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Arrêt
publié le 29 décembre 2009

Extrait de l'arrêt n° 184/2009 du 12 novembre 2009 Numéro du rôle : 4681 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 11, § 2 et § 3, alinéa 2, de la loi du 20 mai 1994 relative aux droits pécuniaires des militaires, La Cour constitutionnelle, composée du juge M. Melchior, faisant fonction de président, du prési(...)

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29/12/2009
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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 184/2009 du 12 novembre 2009 Numéro du rôle : 4681 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 11, § 2 et § 3, alinéa 2, de la loi du 20 mai 1994 relative aux droits pécuniaires des militaires, tel qu'il était applicable avant sa modification par l'article 130 de la loi du 27 mars 2003, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée du juge M. Melchior, faisant fonction de président, du président M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le juge M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 192.198 du 2 avril 2009 en cause de Christian Simons contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 avril 2009, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 11, §§ 2 et 3, alinéa 2, de la loi du 20 mai 1994 relative aux droits pécuniaires des militaires, avant sa modification par la loi du 27 mars 2003, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il confie au Roi le pouvoir de créer des allocations, des indemnités et d'autres avantages pécuniaires ou en nature en faveur des militaires et de charger le Ministre de la Défense nationale d'en fixer le taux et les règles d'octroi, dans les cas qu'Il détermine, avec cette conséquence que les droits de certains militaires sont entièrement déterminés par la loi et que ceux d'autres militaires le sont en partie par le Roi ou le Roi et le Ministre, alors que l'article 182 de la Constitution réserve au législateur le pouvoir de régler les droits et les obligations des militaires ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 11, §§ 2 et 3, de la loi du 20 mai 1994 relative aux droits pécuniaires des militaires, dans sa rédaction antérieure à sa modification par la loi du 27 mars 2003, dispose : « § 2. Le Roi peut en outre créer, au profit des militaires en ' service actif ' et aux [lire : des] personnes étrangères à l'armée dont la présence est requise auprès des militaires, en période de paix, le droit à des allocations, des indemnités et d'autres avantages pécuniaires ou en nature.

Ce droit ne peut être créé que sur la base de qualifications, de prestations particulières et de frais supportés, qui ne tombent pas sous l'application de l'article 10. § 3. Le Roi détermine les taux et les règles d'octroi des avantages visés au § 2.

Il peut toutefois en charger le Ministre de la Défense nationale dans les cas qu'Il détermine ».

B.2.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 11, §§ 2 et 3, alinéa 2, de la loi en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il crée une différence de traitement entre militaires suivant que leurs droits sont entièrement réglés par la loi ou qu'ils le sont, sur la base des dispositions en cause, en partie par le Roi (ou par le Roi et par le ministre), alors que le pouvoir de régler les droits et obligations des militaires est une compétence réservée au législateur par l'article 182 de la Constitution.

B.2.2. Le Conseil des ministres s'interroge sur l'avantage que le requérant devant le Conseil d'Etat tirerait d'une réponse positive à la question préjudicielle, qui aboutirait à ce que l'intéressé ne puisse plus se voir octroyer les avantages en cause.

Il n'appartient ni aux parties ni, en règle et comme le relève le Conseil des ministres, à la Cour d'apprécier l'intérêt pour les parties devant le juge a quo de la question que celui-ci adresse à la Cour.

B.3.1. L'article 182 de la Constitution dispose : « Le mode de recrutement de l'armée est déterminé par la loi. Elle règle également l'avancement, les droits et les obligations des militaires ».

La détermination des taux et des règles d'octroi d'avantages pécuniaires relève de la réglementation des droits et obligations des militaires et, partant, du champ d'application de l'article 182 de la Constitution.

B.3.2. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de régler les droits et obligations des militaires, le Constituant a voulu éviter que le pouvoir exécutif règle seul la force armée. L'article 182 de la Constitution garantit ainsi que cette matière fera l'objet de décisions prises par une assemblée délibérante démocratiquement élue.

Bien que l'article 182 de la Constitution réserve ainsi, en cette matière, la compétence normative au législateur fédéral - lequel doit en régler les éléments essentiels -, il n'exclut pas que soit laissé un pouvoir limité d'exécution au Roi. Une délégation conférée au Roi n'est pas contraire au principe de légalité pour autant que l'habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l'exécution de mesures dont les éléments essentiels sont fixés préalablement par le législateur.

B.3.3. Selon la disposition en cause, le Roi ou le ministre de la Défense nationale dans les cas qu'Il détermine peut fixer les taux et les règles d'octroi d'allocations accordées aux militaires, notamment sur la base de qualifications et prestations particulières qui ne tombent pas sous l'application de l'article 10 de la loi en cause.

Il convient donc d'examiner si cette habilitation demeure dans les limites indiquées en B.3.2.

B.4.1. Les travaux préparatoires de la disposition en cause indiquent que le législateur a entendu maintenir une situation existante : « Le § 2 reprend une disposition existante qui donne délégation au Roi pour créer divers avantages pécuniaires et qui vise à assurer une base légale à l'ensemble de la réglementation existante.

La subdélégation visée au § 3 confirme également une situation existante » (Doc. parl., Sénat, 1993-1994, n° 930-1, p. 5).

B.4.2. La section de législation du Conseil d'Etat critiqua l'habilitation que cette disposition, parmi d'autres, conférait au Roi. « 2. En ce qui concerne l'alinéa 3, le Conseil d'Etat, dans son avis L. 12.721/2 donné le 8 décembre 1976 sur un projet de loi ' relative aux droits pécuniaires des militaires ' a fait l'observation suivante : ' ... pour que l'article 118 de la Constitution soit respecté, il faut que le législateur, auquel la matière est réservée par ledit article, intervienne lui-même dans la fixation des règles déterminant les droits des militaires en ce qui concerne leurs traitements ' du moins en ce qui concerne les règles fondamentales, ' L'on doit considérer comme règles fondamentales, à insérer dans la loi relative aux droits des militaires en matière pécuniaire, notamment : les règles qui délimitent le champ d'application de la loi; celles qui déterminent, selon la position statutaire ou la situation du militaire, s'il a droit à son traitement et, le cas échéant, dans quelle mesure; les règles générales qui fixent les éléments du traitement et celles qui déterminent les conditions d'octroi et (l'importance) des bonifications d'ancienneté; les règles qui imposent un minimum de traitement garanti, etc. ' La disposition en projet ne répond pas à ces principes, du moins en ce qu'elle confère au Roi le pouvoir de fixer, sans limite, la rétribution garantie et les conditions de son octroi.

Sous réserve de cette remarque, le dernier membre de phrase serait mieux rédigé ainsi qu'il est indiqué dans la version néerlandaise du présent avis » (ibid., pp. 19 et 20). « En ce qu'ils confèrent au Roi une large délégation, le paragraphe 1er, alinéa 2, ainsi que les paragraphes 2 et 3, appellent la même observation que celle qui a été faite à propos de l'article 2, § 1er, alinéa 3 » (ibid., p. 22).

La disposition en cause fut adoptée sans discussion (Doc. parl., Sénat, 1993-1994, n° 927-2, p. 126, et Chambre, 1993-1994, n° 1392/2, p. 5). B.5. La disposition en cause contient le principe de l'octroi d'allocations et se borne à prévoir la catégorie de militaires pouvant en bénéficier et l'exigence de qualifications.

Il peut être admis qu'il n'est pas contraire à l'article 182 de la Constitution, en particulier eu égard à la nature de la matière concernée, de laisser au Roi ou à une autre autorité le soin de la mise en oeuvre plus complète de ce régime d'allocations, compte tenu de ce qu'une telle réglementation, détaillée, doit pouvoir être adaptée de manière souple aux nécessités pratiques. Toutefois, en s'abstenant de déterminer les qualifications sur la base desquelles l'allocation peut être octroyée et en permettant au Roi d'habiliter, sans limite, le ministre à exercer l'habilitation qui Lui a été conférée par le législateur, la disposition en cause porte une atteinte discriminatoire aux droits garantis par l'article 182 de la Constitution.

B.6. La question préjudicielle appelle, dans la mesure indiquée en B.5, une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 11, §§ 2 et 3, de la loi du 20 mai 1994 relative aux droits pécuniaires des militaires, tel qu'il était rédigé avant sa modification par la loi du 27 mars 2003, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne détermine pas les qualifications auxquelles est subordonné l'octroi des allocations qu'il vise et en ce qu'il permet au Roi d'habiliter, sans limite, le ministre de la Défense nationale à exercer l'habilitation qui Lui est conférée.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 12 novembre 2009.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président f.f., M. Melchior.

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