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Arrêt
publié le 11 mars 2005

Extrait de l'arrêt n° 8/2005 du 12 janvier 2005 Numéro du rôle : 2938 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 5, alinéa 2, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénal La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges R. Henneuse, L(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 8/2005 du 12 janvier 2005 Numéro du rôle : 2938 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 5, alinéa 2, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, posée par le Tribunal de police de Verviers.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges R. Henneuse, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 25 février 2004 en cause du ministère public et de G. Fairon et autres contre A. Schmitz et la Région wallonne, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 1er mars 2004, le Tribunal de police de Verviers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 5, alinéa 2, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que la personne employée par une personne morale de droit privé qui a commis une infraction involontaire, peut ne pas être condamnée si elle a commis une faute moins grave que son employeur, alors que la personne employée par une personne morale de droit public qui a commis la même infraction devra nécessairement être condamnée, le cumul des responsabilités étant possible dans le second cas, non visé par ledit article ? » (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 5, alinéa 2, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par l'article 2 de la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, qui énonce : « Toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte.

Lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée. Si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable.

Sont assimilées à des personnes morales : 1° les associations momentanées et les associations en participation;2° les sociétés visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, ainsi que les sociétés commerciales en formation;3° les sociétés civiles qui n'ont pas pris la forme d'une société commerciale. Ne peuvent pas être considérées comme des personnes morales responsables pénalement pour l'application du présent article : l'Etat fédéral, les régions, les communautés, les provinces, l'agglomération bruxelloise, les communes, les zones pluricommunales, les organes territoriaux intra-communaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d'aide sociale. » B.2. L'article 5 du Code pénal, rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer, a instauré une responsabilité pénale propre des personnes morales, autonome et distincte de celle des personnes physiques qui ont agi pour la personne morale ou qui ont omis de le faire. Auparavant, une personne morale ne pouvait pas, en tant que telle, être pénalement poursuivie. Une infraction pour laquelle une personne morale aurait pu être tenue pour responsable était imputée à des personnes physiques déterminées.

B.3. En prévoyant, dans la première phrase de la disposition en cause, que le juge pénal, lorsqu'il constate qu'une infraction qui n'a été commise ni sciemment ni volontairement l'a été à la fois par une personne physique et par une personne morale, peut seulement condamner la personne qui a commis la faute « la plus grave », le législateur a instauré une cause d'excuse absolutoire pour celle des deux personnes qui a commis la faute la moins grave.

B.4. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 5, alinéa 2, du Code pénal avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, en cas d'infraction involontaire, la personne physique qui travaille pour une personne morale de droit privé ne sera pas condamnée si elle a commis la faute la moins grave, tandis que la personne physique qui travaille pour une personne morale de droit public non pénalement responsable ne pourra bénéficier de cette cause d'excuse absolutoire.

B.5.1. Selon l'exposé des motifs, la disposition en cause règle la relation entre la responsabilité de la personne morale et celle des personnes physiques pour les mêmes faits : « Le principe retenu est celui de l'exclusion du cumul des responsabilités, sauf dans le cas où il peut être établi que l'infraction peut être imputée personnellement à une personne physique, qui aurait agi de manière intentionnelle. Contrairement à ce que le Conseil d'Etat semble affirmer dans son avis, l'exclusion du cumul des responsabilités ne concerne que les délits commis avec la négligence comme élément intentionnel. Le point de départ est par conséquent la qualification légale de l'infraction.

La proposition entend ainsi revenir sur une certaine jurisprudence audacieuse dans l'imputation d'infractions aux personnes dirigeantes au sein de personnes morales en considérant que la preuve de l'infraction était présente sur la base de manquements de ces personnes, dans des cas où l'incrimination requiert clairement l'intention, ou même en arrivant à une responsabilité pénale quasi objective, seulement sur la base de la position de la personne concernée au sein de la personne morale.

Néanmoins, la proposition ne peut être interprétée comme donnant carte blanche aux personnes qui adoptent des comportements punissables dans le cadre d'une personne morale. Comme cela a été dit plus haut, la personne morale et la personne physique peuvent être poursuivies et condamnées ensemble comme coauteurs en cas de dol. Si l'élément moral chez la personne physique est la négligence - ce qui sera souvent le cas dans le droit pénal spécial où beaucoup d'incriminations ne requièrent pas le dol -, il appartiendra au juge de vérifier au cas par cas laquelle de la responsabilité de la personne morale ou de la personne physique est déterminante. » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/1, pp.6 et 7) Il ressort de ce qui précède que le projet de loi entendait consacrer le principe du cumul des responsabilités, mais uniquement lorsque l'infraction peut être imputée personnellement à une personne physique qui aurait agi de manière intentionnelle.

Il a été soutenu, lors des travaux préparatoires, qu'il convient de faire une distinction entre la criminalité « maffieuse », qui serait « plutôt une criminalité intentionnelle » et la criminalité « économique », lorsqu'il s'agit d'un délit de « négligence » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, p. 21).

B.5.2. A la critique d'un sénateur estimant que « la proposition semble aller dangereusement dans le sens d'une levée de la responsabilité des personnes physiques » (amendement n° 11, Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/2, p. 5 et exposé y relatif in Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, pp. 31-50), le ministre a répondu que l'on ne peut « les condamner tous les deux dans ce cas, parce qu'il y a une convergence telle entre leurs interventions respectives qu'admettre systématiquement le cumul dans ce genre d'hypothèse conduirait inévitablement à des doubles condamnations, là où, aujourd'hui, il n'y en a qu'une. » Le ministre ajouta : « Or, le but est de rechercher, dans ce genre d'hypothèse, le véritable responsable. » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, p. 42) Un amendement fut alors déposé (amendement n° 19, Doc.parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/4) qui a mené au texte définitif de l'article 5, alinéa 2, l'auteur ayant indiqué ce qui suit : « Cet article introduit comme nouvel élément l'implication de la responsabilité de la personne morale due exclusivement à l'intervention d'une personne physique identifiée. Ce n'est que dans ce cas précis que le juge doit faire un choix, en se basant sur le critère de la faute la plus grave. On peut donc poursuivre les deux personnes, mais le juge ne peut condamner que celle qui a commis la faute la plus grave, et uniquement si la responsabilité de la personne morale est engagée, exclusivement en raison de l'intervention de la personne physique identifiée.

On délimite ainsi le cas où la responsabilité de la personne morale est engagée [00ad] exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique [00ad] et on définit le critère, qui est que le juge doit déterminer qui a commis la faute la plus grave. » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, p. 46) B.5.3. Il ressort de ce qui précède qu'un concours de responsabilités pénales de la personne morale et de la personne physique est en principe exclu (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 2093/5, p. 15). Le législateur entendait ainsi contredire une jurisprudence qui menait à une responsabilité quasi objective en condamnant des dirigeants de personnes morales pour des infractions qu'ils ne commettaient pas matériellement mais auxquels ces infractions étaient imputées en raison de la position qu'ils occupaient au sein de la personne morale.

B.6.1. La personne physique qui travaille pour une personne morale responsable pénalement et qui est poursuivie pour des infractions commises ni sciemment ni volontairement, peut bénéficier de la cause d'excuse absolutoire créée par l'article 5, alinéa 2, du Code pénal, parce que la loi désigne deux auteurs possibles d'une infraction pénale : la personne physique et la personne morale pour le compte de laquelle elle a agi. C'est uniquement en considération de cette dualité d'auteurs d'une même infraction que le législateur a écarté le cumul des responsabilités pénales lorsque l'infraction n'a pas été commise sciemment et volontairement (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/6, pp. 10, 11 et 42).

B.6.2. La règle de non-cumul des responsabilités pénales de la personne physique et de la personne morale apparaît donc comme le corollaire voulu par le législateur de l'instauration d'une responsabilité pénale des personnes morales. Cette règle de non-cumul de responsabilités est dépourvue de toute raison d'être lorsque la personne morale n'est pas responsable pénalement.

B.6.3. Le législateur a jugé nécessaire d'exclure certaines personnes morales de droit public du champ d'application de la responsabilité pénale.

Dans son arrêt n° 128/2002, la Cour a conclu à la compatibilité de l'article 5, alinéa 4, du Code pénal avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il exclut de son champ d'application les personnes morales de droit public qu'il énumère, aux termes des considérations suivantes : « B.7.2. Les personnes morales de droit public se distinguent des personnes morales de droit privé en ce qu'elles n'ont que des missions de service public et doivent ne servir que l'intérêt général. Le législateur peut raisonnablement considérer que son souci de lutter contre la criminalité organisée ne l'oblige pas à prendre à l'égard des personnes morales de droit public les mêmes mesures qu'à l'égard des personnes morales de droit privé.

B.7.3. Le législateur doit cependant tenir compte de ce que des personnes morales de droit public ont des activités semblables à celles de personnes morales de droit privé et que, dans l'exercice de telles activités, les premières peuvent se rendre coupables d'infractions qui ne se distinguent en rien de celles qui peuvent être commises par les secondes. Il lui appartient, pour concilier avec le principe d'égalité sa volonté de mettre fin à l'irresponsabilité pénale des personnes morales, de ne pas exclure du champ d'application de la loi les personnes morales de droit public qui ne se distinguent des personnes morales de droit privé que par leur statut juridique.

B.7.4. Il ressort des travaux préparatoires de la disposition en cause qu'en principe les personnes morales de droit public sont pénalement responsables et que l'exception à cette règle ne concerne que celles 'qui disposent d'un organe directement élu selon des règles démocratiques' (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1217/1, p. 3).

B.7.5. La différence de traitement ainsi établie entre personnes morales selon qu'elles disposent d'un organe démocratiquement élu ou non repose sur un critère objectif.

Les personnes morales de droit public énumérées à l'article 5, alinéa 4, du Code pénal ont la particularité d'être principalement chargées d'une mission politique essentielle dans une démocratie représentative, de disposer d'assemblées démocratiquement élues et d'organes soumis à un contrôle politique. Le législateur a pu raisonnablement redouter, s'il rendait ces personnes morales pénalement responsables, d'étendre une responsabilité pénale collective à des situations où elle comporte plus d'inconvénients que d'avantages, notamment en suscitant des plaintes dont l'objectif réel serait de mener, par la voie pénale, des combats qui doivent se traiter par la voie politique.

B.7.6. Il s'ensuit que, en excluant des personnes morales de droit public du champ d'application de l'article 5 du Code pénal et en limitant cette exclusion à celles qui sont mentionnées à l'alinéa 4 de cet article, le législateur n'a pas accordé à celles-ci une immunité qui serait injustifiée. » B.6.4. La personne physique qui travaille pour une des personnes morales de droit public énumérées à l'article 5, alinéa 4, du Code pénal, qui est poursuivie pour des infractions commises ni sciemment ni volontairement et qui ne peut bénéficier de la cause d'excuse absolutoire créée par l'article 5, alinéa 2, du Code pénal, se trouve dans une situation qui ne permet pas de la comparer à la personne dont la situation est décrite en B.6.1. En effet, cette cause d'excuse absolutoire n'a de sens qu'en cas de concours de responsabilités, ce qui ne peut être le cas lorsque la personne physique est seule punissable en raison de l'irresponsabilité pénale de certaines personnes morales de droit public prévue par l'article 5, alinéa 4, du Code pénal, disposition jugée compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution par l'arrêt n° 128/2002 rappelé en B.6.3.

B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 5, alinéa 2, du Code pénal, tel qu'il a été rétabli par la loi du 4 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999009592 source ministere de la justice Loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales fermer instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 12 janvier 2005.

Le greffier, L. Potoms Le président, M. Melchior

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