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Arrêt
publié le 13 novembre 2002

Extrait de l'arrêt n° 128/2002 du 10 juillet 2002 Numéros du rôle : 2288, 2296 et 2297 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 5, alinéas 2 et 4, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999 instaurant La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, P(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 128/2002 du 10 juillet 2002 Numéros du rôle : 2288, 2296 et 2297 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 5, alinéas 2 et 4, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, posées par le Tribunal correctionnel de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par jugements des 12 et 30 novembre 2001 en cause de l'auditeur du travail contre respectivement W. Piret et la s.p.r.l. March, L. Wera et autres, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour d'arbitrage les 16 novembre et 5 décembre 2001, le Tribunal correctionnel de Liège a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. L'article 5, alinéa 2, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, en ce qu'il abandonne à l'appréciation et à la discrétion du juge les critères à utiliser pour décider s'il punit ou non la personne physique dans les hypothèses d'imputation légale lorsque les infractions reprochées à la personne morale sont volontaires et dans lesquelles le juge répressif peut condamner la personne physique qui dispose des attributions de l'auteur légal et qui a commis une faute à l'origine de l'infraction, alors que toute personne, physique ou morale, poursuivie devant une juridiction répressive (ou : alors que toute personne, physique ou morale, qui a commis une infraction sciemment et volontairement et qui est poursuivie devant une juridiction répressive) nepeut être condamnée qu'en regard de normes pénales précises, sur la base desquelles elle est amenée à se défendre, qui sont prévisibles dans leur application et qui peuvent être mises en oeuvre avec une sécurité juridique suffisante ? 2.L'article 5, alinéa 2, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution en ce que, dans les hypothèses d'infractions involontaires (ou : dans les hypothèses d'infractions involontaires pour les préventions qui recourent à l'incrimination légale), il retient le principe de la responsabilité pénale unique dans le chef de la personne, physique ou morale, qui a commis la faute la plus grave sans toutefois préciser ce que recouvre cette notion qui est abandonnée à l'appréciation du juge répressif alors que tout prévenu ou accusé poursuivi devant une juridiction répressive est jugé par rapport à des normes pénales qui doivent être précises de manière à ce que celles-ci soient prévisibles dans leur application et puissent être établies avec une sécurité juridique suffisante ? Ces affaires sont inscrites sous les numéros 2288 et 2297 du rôle de la Cour.

Par jugement du 30 novembre 2001 en cause de l'auditeur du travail contre M. van Toorn et la s.p.r.l. Topi, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 5 décembre 2001, le Tribunal correctionnel de Liège a posé, outre les deux questions mentionnées, la question préjudicielle suivante : L'article 5, alinéa 4, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il exonère de toute responsabilité pénale les personnes morales de droit public qu'il vise et qui ont commis une infraction alors que toutes les autres personnes morales non visées par l'article 5, alinéa 4, du Code pénal peuvent être condamnées par application des alinéas 1 à 3 du même article ? Cette affaire est inscrite sous le numéro 2296 du rôle de la Cour. (...) IV. En droit (...) B.1.1. L'article 5 du Code pénal, rétabli par l'article 2 de la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, dispose : « Toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte.

Lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée. Si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable.

Sont assimilées à des personnes morales : 1° les associations momentanées et les associations en participation;2° les sociétés visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, ainsi que les sociétés commerciales en formation;3° les sociétés civiles qui n'ont pas pris la forme d'une société commerciale. Ne peuvent pas être considérées comme des personnes morales responsables pénalement pour l'application du présent article: l'Etat fédéral, les régions, les communautés, les provinces, l'agglomération bruxelloise, les communes, les organes territoriaux intracommunaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d'aide sociale. » B.1.2. Les travaux préparatoires de la loi litigieuse révèlent que le législateur entendait lutter contre la « criminalité organisée », soulignant qu'il est souvent impossible de s'y attaquer « en raison de l'impossibilité d'engager des poursuites pénales contre des personnes morales », ce qui « assure souvent l'impunité de certains comportements criminels, malgré les troubles sociaux et économiques souvent très graves qu'ils provoquent » (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 2093/5, p. 2). Il voulait également donner suite à des recommandations formulées par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe « au sujet de la criminalité des affaires et de la responsabilité des entreprises personnes morales pour les infractions commises à l'occasion de l'exercice de leurs activités » (ibid.). Son initiative s'inscrivait en outre « dans le droit fil de certaines lois récentes, à savoir la loi du 10 janvier 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/01/1999 pub. 26/02/1999 numac 1999009159 source ministere de la justice Loi relative aux organisations criminelles fermer relative aux organisations criminelles et la loi du 10 février 1999 relative à la répression de la corruption » (ibid.). Le législateur a dès lors estimé devoir assimiler les personnes morales aux personnes physiques en matière pénale.

Quant à l'étendue du contrôle de la Cour B.2. La Cour n'est pas interrogée sur la constitutionnalité des options résumées ci-avant mais sur les différences de traitement décrites dans les questions préjudicielles.

Il ne lui appartient pas d'apprécier si certaines déclarations faites au cours des travaux préparatoires sont contradictoires, si certaines formules utilisées sont imprécises ou si les termes employés sont parfois impropres. Il lui incombe uniquement d'examiner, d'une part, si la marge d'appréciation laissée au pouvoir judiciaire par l'article 5, alinéa 2, du Code pénal est à ce point étendue qu'elle constituerait une atteinte discriminatoire au principe de légalité (première et deuxième questions préjudicielles), d'autre part, si, en excluant du champ d'application de la loi les personnes morales de droit public énumérées à l'article 5, alinéa 4, du Code pénal, le législateur a accordé à celles-ci une immunité incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution (troisième question préjudicielle).

Quant aux questions préjudicielles B.3.1. Les trois jugements qui interrogent la Cour posent deux questions identiques qui seront désignées ci-après comme étant les première et deuxième questions préjudicielles. Elles concernent l'article 5, alinéa 2, du Code pénal. La troisième question est posée uniquement dans l'affaire n° 2297. Elle porte sur l'alinéa 4 du même article.

B.3.2. Les deux premières questions préjudicielles demandent à la Cour si les dispositions en cause portent atteinte de manière discriminatoire aux droits de la défense et au principe de légalité des incriminations, de la procédure pénale et des peines. Les droits de la défense sont garantis par un principe général de droit et par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le principe de légalité en matière pénale est garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, ainsi que par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Quant aux exceptions soulevées par le Conseil des ministres B.4.1. Le Conseil des ministres soutient que les deux premières questions ne précisent pas quelles catégories de personnes seraient comparées et que la disposition en cause n'instaure aucune distinction de traitement entre des justiciables. Il considère que le principe d'égalité ne pourrait être violé et que, par conséquent, les questions n'appelleraient pas de réponse ou que la Cour ne serait pas compétente pour en connaître.

B.4.2. Le juge a quo demande à la Cour si des personnes physiques prévenues d'avoir commis une infraction en même temps qu'une personne morale ne sont pas discriminées en ce qu'elles n'auraient pas la possibilité, contrairement aux autres prévenus, de faire valoir leurs moyens de défense en connaissance de cause.

B.4.3. La différence de traitement ainsi décrite trouve son origine dans l'article 5, alinéa 2, du Code pénal, qui n'est applicable qu'en cas d'infraction commise par une personne physique et une personne morale. La Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles.

Quant au fond Première question préjudicielle B.5.1. Il ressort de la question préjudicielle que le juge a quo s'interroge sur la compatibilité de l'article 5, alinéa 2, du Code pénal avec les articles 10 et 11, combinés avec les articles 12, alinéa 2, et 14, de la Constitution et avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le juge pourrait décider, en cas d'infraction commise « sciemment et volontairement » par une personne physique, sur la base de critères abandonnés à sa discrétion par le législateur, de prononcer ou non une condamnation contre elle.

B.5.2. L'article 5, alinéa 2, du Code pénal établit le principe du non-cumul des condamnations de la personne morale et de la personne physique poursuivies pour une même infraction. Le législateur a voulu « avoir égard à la situation spécifique des personnes morales, puisque celles-ci agissent via des personnes physiques », et éviter que « les cas de corréité et de complicité » soient « quasiment automatiques dans bon nombre de situations » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, p. 38).

B.5.3. La deuxième phrase de cette disposition prévoit cependant une exception à ce principe, lorsque la personne physique « a commis la faute sciemment et volontairement ». Le législateur a voulu éviter que la loi ne soit « interprétée comme donnant carte blanche aux personnes qui adoptent des comportements punissables dans le cadre d'une personne morale », et a donc prévu que « la personne morale et la personne physique peuvent être poursuivies et condamnées ensemble comme coauteurs en cas de dol » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, p. 10). Au cours des travaux préparatoires, il a été précisé que « le législateur ne pouvait se substituer au juge », qui « peut prononcer une condamnation, mais doit d'abord évaluer les circonstances dans lesquelles les faits se sont produits ». Il a encore été dit que « si l'on utilisait le mot doit ', cela signifierait que le juge n'aurait plus aucune liberté d'appréciation » (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 2093/5, p. 14).

B.5.4. Ces explications montrent que le législateur n'a pas eu l'intention d'attribuer au juge un pouvoir d'appréciation plus large, en l'occurrence, que celui dont il dispose de manière générale en matière pénale.

B.5.5. Il découle de ce qui précède que l'article 5, alinéa 2, deuxième phrase, du Code pénal, en ce qu'il dispose que la personne physique identifiée, ayant commis une faute sciemment et volontairement, peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable, ne viole pas les articles 10 et 11, combinés avec les articles 12, alinéa 2, et 14, de la Constitution et avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.5.6. La première question appelle une réponse négative.

Deuxième question préjudicielle B.6.1. Il ressort de la question préjudicielle que le juge a quo s'interroge sur la compatibilité de l'article 5, alinéa 2, première phrase, du Code pénal avec les articles 10 et 11, combinés avec les articles 12, alinéa 2, et 14, de la Constitution et avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que, en cas d'infraction involontaire, le juge condamne celle de la personne morale ou de la personne physique qui a commis la faute « la plus grave », sans qu'il soit précisé ce que recouvre cette notion qui est ainsi laissée à l'appréciation du juge.

B.6.2. En attribuant au pouvoir législatif la compétence, d'une part, de déterminer dans quels cas et dans quelle forme des poursuites pénales sont possibles, d'autre part, d'adopter la loi en vertu de laquelle une peine peut être établie et appliquée, les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution garantissent à tout citoyen qu'aucun comportement ne sera punissable et qu'aucune peine ne sera infligée qu'en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.

Ces dispositions constitutionnelles n'empêchent toutefois pas que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge chargé de l'appliquer pour autant qu'elle ne méconnaisse pas les exigences particulières de précision, de clarté et de prévisibilité auxquelles doivent satisfaire les lois en matière pénale.

B.6.3. L'article 5, alinéa 2, première phrase, du Code pénal prévoit que le juge pénal, lorsqu'il constate qu'une infraction involontaire a été commise à la fois par une personne physique et par une personne morale, ne condamne que celle de ces deux personnes qui a commis « la faute la plus grave ».

B.6.4.1. Il ressort des travaux préparatoires de la disposition en cause que le législateur a entendu consacrer le principe du cumul des responsabilités mais uniquement lorsque l'infraction peut être imputée personnellement à une personne physique qui aurait agi de manière intentionnelle (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, p. 10). Il a été observé qu'il convient de faire une distinction entre la criminalité « maffieuse », qui est « plutôt une criminalité intentionnelle » et la criminalité « économique » qui est une criminalité de « négligence » (ibid., p. 21). L'intention du législateur s'est traduite dans la deuxième phrase de l'article 5, alinéa 2, qui consacre le cumul des responsabilités de la personne physique et de la personne morale lorsque la première a agi « sciemment et volontairement ».

En revanche, si la personne physique n'a pas agi « sciemment et volontairement », le législateur a exclu le cumul des responsabilités mais il n'a pas déterminé lui-même qui de la personne morale ou de la personne physique doit être condamnée.

B.6.4.2. Le législateur traite ainsi la personne physique qui a commis la même infraction involontaire qu'une personne morale différemment de celle qui a commis la même infraction involontaire qu'une autre personne physique : dans le second cas, le cumul des responsabilités pénales est possible; dans le premier, il est exclu. La Cour n'est toutefois pas interrogée sur cette différence de traitement, mais sur celle qui est décrite en B.6.1.

B.6.5. En disposant que doit seule être condamnée la personne qui a commis la faute la plus grave mais en s'abstenant de préciser lui-même selon quels critères cette gravité doit être appréciée, le législateur attribue au juge le pouvoir d'apprécier laquelle de ces deux personnes doit être condamnée.

B.6.6. Une telle attribution serait incompatible avec les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution si elle avait pour conséquence de réaliser l'objectif, déclaré au cours des travaux préparatoires, d'éviter « que soit la personne morale, soit la personne physique puisse évaluer le risque pénal a priori » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/1, p. 6).

Il n'apparaît cependant pas que la disposition en cause puisse avoir pour effet d'abandonner au juge un pouvoir d'appréciation à ce point étendu que les personnes qu'elle vise ne pourraient régler leur conduite et en prévoir les conséquences. Elle ne modifie en rien la définition des diverses infractions auxquelles elle s'applique et elle n'empêche pas les personnes intéressées d'évaluer les conséquences pénales de leur comportement. Elle a pour seul objectif d'éviter la condamnation systématique de la personne morale et de la personne physique (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, p. 38), d'inciter le juge « à mettre en balance la faute dans le chef d'une personne physique, d'une part, et la responsabilité de la personne morale, d'autre part » (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 2093/5, p. 15) et de lui permettre de « vérifier au cas par cas laquelle de la responsabilité de la personne morale ou de la personne physique est déterminante » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/1, p. 6).

B.6.7. Par la disposition en cause, le législateur n'a nullement permis au juge de créer une incrimination, d'organiser une nouvelle forme de poursuite ou d'instaurer une nouvelle peine, mais il a introduit une mesure qui, parce qu'elle est favorable au prévenu, échappe aux exigences particulières des articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution. Si l'article 78 du Code pénal dispose que « nul crime ou délit ne peut être excusé, si ce n'est dans les cas déterminés par la loi », cette disposition n'interdit pas que ce soit le juge qui apprécie dans chaque cas quelle est la personne qui doit bénéficier de la mesure en cause.

B.6.8. Si le choix laissé au juge entraîne une incertitude sur la condamnation qui sera prononcée, il ne s'ensuit pas que la disposition en cause manquerait à l'exigence de prévisibilité à laquelle doit satisfaire la loi en matière pénale : toute personne physique ou morale sait qu'elle pourra être poursuivie et condamnée si elle a eu un comportement qui correspond aux éléments constitutifs d'une infraction réprimée par une loi pénale. Si la référence à « la faute la plus grave » laisse au juge un pouvoir d'appréciation, elle n'empêche nullement chaque prévenu d'exercer son droit de défense en s'expliquant sur le degré de gravité des fautes qui lui sont reprochées.

Il ne peut être fait grief à un texte de portée générale de ne pas donner une définition précise de la gravité, applicable à l'ensemble des infractions non intentionnelles, réprimées par le droit pénal. Le juge devra apprécier cette gravité non pas en fonction de conceptions subjectives qui rendraient imprévisible l'application de la disposition en cause mais en prenant pour critère les éléments constitutifs de chaque infraction, en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire et en appréciant dans chaque cas le degré d'autonomie dont dispose la personne physique à l'égard de la personne morale.

B.6.9. Il s'ensuit que, bien qu'elle laisse au juge un large pouvoir d'appréciation, la disposition en cause, qui doit se combiner avec celles qui déterminent, pour chaque infraction, à quelles conditions une personne peut être condamnée, n'est pas discriminatoire.

B.6.10. La deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Troisième question préjudicielle B.7.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'alinéa 4 de l'article 5 du Code pénal en ce qu'il exclut la responsabilité pénale des personnes morales de droit public suivantes : l'Etat fédéral, les régions, les communautés, les provinces, l'agglomération bruxelloise, les communes, les organes territoriaux intracommunaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d'aide sociale. La discrimination proviendrait de ce que ces personnes morales peuvent exercer des activités similaires à celles de personnes morales de droit privé qui, elles, pourraient voir leur responsabilité pénale engagée à l'occasion de l'exercice de ces activités.

B.7.2. Les personnes morales de droit public se distinguent des personnes morales de droit privé en ce qu'elles n'ont que des missions de service public et doivent ne servir que l'intérêt général. Le législateur peut raisonnablement considérer que son souci de lutter contre la criminalité organisée ne l'oblige pas à prendre à l'égard des personnes morales de droit public les mêmes mesures qu'à l'égard des personnes morales de droit privé.

B.7.3. Le législateur doit cependant tenir compte de ce que des personnes morales de droit public ont des activités semblables à celles de personnes morales de droit privé et que, dans l'exercice de telles activités, les premières peuvent se rendre coupables d'infractions qui ne se distinguent en rien de celles qui peuvent être commises par les secondes. Il lui appartient, pour concilier avec le principe d'égalité sa volonté de mettre fin à l'irresponsabilité pénale des personnes morales, de ne pas exclure du champ d'application de la loi les personnes morales de droit public qui ne se distinguent des personnes morales de droit privé que par leur statut juridique.

B.7.4. Il ressort des travaux préparatoires de la disposition en cause qu'en principe les personnes morales de droit public sont pénalement responsables et que l'exception à cette règle ne concerne que celles « qui disposent d'un organe directement élu selon des règles démocratiques » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/1, p. 3).

B.7.5. La différence de traitement ainsi établie entre personnes morales selon qu'elles disposent d'un organe démocratiquement élu ou non repose sur un critère objectif.

Les personnes morales de droit public énumérées à l'article 5, alinéa 4, du Code pénal ont la particularité d'être principalement chargées d'une mission politique essentielle dans une démocratie représentative, de disposer d'assemblées démocratiquement élues et d'organes soumis à un contrôle politique. Le législateur a pu raisonnablement redouter, s'il rendait ces personnes morales pénalement responsables, d'étendre une responsabilité pénale collective à des situations où elle comporte plus d'inconvénients que d'avantages, notamment en suscitant des plaintes dont l'objectif réel serait de mener, par la voie pénale, des combats qui doivent se traiter par la voie politique.

B.7.6. Il s'ensuit que, en excluant des personnes morales de droit public du champ d'application de l'article 5 du Code pénal et en limitant cette exclusion à celles qui sont mentionnées à l'alinéa 4 de cet article, le législateur n'a pas accordé à celles-ci une immunité qui serait injustifiée.

B.7.7. La troisième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. L'article 5, alinéa 2, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, ne viole pas les articles 10 et 11, combinés avec les articles 12, alinéa 2, et 14, de la Constitution et avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'il dispose que, si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable.2. L'article 5, alinéa 2, du Code pénal ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec les dispositions précitées, en ce qu'il dispose que, lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée.3. L'article 5, alinéa 4, du Code pénal ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il exclut de son champ d'application les personnes morales de droit public qu'il énumère. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 10 juillet 2002, par le siège précité, dans lequel le juge E. Derycke est remplacé, pour le prononcé, par le juge E. De Groot, conformément à l'article 110 de la même loi.

Le greffier, L. Potoms Le président, M. Melchior

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