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Arrêt
publié le 12 janvier 2017

Extrait de l'arrêt n° 152/2016 du 1 er décembre 2016 Numéro du rôle : 6278 En cause : le recours en annulation de la loi du 28 avril 2015 instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016, i La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. (...)

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2016206081
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12/01/2017
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Extrait de l'arrêt n° 152/2016 du 1er décembre 2016 Numéro du rôle : 6278 En cause : le recours en annulation de la loi du 28 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/04/2015 pub. 30/04/2015 numac 2015012133 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016 type loi prom. 28/04/2015 pub. 19/11/2015 numac 2015000662 source service public federal interieur Loi instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016. - Traduction allemande fermer instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016, introduit par la Fédération générale du travail de Belgique et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 octobre 2015 et parvenue au greffe le 2 novembre 2015, un recours en annulation de la loi du 28 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/04/2015 pub. 30/04/2015 numac 2015012133 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016 type loi prom. 28/04/2015 pub. 19/11/2015 numac 2015000662 source service public federal interieur Loi instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016. - Traduction allemande fermer instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016 (publiée au Moniteur belge du 30 avril 2015, deuxième édition) a été introduit par la Fédération générale du travail de Belgique, Rudy De Leeuw, Marc Goblet, Ludo Callebaut et Nicole De Bruyne, assistés et représentés par Me K. Salomez, avocat au barreau de Gand. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées B.1. Les parties requérantes demandent l'annulation de la loi du 28 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/04/2015 pub. 30/04/2015 numac 2015012133 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016 type loi prom. 28/04/2015 pub. 19/11/2015 numac 2015000662 source service public federal interieur Loi instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016. - Traduction allemande fermer instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016. Cette loi dispose : « Titre 1er. - Disposition générale

Article 1er.La présente loi règle une matière visée à l'article 74 de la Constitution.

Titre 2. - Marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016

Art. 2.Sans préjudice de l'article 7, § 1er, et des autres dispositions de la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, la marge maximale pour l'évolution du coût salarial est fixée pour l'année 2015 à 0 % et pour l'année 2016 à 0,5 % de la masse salariale brute, le coût total pour l'employeur toutes charges comprises.

En outre, la marge maximale pour l'évolution du coût salarial peut durant l'année 2016 être augmentée de 0,3 % de la masse salariale en net sans coûts supplémentaires pour l'employeur.

Titre 3. - Entrée en vigueur

Art. 3.La présente loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge ».

B.2.1. La loi attaquée prévoit la marge maximale d'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016 et s'applique, selon son article 2, sans préjudice des dispositions de la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité (ci-après : la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer). Le but de cette dernière est de sauvegarder la compétitivité des entreprises et l'emploi en veillant à ce que le coût salarial en Belgique évolue parallèlement à celui des pays voisins (Doc. parl., Chambre, 1995-1996, n° 609/1, pp. 2-3).

B.2.2. La loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer distingue trois phases possibles pour fixer la marge maximale d'évolution du coût salarial.

Tous les deux ans, avant le 31 octobre, un accord interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux fixe, sur la base des rapports du Conseil national du travail et du Conseil central de l'économie sur l'évolution de l'emploi et de la compétitivité, la marge maximale d'évolution du coût salarial. Cette norme salariale tient compte de l'évolution du coût salarial dans les Etats membres de référence, telle qu'elle est prévue pour les deux années de l'accord interprofessionnel, mais correspond au moins à l'indexation et aux augmentations barémiques qui découlent de conventions collectives de travail. La marge peut être réduite à concurrence des écarts salariaux qui résultent d'une hausse salariale supérieure à l'évolution du coût salarial dans les Etats membres de référence au cours des deux années précédentes (article 6, §§ 1er et 2).

A défaut de consensus entre les partenaires sociaux dans les deux mois à compter du rapport technique du Conseil central de l'économie sur les marges maximales disponibles pour l'évolution du coût salarial, une deuxième phase s'ouvre. Le gouvernement convoque les partenaires sociaux à une concertation et formule une proposition de médiation, sur la base des données contenues dans le rapport technique. En cas d'accord entre le gouvernement et les partenaires sociaux, la marge maximale d'évolution du coût salarial est arrêtée dans une convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail (article 6, §§ 3 et 4).

A défaut d'un accord dans le mois suivant la convocation des partenaires sociaux à la concertation, le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, déterminer la limite maximale pour l'évolution du coût salarial, conformément aux conditions prévues à l'article 6, §§ 1er et 2, avec comme minimum l'indexation et les augmentations barémiques (article 7, § 1er).

Une fois la marge maximale fixée, les augmentations salariales effectives peuvent être négociées dans cette limite au niveau sectoriel et au niveau des entreprises, compte tenu des possibilités économiques du secteur (article 8). La loi prévoit des sanctions à l'égard des employeurs lorsque les conventions collectives ou les conventions individuelles prévoient un dépassement de la marge maximale d'évolution du coût salarial (article 9).

B.2.3. Le 30 janvier 2015, huit des dix partenaires sociaux du « Groupe des Dix » sont parvenus à un accord sur le projet d'accord interprofessionnel fixant la marge maximale de l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016. A défaut d'un consensus entre tous les partenaires sociaux, le gouvernement a formulé, le 11 février 2015, une proposition de médiation, identique au projet d'accord interprofessionnel, qui n'a pas non plus abouti à un accord. Ensuite, dans un troisième temps, le Conseil des ministres a formulé cette proposition dans un projet d'arrêté royal (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54 0987/003, p. 3).

B.2.4. La section de législation du Conseil d'Etat a formulé deux observations sur ce projet. Premièrement, elle a constaté que l'évolution du coût salarial avait été réglée distinctement et différemment pour l'année 2015 et pour l'année 2016, alors que la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer prévoit la fixation d'une marge maximale « pour les deux années de l'accord interprofessionnel ». Deuxièmement, le projet d'arrêté royal distingue la « masse salariale brute » de la « masse salariale en net », ce qui déroge à la notion d'« évolution du coût salarial » telle qu'elle est définie dans la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer. A défaut d'une habilitation explicite à déroger à ces notions utilisées dans la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, la section de législation du conseil d'Etat a déclaré qu'on ne pouvait pas considérer que ces dérogations relèvent de la compétence du Roi (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54 0987/001, pp. 4-5 et 12).

En réponse aux objections formulées par le Conseil d'Etat et parce qu'il entendait mettre en oeuvre le plus fidèlement possible le projet d'accord interprofessionnel du « Groupe des Dix », tel qu'il avait été soutenu par huit des dix membres de ce groupe, le gouvernement a décidé de fixer la marge maximale d'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016 dans une loi (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54 0987/001, p. 5).

Quant au fond B.3.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen, tiré de la violation des articles 10, 11 et 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution, combinés ou non avec l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 6 de la Charte sociale européenne révisée, avec la Convention de l'OIT n° 98 concernant l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective et la Convention de l'OIT n° 154 concernant la promotion de la négociation collective, en ce que la loi attaquée entraînerait un recul significatif injustifié de la protection du droit de négociation collective.

B.3.2. Les parties requérantes prennent un second moyen, tiré de la violation des articles 26 et 27 la Constitution, combinés ou non avec l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 6, point 2, de la Charte sociale européenne révisée, avec l'article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec la Convention de l'OIT n° 98 et avec l'article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce que la loi attaquée violerait le droit de négociation collective, considéré comme étant un aspect de la liberté syndicale.

B.4.1. L'article 23 de la Constitution comprend le droit de négociation collective dans l'énumération des droits qu'il contient.

L'article 26 de la Constitution garantit la liberté de réunion.

L'article 27 de la Constitution garantit le droit de s'associer.

B.4.2. L'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit la liberté de réunion et la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier pour la défense de ses intérêts.

B.4.3. L'article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels garantit la liberté syndicale.

B.4.4. L'article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantit la liberté de réunion et la liberté d'association, ainsi que la liberté syndicale. L'article 28 de cette charte dispose : « Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d'intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève ».

B.4.5. L'article 6 de la Charte sociale européenne révisée dispose : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit de négociation collective, les Parties s'engagent : 1. à favoriser la consultation paritaire entre travailleurs et employeurs;2. à promouvoir, lorsque cela est nécessaire et utile, l'institution de procédures de négociation volontaire entre les employeurs ou les organisations d'employeurs, d'une part, et les organisations de travailleurs, d'autre part, en vue de régler les conditions d'emploi par des conventions collectives;3. à favoriser l'institution et l'utilisation de procédures appropriées de conciliation et d'arbitrage volontaire pour le règlement des conflits du travail; et reconnaissent : 4. le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d'intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur ». B.4.6. La Convention de l'OIT n° 98 garantit le droit d'organisation et de négociation collective. L'article 4 de cette Convention dispose : « Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d'employeurs d'une part, et les organisations de travailleurs d'autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi ».

B.4.7. La Convention de l'OIT n° 154 vise à promouvoir la négociation collective. L'article 5 de cette Convention dispose : « 1. Des mesures adaptées aux circonstances nationales devront être prises en vue de promouvoir la négociation collective. 2. Les mesures visées au paragraphe 1 ci-dessus devront avoir les objectifs suivants : a) que la négociation collective soit rendue possible pour tous les employeurs et pour toutes les catégories de travailleurs des branches d'activité visées par la présente convention;b) que la négociation collective soit progressivement étendue à toutes les matières couvertes par les alinéas a), b), et c) de l'article 2 de la présente convention;c) que le développement de règles de procédure convenues entre les organisations d'employeurs et les organisations de travailleurs soit encouragé;d) que la négociation collective ne soit pas entravée par suite de l'inexistence de règles régissant son déroulement ou de l'insuffisance ou du caractère inapproprié de ces règles;e) que les organes et les procédures de règlement des conflits du travail soient conçus de telle manière qu'ils contribuent à promouvoir la négociation collective ». B.5.1. Selon le Conseil des ministres, le premier moyen devrait être déclaré partiellement irrecevable parce que les parties requérantes n'exposent pas en quoi la loi attaquée violerait l'article 6 de la Charte sociale européenne révisée, les Conventions de l'OIT nos 98 et 154 et l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le moyen ne satisferait donc pas aux conditions prévues par l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.

B.5.2. Les dispositions de droit international précitées ont ceci en commun qu'elles garantissent la liberté syndicale et le droit de négociation collective. En ce que les parties requérantes font valoir que la loi attaquée porterait atteinte à ces droits et libertés, les griefs sont exposés de manière suffisamment compréhensible. Par ailleurs, le Conseil des ministres a pu y répondre de manière circonstanciée dans ses mémoires.

B.5.3. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, la circonstance que le droit de négociation collective est cité distinctement dans l'article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution n'implique pas que l'article 27 de celle-ci ne puisse être invoqué par les parties requérantes, qui contestent une atteinte à la liberté syndicale. Le second moyen est recevable en tant qu'il est pris de la violation de l'article 27 de la Constitution, combiné avec les dispositions conventionnelles précitées qui garantissent la liberté syndicale et le droit de négociation collective.

B.6.1. L'article 27 de la Constitution reconnaît le droit de s'associer comme celui de ne pas s'associer et interdit de soumettre ce droit à des mesures préventives. Lorsqu'une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d'une disposition constitutionnelle invoquée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans la disposition constitutionnelle en cause.

Pour déterminer la portée de la liberté d'association, garantie par l'article 27 de la Constitution, il convient dès lors d'avoir aussi égard, entre autres, à l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.6.2. La liberté d'association, telle qu'elle est garantie par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme comprend le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier. Le droit de mener des négociations collectives sur les conditions de travail est, en principe, l'un des éléments essentiels de la liberté d'association (voir dans le même sens : CEDH, grande chambre, 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, § 154; grande chambre, 9 juillet 2013, Sindicatul « Pastorul Cel Bun » c. Roumanie, § 135; La liberté syndicale. Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du BIT, cinquième édition (révisée), 2006, § 881). Une ingérence dans l'exercice du droit de négociation collective n'est pas exclue, mais toute restriction apportée à l'exercice de ce droit doit être prévue par une loi, poursuivre un ou plusieurs buts légitimes et être nécessaire dans une société démocratique (CEDH, grande chambre, 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, § 159).

B.7. La loi attaquée limite la marge de libre négociation collective de l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016. Elle fixe la marge maximale d'évolution du coût salarial pour l'année 2015 à 0 % et pour l'année 2016 à 0,5 % « de la masse salariale brute, soit le coût total pour l'employeur toutes charges comprises ». Pour l'année 2016, cette marge peut être augmentée de 0,3 % « de la masse salariale en net sans coûts supplémentaires pour l'employeur ». La loi attaquée constitue donc une ingérence dans l'exercice du droit de négociation collective.

B.8. L'ingérence dans l'exercice du droit de négociation collective est prévue par une loi.

B.9. Il ressort de la genèse des dispositions attaquées que la limitation de la marge d'évolution du coût salarial a été jugée nécessaire pour permettre de résorber le handicap salarial vis-à-vis des pays voisins. L'exposé des motifs du projet de loi qui a abouti à la loi attaquée indique : « Considérant que le gouvernement entend dans son accord de gouvernement miser le plus possible sur la création d'emplois et le maintien de l'emploi et qu'un coût salarial trop élevé se traduit inévitablement par une perte d'emplois;

Considérant que pour protéger l'emploi et donc en premier lieu les travailleurs, l'évolution des salaires doit être maîtrisée par le biais d'une modération salariale continue afin de permettre de résorber notre handicap salarial vis-à-vis de nos pays voisins; » (Doc. parl.. Chambre, DOC 54-0987/001, p. 16).

Le législateur poursuit donc un objectif légitime au sens de l'article 11.2 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.10. Il ressort des travaux préparatoires que la marge maximale théorique d'évolution du coût salarial a été calculée comme suit, en vue d'atteindre l'objectif de suppression du handicap salarial : « Conformément à la loi de 1996, les partenaires sociaux se fondent généralement, dans leur avis, sur le rapport bisannuel du CCE relatif aux marges pour l'évolution du coût salarial. Dans son dernier rapport, qui date du 22 décembre 2014, le CCE indique que fin 2014, le handicap en termes de coût salarial a été ramené à 2,9 % et que l'augmentation du coût salarial chez nos voisins se situerait entre 3,9 % (d'après des sources nationales) et 4,8 % (d'après l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques). On a constaté par le passé que les chiffres de l'OCDE relatifs à l'évolution du coût salarial étaient surestimés de 0,8 % en moyenne.

Eu égard à l'augmentation attendue des salaires belges à concurrence de 0,3 % pour la période 2015-2016, notamment en raison du saut d'index, il restait une marge théorique qui tient compte de la volonté de supprimer totalement le handicap en termes de coût salarial et qui peut être calculée de la façon suivante : 3,9 % - 2,9 % - 0,3 % = 0,7 % » (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-0987/003, p. 4).

En fixant la marge maximale d'évolution du coût salarial à 0 % de la masse salariale brute pour l'année 2015 et à 0,5 % de la masse salariale brute, augmentée de 0,3 % de la masse salariale en net sans coûts supplémentaires pour l'employeur, pour l'année 2016, les dispositions attaquées visent à supprimer le handicap salarial vis-à-vis des Etats membres de référence, tel qu'il ressort de l'estimation précitée, et elles peuvent être considérées comme pertinentes pour atteindre l'objectif poursuivi, eu égard au large pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur dans les matières socio-économiques.

B.11.1. La limitation du droit de négociation collective doit également être proportionnée à l'objectif visé. Si, dans le cadre de leur politique de stabilisation, les pouvoirs publics considèrent que le taux des salaires ne peut être fixé librement par voie de négociations collectives, une telle restriction doit être appliquée comme une mesure d'exception, limitée à l'indispensable, elle ne doit pas excéder une période raisonnable et elle doit être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs (voir La liberté syndicale. Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du BIT, cinquième édition (révisée), 2006, § 1024).

En tout état de cause, une telle limitation à la négociation collective doit être précédée de consultations avec les organisations de travailleurs et d'employeurs en vue de rechercher l'accord des partenaires sociaux (ibid., § 999) et il doit être garanti que des négociations collectives sur des questions n'ayant pas d'implications monétaires puisse se dérouler (ibid., § 1027).

B.11.2. Comme il est dit en B.2.1, la loi attaquée ne porte pas atteinte à l'essence du mécanisme préventif de modération salariale, tel qu'il est formulé dans la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer. Cette procédure part du principe fondamental que le soin de négocier l'évolution du coût salarial est laissé aux partenaires sociaux. Ainsi qu'il a été mentionné en B.2, le gouvernement ne peut imposer lui-même des mesures qu'après qu'il a été constaté qu'aucun accord n'avait pu être trouvé entre les partenaires sociaux et qu'après que sa proposition de médiation a été rejetée. Il est donc conféré à l'autorité publique un rôle subsidiaire, dans le cas où la concertation sociale n'aboutit pas à un accord.

B.11.3. Comme il est dit en B.2.3, l'adoption de la loi attaquée a été précédée de la procédure prévue par la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-0987/001, pp. 4-5; Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-0987/003, pp. 4-5). Eu égard aux observations formulées par la section de législation du Conseil d'Etat sur le projet d'arrêté royal et au souci de mettre en oeuvre le plus fidèlement possible le projet d'accord interprofessionnel du « Groupe des Dix », le gouvernement a décidé de fixer la marge maximale d'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016 dans une loi.

B.11.4. En intervenant après que les possibilités de négociation collective offertes par la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer ont été épuisées et en reprenant le projet d'accord du « Groupe des Dix » tel qu'il a été approuvé par huit des dix interlocuteurs sociaux, le législateur a laissé toutes ses chances à la négociation collective. L'autorité publique a donc joué un rôle subsidiaire dans la conclusion d'accords sur l'évolution salariale et n'est intervenue que lorsqu'il s'est avéré impossible de dégager un accord unanime entre les partenaires sociaux.

B.11.5. La loi attaquée prévoit une modération salariale pour les années 2015 et 2016; son effet est dès lors limité dans le temps.

Contrairement à ce que prévoit la procédure contenue dans la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, la norme salariale n'a pas été fixée pour une période de deux ans, mais le législateur a choisi de fixer des normes salariales distinctes pour les années 2015 et 2016. Alors qu'un gel des salaires est appliqué pour l'année 2015, des négociations salariales limitées sont possibles pour l'année 2016. Cette limitation de la libre évolution du coût salarial peut être considérée comme une mesure exceptionnelle visant à supprimer le handicap salarial vis-à-vis des Etats membres de référence, qui, compte tenu des circonstances concrètes, n'excède pas une période raisonnable. En limitant la mesure à une période d'un ou deux ans, il peut être garanti que cette mesure est prise uniquement pour autant que nécessaire. La loi attaquée ne porte pas atteinte non plus à la possibilité de mener des négociations collectives sur des questions étrangères à l'évolution du coût salarial.

B.11.6. En vertu de l'article 2 de la loi attaquée, combiné avec l'article 7, § 1er, de la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, les indexations et les hausses barémiques sont garanties comme un minimum. La loi du 23 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/04/2015 pub. 27/04/2015 numac 2015014139 source service public federal emploi, travail et concertation sociale service public federal securite sociale Loi concernant la promotion de l'emploi fermer concernant la promotion de l'emploi prévoit certes un blocage de l'indice santé lissé à concurrence de 2 %, mais celui-ci est assorti de mesures d'accompagnement, telles que l'augmentation des frais professionnels déductibles et une enveloppe « bien-être » pour protéger les revenus les plus faibles. En outre, la restriction prévue par l'article 2, attaqué, de la loi du 28 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/04/2015 pub. 30/04/2015 numac 2015012133 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016 type loi prom. 28/04/2015 pub. 19/11/2015 numac 2015000662 source service public federal interieur Loi instaurant la marge maximale pour l'évolution du coût salarial pour les années 2015 et 2016. - Traduction allemande fermer est tempérée par le fait que quelques éléments ne sont pas pris en compte pour le calcul de l'évolution du coût salarial (article 2 de la loi attaquée combiné avec l'article 10 de la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer).

B.11.7. Etant donné que la loi attaquée est conforme aux conditions exposées en B.11.1 et compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur dans les matières socioéconomiques, il peut être considéré que ces mesures étaient nécessaires, dans une société démocratique, pour atteindre les objectifs poursuivis.

B.12. Il découle de ce qui précède que le droit de négociation collective, tel qu'il est garanti par l'article 27 de la Constitution, combiné avec l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 4 de la Convention de l'OIT n° 98, n'est pas violé. Prendre en considération les autres dispositions constitutionnelles et conventionnelles citées dans le moyen ne conduit pas à une autre conclusion.

B.13. Le contrôle au regard de l'obligation de standstill contenue dans l'article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution, combiné ou non avec le principe d'égalité et de non-discrimination, ne pourrait mener à une autre conclusion.

B.14. Les moyens ne sont pas fondés.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 1er décembre 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot

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