Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 05 octobre 2004

Extrait de l'arrêt n° 103/2004 du 9 juin 2004 Numéro du rôle : 3004 En cause : la demande de suspension de l'article 18 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale, introduite par P La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R.(...)

source
cour d'arbitrage
numac
2004202879
pub.
05/10/2004
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 103/2004 du 9 juin 2004 Numéro du rôle : 3004 En cause : la demande de suspension de l'article 18 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale, introduite par P.-A. de Maere d'Aertrycke et autres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot et J. Spreutels, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la demande et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 mai 2004 et parvenue au greffe le 19 mai 2004, une demande de suspension de l'article 18 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale (publiée au Moniteur belge du 26 mars 2004) a été introduite par P.-A. de Maere d'Aertrycke, demeurant à 1200 Bruxelles, rue Fernand Mélard 11, J.-M. Bourgeois, demeurant à 1200 Bruxelles, avenue du Prince Héritier 138/1, et B. Veldekens, demeurant à 1200 Bruxelles, square Joséphine-Charlotte 12.

Par requête séparée, les parties requérantes demandent également l'annulation de la même disposition légale. (...) II. En droit (...) Quant à la disposition entreprise B.1. L'article 18 de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale dispose que l'article 20 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises est modifié comme suit : « 1° dans le § 2, remplacé par la loi spéciale du 13 juillet 2001, il est inséré entre les alinéas 1er et 2 un alinéa nouveau rédigé comme suit : ' Sont seuls admis à la répartition des sièges : 1° les groupements de listes de candidats du groupe linguistique français du Conseil, ou les listes faisant partie dudit groupe linguistique et censées constituer un tel groupement en application de l'article 16bis, § 2, qui ont obtenu au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés en faveur de l'ensemble de ces groupements de listes ou réputés tels;2° les groupements de listes de candidats du groupe linguistique néerlandais du Conseil, ou les listes faisant partie dudit groupe linguistique et censées constituer un tel groupement en application de l'article 16bis, § 2, qui ont obtenu au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés en faveur de l'ensemble de ces groupements de listes ou réputés tels;3° les listes de candidats présentées pour l'élection directe des membres bruxellois du Conseil flamand, qui ont obtenu au moins 5 % du total général des votes valablement exprimés en faveur de l'ensemble de ces listes.'; 2° dans le § 3, inséré par la loi spéciale du 13 juillet 2001, les mots ' 29octies et 29nonies ' sont remplacés par les mots ' 29octies, 29nonies et 29nonies 1 '.» Quant à l'intérêt des parties requérantes B.2.1. La demande de suspension étant subordonnée au recours en annulation, la recevabilité du recours, et notamment l'existence de l'intérêt requis en vue de son introduction, doit être abordée dès l'examen de la demande de suspension.

B.2.2. Le droit de vote est le droit politique fondamental de la démocratie représentative. Tout électeur ou tout candidat justifie de l'intérêt requis pour demander l'annulation de dispositions qui pourraient affecter défavorablement son vote ou sa candidature.

B.2.3. L'examen limité de la recevabilité du recours en annulation auquel la Cour a pu procéder dans le cadre de la demande en suspension ne fait pas apparaître, au stade actuel de la procédure, que les parties requérantes, qui sont électeurs et candidats aux élections du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, ne justifieraient pas en cette qualité de l'intérêt requis à attaquer les dispositions qui instaurent un seuil électoral pour ces élections.

B.2.4. La Cour constate cependant que les deux moyens développés dans la requête sont articulés contre le seul article 18, 1°, de la loi attaquée, relatif au seuil électoral; elle limite donc son examen à cette seule disposition.

Quant aux conditions de fond de la suspension B.3. Aux termes de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée : - des moyens sérieux doivent être invoqués; - l'exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l'une de ces deux conditions n'est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.

Quant au caractère sérieux des moyens B.4. L'article 18, 1°, de la loi spéciale du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale instaure un seuil électoral de 5 p.c. pour les élections régionales dans la Région de Bruxelles-Capitale. En vertu de l'article 20, § 2, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, tel qu'il est modifié par cette disposition, sont seuls admis à la répartition des sièges, pour l'élection du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale et des membres bruxellois du Conseil flamand, les listes ou groupements de listes qui ont obtenu 5 p.c. du total général des votes valablement exprimés respectivement au niveau de l'ensemble du groupe linguistique concerné du Conseil ou en faveur de l'ensemble des listes présentées pour l'élection des membres bruxellois du Conseil flamand.

B.5.1. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Les parties requérantes invoquent par ailleurs le Code de bonne conduite en matière électorale élaboré par la Commission européenne pour la démocratie par le droit instaurée au sein du Conseil de l'Europe, et adopté à Venise les 18 et 19 octobre 2002, plus particulièrement l'article 2, b), du chapitre II de ce Code.

B.5.2. Le second moyen est pris de la violation des articles 10 et 11, lus en combinaison avec les articles 62 et 68, de la Constitution. En instaurant pour l'élection du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale un seuil électoral de 5 p.c., la disposition entreprise créerait deux discriminations. Elle méconnaîtrait tout d'abord le principe de la majorité démocratique parce qu'une partie de la population n'est pas représentée. Elle apporterait par ailleurs une limitation disproportionnée au régime de la représentation proportionnelle.

En ce qui concerne les articles 62 et 68 de la Constitution B.6. Les articles 62 et 68 de la Constitution concernent les élections de la Chambre des représentants et du Sénat. En tant qu'il invoque la violation de ces dispositions, le second moyen ne peut être accueilli.

En ce qui concerne le moment de l'adoption de la disposition attaquée B.7.1. Aucune disposition contraignante du droit interne ou du droit international ne limite dans le temps la possibilité pour le législateur de modifier la législation électorale.

B.7.2. Les parties requérantes invoquent, à l'appui de leur moyen, le Code de bonne conduite en matière électorale, établi par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).

L'article 2, b), du chapitre II de ce Code est ainsi libellé : « Les éléments fondamentaux du droit électoral, et en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions ne devraient pas pouvoir être modifiés moins d'un an avant une élection, ou devraient être traités au niveau constitutionnel ou à un niveau supérieur à celui de la loi ordinaire. » B.7.3. La méconnaissance de recommandations contenues dans un code de bonne conduite, fussent-elles combinées avec les dispositions invoquées au moyen, ne peut justifier l'annulation ou la suspension de normes législatives.

B.7.4. L'adoption de la disposition attaquée trois mois avant les élections ne paraît pas constituer une violation des articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme selon lequel : « Les Hautes Parties Contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif. » B.7.5. En l'espèce, la fixation du seuil électoral, inscrit dans une loi spéciale, répond au souci d'adopter pour toutes les élections régionales un seuil électoral identique : la même mesure a été introduite dans l'article 29ter de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles par l'article 6 de la loi spéciale entreprise, ce qui la rend applicable aux élections dans la Région flamande et dans la Région wallonne, et elle figure à l'article 43bis de la loi du 6 juillet 1990 réglant les modalités de l'élection du Conseil de la Communauté germanophone, article inséré par l'article 33 de la loi du 2 mars 2004 portant diverses modifications en matière de législation électorale.

Enfin, un même seuil électoral avait été instauré pour l'élection des chambres législatives fédérales par une loi du 13 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/12/2002 pub. 10/01/2003 numac 2003000004 source service public federal interieur Loi portant diverses modifications en matière de législation électorale fermer, il a été appliqué lors des élections du 18 mai 2003 et, par son arrêt n° 73/2003 du 26 mai 2003, la Cour ne l'a pas jugé incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 3 du Premier Protocole additionnel précité.

La mesure attaquée s'explique donc par le souci d'harmoniser les différentes législations électorales, ainsi que l'a relevé la section de législation du Conseil d'Etat (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0584/001, p. 9).

B.7.6. Si on peut regretter que la disposition attaquée n'ait été adoptée que le 2 mars 2004, alors que la nécessaire prévisibilité des éléments essentiels d'une élection devrait dissuader le législateur de modifier les règles électorales trois mois avant les élections, il s'agissait en l'espèce, non d'introduire un élément imprévisible dans la loi électorale applicable pour la Région de Bruxelles-Capitale, mais d'aligner celle-ci sur les dispositions d'une autre législation électorale connue, appliquée et jugée constitutionnelle.

B.7.7. Compte tenu de ces éléments, le moyen, en ce qu'il critique l'adoption tardive de la disposition attaquée, ne peut être considéré comme sérieux au sens de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

En ce qui concerne la violation alléguée des articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme B.8.1. Un régime de représentation proportionnelle implique que les mandats soient répartis entre les listes de candidats et les candidats, proportionnellement au nombre de voix recueillies par ceux-ci.

B.8.2. A la différence de ce qui est le cas pour les élections de la Chambre des représentants et du Sénat (articles 62, alinéa 2, et 68, § 1er, de la Constitution) et pour les élections du Conseil flamand et du Conseil régional wallon (article 29, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles), il n'est pas précisé pour les élections du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale qu'elles se déroulent selon le système de la représentation proportionnelle. Le choix de ce système découle cependant des articles 20 à 20sexies de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

B.8.3. Pour satisfaire aux exigences de l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, les élections peuvent être organisées aussi bien selon un système de représentation proportionnelle que selon un système majoritaire.

Même si les élections ont lieu suivant un système de représentation strictement proportionnelle, on ne saurait éviter le phénomène des « voix perdues ». Il s'ensuit que chaque suffrage n'a pas un poids égal quant aux résultats des élections et que tout candidat n'a pas des chances égales d'être élu.

De même que l'article 3 n'implique pas que la dévolution des sièges doive être le reflet exact du nombre des suffrages, il ne fait pas obstacle en principe à ce qu'un seuil électoral soit instauré en vue de limiter la fragmentation de l'organe représentatif.

B.8.4. Aucune disposition de droit international ou de droit interne n'interdit au législateur qui a choisi un système de représentation proportionnelle d'y apporter des limitations raisonnables afin de garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques.

B.8.5. Toute différence de traitement entre les électeurs et entre les candidats doit toutefois être compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.9.1. S'il est vrai, d'une part, que l'instauration d'un seuil électoral ne peut être considérée en faisant abstraction de la taille des circonscriptions électorales, élément déterminant du seuil « naturel » à atteindre pour obtenir un siège, et, d'autre part, qu'un seuil électoral légal n'a d'effet que s'il est plus élevé que le seuil « naturel » à atteindre pour obtenir un siège, la Cour ne dispose cependant pas de la marge d'appréciation du législateur quant au choix d'un système électoral et des modalités de celui-ci.

B.9.2. Le contrôle par la Cour de la compatibilité avec le principe d'égalité et de non-discrimination d'un seuil électoral légal doit donc se limiter à vérifier si, en instaurant un seuil électoral légal de 5 p.c., le législateur n'a pas adopté une mesure manifestement disproportionnée au regard des buts poursuivis.

B.10. Un seuil électoral constitue une modalité ou un critère de modulation du système de représentation proportionnelle.

Il participe ainsi au souci légitime d'éviter la fragmentation du paysage politique en favorisant la formation de groupes politiques suffisamment cohérents au sein des organes représentatifs.

La disposition entreprise a été adoptée « dans un souci d'harmonisation » avec le seuil instauré pour les élections législatives fédérales en vue de « combattre un émiettement de la représentation politique » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0584/001, pp. 9-10).

Même appliqué aux élections des membres francophones du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, le seuil de 5 p.c. ne paraît pas entraîner d'effets disproportionnés.

B.11.1. En ce qui concerne l'allégation d'une éventuelle discrimination entre groupes linguistiques du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, la Cour rappelle que l'effet d'un seuil électoral légal varie en fonction de son écart avec le seuil électoral « naturel » nécessaire pour l'obtention d'un siège. Ce seuil « naturel » est intrinsèquement lié au nombre de sièges à pourvoir dans la circonscription; la hauteur du seuil « naturel » est inversement proportionnelle à ce nombre de sièges à pourvoir.

B.11.2. Les effets différenciés de l'application du seuil électoral de 5 p.c., en fonction du groupe linguistique concerné du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, ne constituent que la conséquence de la fixation, par le législateur spécial, du rapport entre les sièges appartenant aux deux groupes linguistiques du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.

B.11.3. A ce propos, la Cour a, dans les arrêts nos 35/2003 du 25 mars 2003 et 36/2003 du 27 mars 2003, considéré que la fixation du nombre de membres du Conseil appartenant à chaque groupe linguistique s'inscrivait « dans le système institutionnel général de l'Etat belge qui vise à réaliser un équilibre entre les diverses communautés et régions du Royaume » et ne pouvait être jugée « disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur spécial, à savoir assurer aux représentants du groupe linguistique le moins nombreux les conditions nécessaires pour l'exercice de leur mandat, et, par là, garantir un fonctionnement démocratique normal des institutions concernées ».

B.11.4. La taille différente des deux groupes linguistiques étant raisonnablement justifiée, le législateur spécial a pu instaurer le même seuil électoral dans chacun de ces groupes linguistiques.

B.12. A ce stade de la procédure, la mesure attaquée ne semble dès lors pas pouvoir être considérée comme une limitation manifestement disproportionnée du régime de la représentation proportionnelle.

B.13. Les moyens ne pouvant être considérés comme sérieux au sens de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, la demande de suspension ne peut être accueillie.

Par ces motifs, la Cour rejette la demande de suspension.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 9 juin 2004.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

^