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Arrêt
publié le 09 août 2019

Extrait de l'arrêt n° 109/2019 du 10 juillet 2019 Numéro du rôle : 6947 En cause : le recours en annulation des articles 15 et 32, alinéa 1 er , du décret flamand du 8 décembre 2017 portant des dispositions réglant le recouvrement de La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 109/2019 du 10 juillet 2019 Numéro du rôle : 6947 En cause : le recours en annulation des articles 15 et 32, alinéa 1er, du décret flamand du 8 décembre 2017 portant des dispositions réglant le recouvrement de créances non fiscales pour la Communauté flamande et pour la Région flamande et les organismes qui en relèvent, des dispositions fiscales diverses et la reprise du service de la taxe sur les jeux et paris, sur les appareils automatiques de divertissement et de la taxe d'ouverture de débits de boissons fermentées, introduit par Paul Lannoy et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 13 juin 2018 et parvenue au greffe le 14 juin 2018, un recours en annulation des articles 15 et 32, alinéa 1er, du décret flamand du 8 décembre 2017 portant des dispositions réglant le recouvrement de créances non fiscales pour la Communauté flamande et pour la Région flamande et les organismes qui en relèvent, des dispositions fiscales diverses et la reprise du service de la taxe sur les jeux et paris, sur les appareils automatiques de divertissement et de la taxe d'ouverture de débits de boissons fermentées (publié au Moniteur belge du 14 décembre 2017) a été introduit par Paul Lannoy, Katrien Mattelaer, Pierre Lannoy et Marie Lannoy, assistés et représentés par Me A. Verbeke et Me P. Macaluso, avocats au barreau de Bruxelles. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées B.1.1. Les parties requérantes demandent l'annulation des articles 15 et 32, alinéa 1er, du décret flamand du 8 décembre 2017 portant des dispositions réglant le recouvrement de créances non fiscales pour la Communauté flamande et pour la Région flamande et les organismes qui en relèvent, des dispositions fiscales diverses et la reprise du service de la taxe sur les jeux et paris, sur les appareils automatiques de divertissement et de la taxe d'ouverture de débits de boissons fermentées (ci-après : le décret du 8 décembre 2017).

B.1.2. L'article 15 du décret du 8 décembre 2017 remplace le 1° de l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013, à la suite de quoi cet alinéa 1er dispose : « Le passif admissible dans la succession d'un habitant du royaume se borne : 1° aux dettes du défunt existantes au moment du décès.Les dettes autres que les dettes, visées à l'article 2.7.3.2.7, découlant de l'application d'une stipulation dans un contrat de mariage conclu entre le défunt et son partenaire et se rapportant à la liquidation de leur régime matrimonial, ne sont pas prises en considération comme des dettes du défunt existantes au moment du décès; 2° aux frais funéraires ». B.1.3. L'article 32, alinéa 1er, du décret du 8 décembre 2017 dispose : « Le présent décret entre en vigueur le dixième jour [qui suit] sa publication au Moniteur belge, à l'exception de l'article 31, qui entre en vigueur le 1er décembre 2017 ».

B.2. Les travaux préparatoires exposent : « Par le décret contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 2015, le Gouvernement flamand a fait la clarté sur la technique dite de la ' clause de la maison mortuaire '.

La suppression de la condition de survie inscrite à l'article 2.7.1.0.4 du Code flamand de la fiscalité a entre-temps clarifié le fait que ce qui est acquis par le conjoint survivant au-delà de la moitié du patrimoine commun est soumis à l'impôt de succession. Ce principe est applicable depuis le 1er juillet 2015.

Pour les époux mariés sous le régime de la séparation de biens également, il existe des clauses plus ou moins comparables qui ont pour effet que la base imposable de l'impôt de succession à charge du conjoint survivant peut être réduite. Ces clauses créent des dettes et des créances qui ont des conséquences importantes sur l'impôt de succession. Ces clauses ont déjà donné lieu à de nombreux litiges de longue durée, entraînant une insécurité juridique prolongée pour les contribuables et pour l'autorité publique.

De la même manière que le Gouvernement flamand a fait la clarté sur la ' clause de la maison mortuaire ', ce sont maintenant les ' clauses de participation finale ', d'une part, et les ' clauses d'attribution ou les clauses optionnelles à titre onéreux ', d'autre part, qui seront clarifiées.

En résumé, ces deux catégories de clauses ont les effets suivants : - dans le cas d'une clause de participation finale prévue par des époux qui sont mariés sous un régime de séparation de biens, une dette est créée lors du décès du premier époux, à charge de la succession, au bénéfice de l'époux survivant. La jurisprudence qualifie cette clause de participation d'avantage matrimonial sur lequel, en l'absence d'une disposition décrétale explicite, l'impôt de succession ne peut pas être prélevé à charge de l'époux survivant. De plus, cette créance doit être considérée comme un passif admissible dans la succession du conjoint qui décède en premier lieu. Il en résulte que l'impôt de succession peut même être réduit à zéro; - à l'inverse, dans le cas d'une clause d'attribution ou clause optionnelle à titre onéreux prévue par des époux mariés sous un régime de communauté, une créance naît lors du décès du premier époux, au bénéfice de la succession et à charge de l'époux survivant, qui ne devient exigible que lors du décès de ce second époux. Ces clauses ont elles aussi un effet important sur l'impôt de succession. Lors du premier décès, seule est imposable la créance mobilière de la succession envers l'époux survivant, alors que la dette qui est à charge de l'époux survivant relève du passif admissible dans la succession de cette personne.

Bien que ces clauses permettent de modérer considérablement l'impôt de succession, voire de le réduire à zéro, il s'agit souvent, du point de vue économique, d'acquisitions et de transferts de patrimoine importants. Dans un souci d'équité, d'une part, et de sécurité juridique, d'autre part, le Gouvernement flamand souhaite aussi faire la clarté sur ce point. Il peut le faire en prévoyant que de telles dettes ne relèvent plus, pour l'impôt de succession, du passif admissible dans une succession. C'est en ce sens que l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, est adapté.

Aux fins de cohérence fiscale, la dette non admise dans la succession de l'un des époux ne doit évidemment pas non plus être prise en considération comme créance imposable à titre d'élément d'actif dans la succession de l'autre époux. C'est à cela que tend le nouvel article 2.7.3.2.14.

Dans les deux cas, l'application des dispositions en projet a pour effet que la créance n'est pas à déclarer dans l'actif de la succession de l'un des partenaires (qui est, selon le cas, le premier ou le dernier à décéder) et, dans les deux cas, la dette ne relève pas non plus du passif admissible dans la succession de l'autre partenaire (qui est, selon le cas, le dernier ou le premier à décéder). [...] De même, il n'est pas établi de distinction selon la masse de participation choisie (les biens qui servent de base pour la participation) et/ou la clé de participation choisie (50/50, 0/100 ou d'autres clés). L'on ne distingue pas non plus les clauses optionnelles des clauses non optionnelles.

L'exposé des motifs du décret de 2015, précité, mentionne un plan par étapes visant à lutter contre les mécanismes d'évasion fiscale. Les présentes mesures poursuivent l'exécution de ce plan, à la suite des mesures déjà mises en oeuvre auparavant, justifiées par un objectif d'équité et de sécurité juridique » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1301/1, pp. 7-9).

Quant au fond En ce qui concerne le premier moyen B.3. Le premier moyen est dirigé contre l'article 15 du décret du 8 décembre 2017 et est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

B.4. Dans la première branche du premier moyen, les parties requérantes font valoir que l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il a été remplacé par la disposition attaquée, crée une différence de traitement injustifiée, en ce que des avantages matrimoniaux étrangers au patrimoine commun des époux (ci-après : la communauté conjugale) qui sont attribués au conjoint survivant sont imposés différemment des avantages matrimoniaux qui sont accordés au conjoint survivant par le biais de la communauté conjugale.

B.5.1. L'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il a été remplacé par l'article 15, attaqué, du décret du 8 décembre 2017, fait partie de la section 3 (« Base imposable ») du chapitre 7 (« Impôt sur la succession ») du titre 2 (« Perception des impôts ») de ce Code.

Cet article détermine les dettes et les frais qui relèvent du passif admissible dans une succession.

B.5.2. Avant d'être remplacé par l'article 15, attaqué, l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, du Code flamand de la fiscalité disposait que les « dettes du défunt existantes au moment du décès » relevaient du passif admissible dans la succession. L'article 15 du décret du 8 décembre 2017 a repris cette disposition en y ajoutant que les dettes autres que les dettes, visées à l'article 2.7.3.2.7, qui découlent de l'application d'une stipulation dans un contrat de mariage conclue entre le défunt et son partenaire et se rapportant à la liquidation de leur régime matrimonial, ne sont pas considérées comme des dettes du défunt existant au moment du décès.

B.5.3. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2 que le législateur décrétal a visé les « clauses de participation finale » et les « clauses d'attribution ou clauses optionnelles à titre onéreux » inscrites dans les contrats de mariage.

B.6. Il ressort de la requête introduite par les parties requérantes qu'en ce que le premier moyen reproche à la disposition attaquée de créer une différence de traitement en ce qui concerne l'imposition des avantages matrimoniaux, selon que ces avantages sont octroyés au conjoint survivant en dehors ou par le biais de la communauté conjugale, ce moyen porte exclusivement sur les clauses de participation finale, précitées, et ne porte donc pas sur les clauses d'attribution ou sur les clauses optionnelles à titre onéreux.

Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes reprochent certes également à la disposition attaquée de traiter de manière égale, sans justification raisonnable, les clauses de participation finale, d'une part, et les clauses d'attribution ou les clauses optionnelles à titre onéreux, d'autre part, mais puisque ce grief n'est formulé pour la première fois que dans ce mémoire, il y a lieu, comme l'observe le Gouvernement flamand, de le considérer comme un moyen nouveau, qui est irrecevable en vertu de l'article 85 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.

La Cour limite donc son examen aux clauses de participation finale.

B.7.1. Lorsque les époux optent, dans leur contrat de mariage, pour un régime de séparation de biens, ils décident que leurs biens propres restent séparés et qu'aucune communauté de biens n'est créée (articles 1466 et suivants du Code civil). Lorsque l'un de ces époux décède, ses biens propres entrent en principe dans la succession. Le droit de succession est établi sur la valeur, après déduction des dettes, de tout ce qui est recueilli dans la succession, conformément à la section 1ère du chapitre 7 du Code flamand de la fiscalité (articles 2.7.3.1.1 et 2.7.3.2.1 du Code flamand de la fiscalité).

B.7.2. En vertu de l'article 1469, § 1er, du Code civil, tel qu'il a été remplacé par l'article 34 de la loi du 22 juillet 2018Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/07/2018 pub. 27/07/2018 numac 2018040546 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil et diverses autres dispositions en matière de droit des régimes matrimoniaux et modifiant la loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière fermer « modifiant le Code civil et diverses autres dispositions en matière de droit des régimes matrimoniaux et modifiant la loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière », les époux qui optent pour le régime de la séparation de biens peuvent ajouter à ce régime toutes les clauses compatibles avec ce régime. Ils peuvent notamment ajouter des clauses concernant l'administration de la preuve, entre eux, du droit de propriété exclusif, concernant la preuve de créances que l'un peut invoquer contre l'autre, ainsi que des clauses précisant une indivision ou un patrimoine d'affectation pouvant exister entre eux. Ils peuvent aussi adopter des clauses visant à réaliser un décompte entre leurs patrimoines, notamment par l'ajout d'une clause de participation aux acquêts.

En vertu de l'article 1469, § 2, du Code civil, les époux qui ont opté pour une clause de participation aux acquêts sont soumis aux articles 1469/1 à 1469/13 de ce Code. Le patrimoine originaire, le patrimoine final, la créance de participation et le paiement de celle-ci sont définis conformément à ces articles.

Cependant, les époux peuvent y déroger dans leur contrat de mariage et convenir eux-mêmes de la masse de participation, de la clé de participation, du moment de participation et des modalités de participation.

B.7.3. Lorsqu'une clause de participation finale est inscrite dans le contrat de mariage d'époux qui sont mariés sous le régime de la séparation de biens, cette clause fait naître, au décès d'un des époux, une dette à charge de la succession et au bénéfice de l'époux survivant. La créance dont dispose l'époux survivant doit être qualifiée d'avantage matrimonial.

Avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, cet avantage matrimonial ne pouvait, en l'absence d'une disposition décrétale explicite, être soumis à l'impôt de succession à charge de l'époux survivant et était qualifié de dette du défunt existant au moment du décès, de sorte que cette dette relevait du passif de la succession.

La qualification de la créance comme dette du défunt existant au moment du décès avait pour effet qu'il fallait déduire cette créance de la valeur de tout ce qui était recueilli dans la succession. Cette qualification diminuait donc la base imposable de l'impôt de succession.

B.7.4. L'article 15, attaqué, du décret du 8 décembre 2017 modifie l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, du Code flamand de la fiscalité en ce sens que la créance précitée n'est pas considérée fiscalement comme une dette du défunt existant au moment du décès, de sorte que cette créance n'est plus déduite de la valeur de tout ce qui est recueilli dans la succession.

L'article 14, non attaqué, du décret du 8 décembre 2017 ajoute un article 2.7.3.2.14 au Code flamand de la fiscalité, aux termes duquel la créance précitée n'est pas prise en considération pour la perception du droit de succession, de sorte que « la dette non admise dans la succession de l'un des époux [n'est] pas non plus [...] prise en considération comme créance imposable à titre d'élément d'actif dans la succession de l'autre époux » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1301/1, p. 8).

B.8.1. L'article 2.7.1.0.4 du Code flamand de la fiscalité dispose : « L'époux survivant, auquel une convention de mariage non sujette aux règles relatives aux donations attribue plus de la moitié de la communauté, est assimilé, pour la perception des droits de succession et de mutation par décès, à l'époux survivant qui, en l'absence d'une dérogation au partage égal de la communauté, recueille, en tout ou en partie, la portion de l'autre époux, en vertu d'une donation ou d'une disposition testamentaire ».

B.8.2. Cette disposition, qui porte exclusivement sur les biens qui font partie de la communauté conjugale, a pour effet qu'aucun impôt de succession n'est dû sur ce que reçoit l'époux survivant par suite du contrat de mariage, lorsque cette acquisition ne dépasse pas la moitié de la communauté conjugale. Lorsque l'époux survivant reçoit la moitié de la communauté conjugale, l'autre moitié fait partie de la succession du défunt, qui est donc soumise à l'impôt de succession.

En vertu de la disposition précitée, l'époux survivant n'est soumis à l'impôt de succession que pour autant qu'il reçoive plus de la moitié de la communauté conjugale et uniquement sur la part qui excède la moitié de la communauté conjugale.

B.9. Etant donné que l'article 2.7.1.0.4 du Code flamand de la fiscalité porte sur la communauté conjugale, cette disposition ne saurait s'appliquer lorsque les époux ont stipulé une clause de participation finale dans leur contrat de mariage fondé sur le régime de la séparation de biens. Si l'un des époux décède, l'époux survivant n'est pas soumis à l'impôt de succession pour ce qui est de la créance qui lui est dévolue par cette clause. En revanche, les héritiers de l'époux décédé sont imposés, et ce, sur la valeur de tout ce qui est recueilli dans la succession, sans que soit déduite de cette valeur la créance qui résulte de la clause de participation, en vertu de l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il a été remplacé par la disposition attaquée.

B.10. Il résulte de ce qui précède que les avantages matrimoniaux qui sont attribués à l'époux survivant dans le régime de séparation de biens sont soumis à un autre régime fiscal que les avantages matrimoniaux qui sont attribués à l'époux survivant par le biais de la communauté conjugale.

B.11.1. Le Gouvernement flamand fait valoir que la différence de traitement précitée découle non pas de la disposition attaquée, mais bien de l'article 2.7.1.0.4 du Code flamand de la fiscalité.

B.11.2. La critique formulée par les parties requérantes à l'encontre de la disposition attaquée consiste en ce que le législateur décrétal n'a pas prévu une mesure similaire à celle qui est contenue dans l'article 2.7.1.0.4 du Code flamand de la fiscalité pour ce qui est des avantages matrimoniaux qui sont octroyés à l'époux survivant en dehors de la communauté conjugale. Dans cette mesure, la différence de traitement critiquée découle de la disposition attaquée.

L'exception du Gouvernement flamand est rejetée.

B.12.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.12.2. L'article 172 de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination inscrit dans les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.13.1. La différence de traitement mentionnée en B.10 repose sur le critère de l'origine de biens qui constituent l'avantage matrimonial (le patrimoine commun ou le patrimoine propre à chacun des époux). Ce critère est objectif.

B.13.2. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2 que la disposition attaquée a été dictée par la recherche de l'équité et de la sécurité juridique. Le législateur décrétal avait constaté, d'une part, que certaines clauses inscrites dans un contrat de mariage « permettent de modérer considérablement l'impôt de succession, voire de le réduire à zéro » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1301/1, p. 8) et, d'autre part, qu'il existait une controverse en ce qui concerne la qualification fiscale des créances résultant de telles clauses.

B.13.3. C'est à juste titre que le législateur décrétal peut vouloir corriger les conséquences fiscales inéquitables d'une clause inscrite dans un contrat de mariage et mettre fin au manque de clarté entourant la qualification fiscale des créances résultant d'une telle clause.

Les objectifs poursuivis par la disposition attaquée sont donc légitimes.

B.14.1. Le seul fait qu'une disposition législative octroie un droit ou impose une obligation aux conjoints mariés sous certains régimes matrimoniaux mais pas aux conjoints mariés sous d'autres régimes n'est pas en soi discriminatoire, étant donné que cela résulte de l'existence de régimes matrimoniaux différents. Il en va de même pour une disposition législative qui, en ce qui concerne l'impôt de succession qui doit être payé au décès de l'un des époux, crée une différence de traitement qui repose sur la nature du régime matrimonial choisi. La Cour doit toutefois examiner, compte tenu de l'objectif, des caractéristiques et des effets d'une telle disposition, si la différence de traitement créée est compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination. A cet égard, un large pouvoir d'appréciation doit toutefois être reconnu au législateur compétent, d'autant plus que les époux disposent toujours, sous réserve de l'application impérative du régime primaire, du droit de déroger, dans leur contrat de mariage, aux régimes légaux existants ou d'opter pour un régime que la loi ne prévoit pas.

B.14.2. En instituant le régime matrimonial légal, le législateur a entendu réaliser un équilibre entre, d'une part, la solidarité propre au mariage et, d'autre part, l'autonomie des deux conjoints, laquelle était liée, à l'époque, à l'objectif d'émancipation juridique de la femme poursuivi par le législateur.

Le choix d'un régime de séparation de biens suppose un écart, autorisé par le législateur, par rapport à cet équilibre, les époux optant pour une solidarité moindre et pour une autonomie accrue. Ce choix a pour conséquence de réduire à un minimum les effets patrimoniaux du mariage.

B.14.3. La liberté contractuelle est une des caractéristiques les plus fondamentales du droit matrimonial secondaire. Les époux qui choisissent un régime de séparation de biens dérogent de leur plein gré au régime matrimonial légal, de sorte qu'ils doivent également être réputés accepter les effets de ce choix.

Cette acceptation concerne autant les droits successoraux du conjoint survivant, que l'impôt de succession, en l'absence de patrimoine commun.

B.15.1. Dans le régime matrimonial légal, la communauté conjugale constitue un patrimoine distinct des avoirs propres des conjoints. En vertu de l'article 1445 du Code civil, l'actif du patrimoine commun se partage par moitié lors de la dissolution du régime matrimonial légal.

Il ressort de ce qui précède que le législateur est parti du principe que le patrimoine commun revient, pour une moitié, à l'un des époux et, pour l'autre moitié, à l'autre époux.

B.15.2. Etant donné que le patrimoine commun d'époux mariés sous un régime de communauté de biens est réputé revenir pour moitié à l'époux survivant, il est raisonnablement justifié que cet époux ne doive pas payer d'impôt de succession lorsqu'il n'obtient pas plus de la moitié de ce patrimoine commun.

Etant donné que les avantages matrimoniaux qui sont octroyés à l'époux survivant en régime de séparation de biens, par le biais d'une clause de participation finale, trouvent leur origine dans le patrimoine propre de l'époux décédé, le législateur décrétal pouvait considérer qu'il ne fallait pas prévoir, dans ce cas, une règle comme celle qui est contenue dans l'article 2.7.1.0.4 du Code flamand de la fiscalité.

B.15.3. Compte tenu du fait que la disposition attaquée a exclusivement une portée fiscale et ne modifie donc pas les effets civils d'une clause inscrite dans un contrat de mariage, du fait que, pour la perception du droit de succession, la créance résultant d'une telle clause n'est pas considérée comme un actif de la succession de l'époux survivant, ainsi que du fait que les époux ont toujours la possibilité de modifier leur contrat de mariage, la disposition attaquée n'a pas non plus d'effets disproportionnés.

B.15.4. Eu égard au large pouvoir d'appréciation qui doit lui être reconnu en l'espèce, le législateur décrétal n'a pas pris de mesure dépourvue de justification raisonnable en adoptant la disposition attaquée.

B.16. Le premier moyen, en sa première branche, n'est pas fondé.

B.17. Dans la seconde branche du premier moyen, les parties requérantes font valoir que l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il a été remplacé par la disposition attaquée, traite de la même manière, sans justification raisonnable, toutes les clauses qui y sont visées, que leur véracité puisse être démontrée ou non.

B.18. Les travaux préparatoires exposent : « Dans son avis n° 62.071/3 du 28 septembre 2017, point 4, le Conseil d'Etat renvoie à la note du Gouvernement flamand dans laquelle celui-ci explique que la véracité de ces dettes et créances n'est pas claire dans toutes les situations. Le Conseil d'Etat indique ensuite qu'il y a lieu de justifier l'égalité de traitement des deux situations, à savoir la situation dans laquelle la véracité n'est pas claire et la situation dans laquelle la véracité peut être démontrée.

Les raisons pour lesquelles les dispositions en projet n'établissent pas la distinction suggérée par le Conseil d'Etat sont les suivantes.

Ce n'est nullement un doute éventuel quant à la véracité des créances visées par ces dispositions qui a constitué le mobile unique ou déterminant de l'élaboration de ces dispositions. L'objectif des dispositions présentées est d'éviter que les clauses, dont la validité juridique et la véracité sur le plan civil ne sont certainement pas mises en doute par définition et pour toutes les situations, entraînent des différences fiscales disproportionnées en matière d'impôt de succession, par rapport à d'autres conjoints.

La distinction entre les deux situations, suggérée par le Conseil d'Etat, n'est actuellement pas faite non plus dans les situations visées par l'article 2.7.3.2.7, existant, qui traite du fait que le compte de récompenses n'est pas pris en considération fiscalement dans le cas d'époux mariés sous un régime de communauté. Dans cette situation également, il n'est pas possible d'apporter la preuve contraire.

En outre, il n'est pas évident de prouver la véracité de ces clauses.

Pour illustrer ce point, l'on peut renvoyer aux litiges entre l'administration et les contribuables qui résultent de l'application de l'article 2.7.3.4.4 existant, comme expliqué dans le manuel de Decuyper et Ruysseveldt (' Successierechten 2016-2017 ', sous le numéro 801). En vertu de cette disposition, les dettes qui ont été contractées par le défunt au bénéfice de ses successeurs ne relèvent pas du passif admissible dans la succession, à moins que les déclarants n'en démontrent la véracité. De nombreux cas d'application de cette règle ont déjà été soumis à l'appréciation du juge » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1301/1, p. 8).

B.19. Il en ressort que le législateur décrétal a conçu l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il a été remplacé par la disposition attaquée, non pas comme une disposition anti-abus - à savoir une disposition visant à prévenir l'abus fiscal, qui donne au contribuable la possibilité de réfuter la présomption d'abus invoquée par l'administration -, mais bien comme une disposition qui contribue à établir la base imposable de l'impôt.

Eu égard à ce qui précède, et compte tenu des objectifs poursuivis, mentionnés en B.13.2, le législateur décrétal a pu considérer qu'il n'y avait pas lieu de faire une distinction entre les contribuables selon qu'ils peuvent ou non démontrer la véracité d'une clause inscrite dans un contrat de mariage.

B.20. Le premier moyen, en sa seconde branche, n'est pas fondé.

En ce qui concerne le second moyen B.21. Le second moyen est dirigé contre l'article 32, alinéa 1er, du décret du 8 décembre 2017 et est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de la confiance légitime.

Selon les parties requérantes, la disposition attaquée confère, sans justification raisonnable, un effet rétroactif à l'article 15 du décret du 8 décembre 2017 et porte atteinte à la confiance légitime des époux qui ont inscrit une clause dans leur contrat de mariage antérieurement à l'entrée en vigueur de cet article 15.

Elles estiment également que la disposition attaquée crée une différence de traitement non raisonnablement justifiée entre les contribuables selon que l'administration applique à leur égard l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il a été remplacé par l'article 15 du décret du 8 décembre 2017, ou la disposition anti-abus contenue dans l'article 3.17.0.0.2 du Code flamand de la fiscalité, en ce que cette dernière disposition n'est applicable qu'à des actes juridiques qui sont accomplis après l'entrée en vigueur de cette disposition.

B.22.1. En vertu de l'article 32, alinéa 1er, du décret du 8 décembre 2017, ce décret entre en vigueur, à l'exception de son article 31, le dixième jour qui suit sa publication au Moniteur belge, à savoir le 24 décembre 2017. Il s'ensuit que l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il a été remplacé par l'article 15 du décret du 8 décembre 2017, est applicable aux successions qui se sont ouvertes à partir de cette date.

B.22.2. Les travaux préparatoires exposent : « Ces dispositions relatives aux clauses de participation finale et aux clauses d'attribution à titre onéreux sont, par définition, applicables aux successions ouvertes à partir de la date d'entrée en vigueur, étant donné qu'il s'agit de dispositions qui portent sur la composition de l'actif et du passif de la succession. Une éventuelle entrée en vigueur qui ne concernerait que les clauses stipulées après la date d'entrée en vigueur donnerait lieu à des situations particulièrement complexes qui apparaîtraient d'ailleurs comme inéquitables. En effet, l'administration devrait alors aborder ces clauses de manière fort différente, pendant une très longue période, ce qui ne serait nullement bénéfique pour la transparence et pour le traitement équitable » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1301/1, p. 9).

B.23. En matière de droits de succession, la dette fiscale naît définitivement à la date du décès. Une loi qui modifie avant ce moment la base imposable en matière de droits de succession n'a pas d'effet rétroactif.

B.24. L'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il a été remplacé par l'article 15 du décret du 8 décembre 2017, modifie la base imposable du droit de succession. En ce qu'elle ne peut être appliquée qu'aux successions qui se sont ouvertes à partir du dixième jour suivant la publication du décret du 8 décembre 2017 au Moniteur belge, cette disposition n'a pas d'effet rétroactif.

B.25. Il appartient en principe au législateur décrétal d'estimer, lorsqu'il décide d'introduire une nouvelle réglementation, s'il est nécessaire ou opportun d'assortir celle-ci de dispositions transitoires. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'est violé que si le régime transitoire ou son absence entraîne une différence de traitement dénuée de justification raisonnable ou s'il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime.

Tel est le cas lorsqu'il est porté atteinte aux attentes légitimes d'une catégorie de justiciables sans qu'un motif impérieux d'intérêt général puisse justifier l'absence d'un régime transitoire.

Le principe de la confiance légitime est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, également invoqué par les parties requérantes, qui interdit au législateur décrétal de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l'intérêt que possèdent les sujets de droit d'être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.

B.26. Les dispositions législatives qui définissent la base imposable d'un impôt peuvent à tout moment être modifiées, en tout ou en partie, de sorte que les justiciables ne peuvent pas légitimement escompter le maintien sans modification, dans le futur, de ces dispositions. Eu égard à l'objectif poursuivi, qui consiste à corriger les effets fiscaux inéquitables de clauses inscrites dans des contrats de mariage, le législateur décrétal a pu considérer qu'il n'y avait pas lieu de prévoir une disposition transitoire.

B.27. Comme il est dit en B.19, le législateur décrétal a conçu la disposition attaquée non pas comme une disposition anti-abus, mais comme une disposition qui contribue à établir la base imposable de l'impôt. Eu égard à la différence de nature des articles 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, et 3.17.0.0.2 du Code flamand de la fiscalité et compte tenu de ce qui a été dit en B.26, la différence de traitement, critiquée par les parties requérantes, entre les contribuables selon qu'ils se voient appliquer l'article 2.7.3.4.1, alinéa 1er, 1°, ou l'article 3.17.0.0.2, n'est pas sans justification raisonnable.

B.28. Le second moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 10 juillet 2019.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux A. Alen

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