mais au profit de la personne handicapée, relevaient du champ d'application de l'article 14, alinéa 4, du décret constitutif. Nous renvoyons à cet égard à un jugement du 6 mai 2011 du Tribunal de première instance de Bruxelles, à un arrêt du 22 janvier 2009 de la Cour d'appel de Gand, et à un jugement du 6 juin 2011 du Tribunal de police de Gand.

Dans les deux derniers prononcés cités, le juge a clairement confirmé que les prestations au bénéfice de la personne handicapée relevaient également du champ d'application de l'interdiction de cumul.

La Cour d'appel de Gand est la plus claire à ce propos : ' Il convient d'observer à cet égard que le fait que les subventions ont été payées par le Fonds flamand/l'Agence flamande à la structure, et non à [nom de la personne handicapée] en mains propres, ne remet pas en cause le fait que ces paiements ont été effectués au bénéfice de [nom de la personne handicapée] et que le Fonds flamand/l'Agence flamande est subrogé(e) à concurrence de ces interventions dans les droits de [nom de la personne handicapée] contre le responsable/son assureur '.

Le 1er décembre 2011, le tribunal de police de Louvain a toutefois rendu un jugement a contrario. Le juge a suivi le raisonnement de la compagnie d'assurances et a estimé que la simple utilisation de la préposition ' à ' à l'article 14 du décret constitutif était suffisante pour estimer que les subventions octroyées à la structure ne relevaient pas du champ d'application de l'article 14, alinéa 4, du décret constitutif. Plus précisément, le juge a estimé ce qui suit : ' Il va de soi que la simple intention du législateur, non traduite dans un texte législatif clair, ne permet pas d'octroyer à l'Agence flamande pour les personnes handicapées un droit de subrogation légal pour les subventions qu'elle a payées.

Le constat que les subventions octroyées par l'Agence flamande pour les personnes handicapées bénéficient à [nom de la personne handicapée] n'est pas pertinent pour l'examen du droit de subrogation puisqu'il n'est de toute façon pas satisfait aux conditions prescrites en vertu de l'article 14, § 5, du décret pour l'exercice de ce droit de subrogation, en l'occurrence le versement de l'indemnité à la personne handicapée.

En l'absence d'un texte législatif explicite lui octroyant un droit de subrogation pour les subventions qu'elle a payées, les autres observations/considérations avancées par l'Agence flamande pour les personnes handicapées pour démontrer qu'elle bénéficierait malgré tout d'un droit de subrogation légal ne sont pas pertinentes et le tribunal n'a pas non plus à les examiner plus amplement. ' » (ibid., p. 38).

B.4.2. Les travaux préparatoires précisent encore ce qui suit : « Un paiement ' à ' une personne ne signifie [...] pas que la personne en question a toujours réellement reçu les fonds en mains propres, mais qu'un paiement a bien été effectué au profit ou au bénéfice de cette personne. [...] Le paiement à la structure est effectué au bénéfice de la personne handicapée aidée par la structure en question. Cette personne a droit à l'aide subventionnée par l'Agence flamande pour les personnes handicapées parce que cette dernière a décidé que cette personne peut bénéficier d'une telle aide conformément à la réglementation applicable. Sans cette décision favorable, l'Agence flamande pour les personnes handicapées ne peut octroyer des subventions à la structure pour l'aide apportée à la personne concernée.

Le paiement à la structure n'est rien d'autre qu'une modalité de paiement, l'intervention étant bel et bien octroyée à la personne handicapée, fût-ce indirectement. Affirmer que l'Agence flamande pour les personnes handicapées ne peut exercer son droit de subrogation parce que les interventions au bénéfice de la personne handicapée sont payées directement à la structure a pour conséquence que l'auteur du dommage n'a pas à supporter ces coûts et que ceux-ci restent définitivement à charge de l'Agence.

Les considérations qui précèdent conduisent nécessairement à la conclusion que le sens de la préposition ' à ' est tout, sauf univoque. Lorsqu'un texte est sujet à différentes interprétations, il apparaît opportun d'identifier l'objectif réel que poursuivait le législateur décrétal » (Doc. parl., Parlement flamand, 2012-2013, n° 1966/1, pp. 39-40). « Nous avons à présent résolu cette problématique en insérant dans l'article en cause une disposition interprétative précisant clairement que la préposition ' à ' doit se lire dans le sens de ' au bénéfice de ' » (ibid., p. 40).

B.4.3. Pour déterminer le sens que le législateur décrétal a voulu donner à l'article 14, alinéa 4, du décret du 7 mai 2004 lors de son adoption, le législateur décrétal se base sur les travaux préparatoires du décret flamand du 8 mai 2002 « portant modification de l'article 6 du décret du 27 juin 1990 portant création d'un ' Vlaams Fonds voor de Sociale Integratie van Personen met een Handicap ' (Fonds flamand pour l'Intégration sociale des Personnes handicapées) » (ci-après : le décret du 8 mai 2002). En effet, le droit de subrogation légal en cause de l'Agence flamande pour les personnes handicapées est la continuation du droit de subrogation légal accordé par le décret du 8 mai 2002 au Fonds flamand pour l'intégration sociale des personnes handicapées.

Les travaux préparatoires de la disposition en cause indiquent ce qui suit à propos de l'intention du législateur décrétal : « Il ressort en effet de l'exposé des motifs du projet de décret portant modification de l'article 6 du décret du 27 juin 1990 portant création d'un Fonds flamand pour l'intégration sociale des personnes handicapées que le législateur décrétal souhaite que des interventions indirectes au bénéfice de la personne handicapée entrent bien dans le champ d'application du régime de subrogation. Il est précisé ce qui suit en page 4 de cet exposé des motifs : ' L'objectif du présent projet est d'élaborer un régime global couvrant toutes les interventions possibles du Fonds flamand pour l'intégration sociale des personnes handicapées, et donc également celles octroyées dans le secteur des soins collectifs et dans le domaine de l'intégration professionnelle ' (Doc. parl., Parlement flamand, 2001-2002, n° 1041/1, p. 4) » (ibid., p. 40).

B.4.4. L'intention du législateur décrétal de faire valoir le droit de subrogation légal à concurrence de toutes les interventions octroyées par l'Agence pour une personne handicapée ressort également d'autres déclarations faites lors des travaux préparatoires du décret du 8 mai 2002. La ministre de l'Aide sociale, de la Santé et de l'Egalité des Chances a précisé que « la subrogation légale implique pour le Fonds flamand de pouvoir poursuivre le responsable d'un accident de roulage non seulement pour l'aide matérielle individuelle que ce Fonds octroie, [...] mais aussi pour toutes les autres formes d'aide qu'il fournit » (Doc. parl., Parlement flamand, 2001-2002, n° 1041/2, p. 4).

En outre, les parlementaires ont également abordé la question des répercussions éventuelles de la subrogation légale sur le niveau des primes d'assurance « lorsque le Fonds flamand récupérera également les coûts liés à un séjour dans une structure » (ibid., pp. 5-6).

B.5.1. Il ressort de ce qui précède qu'en adoptant la disposition en cause, le législateur décrétal a cherché à remédier à l'insécurité juridique née des interprétations divergentes de l'article 14, alinéa 4, du décret du 7 mai 2004. La disposition en cause donne à cet article un sens que, dès son adoption, le législateur décrétal a voulu lui donner et qu'il pouvait raisonnablement recevoir.

B.5.2. La disposition en cause est une disposition interprétative et elle n'est dès lors pas incompatible avec les normes de référence citées dans la question préjudicielle.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 39 du décret flamand du 21 juin 2013 « portant diverses dispositions relatives au domaine politique du Bien-être, de la Santé publique et de la Famille » ne viole pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec ses articles 133 et 144, et avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 8 mai 2019.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux A. Alen

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