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Arrêt
publié le 20 septembre 2004

Extrait de l'arrêt n° 96/2004 du 26 mai 2004 Numéros du rôle : 2968 et 2974 En cause : les demandes de suspension des articles 6, 7, 8 et 18 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation élector La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges R. Henneuse, L(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 96/2004 du 26 mai 2004 Numéros du rôle : 2968 et 2974 En cause : les demandes de suspension des articles 6, 7, 8 et 18 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale, introduites par F.-X. Robert et par H. Van De Cauter et A. Mahiat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges R. Henneuse, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des demandes et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 mars 2004 et parvenue au greffe le 1er avril 2004, F.-X. Robert, demeurant à 1000 Bruxelles, rue aux Laines 33, a introduit une demande de suspension des articles 6, 7, 8 et 18 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale (publiée au Moniteur belge du 26 mars 2004). b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 8 avril 2004 et parvenue au greffe le 9 avril 2004, H.Van De Cauter, demeurant à 1020 Bruxelles, avenue J.-B. Depaire 24, et A. Mahiat, demeurant à 1030 Bruxelles, boulevard A. Reyers 159, ont introduit une demande de suspension des articles 6, 7, 8 et 18 précités.

Par les mêmes requêtes, les parties requérantes demandent également l'annulation des mêmes dispositions légales.

Ces affaires, inscrites sous les numéros 2968 et 2974 du rôle de la Cour, ont été jointes.

Par ordonnance du 21 avril 2004, la Cour a fixé l'audience au 5 mai 2004 après avoir invité les autorités visées à l'article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage à faire parvenir au greffe, le 4 mai 2004 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d'un mémoire, dont une copie serait envoyée dans le même délai aux parties requérantes. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions entreprises B.1.1. L'article 6 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale apporte à l'article 29ter de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles les modifications suivantes : « 1° les alinéas 1er à 3 deviennent les alinéas 2 à 4; 2° il est inséré un alinéa 1er nouveau rédigé comme suit : ' Sont seules admises à la répartition des sièges, les listes qui ont obtenu au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés dans la circonscription électorale où elles ont été présentées aux suffrages des électeurs.'; 3° dans l'alinéa 1er devenant l'alinéa 2, les mots ' admises à la répartition des sièges ' sont insérés entre les mots ' chacune des listes ' et les mots ' et range les quotients ';4° dans l'alinéa 2 devenant l'alinéa 3, les mots ' admises à la répartition ' sont insérés entre les mots ' les listes ' et les mots ' s'opère ';5° dans le premier membre de phrase de l'alinéa 3 devenant l'alinéa 4, les mots ' titulaires et suppléants, ' sont insérés entre les mots ' qu'elle ne porte de candidats ' et les mots ' les sièges non attribués ';6° dans le même membre de phrase du même alinéa 3 devenant l'alinéa 4, les mots ' admises à la répartition;' sont insérés après les mots ' autres listes '. » B.1.2. L'article 7 de la même loi dispose qu'à l'article 29quinquies de la loi spéciale du 8 août 1980 précitée, les modifications suivantes sont apportées : « 1° entre les alinéas 1er et 2, il est inséré un alinéa nouveau rédigé comme suit : ' Sont seules admises à participer aux opérations prévues dans les alinéas suivants, les listes qui obtiennent au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés dans la circonscription. '; 2° dans la première phrase de l'alinéa 2 qui devient l'alinéa 3, le mot ' II ' est remplacé par les mots ' Le bureau principal de la circonscription '.» B.1.3. L'article 8 de la même loi remplace l'article 29sexies, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 précitée par la disposition suivante : « Sont seules admises à la répartition complémentaire, les listes faisant groupement dont le chiffre électoral cumulé de l'ensemble des circonscriptions électorales de la province où elles sont présentées aux suffrages des électeurs atteint au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés dans l'ensemble de la province et à la condition que le chiffre électoral qu'elles ont obtenu par circonscription atteigne dans au moins une circonscription de la province, au moins soixante-six pour cent du diviseur électoral fixé en vertu de l'article 29quinquies, alinéa 1er. Les listes isolées qui satisfont à cette double condition sont également admises à la répartition complémentaire. » B.1.4. L'article 18 de la même loi dispose que l'article 20 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises est modifié comme suit : « 1° dans le § 2, remplacé par la loi spéciale du 13 juillet 2001, il est inséré entre les alinéas 1er et 2 un alinéa nouveau rédigé comme suit : ' Sont seuls admis à la répartition des sièges : 1° les groupements de listes de candidats du groupe linguistique français du Conseil, ou les listes faisant partie dudit groupe linguistique et censées constituer un tel groupement en application de l'article 16bis, § 2, qui ont obtenu au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés en faveur de l'ensemble de ces groupements de listes ou réputés tels;2° les groupements de listes de candidats du groupe linguistique néerlandais du Conseil, ou les listes faisant partie dudit groupe linguistique et censées constituer un tel groupement en application de l'article 16bis, § 2, qui ont obtenu au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés en faveur de l'ensemble de ces groupements de listes ou réputés tels;3° les listes de candidats présentées pour l'élection directe des membres bruxellois du Conseil flamand, qui ont obtenu au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés en faveur de l'ensemble de ces listes.'; 2° dans le § 3, inséré par la loi spéciale du 13 juillet 2001, les mots ' 29octies et 29nonies ' sont remplacés par les mots ' 29octies, 29nonies et 29nonies 1 '.» Quant à l'intervention du Gouvernement flamand B.2.1. Les parties requérantes dans l'affaire n° 2974 demandent à l'audience que le mémoire du Gouvernement flamand contenant des observations relatives à la suspension soit déclaré irrecevable parce qu'il est établi en néerlandais.

B.2.2. Selon l'article 62, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, les Gouvernements utilisent leur langue administrative dans les actes et déclarations.

Par conséquent, le mémoire en intervention est recevable.

Quant à l'intérêt des parties requérantes B.3.1. La demande de suspension étant subordonnée au recours en annulation, la recevabilité des recours, et notamment l'existence de l'intérêt requis en vue de leur introduction, doit être abordée dès l'examen des demandes de suspension.

B.3.2. Le droit de vote est le droit politique fondamental de la démocratie représentative. Tout électeur ou tout candidat justifie de l'intérêt requis pour demander l'annulation de dispositions susceptibles d'affecter défavorablement son vote ou sa candidature.

B.3.3. Le requérant dans l'affaire n° 2968 invoque à l'appui de son intérêt personnel ses qualités d'électeur, de candidat aux élections du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, ainsi que de candidat potentiel à d'ultérieures élections en Région wallonne.

Le requérant agit également au nom du parti politique « Front Nouveau de Belgique » (« F.N.B. »), en sa qualité de secrétaire général du parti.

La Cour constate que le F.N.B. n'agit pas en tant que tel et que son secrétaire général n'a pas démontré qu'en cette qualité il puisse ester en justice au nom de l'association de fait sans y avoir été explicitement mandaté par l'organe compétent du parti.

B.3.4. Les requérants dans l'affaire n° 2974 invoquent leurs qualités respectives de président et vice-président national du parti politique « Belgische Unie - Union belge » (« B.U.B. ») et de candidats aux élections de la Région de Bruxelles-Capitale.

En leur qualité de président et vice-président du parti politique B.U.B., les requérants dans l'affaire n° 2974 ne justifient pas d'un intérêt distinct de leur intérêt personnel d'électeurs et de candidats.

B.3.5. L'examen limité de la recevabilité des recours en annulation auquel la Cour a pu procéder dans le cadre des demandes en suspension ne fait pas apparaître, au stade actuel de la procédure, que les parties requérantes, qui sont électeurs et candidats aux élections du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, ne justifieraient pas en cette qualité de l'intérêt requis à attaquer les dispositions qui instaurent un seuil électoral pour les élections régionales dans la Région de Bruxelles-Capitale.

Par contre, ils ne justifient pas d'un intérêt à attaquer les dispositions qui instaurent un seuil électoral pour les élections régionales dans les Régions wallonne et flamande; ces dispositions ne sont en effet pas susceptibles d'affecter directement et défavorablement le vote ou la candidature des requérants dans des régions où ils ne sont ni électeurs, ni candidats.

B.3.6. Les demandes, en ce qu'elles tendent à la suspension des dispositions qui instaurent un seuil électoral dans les Régions wallonne et flamande, à savoir les articles 6, 7 et 8 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale, sont irrecevables à défaut d'intérêt.

La Cour limitera donc son examen aux moyens dirigés contre le seul article 18 de la loi attaquée, qui concerne l'application du seuil électoral dans la Région de Bruxelles-Capitale.

En outre, dès lors que les moyens développés dans les deux requêtes sont articulés contre le seul article 18, 1°, de la loi attaquée, relatif au seuil électoral, la Cour limitera son examen à cette seule disposition.

Quant aux conditions de fond de la suspension B.4.1. Les parties requérantes dans l'affaire n° 2974 invoquent l'application de l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Aux termes de cette disposition, la suspension peut être décidée « si un recours est exercé contre une norme identique ou similaire à une norme déjà annulée par la Cour d'arbitrage et qui a été adoptée par le même législateur ».

B.4.2. Dans l'arrêt n° 73/2003 du 26 mai 2003, la Cour a annulé l'article 16 de la loi du 13 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/12/2002 pub. 10/01/2003 numac 2003000004 source service public federal interieur Loi portant diverses modifications en matière de législation électorale fermer portant diverses modifications en matière de législation électorale, qui établissait un seuil électoral pour les élections législatives fédérales, « en tant qu'il s'applique aux circonscriptions électorales de Bruxelles-Hal-Vilvorde, Louvain et Nivelles, pour l'élection de la Chambre des Représentants ».

B.4.3. La norme contre laquelle est dirigé le recours actuellement soumis à l'examen de la Cour - à savoir l'article 18, 1°, de la loi spéciale du 2 mars 2004 - établit un seuil électoral pour les élections régionales; cette norme n'est pas identique ou similaire à celle que la Cour a annulée dans son arrêt précité du 26 mai 2003.

De ce qui précède, il faut déduire que l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 ne peut être appliqué à la demande de suspension dirigée contre l'article 18, 1°, de la loi spéciale du 2 mars 2004.

B.5. Aux termes de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée : - des moyens sérieux doivent être invoqués; - l'exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l'une de ces deux conditions n'est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.

En ce qui concerne le caractère sérieux des moyens B.6.1. Le requérant dans l'affaire n° 2968 prend un moyen unique tiré de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec ses articles 64 et 68 et avec l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et, pour autant que de besoin, avec l'article 14 de cette Convention.

B.6.2. Dans une première branche du moyen, le requérant invoque une discrimination injustifiée entre régimes linguistiques. Pour les dix-sept élus néerlandophones du Conseil régional bruxellois, le seuil électoral « naturel » (5,88 p.c.) étant supérieur au seuil légal de 5 p.c., le seuil électoral légal de 5 p.c. équivaudrait à un seuil électoral fictif du côté néerlandophone. Par contre, le seuil électoral légal de 5 p.c. constituerait un seuil très contraignant du côté francophone, puisqu'il est près de quatre fois supérieur au seuil électoral « naturel » (1,38 p.c.) pour les septante-deux élus francophones.

B.6.3. Dans une seconde branche du moyen, le requérant invoque une discrimination injustifiée entre les grands partis, auxquels s'applique intégralement la représentation proportionnelle (système D'Hondt), et les petits partis, qui sont privés du système proportionnel et, donc, de toute représentation.

B.7.1. Les requérants dans l'affaire n° 2974 invoquent de manière générale des moyens tirés de la violation du principe d'égalité, garanti au citoyen - en particulier lorsqu'il est appelé à voter pour des représentants politiques - par les articles 10 et 11 de la Constitution, l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 14 de cette Convention et l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Selon les requérants, un seuil établit une discrimination injustifiée et disproportionnée entre électeurs selon qu'ils votent pour des petits ou des grands partis.

B.7.2. Plus spécifiquement en ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, les requérants invoquent un moyen fondé sur l'accentuation de la discrimination résultant de la séparation linguistique des listes que subit un parti bilingue dans la Région de Bruxelles-Capitale, puisque le seuil électoral ne peut se calculer sur les votes additionnés émis pour les deux groupes linguistiques d'un parti bilingue, mais uniquement sur chaque liste prise isolément.

B.8.1. L'article 18, 1°, de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale instaure un seuil électoral de 5 p.c. pour les élections régionales dans la Région de Bruxelles-Capitale. En vertu de l'article 20, § 2, tel qu'il est modifié par cette disposition, sont seuls admis à la répartition des sièges, pour l'élection du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale et des membres bruxellois du Conseil flamand, les listes ou groupements de listes qui ont obtenu 5 p.c. du total général des votes valablement exprimés respectivement au niveau de l'ensemble du groupe linguistique concerné du Conseil ou en faveur de l'ensemble des listes présentées pour l'élection des membres bruxellois du Conseil flamand.

B.8.2. Les articles 64 et 68 de la Constitution concernent les élections de la Chambre des représentants et du Sénat. En tant qu'il invoque la violation de ces dispositions, le moyen dans l'affaire n° 2968 ne peut être retenu.

B.8.3. De la combinaison des moyens invoqués dans les deux affaires, il résulte que la Cour doit examiner si l'application du seuil électoral dans la Région de Bruxelles-Capitale viole le principe d'égalité et de non-discrimination, combiné avec le droit aux élections libres garanti par l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

B.9.1. Un régime de représentation proportionnelle implique que les mandats soient répartis entre les listes de candidats et les candidats proportionnellement au nombre de voix recueillies par ceux-ci.

B.9.2. A la différence de ce qui est le cas pour les élections de la Chambre des représentants et du Sénat (articles 62, alinéa 2, et 68, § 1er, de la Constitution) et pour les élections du Conseil flamand et du Conseil régional wallon (article 29, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles), il n'est pas précisé pour les élections du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale qu'elles se déroulent selon le système de la représentation proportionnelle. Le choix de ce système découle cependant des articles 20 à 20sexies de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

B.9.3. Pour satisfaire aux exigences de l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, les élections peuvent être organisées aussi bien selon un système de représentation proportionnelle que selon un système majoritaire.

Même si les élections ont lieu suivant un système de représentation strictement proportionnelle, on ne saurait éviter le phénomène des « voix perdues ». Il s'ensuit que chaque suffrage n'a pas un poids égal quant aux résultats des élections et que tout candidat n'a pas des chances égales d'être élu.

De même que l'article 3 n'implique pas que la dévolution des sièges doive être le reflet exact du nombre des suffrages, il ne fait pas obstacle en principe à ce qu'un seuil électoral soit instauré en vue de limiter la fragmentation de l'organe représentatif.

B.9.4. Aucune disposition de droit international ou de droit interne n'interdit au législateur qui a choisi un système de représentation proportionnelle d'y apporter des limitations raisonnables afin de garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques.

B.9.5. Toute différence de traitement entre les électeurs et entre les candidats doit toutefois être compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.10.1. S'il est vrai que l'instauration d'un seuil électoral ne peut être considérée en faisant abstraction de la taille des circonscriptions électorales, élément déterminant du seuil « naturel » à atteindre pour obtenir un siège, et s'il est vrai, d'autre part, qu'un seuil électoral légal n'a d'effet que s'il est plus élevé que le seuil « naturel » à atteindre pour obtenir un siège, la Cour ne dispose cependant pas de la marge d'appréciation du législateur quant au choix d'un système électoral et des modalités de celui-ci.

B.10.2. Le contrôle par la Cour de la compatibilité avec le principe d'égalité et de non-discrimination d'un seuil électoral légal doit donc se limiter à vérifier qu'en instaurant un seuil électoral légal de 5 p.c., le législateur n'a pas adopté une mesure manifestement disproportionnée au regard des buts poursuivis.

B.11.1. Un seuil électoral, fût-il élevé, ne constitue qu'une modalité ou un critère de modulation du système de représentation proportionnelle.

Un seuil électoral participe ainsi au souci légitime d'éviter la fragmentation du paysage politique en favorisant la formation de groupes politiques suffisamment cohérents au sein des organes représentatifs.

La disposition entreprise a été adoptée « dans un souci d'harmonisation » avec le seuil instauré pour les élections législatives fédérales en vue de « combattre un émiettement de la représentation politique » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0584/001, pp. 9-10).

B.11.2. Un seuil électoral rend certes l'obtention d'un siège plus difficile pour les petits partis. Les grands partis peuvent de ce fait éventuellement obtenir un plus grand nombre de sièges que s'il n'existait pas de seuil électoral.

Cette différence de traitement entre petits et grands partis ne constitue cependant pas une discrimination résultant de l'instauration d'un seuil électoral légal, mais une conséquence du choix des électeurs.

B.12.1. En ce qui concerne l'allégation d'une éventuelle discrimination entre groupes linguistiques du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, la Cour rappelle que l'effet d'un seuil électoral légal varie en fonction de son écart avec le seuil électoral « naturel » nécessaire pour l'obtention d'un siège. Ce seuil « naturel » est intrinsèquement lié au nombre de sièges à pourvoir dans la circonscription; la hauteur du seuil « naturel » est inversement proportionnelle à ce nombre de sièges à pourvoir.

B.12.2. Les effets différenciés de l'application du seuil électoral de 5 p.c., en fonction du groupe linguistique concerné du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, ne constituent que la conséquence de la fixation, par le législateur spécial, du rapport entre les sièges appartenant aux deux groupes linguistiques du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.

B.12.3. A ce propos, la Cour a, dans les arrêts nos 35/2003 du 25 mars 2003 et 36/2003 du 27 mars 2003, considéré que la fixation du nombre de membres du Conseil appartenant à chaque groupe linguistique s'inscrivait « dans le système institutionnel général de l'Etat belge qui vise à réaliser un équilibre entre les diverses communautés et régions du Royaume » et ne pouvait être jugée « disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur spécial, à savoir assurer aux représentants du groupe linguistique le moins nombreux les conditions nécessaires pour l'exercice de leur mandat, et, par là, garantir un fonctionnement démocratique normal des institutions concernées ».

B.12.4. En raison de ce constat de compatibilité, le législateur spécial a pu instaurer un seuil électoral de pourcentage identique dans chaque groupe linguistique du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.

A ce stade de la procédure, la mesure attaquée ne semble dès lors pas pouvoir être considérée comme une limitation disproportionnée du régime de la représentation proportionnelle.

B.13. En ce qui concerne l'invocation d'une discrimination accrue résultant de la séparation linguistique des listes pour l'élection du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, la Cour constate que cette discrimination, pour autant qu'elle soit établie, trouve sa source non dans la disposition entreprise, mais dans l'article 17 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

B.14. Les moyens ne peuvent être considérés comme sérieux au sens de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Par conséquent, il n'est pas satisfait aux conditions qui permettent de suspendre.

Par ces motifs, la Cour rejette les demandes de suspension.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 26 mai 2004.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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