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Arrêt
publié le 29 mars 2017

Extrait de l'arrêt n° 9/2017 du 25 janvier 2017 Numéro du rôle : 6356 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 7, § 14, alinéa 4, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, insér La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 9/2017 du 25 janvier 2017 Numéro du rôle : 6356 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 7, § 14, alinéa 4, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, inséré par l'article 114 de la loi-programme du 2 août 2002, posée par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 9 février 2016 en cause de Yasmine Isanja Sewolo contre l'Office national de l'emploi, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 février 2016, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 7, § 14, alinéa 4, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, inséré par l'article 114 de la loi-programme du 2 août 2012 [lire : 2002], qui a donné un fondement légal à l'article 43, § 1er, alinéa 3, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant règlementation du chômage viole-t-il les articles 10, 11, 16, 23 et 191 de la Constitution, combinés avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention, en ce que cette disposition impose aux seuls étrangers une condition supplémentaire, étant que le droit aux allocations sur la base des études suivies ne s'applique que dans les limites d'une convention bilatérale ou internationale alors que ces étrangers réunissent par ailleurs toutes les autres conditions d'octroi des allocations d'insertion de nature à démontrer leurs liens effectifs avec la Belgique ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle a pour objet l'article 7, § 14, alinéa 4, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, tel qu'il a été inséré par l'article 114 de la loi-programme du 2 août 2002, qui dispose : « Ce paragraphe concerne les conditions de stage en vue de l'octroi du droit aux allocations visé au § 1er, alinéa 3, i, m, o et p, dans le chef du travailleur étranger ou apatride. [...] Dans le chef des travailleurs étrangers ou apatrides, le droit aux allocations sur la base des études suivies ne s'applique que dans les limites d'une convention bilatérale ou internationale. Ce droit s'applique également aux ressortissants des pays énumérés dans la loi du 13 décembre 1976 portant approbation des accords bilatéraux relatifs à l'emploi en Belgique des travailleurs étrangers ».

L'article 7, § 1ersepties, alinéa 2, 2°, de l'arrêté-loi, tel qu'il a été inséré par l'article 35 de la loi du 25 avril 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/04/2014 pub. 06/06/2014 numac 2014203619 source service public federal securite sociale Loi portant des dispositions diverses en matière de sécurité sociale type loi prom. 25/04/2014 pub. 07/05/2014 numac 2014003195 source service public federal finances Loi portant des dispositions diverses type loi prom. 25/04/2014 pub. 14/05/2014 numac 2014009199 source service public federal justice Loi portant des dispositions diverses en matière de Justice fermer portant des dispositions diverses en matière de sécurité sociale (Moniteur belge, 6 juin 2014, entré en vigueur le 16 juin 2014), dispose que le Roi peut définir sous quelles conditions et modalités un travailleur peut bénéficier de l'assurance sur la base de ses études, alors qu'il ne remplit pas la condition d'avoir accompli le nombre requis de journées de travail ou assimilées.

B.1.2. La disposition en cause confère un fondement légal à l'article 43 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage qui dispose : « § 1er. Sans préjudice des dispositions précédentes, le travailleur étranger ou apatride est admis au bénéfice des allocations s'il satisfait à la législation relative aux étrangers et à celle relative à l'occupation de la main-d'oeuvre étrangère.

Le travail effectué en Belgique n'est pris en considération que s'il l'a été conformément à la législation relative à l'occupation de la main-d'oeuvre étrangère.

Les articles 35, 36, 37, § 2 et 38, § 23, ne s'appliquent que dans les limites d'une convention internationale. Toutefois, les articles 35 et 36 s'appliquent également aux ressortissants des pays énumérés dans la loi du 13 décembre 1976 portant approbation des accords bilatéraux relatifs à l'emploi en Belgique des travailleurs étrangers. [...] ».

B.1.3. Au cours des travaux préparatoires, l'insertion de l'article 7, § 14, précité a été justifiée comme suit : « [Il] reprend de manière inchangée la réglementation existante relative au droit aux allocations de chômage sur base des prestations de travail [...], dans le chef de travailleurs de nationalité étrangère. [...] Il est proposé d'intégrer les dispositions en question dans une loi, dans le sens formel du terme, étant donné que la procédure définie statue que le Roi, dans ce cas, ne dispose pas de la compétence de décréter des dispositions dérogatoires vis-à-vis de personnes de nationalité étrangère. C'est ce que la Cour de Cassation a récemment conclu dans un arrêt du 25 mars 2002. [...] Cet amendement vise donc la transposition de la règle actuelle dans l'arrêté royal en une loi, et n'apporte donc aucune modification aux droits et devoirs du travailleur même » (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, DOC 50-1823/003, pp. 6-7).

B.2. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 7, § 14, alinéa 4, de l'arrêté-loi précité avec les articles 10, 11, 16, 23 et 191 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14 de cette Convention. La question préjudicielle compare les bénéficiaires belges et étrangers d'une allocation d'insertion aux étrangers ressortissants de pays avec lesquels la Belgique n'a pas conclu de convention internationale de sécurité sociale ou qui ne relèvent pas de la catégorie des étrangers privilégiés, ces derniers ne bénéficiant pas de cette allocation, même s'ils réunissent toutes les autres conditions d'octroi de celle-ci.

Selon le juge a quo, la différence de traitement est exclusivement basée sur la condition de nationalité, en l'absence de toute considération qui pourrait justifier le refus.

Il ressort de la motivation du jugement de renvoi que la demanderesse devant le juge a quo qui souhaite obtenir une allocation d'insertion bénéficie de l'aide sociale accordée par le centre public d'action sociale (ci-après : CPAS).

La Cour limite l'examen de la question préjudicielle au litige tel qu'il est soumis au juge a quo.

B.3.1. L'article 191 de la Constitution dispose : « Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi ».

B.3.2. En vertu de cette disposition, une différence de traitement qui défavorise un étranger ne peut être établie que par une norme législative. Cette disposition n'a pas pour objet d'habiliter le législateur à se dispenser, lorsqu'il établit une telle différence, d'avoir égard aux principes fondamentaux consacrés par la Constitution. Il ne découle donc pas de l'article 191 que le législateur puisse, lorsqu'il établit une différence de traitement au détriment d'étrangers, ne pas veiller à ce que cette différence ne soit pas discriminatoire, quelle que soit la nature des principes en cause.

B.4. L'article 23 de la Constitution dispose : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment : [...] 2° le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique; [...] ».

B.5.1. Parmi les droits et libertés garantis par les articles 10 et 11 de la Constitution figurent les droits et libertés résultant de dispositions conventionnelles internationales qui lient la Belgique.

L'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

B.5.2. L'article 1 précité du Premier Protocole additionnel ne contient certes pas le droit de percevoir des prestations sociales de quelque nature que ce soit, mais lorsqu'un Etat prévoit une prestation sociale, il doit l'organiser d'une manière qui est compatible avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, grande chambre, décision, 6 juillet 2005, Stec e.a. c. Royaume-Uni, § 55).

La même garantie découle directement des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.5.3. A la suite de la Cour européenne des droits de l'homme, en ce qui concerne l'article 14 précité (voy. notamment CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c. France, § 46), la Cour a jugé, quant aux articles 10 et 11, précités, de la Constitution, que seules des considérations très fortes peuvent justifier une différence de traitement qui repose exclusivement sur la nationalité (voy. notamment l'arrêt n° 12/2013 du 21 février 2013, B.11, et l'arrêt n° 82/2016 du 2 juin 2016, B.5.3).

Le législateur dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu pour déterminer sa politique dans les matières socio-économiques (CEDH, grande chambre, 18 février 2009, Andrejeva c. Lettonie, § 83), ce qui est notamment le cas lorsqu'il s'agit de la politique relative aux allocations d'insertion qui sont financées par des deniers publics.

B.5.4. Par son arrêt Carson et autres c. Royaume-Uni, du 16 mars 2010, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que l'absence de droit à la revalorisation des pensions pour les retraités résidant dans des pays n'ayant pas conclu d'accords de réciprocité avec le Royaume-Uni ne violait pas l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, combiné avec l'article 14 de cette Convention. Il ressort de cet arrêt que les Etats membres disposent en l'occurrence d'un pouvoir d'appréciation étendu et que l'intérêt pour les Etats de conclure des accords de réciprocité en cette matière est reconnu. Le fait qu'un Etat a conclu un tel accord avec un pays ne pouvait pas engendrer l'obligation, pour cet Etat, de conférer les mêmes avantages de sécurité sociale aux personnes résidant dans d'autres pays (CEDH, grande chambre, Carson e.a. c. Royaume-Uni, §§ 88-90).

B.5.5. La Cour doit toutefois examiner si la disposition en cause est pertinente au regard du but poursuivi et si elle n'a pas d'effets disproportionnés à l'égard d'une certaine catégorie de personnes. Par conséquent, il ne saurait être question de discrimination que si la différence de traitement qui résulte de l'application des règles en matière d'allocations d'insertion entraînait une restriction disproportionnée des droits des personnes concernées à cet égard.

B.6.1. En vertu de l'article 7, § 14, alinéa 4, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 en cause, l'allocation d'insertion n'est payée à un étranger que s'il a la nationalité d'un pays avec lequel la Belgique a conclu une convention de réciprocité, s'il est réfugié reconnu ou s'il fait partie des ressortissants des pays énumérés dans la loi du 13 décembre 1976 portant approbation des accords bilatéraux relatifs à l'emploi en Belgique des travailleurs étrangers.

B.6.2. La finalité propre de la législation sur le chômage n'empêche pas que le législateur, soucieux de maintenir un système de sécurité sociale juste et viable, puisse prévoir dans cette législation des dérogations, s'agissant en particulier des allocations d'insertion.

En effet, contrairement aux allocations de chômage, qui constituent un revenu de remplacement, les allocations d'insertion sont destinées à octroyer un revenu temporaire à des bénéficiaires qui n'ont jamais travaillé ou qui ont insuffisamment travaillé. En outre, l'octroi des allocations d'insertion déroge au principe d'assurance qui sous-tend l'assurance chômage, les allocations d'insertion étant versées à des jeunes bénéficiaires qui n'ont jamais cotisé ou qui ont insuffisamment cotisé à la sécurité sociale des travailleurs salariés.

B.6.3. Quant à l'exclusion des étrangers qui ne se trouvent dans aucune des conditions mentionnées en B.1.1 du bénéfice des allocations d'insertion, pareille exclusion est prévue par l'article 68 de la Convention de l'Organisation internationale du travail n° 102 de 1952 concernant la sécurité sociale (ci-après : Convention OIT), qui énonce : « 1. Les résidents qui ne sont pas des nationaux doivent avoir les mêmes droits que les résidents qui sont des nationaux. Toutefois, en ce qui concerne les prestations ou les fractions de prestations financées exclusivement ou d'une façon prépondérante par les fonds publics, et en ce qui concerne les régimes transitoires, des dispositions particulières à l'égard des non-nationaux et à l'égard des nationaux nés hors du territoire du Membre peuvent être prescrites. 2. Dans les systèmes de sécurité sociale contributive dont la protection s'applique aux salariés, les personnes protégées qui sont des nationaux d'un autre Membre qui a accepté les obligations découlant de la Partie correspondante de la convention doivent avoir, à l'égard de ladite Partie, les mêmes droits que les nationaux du Membre intéressé.Toutefois, l'application du présent paragraphe peut être subordonnée à l'existence d'un accord bilatéral ou multilatéral prévoyant une réciprocité ».

L'article 69 de la même Convention dispose en outre : « Une prestation à laquelle une personne protégée aurait eu droit en application de l'une quelconque des Parties II à X de la présente convention, peut être suspendue, dans une mesure qui peut être prescrite : [...]; b) aussi longtemps que l'intéressé est entretenu sur des fonds publics ou aux frais d'une institution ou d'un service de sécurité sociale; toutefois, si la prestation dépasse le coût de cet entretien, la différence doit être attribuée aux personnes qui sont à la charge du bénéficiaire; [...] ».

B.6.4. Au regard de l'objectif poursuivi par le législateur, la différence de traitement est raisonnablement justifiée et n'a pas d'effets disproportionnés, dès lors que la demanderesse devant le juge a quo qui, en l'espèce, ne peut bénéficier de l'allocation d'insertion bénéficie de l'aide sociale accordée par le CPAS, prestation qui entre dans le champ d'application de l'article 69, b), précité, de la Convention OIT. B.6.5. Enfin, en considération de ces éléments et compte tenu du coût financier que représente l'allocation d'insertion, il n'est pas dénué de justification raisonnable d'en avoir réservé le bénéfice aux seuls nationaux ou aux ressortissants de pays avec lesquels a été conclu un accord de réciprocité.

B.7. En ce qu'elle allègue la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14 de la même Convention, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à l'article 16 de la Constitution B.8. L'article 16 de la Constitution dispose que nul ne peut être privé de sa propriété pour cause d'utilité publique que dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité.

L'expropriation offre aux pouvoirs publics la possibilité d'obtenir, pour des motifs d'utilité publique, la disposition de biens, en principe immobiliers, qui ne peuvent pas être acquis par les voies normales du transfert de propriété.

La mesure en cause, en ce qu'elle écarte certaines catégories d'étrangers du bénéfice de l'allocation d'insertion, n'est pas une privation de propriété visée par l'article 16 de la Constitution.

B.9. Par ailleurs, il découle du B.7 que la disposition en cause n'est pas incompatible avec l'article 16 de la Constitution, combiné avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, de sorte que la question préjudicielle appelle à cet égard une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 7, § 14, alinéa 4, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, inséré par l'article 114 de la loi-programme du 2 août 2002, ne viole pas les articles 10, 11, 16, 23 et 191 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 1 du Premier protocole additionnel à cette Convention.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 janvier 2017.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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