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Arrêt
publié le 19 juillet 2007

Extrait de l'arrêt n° 81/2007 du 7 juin 2007 Numéros du rôle : 3968 et 3988 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 23 de la loi du 22 octobre 1997 relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Marte(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 81/2007 du 7 juin 2007 Numéros du rôle : 3968 et 3988 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales, posées par le Tribunal correctionnel de Charleroi et le Tribunal correctionnel de Termonde.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugement du 24 avril 2006 en cause du Ministre des Finances, du ministère public et de la partie civile SA « Total Belgium » contre Osvaldo Carrara et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 27 avril 2006, le Tribunal correctionnel de Charleroi a posé les questions préjudicielles suivantes : 1.« L'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales, lu en combinaison avec l'article 7 de la même loi, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ainsi que l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où il ne laisse au juge répressif aucune marge pour apprécier l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits en jeu, alors que les dispositions pénales de droit commun, en prévoyant un minimum et un maximum ou l'application de circonstances atténuantes, offrent au juge répressif la possibilité de déterminer lui-même dans une certaine mesure le taux de la peine en fonction des circonstances concrètes de la cause et des principes généraux de droit, parmi lesquels le principe de proportionnalité ? »; 2. « L'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales, lu en combinaison avec l'article 7 de la même loi, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où il ne permet pas au juge répressif, en cas d'application des circonstances atténuantes, de modérer l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits en jeu, alors qu'il laisse cette latitude à l'administration, laquelle est autorisée, en vertu de l'article 263 de la LGDA, à transiger en l'espèce en présence des circonstances atténuantes ? »; 3. « L'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales, lu en combinaison avec l'article 7 de la même loi, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où il n'offre pas au juge répressif la possibilité de modérer l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits en jeu selon l'importance de la fraude constatée, alors que l'article 239 de la LGDA prévoit, pour une fraude comparable, une amende égale au décuple ou au double des droits en jeu, en fonction de l'importance de la fraude ? ». b. Par jugement du 3 avril 2006 en cause du ministre des Finances et du ministère public contre Philip De Backer et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 mai 2006, le Tribunal correctionnel de Termonde a posé les questions préjudicielles suivantes : 1.« L'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales, combiné avec l'article 7 de la même loi, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ainsi que l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où il ne laisse au juge répressif aucune marge pour apprécier l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits en jeu, alors que les dispositions pénales de droit commun, en prévoyant un minimum et un maximum ou l'application de circonstances atténuantes, offrent au juge répressif la possibilité de déterminer lui-même dans une certaine mesure le taux de la peine en fonction des circonstances concrètes de la cause et des principes généraux de droit, parmi lesquels le principe de proportionnalité ? »; 2. « L'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales, combiné avec l'article 7 de la même loi, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où il ne permet pas au juge répressif, en cas d'application de circonstances atténuantes, de modérer l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits en jeu, alors qu'il laisse cette latitude à l'administration, laquelle est autorisée, en vertu de l'article 263 de la loi générale sur les douanes et accises, à transiger en l'espèce en présence de circonstances atténuantes ? »; 3. « L'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales, combiné avec l'article 7 de la même loi, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où il n'offre pas au juge répressif la possibilité de modérer l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits en jeu selon l'importance de la fraude constatée, alors que l'article 239 de la loi générale sur les douanes et accises prévoit, pour une fraude comparable, une amende égale au décuple ou au double des droits en jeu, en fonction de l'importance de la fraude ? ».

Ces affaires, inscrites sous les numéros 3968 et 3988 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales (ci-après : la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer), lu en combinaison avec l'article 7 de la même loi, avant sa modification par l'arrêté royal du 29 février 2004 « modifiant la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales » et avant son abrogation par l'article 442 de la loi-programme du 22 décembre 2004.

L'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer, tel qu'il a été modifié par l'arrêté royal du 20 juillet 2000 « portant exécution de la loi du 26 juin 2000 relative à l'introduction de l'euro dans la législation concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution et qui relève du ministère des Finances », énonce : « Toute infraction aux dispositions de la présente loi ayant effet de rendre exigibles les droits d'accise et les droits d'accise spéciaux fixés par l'article 7, est punie d'une amende égale au décuple des droits en jeu avec un minimum de 250 EUR. L'amende est doublée en cas de récidive.

Indépendamment de la peine énoncée ci-dessus, les produits pour lesquels l'accise est exigible, les moyens de transport utilisés pour l'infraction, de même que les objets employés ou destinés à la perpétration de la fraude, sont saisis et la confiscation en est prononcée.

En outre, les délinquants encourent une peine d'emprisonnement de quatre mois à un an lorsque : 1° des produits tombant sous l'application de l'article 3, sont fabriqués sans déclaration préalable ou soustraits à la prise en charge prescrite en vue d'assurer la perception de l'accise;2° la fraude est pratiquée soit dans un établissement clandestin, soit dans une usine régulièrement établie mais ailleurs que dans les locaux dûment déclarés ». L'article 7 fixe les montants respectifs de l'accise.

Les questions préjudicielles font apparaître qu'elles sont en réalité limitées à l'alinéa 1er de l'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer, de sorte que la Cour restreint son examen à cette disposition.

B.2. L'article 23, alinéa 1er, de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer prévoit que toute infraction ayant pour effet de rendre exigibles les droits d'accise et les droits d'accise spéciaux fixés par l'article 7 sera punie d'une amende invariable, égale au décuple des droits en jeu avec un minimum de 250 euros, sans que soient prévues une peine minimale et une peine maximale entre lesquelles le juge pourrait choisir. La disposition litigieuse ne permet pas davantage au juge de prendre en compte des circonstances atténuantes. L'article 23, alinéa 1er, de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer restreint dès lors la liberté d'appréciation du juge pour ce qui est de la peine à infliger.

Les juges a quo demandent à la Cour, par trois questions préjudicielles, d'examiner si cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, lus en combinaison.

La première question préjudicielle invite la Cour à opérer une comparaison par rapport au droit pénal commun, qui permet généralement au juge de déterminer la peine dans les limites d'une peine minimale et d'une peine maximale fixées par la loi et de tenir compte de circonstances atténuantes pour infliger une sanction en deçà du minimum légal (articles 79 à 85 du Code pénal).

La deuxième question préjudicielle invite la Cour à comparer les pouvoirs du juge répressif avec ceux de l'Administration des douanes et accises, laquelle peut, par application de l'article 263 de l'arrêté royal du 18 juillet 1977 portant coordination des dispositions générales relatives aux douanes et accises (ci-après : LGDA), transiger, notamment à propos de l'amende « toutes et autant de fois que l'affaire sera accompagnée de circonstances atténuantes, et qu'on pourra raisonnablement supposer que l'infraction doit être attribuée plutôt à une négligence ou erreur qu'à l'intention de fraude préméditée ».

La troisième question compare l'amende égale au décuple des droits éludés, prévue à l'article 23, alinéa 1er, de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer, avec l'amende prévue à l'article 239 de la LGDA, qui énonce : « § 1er. Lorsqu'à la vérification en détail de marchandises d'accises acheminées sous régime d'accise vers une destination autorisée, il sera constaté un manquant par rapport à la déclaration en matière d'accise ou au document d'accise délivré, le déclarant ou le titulaire du document délivré encourra, de ce chef, une amende égale au décuple de l'accise due sur la quantité manquante. § 2. L'amende prévue au § 1er sera réduite au double de l'accise due sur la quantité reconnue manquante lorsque celle-ci n'excédera pas un douzième de la quantité déclarée ou mentionnée au document. § 3. Indépendamment des amendes prévues aux §§ 1er et 2, les droits d'accise sur la quantité reconnue manquante devront être acquittés ».

B.3. L'article 23 de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer s'inscrit dans le cadre du droit pénal douanier, qui relève du droit pénal spécial et par lequel le législateur, sur la base d'un système spécifique de recherche et de poursuite pénales, entend combattre l'ampleur et la fréquence des fraudes dans une matière particulièrement technique relative à des activités souvent transfrontalières et régie en grande partie par une abondante réglementation européenne. La répression des infractions en matière de douanes et accises est souvent rendue difficile par le nombre de personnes qui interviennent dans le commerce et par la mobilité des marchandises sur lesquelles les droits sont dus.

Dans ce cadre, le législateur a assorti d'amendes très lourdes les infractions en matière de douanes et accises pour empêcher que des fraudes soient commises en vue d'obtenir les gains énormes qu'elles peuvent engendrer. En vue de justifier la lourdeur de l'amende, il a toujours été soutenu que celle-ci non seulement constituerait une peine individuelle assortie d'un caractère fortement dissuasif pour l'auteur, mais viserait également à rétablir l'ordre économique perturbé et à assurer la perception des impôts dus. Le fait de permettre au juge répressif de tenir compte de circonstances atténuantes serait incompatible avec l'objectif consistant à réprimer la fraude fiscale.

B.4.1. Sous la réserve qu'il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et exclure ainsi le pouvoir d'appréciation du juge.

Le législateur a toutefois opté à diverses reprises pour l'individualisation des peines, en abandonnant au juge un choix, limité par un maximum et un minimum, quant à la sévérité de la peine, en lui permettant de tenir compte de circonstances atténuantes qui l'autorisent à infliger une peine inférieure au minimum légal et en l'autorisant à accorder des mesures de sursis et de suspension du prononcé.

B.4.2. L'impossibilité pour le juge d'individualiser la peine en matière de douanes et accises provient, d'une part, de ce que la loi ne fixe pas un minimum et un maximum, dans la limite desquels le juge pourrait déterminer la peine et, d'autre part, de ce qu'en l'absence d'une disposition expresse dans la loi pénale particulière, les dispositions du Code pénal relatives aux circonstances atténuantes ne peuvent être appliquées (article 100 du Code pénal).

B.4.3. Il appartient au législateur d'apprécier s'il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l'intérêt général, spécialement dans une matière qui, comme en l'espèce, donne lieu à une fraude importante. Cette sévérité peut concerner non seulement le niveau de la peine pécuniaire, mais aussi la faculté offerte au juge d'adoucir la peine en deçà des limites fixées s'il existe des circonstances atténuantes.

La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était manifestement déraisonnable ou si la disposition litigieuse avait pour effet de priver une catégorie de prévenus du droit à un procès équitable devant une juridiction impartiale et indépendante, garanti par l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.5.1. La manière dont l'amende est déterminée par l'article 23, alinéa 1er, de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer répond aux objectifs poursuivis par le législateur tels qu'ils ont été exposés en B.3.

B.5.2. Par son arrêt n° 60/2002 du 28 mars 2002, la Cour avait jugé que la loi en cause ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution « en ce qu'elle ne prévoit pas, dans les cas où aucune transaction n'est possible, la prise en considération de circonstances atténuantes ».

B.6.1. Dans les présentes affaires, la Cour doit toutefois examiner si, en fixant la peine de la manière indiquée en B.1, le législateur a méconnu les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.6.2. Ainsi qu'elle l'a fait dans ses arrêts nos 138/2006, 165/2006, 199/2006 et 8/2007, la Cour examinera tout d'abord, dans le cadre de la deuxième question préjudicielle, la comparaison qui est faite entre l'impossibilité pour le juge répressif de tenir compte de circonstances atténuantes et la faculté laissée à l'administration, par l'article 263 de la LGDA, de transiger s'il existe de telles circonstances.

B.6.3. Les première et troisième questions préjudicielles feront ensuite l'objet d'un examen conjoint.

Quant à la deuxième question préjudicielle B.7.1. Aux termes de l'article 263 de la LGDA, il pourra être transigé, par l'administration, notamment en ce qui concerne l'amende, « toutes et autant de fois que l'affaire sera accompagnée de circonstances atténuantes, et qu'on pourra raisonnablement supposer que l'infraction doit être attribuée plutôt à une négligence ou erreur qu'à l'intention de fraude préméditée » (article 263 de la LGDA).

B.7.2. L'application d'un tel texte - qui remonte au 26 août 1822 - à des sanctions pénales n'est cependant pas compatible avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe général de droit pénal qui exige que rien de ce qui appartient au pouvoir d'appréciation de l'administration n'échappe au contrôle du juge.

B.7.3. Il est vrai que, dans toutes les matières où elle est permise, la transaction met fin à l'action publique sans contrôle du juge. Mais le prévenu peut généralement, si la transaction ne lui est pas proposée ou s'il la refuse, faire valoir devant un juge l'existence de circonstances atténuantes.

En l'espèce, le prévenu est libre d'accepter la transaction qui lui serait proposée par l'administration mais s'il la refuse, ou si elle ne lui est pas proposée, il ne pourra jamais faire apprécier par un juge s'il existe des circonstances atténuantes justifiant que l'amende soit réduite en deçà du montant fixé par la loi.

B.7.4. Il est vrai également que le juge peut ordonner la suspension du prononcé de la condamnation ou le sursis à l'exécution des peines, en application de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation. Mais les pouvoirs confiés au juge par cette loi ne sont pas les mêmes que ceux qu'il tient de l'article 85 du Code pénal et que la LGDA confie à l'administration.

B.7.5. La deuxième question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Quant aux première et troisième questions préjudicielles B.8.1. Le principe de la proportionnalité des peines n'est pas étranger à notre système juridique qui, en règle, permet au juge de choisir la peine entre un minimum et un maximum, de tenir compte de circonstances atténuantes et d'ordonner le sursis et la suspension du prononcé, le juge pouvant ainsi individualiser dans une certaine mesure la peine, en infligeant celle qu'il estime proportionnée à l'ensemble des éléments de la cause.

Pour ce qui concerne plus particulièrement les amendes, le législateur prévoit également que, lorsqu'il fixe l'amende, le juge tient compte de la situation du prévenu (articles 163, alinéas 3 et 4, et 195, alinéas 2 et 3, du Code d'instruction criminelle).

B.8.2. Cette prise en compte de la proportionnalité de la peine est toutefois exclue pour certaines infractions du droit pénal spécial, ainsi qu'en matière de douane et accises où le juge doit infliger des amendes égales au décuple, doublé en cas de récidive, des droits éludés. Non seulement les montants des amendes peuvent être sensiblement plus élevés qu'en droit pénal ordinaire, mais la possibilité de les modérer est inexistante, sous réserve de ce qui a été exposé en B.7.1 à B.7.4.

B.8.3. Si, comme il est rappelé en B.4.3, c'est au législateur qu'il appartient d'apprécier s'il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l'intérêt général, il convient d'apprécier si son choix n'est pas manifestement déraisonnable, spécialement lorsqu'il s'agit d'une infraction qui fait l'objet d'une réglementation communautaire et d'une jurisprudence européenne.

B.9.1. La loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales a été adoptée en exécution de dispositions de droit communautaire.

B.9.2. L'article 10 du Traité C.E. dispose que les Etats membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du Traité C.E. ou résultant des actes des institutions de la Communauté.

Cette disposition impose aux Etats membres, lorsqu'une réglementation communautaire ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction pour sa violation ou renvoie sur ce point aux dispositions nationales, de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l'efficacité du droit communautaire. A cet effet, les Etats membres doivent veiller à ce que les violations du droit communautaire soient sanctionnées dans des conditions, de fond et de procédure, qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaire. A cet égard, ils sont certes libres dans leur choix des sanctions à infliger mais celles-ci doivent avoir un caractère effectif, proportionné et dissuasif (voy., entre autres, CJCE, 21 septembre 1989, Commission c. Grèce, 68/88, Rec., 1989, p. 2965; CJCE, 10 juillet 1990, Hansen, C-326/88, Rec., 1990, I, p. 2911;CJCE, 27 février 1997, Ebony Maritime, C-177/95, Rec., 1997, I, p. 1111).

Les Etats membres sont donc tenus d'exercer cette compétence dans le respect du droit communautaire et de ses principes généraux et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité qui est notamment mentionné à l'article 49, paragraphe 3, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, proclamée à Nice, le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1), selon lequel « l'intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l'infraction ». Si cette Charte n'est pas, en elle-même, juridiquement contraignante, elle traduit le principe de l'Etat de droit sur lequel, en vertu de l'article 6, du Traité UE, l'Union est fondée et elle constitue une illustration des droits fondamentaux que l'Union doit respecter, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. Par conséquent, dans la répression d'infractions à des dispositions de droit communautaire, l'intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l'infraction (CJCE, 3 mai 2007, C-303/05, ASBL « Advocaten voor de wereld », §§ 45 et 46).

Les mesures administratives ou répressives ne doivent pas dépasser le cadre de ce qui est strictement nécessaire aux objectifs poursuivis, et les modalités de contrôle ne doivent pas être assorties d'une sanction à ce point disproportionnée à la gravité de l'infraction qu'elle deviendrait une entrave aux libertés consacrées par le Traité C.E. (CJCE, 16 décembre 1992, Commission c. République hellénique, Rec., 1992, p. I-6735).

B.9.3. Les amendes élevées que le juge doit infliger en application de la législation en cause peuvent être de nature à porter atteinte au respect des biens garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Selon cette disposition, la protection du droit de propriété « ne [porte] pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

Une amende fixée au décuple des droits éludés pourrait, dans certains cas, porter une telle atteinte à la situation financière de la personne à laquelle elle est infligée qu'elle pourrait constituer une mesure disproportionnée par rapport au but légitime qu'elle poursuit et constituer une violation du droit au respect des biens, garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 11 janvier 2007, Mamidakis c.

Grèce).

Une disposition qui ne permet pas au juge d'éviter une violation de cette disposition méconnaît le droit à un procès équitable garanti par l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.9.4. Même si le législateur pouvait prévoir, pour les raisons exposées en B.4.3, une peine égale au décuple des droits éludés, l'absence d'un choix qui se situerait entre cette peine, en tant que peine maximale, et une peine minimale, rend la mesure incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.10. Les première et troisième questions préjudicielles appellent une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 23, alinéa 1er, de la loi du 22 octobre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/10/1997 pub. 20/11/1997 numac 1997003624 source ministere des finances Loi relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales fermer relative à la structure et aux taux des droits d'accise sur les huiles minérales viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il ne permet au juge pénal en aucune façon de modérer, s'il existe des circonstances atténuantes, l'amende prévue par cette disposition et en ce que, en ne prévoyant pas une amende maximale et une amende minimale, il peut avoir les effets disproportionnés décrits en B.9.3.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 7 juin 2007.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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