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Arrêt
publié le 07 octobre 2019

Extrait de l'arrêt n° 67/2019 du 16 mai 2019 Numéro du rôle : 6743 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 210 du Code d'instruction criminelle, posée par la Cour d'appel de Liège. La Cour constitutionnelle, composée d après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédu(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 67/2019 du 16 mai 2019 Numéro du rôle : 6743 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 210 du Code d'instruction criminelle, posée par la Cour d'appel de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 5 octobre 2017 en cause du ministère public contre M.D., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 octobre 2017, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 210 du Code d'instruction criminelle interprété comme limitant la possibilité pour la juridiction d'appel de soulever d'office les moyens qu'il vise pour les seuls faits dont la juridiction est saisie, ce qui concrètement, d'une part, prive la disposition légale de toute portée pratique puisqu'il relève de la mission du juge de qualifier les faits dont il est saisi et de dire si ceux-ci sont établis, et, d'autre part, empêche le juge du fond d'apprécier la pertinence de moyens d'ordre public susceptibles d'avoir une incidence sur la culpabilité du prévenu notamment lorsque ces moyens sont découverts après le dépôt de la requête d'appel qui limite la saisine du juge d'appel, viole-t-il l'article 13 de la Constitution, combiné ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 210 du Code d'instruction criminelle avec l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.1.2. L'article 210 du Code d'instruction criminelle, tel qu'il a été complété d'un deuxième et d'un troisième alinéas par l'article 94 de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer « modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice », dispose : « Avant que les juges émettent leur opinion, le prévenu, soit qu'il ait été acquitté, soit qu'il ait été condamné, les personnes civilement responsables du délit, la partie civile, ou leur avocat et le procureur général seront entendus sur les griefs précis élevés contre le jugement et dans l'ordre qui sera réglé par le juge. Le prévenu ou son avocat, s'il le demande, aura toujours le dernier la parole.

Outre les griefs soulevés comme prescrit à l'article 204, le juge d'appel ne peut soulever d'office que les moyens d'ordre public portant sur les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ou sur : - sa compétence; - la prescription des faits dont il est saisi; - l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont il est saisi quant à la culpabilité ou la nécessité de les requalifier ou une nullité irréparable entachant l'enquête portant sur ces faits.

Les parties sont invitées à s'exprimer sur les moyens soulevés d'office ».

Cette disposition doit être lue conjointement avec l'article 204 du même Code, tel qu'il a été remplacé par l'article 89 de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer précitée, qui prévoit : « A peine de déchéance de l'appel, la requête indique précisément les griefs élevés, y compris les griefs procéduraux, contre le jugement et est remise, dans le même délai et au même greffe que la déclaration visée à l'article 203. Elle est signée par l'appelant, son avocat ou tout autre fondé de pouvoir spécial. Dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à la requête.

Cette requête peut aussi être remise directement au greffe du tribunal ou de la cour où l'appel est porté.

Un formulaire dont le modèle est déterminé par le Roi peut être utilisé à cette fin.

La présente disposition s'applique également au ministère public ».

B.1.3. La loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer « modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice » (aussi appelée la « loi pot-pourri II ») vise à améliorer et à moderniser le droit pénal et la procédure pénale, afin de rendre l'administration de la justice plus efficace, plus rapide et plus économique sans compromettre la qualité de l'administration de la justice ou les droits fondamentaux des justiciables (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 3, et DOC 54-1418/005, p. 5).

La modification de l'article 204 du Code d'instruction criminelle vise un « traitement plus efficace des procédures pénales par l'introduction de l'obligation de déposer une requête en appel » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 3), par laquelle il y a lieu « de définir précisément les griefs formulés contre le jugement rendu en première instance » (ibid., p. 83). L'article 204 du Code d'instruction criminelle « ancre l'obligation de déposer en cas d'appel une requête dans laquelle sont définis précisément les griefs élevés contre le jugement attaqué, en ce compris (cf. avis du Conseil d'Etat, n° 69) les griefs relatifs à la procédure. Cela implique de préciser non les moyens mais les points sur lesquels et les raisons pour lesquelles il y a lieu de modifier la décision rendue en première instance. Cette obligation vaut également pour le ministère public. A défaut, le juge peut déclarer l'appel irrecevable » (ibid., p. 84).

Par ailleurs, « seuls les griefs soulevés par les parties doivent être examinés par la juridiction d'appel. Par conséquent, l'examen de degré d'appel devra se limiter le cas échéant à certaines préventions ou à la peine » (ibid., p. 87).

Il ressort de l'exposé des motifs que l'article 204 du Code d'instruction criminelle a été conçu comme étant « dans l'intérêt de toutes les parties », dès lors qu'il avait pour but de faire « prendre conscience [aux appelants qui n'ont ni avocat ni une grande instruction] de la portée de l'acte d'appel et de la faculté de le limiter » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 85).

Les travaux préparatoires indiquent à ce sujet : « Trop souvent, aujourd'hui, un condamné forme un appel ou une opposition sans y réfléchir. Or, si l'opposition ne peut nuire à l'opposant, il n'en va pas de même pour l'appelant : si son appel est suivi, il peut en résulter une aggravation de la peine en degré d'appel.

Il arrive aussi que les intérêts civils ne soient aucunement contestés mais que le condamné ne soit pas conscient qu'un appel interjeté à l'aveuglette contre toutes les dispositions du jugement vise également les dispositions civiles, ce qui entraîne des soucis et frais pour les parties et une charge de travail pour la justice parfaitement inutiles.

En limitant son appel, un condamné peut même dans certains cas convaincre le ministère public qu'il assume pour l'essentiel sa condamnation et qu'il n'est pas nécessaire de suivre l'appel en l'étendant à toutes les dispositions. Il arrive ainsi que seule la répartition des frais entre les condamnés soit contestée » (ibid.).

B.1.4. La modification de l'article 210 du Code d'instruction criminelle est intervenue à la suite d'une observation émise par la section de législation du Conseil d'Etat.

A cet égard, l'exposé des motifs précise : « Le juge d'appel peut cependant, concernant les préventions visées par l'appel, soulever d'office des moyens touchant l'ordre public.

Comme l'indique le Conseil d'Etat : ' En tout cas, dans l'hypothèse où la mesure a une influence (à préciser) sur la saisine du juge d'appel - et il ressort de la déclaration du délégué que c'est bien l'intention - il faudrait indiquer clairement que la règle à introduire empêche certes les parties d'invoquer d'autres griefs que ceux mentionnés dans l'acte d'appel, mais que le juge d'appel n'est pas privé de la possibilité, du moins en ce qui concerne la ou les imputations sur laquelle/lesquelles porte l'appel, de soulever d'office des questions de droit qui touchent à l'ordre public et d'y donner la suite voulue. Ainsi, il doit toujours examiner sa compétence, avoir la possibilité de constater que le fait imputé ne constitue pas une infraction ou de lui donner une autre qualification, ou, comme l'indique le délégué, de décider que l'enquête ou la poursuite est entachée d'une nullité irréparable ou que l'action publique est prescrite, même si cela n'est pas soulevé par la partie qui a formé l'appel. ' (avis 57 792/1/V du Conseil d'Etat, n° 69, traduction libre).

Le devoir de qualifier exactement les faits ou de constater qu'ils ne constituent pas une infraction ne peut cependant amener le juge à outrepasser sa saisine en remettant en cause d'office la commission de faits non contestés par un grief avancé » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 88).

B.1.5. L'article 13 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».

L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 3. [...] ».

B.2.1. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 210 du Code d'instruction criminelle, interprété comme limitant la possibilité pour la juridiction d'appel de soulever d'office les moyens visés par cet article aux seuls faits dont la juridiction est saisie, est compatible avec l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Selon le juge a quo, une telle interprétation, d'une part, priverait concrètement la disposition légale de toute portée pratique puisqu'il relève de la mission du juge de qualifier les faits dont il est saisi et de dire si ceux-ci sont établis et, d'autre part, empêcherait le juge du fond d'apprécier la pertinence de moyens d'ordre public susceptibles d'avoir une incidence sur la culpabilité du prévenu notamment lorsque ces moyens sont découverts après le dépôt de la requête d'appel qui limite la saisine du juge d'appel.

B.2.2. Il se déduit des faits et de la motivation de l'arrêt de renvoi que la question préjudicielle porte précisément sur la survenance, après le dépôt de la requête d'appel, d'un « élément nouveau », qui serait susceptible de fonder un nouveau moyen ayant une incidence sur la question de la culpabilité.

En l'espèce, le dossier relatif à l'appel porté devant le juge a quo fait apparaître que l' « élément nouveau » qu'évoque le juge a quo dans sa décision de renvoi serait le rapport d'un psychanalyste-psychiatre établi après le dépôt de la requête d'appel, permettant de fonder un moyen nouveau pris de la contrainte morale, alors que la saisine du juge a été limitée au taux de la peine et aux conditions assortissant le sursis probatoire prononcé. La question de la culpabilité n'avait donc pas, en l'espèce, été cochée sur le formulaire de griefs.

B.2.3. La question préjudicielle porte donc sur le point de savoir si, dans l'interprétation de la disposition en cause par le juge a quo, l'impossibilité pour le juge d'appel de soulever d'office un moyen d'ordre public relatif à l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont il est saisi en raison de la découverte, après le dépôt de la requête d'appel, d'un « élément nouveau », lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans ladite requête, est compatible avec l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour limite son examen à cette hypothèse de survenance, après le dépôt de la requête d'appel, d'un « élément nouveau » susceptible d'établir l'absence d'infraction et, partant, d'avoir une incidence sur la culpabilité, alors même que la question de la culpabilité n'a pas été visée dans ladite requête ou dans le formulaire de griefs.

Pour le surplus, c'est au juge a quo seul qu'il appartient d'apprécier s'il existe un tel « élément nouveau ».

B.3.1. L'article 204, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle fait obligation à l'appelant, à peine de déchéance de l'appel, de déposer une requête indiquant précisément les griefs élevés, y compris les griefs procéduraux, contre le jugement.

En vertu de l'article 204, alinéa 3, du même Code, l'appelant peut utiliser à cette fin un formulaire dont le modèle est déterminé par le Roi. L'arrêté royal du 18 février 2016 « portant exécution de l'article 204, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle » a établi ce formulaire, modifié ensuite par l'arrêté royal du 23 novembre 2017 « remplaçant l'annexe de l'arrêté royal du 18 février 2016 portant exécution de l'article 204, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle ».

B.3.2. Tel qu'il a été utilisé en l'espèce pour la saisine du juge a quo, le formulaire publié en annexe à l'arrêté royal du 18 février 2016 précité, avant sa modification par l'arrêté royal du 23 novembre 2017, invite à cocher une ou plusieurs « dispositions » du premier jugement contre lesquelles un grief est élevé. Ces dispositions sont, en ce qui concerne l'action publique, la culpabilité, la qualification de l'infraction, les règles concernant la procédure, le taux de la peine, l'internement, la non-application du sursis simple, du sursis probatoire, de la suspension simple ou de la suspension probatoire, la confiscation, les autres mesures que sont la remise en état ou l'astreinte, la prescription, la violation de la Convention européenne des droits de l'homme, l'acquittement et les autres dispositions. En ce qui concerne l'action civile, les dispositions sont la recevabilité, le lien causal, l'évaluation du dommage (montant), les intérêts et les autres dispositions.

B.3.3. Conformément au formulaire de griefs établi par l'arrêté royal du 18 février 2016 précité, de même que par l'arrêté royal du 23 novembre 2017 qui le modifie, la déclaration de culpabilité constitue une disposition du jugement contre laquelle un grief peut être élevé, qui doit être spécifiquement visée dans la requête d'appel.

B.4.1. Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer que la requête d'appel visée à l'article 204 du Code d'instruction criminelle a pour effet de délimiter la saisine du juge d'appel, de sorte que les parties ne sont pas autorisées à invoquer de nouveaux griefs après l'expiration du délai pour déposer la requête (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 87).

Les dispositions du jugement qui ne sont frappées d'appel par aucune des parties acquièrent l'autorité de chose jugée, ce qui implique que le juge d'appel ne peut en principe pas en connaître.

B.4.2. Selon la Cour de cassation, constitue un grief au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, la désignation spécifique, par l'appelant, d'une décision du jugement entrepris, dont il demande la réformation par le juge d'appel. Il n'est pas requis que, dans sa requête ou son formulaire de griefs, l'appelant indique déjà les motifs pour lesquels il demande cette réformation; le juge d'appel apprécie souverainement, en fait, si, dans la requête ou le formulaire de griefs, l'appelant a indiqué de manière suffisamment précise ses griefs. L'indication des griefs est précise au sens de cette disposition lorsqu'elle permet aux juges d'appel et aux parties de déterminer avec certitude la décision ou les décisions du jugement entrepris, dont la partie appelante demande la réformation, en d'autres mots de déterminer la saisine des juges d'appel (Cass., 18 avril 2017, P.17.0031.N, P.17.0087.N, P.17.0105.N et P.17.0147.N; 3 mai 2017, P.17.0145.F; 28 juin 2017, P.17.0176.F; 27 septembre 2017, P.17.0257.F. Voir également : Cass., 6 février 2018, P.17.0457.N; 27 février 2018, P.18.0021.N; 13 mars 2018, P.17.0695.N; 30 mai 2018, P.18.0387.F).

B.5.1. L'article 210, alinéa 2, troisième tiret, du Code d'instruction criminelle permet au juge de soulever d'office, outre les griefs soulevés comme prescrit à l'article 204 du même Code, les moyens d'ordre public pris de « l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont il est saisi quant à la culpabilité ou la nécessité de les requalifier ou une nullité irréparable entachant l'enquête portant sur ces faits ».

Il convient maintenant d'examiner quelle est l'incidence de cette disposition lorsque le grief « culpabilité » n'a pas été coché dans le formulaire de griefs.

B.5.2. En ce qui concerne les moyens d'ordre public que le juge d'appel peut soulever d'office dans les conditions prévues par l'article 210, alinéa 2, du même Code, les travaux préparatoires de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer ont indiqué que « le devoir de qualifier exactement les faits ou de constater qu'ils ne constituent pas une infraction ne peut cependant amener le juge à outrepasser sa saisine en remettant en cause d'office la commission de faits non contestés par un grief avancé » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 88).

B.5.3. La Cour de cassation a jugé : « L'article 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle [...] énumère les moyens d'ordre public que le juge d'appel peut, outre les griefs élevés comme prescrit à l'article 204, soulever d'office.

Ces moyens sont, notamment, ceux qui portent sur l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont le juge d'appel est saisi quant à la culpabilité, ou la nécessité de les requalifier, ou une nullité irréparable entachant l'enquête portant sur ces faits.

Ainsi qu'elle l'énonce, cette disposition visée au troisième tiret de l'article 210, alinéa 2, précité, s'applique aux préventions ayant fait l'objet d'une déclaration de culpabilité que l'appelant a déférée aux juges d'appel en indiquant précisément dans la requête d'appel un grief portant sur cette déclaration ou en cochant la case adéquate dans le formulaire de griefs.

Il faut donc que, par la requête visée à l'article 204 du Code d'instruction criminelle, le juge d'appel soit saisi d'une contestation relative à la culpabilité du chef d'une prévention, avant de pouvoir soulever d'office tout moyen d'ordre public relatif à la qualification de cette prévention, à la nullité de l'enquête qui en a établi les faits, ou à l'absence de toute disposition légale érigeant ceux-ci en infraction » (Cass., 11 avril 2018, P.17.1303.F; dans le même sens, voir également : Cass., 19 avril 2017, P.17.0055.F; 18 octobre 2017, P.17.0656.F; 6 février 2018, P.17.0457.N).

Ainsi, cette interprétation de la notion de « moyens d'ordre public » au sens de l'article 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, lu en combinaison avec le formulaire de griefs établi par l'arrêté royal du 18 février 2016, a pour conséquence que le juge d'appel ne peut soulever d'office des moyens d'ordre public portant sur l'absence d'infraction que représenteraient les faits dont il est saisi que s'il l'est « quant à la culpabilité », en d'autres termes, uniquement si l'un des griefs soulevés par l'appelant dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs porte sur la question de la culpabilité.

B.6. L'article 13 de la Constitution garantit le droit d'accès au juge compétent. Il garantit également à toutes les personnes qui se trouvent dans la même situation le droit d'être jugées selon les mêmes règles en ce qui concerne la compétence et la procédure.

Le droit d'accès au juge serait vidé de tout contenu s'il n'était pas satisfait aux exigences du procès équitable, garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Par conséquent, lors d'un contrôle au regard de l'article 13 de la Constitution, il convient de tenir compte de ces garanties.

B.7.1. Le droit d'accès au juge, qui constitue un aspect du droit à un procès équitable, peut être soumis à des conditions de recevabilité, notamment en ce qui concerne l'introduction d'une voie de recours. Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit de manière telle que celui-ci s'en trouve atteint dans sa substance même.

Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s'il n'existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La compatibilité de ces limitations avec le droit d'accès à un tribunal dépend des particularités de la procédure en cause et s'apprécie au regard de l'ensemble du procès (CEDH, 24 février 2009, L'Erablière A.S.B.L. c. Belgique, § 36; 29 mars 2011, R.T.B.F. c.

Belgique, § 69; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, § 64; 17 juillet 2018, Vermeulen c. Belgique, § 48).

B.7.2. Plus particulièrement, les règles relatives aux formalités et aux délais fixés pour former un recours visent à assurer une bonne administration de la justice et à écarter les risques d'insécurité juridique. Toutefois, ces règles ne peuvent empêcher les justiciables de se prévaloir des voies de recours disponibles.

B.8. Ni l'article 13 de la Constitution, ni l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne garantissent un droit à un double degré de juridiction (CEDH, grande chambre, 26 octobre 2000, Kudla c. Pologne, § 122; 18 décembre 2007, Marini c. Albanie, § 120; 17 juillet 2012, Muscat c. Malte, § 42).

B.9.1. Le droit à un double degré de juridiction en matière pénale est garanti par l'article 2 du Septième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que par l'article 14, paragraphe 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

B.9.2. En ce qui concerne l'article 2, paragraphe 1, du Septième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé : « Les Etats contractants disposent en principe d'un pouvoir discrétionnaire pour décider des modalités d'exercice du droit prévu par l'article 2 du Protocole n° 7. Ainsi, l'examen d'une déclaration de culpabilité ou d'une condamnation par une juridiction supérieure peut porter tant sur des questions de fait que de droit ou se limiter aux points de droit; par ailleurs, dans certains pays, le justiciable désireux de saisir l'autorité de recours doit, dans certains cas, solliciter une autorisation à cette fin. Toutefois, les limitations apportées par les législations internes au droit de recours mentionné par cette disposition doivent, par analogie avec le droit d'accès au tribunal consacré par l'article 6 de la Convention, poursuivre un but légitime et ne pas porter atteinte à la substance même de ce droit (Haser c. Suisse (déc.), n° 33050/96, 27 avril 2000) » (CEDH, Panou c.

Grèce, 8 janvier 2009, § 32; Patsouris c. Grèce, 8 janvier 2009, § 35).

Il est également précisé au point 17 du Rapport explicatif relatif à ce Protocole que le droit d'appel ne doit pas nécessairement porter à la fois sur la déclaration de culpabilité et la condamnation. Ainsi, si la personne a avoué l'infraction qu'on lui reproche, l'appel peut être limité à la condamnation uniquement.

L'article 14, paragraphe 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques doit raisonnablement être interprété dans le même sens.

B.10. D'une manière générale, il incombe au législateur, lorsqu'il organise une voie de recours, de garantir le déroulement équitable de la procédure.

B.11. Il résulte de ce qui précède que le droit d'accès au juge, en ce compris dans le cadre de l'appel d'une décision pénale, peut faire l'objet de certaines limitations, notamment quant à son objet, c'est-à-dire à l'étendue de la saisine, à condition que celles-ci n'atteignent pas le droit dans sa substance même, qu'elles tendent vers un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.12. Comme il est dit en B.1.3, l'article 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle s'inscrit dans l'objectif d'un traitement plus efficace des affaires pénales en degré d'appel, poursuivi, d'une part, par la limitation du débat en appel aux seuls griefs élevés, dans la requête, par les parties contre le jugement d'instance (article 204 du Code d'instruction criminelle) et, d'autre part, par la limitation de la faculté pour le juge de soulever d'office des moyens d'ordre public (article 210 du Code d'instruction criminelle, disposition en cause).

Ces mesures contribuent également à renforcer la sécurité juridique liée à l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux dispositions d'un jugement qui ne sont pas contestées en appel.

B.13. Il appartient toutefois à la Cour d'examiner si l'impossibilité pour le juge d'appel d'élargir sa saisine lorsqu'est invoquée la survenance d'un « élément nouveau » susceptible d'avoir une incidence sur la culpabilité du prévenu est raisonnablement justifiée par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur et si elle ne vide pas de sa substance le principe de l'appel en matière pénale.

B.14.1. Comme il est dit en B.9.2, l'obligation d'organiser un double degré de juridiction en matière pénale n'implique pas qu'il faille nécessairement permettre en appel un réexamen complet de l'affaire.

L'appel peut être limité à certaines dispositions du jugement. Aussi, la limitation de la saisine du juge d'appel ne saurait en soi constituer une violation des droits de la défense ou du droit d'exercer un recours effectif.

B.14.2. Conformément à l'article 204 du Code d'instruction criminelle, c'est à l'appelant qu'il appartient de déterminer lui-même, dans la requête d'appel, les dispositions du jugement qu'il entend contester.

Rien ne fait obstacle à ce que l'appelant formule, dans la requête d'appel, des griefs relatifs à l'ensemble des dispositions du jugement, pourvu que les griefs en question soient suffisamment précis. Comme l'indiquent les travaux préparatoires de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer, cette mesure vise à responsabiliser les parties au procès pénal en leur faisant prendre conscience de la portée de l'acte d'appel.

B.14.3. Ainsi que la Cour l'a jugé par son arrêt n° 148/2017 du 21 décembre 2017 en ce qui concerne l'appel sur griefs au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, les « griefs » ne s'identifient pas à des « moyens » : « B.45.1. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la notion de ' grief ', au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, ne se confond pas avec la notion de ' moyen ' au sens où l'entendent les parties requérantes. La disposition attaquée prescrit donc que l'appelant désigne, dans sa requête, les parties du jugement de première instance qu'il entend voir réformer et non les arguments qu'il souhaite avancer à cette fin.

B.45.2. Par conséquent, la disposition attaquée n'empêche pas que l'appelant invoque, pour la première fois en degré d'appel et en cours de procédure, les moyens qu'il estime appropriés pour obtenir la réformation de la décision rendue en première instance, en ce compris, le cas échéant, le dépassement du délai raisonnable ou encore un revirement de jurisprudence intervenu entre les deux instances ».

B.14.4. La Cour ne s'est toutefois pas prononcée, par cet arrêt, sur l'hypothèse délimitée en B.2.3.

B.15.1. En cas de survenance d'un « élément nouveau », dont seul le juge d'appel pourrait avoir connaissance à l'exclusion du premier juge, et qui est susceptible d'avoir une incidence sur la culpabilité, l'impossibilité pour le juge d'appel de soulever d'office un moyen d'ordre public pris de l'absence d'infraction au sens de l'article 210, alinéa 2, troisième tiret, du Code d'instruction criminelle en dehors des griefs au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, parce que la déclaration de culpabilité n'a pas été visée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, est disproportionnée au regard du droit d'accès au juge, en ce qu'elle vide de sa substance l'appel en matière pénale alors que la juridiction en est saisie.

B.15.2. Ce constat vaut dans l'hypothèse d'un « élément nouveau », conçu comme un élément survenu après le dépôt de la requête d'appel, dont seul le juge d'appel pourrait avoir connaissance à l'exclusion du premier juge, et qui pourrait dès lors fonder un moyen nouveau, qui n'aurait aucunement pu être soumis au premier juge et qui serait susceptible d'établir l'absence d'infraction et, partant, d'avoir une incidence sur la culpabilité, même si la question de la culpabilité n'a pas été visée dans cette requête ou dans le formulaire de griefs.

Le caractère imprévisible de l'« élément nouveau » empêche, par définition, l'appelant d'avoir pu le prendre en compte quand il a défini ses griefs. L'impossibilité pour le juge de soulever cet « élément nouveau » susceptible d'établir l'absence d'infraction est une mesure disproportionnée au regard de l'objectif de conscientiser les parties sur la portée de l'acte d'appel.

Le fait de n'avoir pas visé la question de la culpabilité dans la requête ne peut, à l'égard de cet « élément nouveau », lequel est intrinsèquement imprévisible et qu'il était dès lors impossible de produire en instance, signifier que l'appelant aurait renoncé à contester sa culpabilité ni que le juge d'appel ne peut décider d'office qu'il n'est pas coupable.

Pour le surplus, comme il est dit en B.2.3, c'est au juge a quo qu'il appartient d'apprécier s'il existe, en l'espèce, un tel « élément nouveau ».

B.15.3. Enfin, la circonstance que, dans l'hypothèse de la survenance d'un « fait nouveau » susceptible d'avoir une incidence sur la culpabilité, le condamné ait la possibilité de demander la révision de sa condamnation, en vertu des articles 443 à 447bis du Code d'instruction criminelle, n'est pas de nature à atténuer le caractère disproportionné de la disposition en cause dans l'hypothèse de la survenance d'un « élément nouveau », tel qu'il est délimité en B.15.2.

En effet, les articles 443 à 447bis du Code d'instruction criminelle organisent, selon des conditions très strictes, une procédure de révision des condamnations pénales passées en force de chose jugée, et cette voie de recours extraordinaire ne peut se substituer à l'appel en matière pénale, qui constitue une voie de recours ordinaire permettant de réformer une décision d'instance, notamment quand le juge d'appel décide, sur la base des faits dont il est saisi, que la culpabilité n'est pas établie.

B.16. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 210 du Code d'instruction criminelle viole l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le juge d'appel ne peut pas soulever d'office un moyen d'ordre public relatif à l'absence d'infraction résultant d'un élément nouveau survenu après le dépôt de la requête d'appel, lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans cette requête ou dans le formulaire de griefs.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 mai 2019.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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