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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 04 février 1998

Arrêt n° 70/97 du 18 novembre 1997 Numéros du rôle : 1004, 1005 et 1006 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 11 de la loi du 1 er juillet 1983 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en exécution de l' La Cour d'arbitrage, composée du président L. De Grève, du juge faisant fonction de président L.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 70/97 du 18 novembre 1997 Numéros du rôle : 1004, 1005 et 1006 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en exécution de l'article 2 de la loi du 2 février 1982 attribuant certains pouvoirs spéciaux au Roi », en tant que cet article confirme l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 « modifiant le Code des impôts sur les revenus et l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 modifiant le Code des impôts sur les revenus en matière de déduction pour investissement, de plus-values et d'amortissements », posées par la Cour d'appel de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée du président L. De Grève, du juge faisant fonction de président L. François, et des juges P. Martens, J. Delruelle, H. Coremans, A. Arts et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par trois arrêts du 7 novembre 1996 en cause de respectivement la s.a.

Louage en Wisselinck, la s.a. Ardovries et la s.a. Immo L.W.A. contre l'Etat belge, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour d'arbitrage le 18 novembre 1996, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 (Moniteur belge, 19 janvier 1983), confirmé par l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983 (Moniteur belge, 9 juillet 1983), viole-t-il les articles 6 et 6bis de la Constitution/anciens (à présent articles 10 et 11 de la Constitution) en ce qu'il a pour conséquence que les contribuables qui ont modifié après le 1er décembre 1981 la date de clôture de leurs comptes annuels sont privés, contrairement aux contribuables qui ne l'ont pas fait, de toute mesure d'investissement fiscalement favorable (déduction pour investissement et réserve d'investissement) pour la période qui prend cours le 1er janvier 1982 et qui expire avant le 31 décembre 1982 ? » II. Les faits et la procédure antérieure La juridiction a quo a été saisie des recours intentés par trois sociétés anonymes contre les décisions du directeur des contributions directes par lesquelles leurs réclamations contre les cotisations à l'impôt des sociétés n'ont été accueillies que partiellement.

Les sociétés concernées, après avoir avancé la date normale de clôture de l'exercice comptable 1982 du 31 décembre 1982 au 30 novembre 1982, avaient, dans leur déclaration complémentaire pour l'exercice d'imposition 1982 - exercice spécial (revenus de l'exercice comptable s'étendant du 1er janvier 1982 au 30 novembre 1982), mentionné sous le numéro de code 276 des montants pour lesquels elles demandaient, comme dans la première déclaration pour le même exercice d'imposition (revenus de l'exercice comptable s'étendant du 1er janvier 1981 au 31 décembre 1981), l'immunisation de la réserve d'investissement, conformément au régime alors en vigueur des articles 23bis et 107bis du Code des impôts sur les revenus.

Ce régime des « réserves d'investissement » avait été instauré à partir de l'exercice d'imposition 1982 par la loi du 10 février 1981Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/02/1981 pub. 30/01/2014 numac 2014000049 source service public federal interieur Loi de redressement relative aux pensions du secteur social. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer.

Il fut toutefois abrogé par l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 à partir de l'exercice d'imposition 1983 et remplacé par un régime de « déduction pour investissement » (article 42ter du Code des impôts sur les revenus).

Selon le directeur des contributions directes, il ne pouvait être accordé d'immunisation de la réserve d'investissement mentionnée dans la déclaration pour l'exercice d'imposition 1982 - exercice spécial, compte tenu de l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982, qui fut adopté en vue d'éviter que les sociétés obtiennent, par une modification de la date de clôture de l'exercice comptable 1982, une immunisation de la réserve d'investissement pour deux exercices comptables qui seraient rattachés chacun à l'exercice d'imposition 1982.

Les appelantes devant la juridiction a quo avaient fait valoir que l'article 2, § 4, précité de l'arrêté royal n° 149 excède les limites de la loi du 2 février 1982 attribuant certains pouvoirs spéciaux au Roi et exerce un effet rétroactif qui va au-delà de ce que permet cette loi d'habilitation. Confrontées à la confirmation des arrêtés royaux nos 48 et 149 précités par l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983, les appelantes avaient soutenu que cette dernière disposition n'a pas d'effet rétroactif, de sorte que l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 n'aurait force de loi qu'à partir du 19 juillet 1983.

En ordre subsidiaire, au cas où l'article 2, § 4, précité de l'arrêté royal n° 149 serait validé par la Cour d'appel, les appelantes suggéraient que soient posées à la Cour d'arbitrage les deux questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 ( Moniteur belge 19 janvier 1983) viole-t-il les articles 6 et 6bis de la Constitution/anciens (à présent les articles 10 et 11 de la Constitution) en privant les contribuables ayant modifié la date de clôture de leurs comptes annuels après le 1er décembre 1981 de toute mesure d'investissement favorable au niveau fiscal (déduction pour investissement et réserve d'investissement) pour la période qui prend cours le 1er janvier 1982 et qui prend fin avant le 31 décembre 1982 ? 2. L'article 11 de la loi du 1er juillet 1983 ( Moniteur belge 9 juillet 1983) viole-t-il les articles 6 et 6bis de la Constitution/anciens, en ce que, eu égard à la confirmation législative de l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149, il fait échapper de manière rétroactive ce dernier arrêté royal au contrôle de légalité du pouvoir judiciaire et prive ainsi l'appelante d'une garantie légale, qui s'applique à tous les justiciables, violant de la sorte le principe général de la sécurité juridique, sans que puisse être invoquée à cet effet une justification objective et raisonnable ? » Dans ses arrêts de renvoi, la Cour d'appel constate notamment « que l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 n'excède nullement la matière définie à l'article 2, 6°, de la loi du 2 février 1982, puisqu'il s'agit uniquement de compléter l'article 15 de l'arrêté royal n° 48 afin d'empêcher des abus » et « qu'à présent que l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983 a confirmé [...] les arrêtés royaux nos 48 et 149 avec effet à partir de l'exercice d'imposition pour lequel ils sont applicables pour la première fois, cela implique que l'article 2 de l'arrêté royal n° 149 a force de loi, en ce qui concerne l'ajout du paragraphe 4 à l'article 15 de l'arrêté royal n° 48, à partir de l'exercice d'imposition 1982; que le pouvoir judiciaire ne peut donc plus en vérifier la légalité » (arrêts de renvoi dans les affaires inscrites sous les numéros 1004 et 1005 du rôle) ou « que par suite de cette confirmation législative, l'arrêté royal n° 149 ainsi que l'arrêté royal n° 48 ont acquis force de loi, en sorte qu'ils ne peuvent plus être considérés par le pouvoir judiciaire comme n'étant pas conformes à la loi » (arrêt de renvoi inscrit sous le numéro 1006 du rôle).

Compte tenu du souhait des appelantes de voir poser les deux questions préjudicielles précitées, la Cour d'appel a décidé de poser, dans chacune des trois affaires, la question énoncée dans la partie I du présent arrêt.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnances du 18 novembre 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Par ordonnance du 5 décembre 1996, la Cour réunie en séance plénière a joint les affaires.

Les décisions de renvoi ont été notifiées conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 9 décembre 1996; l'ordonnance de jonction a été notifiée par les mêmes lettres.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 10 décembre 1996.

Des mémoires ont été introduits par : - la s.a. Louage en Wisselinck, Stationsstraat 221, 8850 Ardooie, la s.a. Ardovries, Wezestraat 61, 8850 Ardooie, et la s.a. Immo L.W.A., Stationsstraat 223, 8850 Ardooie, par lettre recommandée à la poste le 21 janvier 1997; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 22 janvier 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 31 janvier 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 28 février 1997; - la s.a. Louage en Wisselinck, la s.a. Ardovries et la s.a. Immo L.W.A., par lettre recommandée à la poste le 3 mars 1997.

Par ordonnances du 29 avril 1997 et du 28 octobre 1997, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 18 novembre 1997 et 18 mai 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 30 septembre 1997, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 28 octobre 1997.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 30 septembre 1997.

A l'audience publique du 28 octobre 1997 : - ont comparu : . Me P. Delafontaine, avocat au barreau de Courtrai, pour la s.a.

Louage en Wisselinck, la s.a. Ardovries et la s.a. Immo L.W.A.; . Me S. Van Rouveroij, avocat au barreau de Gand, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs A. Arts et J. Delruelle ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. Objet des dispositions en cause Les appelantes avaient obtenu, pour l'exercice d'imposition 1982 (exercice comptable s'étendant du 1er janvier 1981 au 31 décembre 1981), l'immunisation des montants déclarés en tant que réserve d'investissement, sur la base des articles 23bis et 107bis, alors en vigueur, du Code des impôts sur les revenus.

Le paragraphe 1er de l'article 107bis, inséré par l'article 13 de la loi de redressement du 10 février 1981 relative aux dispositions fiscales et financières, et remplacé par l'article 58 de la loi-programme du 2 juillet 1982, s'énonçait comme suit : « Par dérogation à l'article 23bis, § 1er, 1°, le montant de la réserve d'investissement constituée par prélèvement sur les bénéfices sociaux de la période imposable est immunisé à concurrence de 5 % de l'ensemble de ces bénéfices et de 30 %, au maximum, de la partie des mêmes bénéfices qui est maintenue dans le patrimoine de l'entreprise.

La base de calcul du montant immunisé comprend les provisions pour pertes ou charges probables immunisées en vertu de l'article 23, mais elle ne comprend pas les autres provisions ou plus-values immunisées en vertu des articles 105 à 107. » Les articles 23bis et 107bis du Code des impôts sur les revenus étaient applicables à partir de l'exercice d'imposition 1982 (article 27, § 1er, 2°, de la loi de redressement du 10 février 1981 et article 66, § 1er, 2°, de la loi-programme du 2 juillet 1981), mais ils ont été abrogés par les articles 1er et 10 de l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 modifiant le Code des impôts sur les revenus en matière de déduction pour investissement, de plus-values et d'amortissements.

L'article 6 de cet arrêté royal n° 48 a inséré dans le Code des impôts sur les revenus un article 42ter prévoyant un nouveau régime de « déduction pour investissement » en ce qui concerne les immobilisations. En vertu de l'article 15, § 1er, de l'arrêté royal n° 48, les articles 1er et 10 de cet arrêté sont applicables « à partir de l'exercice d'imposition 1983 » et le nouveau régime s'applique aux investissements « effectués à partir du premier jour de l'année ou de l'exercice comptable dont les bénéfices sont imposables au titre de l'exercice d'imposition 1983 ».

L'article 2 de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 « modifiant le Code des impôts sur les revenus et l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 modifiant le Code des impôts sur les revenus en matière de déduction pour investissement, de plus-values et d'amortissements » a complété l'article 15 de l'arrêté royal n° 48 précité par un paragraphe 3 et un paragraphe 4. Ce paragraphe 4 est libellé comme suit : « Toute modification apportée à partir du 1er décembre 1981 aux dispositions statutaires concernant la date de clôture des comptes annuels est considérée comme étant sans effet pour l'application des dispositions des articles 23bis et 107bis du Code des impôts sur les revenus, tels qu'ils existaient avant leur abrogation par le présent arrêté. » L'article 11 de la loi du 1er juillet 1983 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en exécution de l'article 2 de la loi du 2 février 1982 attribuant certains pouvoirs au Roi » dispose : « L'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 modifiant le Code des impôts sur les revenus en matière de déduction pour investissement, de plus-values et d'amortissements, l'arrêté royal n° 107 du 26 novembre 1982 modifiant le Code des impôts sur les revenus en matière de déduction pour investissement et l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 modifiant le Code des impôts sur les revenus et l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 modifiant le Code des impôts sur les revenus en matière de déduction pour investissement, de plus-values et d'amortissements, sont confirmés avec effet à partir de l'exercice d'imposition pour lequel ils sont applicables pour la première fois. » V. En droit - A - Mémoire des appelantes devant la juridiction a quo A.1.1. Pour l'exercice comptable expirant le 31 décembre 1981 (exercice d'imposition 1982), les sociétés avaient fait usage du régime de l'immunisation de la réserve d'investissement. Elles entendaient en bénéficier à nouveau pour l'exercice comptable suivant et réalisèrent à cette fin les investissements nécessaires.

Le régime d'immunisation de la réserve d'investissement était conçu comme un régime permanent. Ceci ressort d'une partie de la doctrine et du libellé de l'article 107bis, § 5, en vertu duquel le Roi pouvait modifier, pour les années suivantes, le pourcentage de l'immunisation en fonction des circonstances économiques.

Ce régime a toutefois été supprimé à partir de l'exercice d'imposition 1983 par l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 et a été remplacé par le régime de la déduction pour investissement.

Les sociétés étaient déjà préparées au régime de l'immunisation de la réserve d'investissement et ne pouvaient admettre que les règles du jeu soient modifiées « en cours de partie ».

Suite à cela, elles ont avancé au 30 novembre 1982 la date de clôture de l'exercice comptable, de sorte que celui-ci devait être rattaché à l'exercice d'imposition 1982.

L'administration des contributions directes refuse cependant d'accorder l'immunisation pour les montants mentionnés en tant que réserve d'investissement dans la déclaration pour l'exercice d'imposition 1982 - exercice spécial (exercice comptable s'étendant du 1er janvier 1982 au 30 novembre 1982).

Selon l'administration, il ne peut être tenu compte de la modification de la date de clôture des comptes annuels pour ce qui concerne la réserve d'investissement, mais bien pour le reste. Par conséquent, les sociétés ne pouvaient pas non plus bénéficier de la déduction pour investissement, parce que celle-ci n'était appliquée pour la première fois qu'à partir de l'exercice d'imposition 1983. Du fait qu'elles ont fait usage de la possibilité de modifier la date de clôture de leur exercice comptable, ces sociétés viennent, en d'autres mots, à se trouver « assises entre deux chaises » et subissent une sanction rétroactive.

L'administration invoque l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982, publié au Moniteur belge du 19 janvier 1983 et entré en vigueur le 29 janvier 1983. Les droits acquis le 31 décembre 1982 liés à l'exercice d'imposition 1982 sont donc mis à néant avec effet rétroactif. Pour éviter que les arrêtés royaux nos 48 et 149 ne soient contrôlés par le pouvoir judiciaire, la loi du 1er juillet 1983 les a confirmés.

A.1.2. Les appelantes avaient suggéré de poser deux questions préjudicielles. On n'aperçoit pas clairement si les mêmes questions sont contenues dans celle posée par la Cour d'appel, ou si la deuxième partie a été omise. Dans l'exposé qui suit, les deux parties sont traitées séparément. Si les décisions de renvoi entendaient écarter une partie, cela ressortirait de la motivation.

A.1.3. S'agissant de la première partie, la Cour d'appel a correctement formulé la thèse des appelantes lorsqu'elle considère « que l'appelante fait valoir que le principe d'égalité est violé du fait que le Roi, en tant que législateur, en vertu de l'article 78 de la Constitution/ancien, a employé, pour éviter une ' évasion fiscale ' (à savoir, pouvoir bénéficier deux fois au lieu d'une de la déduction de la réserve d'investissement au titre du même exercice d'imposition), un moyen (l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149) qui n'est pas adéquat et qui est disproportionné au but poursuivi, puisqu'il en résulte que le contribuable qui a anticipé la date de clôture de son exercice comptable ne peut ni déduire la réserve d'investissement ni imputer la déduction pour investissement; que l'appelante estime que le principe d'égalité a donc été violé dès lors que tous les autres contribuables qui n'ont pas procédé au ' déplacement ' de leur exercice comptable ont, quant à eux, pu obtenir à tout le moins la déduction pour investissement. » Il résulte des normes mentionnées plus haut que les appelantes ne peuvent obtenir ni l'immunisation de la réserve d'investissement ni la déduction pour investissement. La discrimination consiste en ce que d'autres contribuables qui n'ont pas modifié la date de clôture de l'exercice comptable peuvent bénéficier normalement de la déduction pour investissement.

La thèse selon laquelle l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 viole les articles 10 et 11 de la Constitution doit être adaptée, étant donné que la Cour d'arbitrage ne contrôle pas des arrêtés, mais la loi. La Cour se prononcera sur l'article précité tel qu'il a été confirmé par l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983.

A.1.4. La seconde partie de la question préjudicielle porte sur l'effet rétroactif de la mesure, qui viole le principe général de la sécurité juridique.

Les sociétés concernées ont investi dans l'optique de l'immunisation de la réserve d'investissement. Il est permis de se demander si, au cas où elles eussent été informées, elles n'auraient pas cessé leurs investissements ou les auraient orientés différemment en vue de la déduction pour investissement.

Elles avaient trouvé un moyen légal de sauvegarder leurs intérêts, mais l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 a mis ce moyen à néant avec effet rétroactif. Le législateur avait cependant laissé entendre que les mesures concernant les réserves d'investissement revêtiraient un caractère permanent.

Mémoire du Conseil des ministres A.2. Il ressort clairement de l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 que le but était d'accorder l'avantage de l'immunisation de la réserve d'investissement une fois seulement et de prévoir une déduction pour investissement en ce qui concerne les investissements réalisés à partir du 1er janvier 1982.

En vue de contrecarrer des manoeuvres fiscales, le législateur a été contraint d'expliciter dans l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 la ratio legis qui limite le régime de la réserve d'investissement à une seule période imposable : les sociétés qui, à partir du 1er décembre 1981, avaient anticipé la date normale de clôture de leur exercice comptable, en sorte que l'exercice comptable clôturé au plus tard le 30 décembre 1982 était rattaché à l'exercice d'imposition 1982 - exercice spécial, ont perdu, en ce qui concerne cet exercice comptable, le droit à l'immunisation de la réserve d'investissement.

Les investissements rattachés à l'exercice d'imposition 1982 - exercice spécial n'étaient pas davantage pris en considération pour l'application de la déduction pour investissement qui a été instaurée seulement à partir de l'exercice d'imposition 1983.

La situation précitée, dans laquelle, par leurs manoeuvres, les contribuables concernées se sont placées, a exclusivement été causée par leur fait. Elles ont avancé la date de clôture de leur exercice comptable dans le seul but de bénéficier deux fois du régime fiscal avantageux de la réserve d'investissement, à savoir tant pour les investissements réalisés au cours de l'année 1981 (exercice d'imposition 1982) que pour les investissements réalisés durant la période du 1er janvier 1982 au 30 novembre 1982 (exercice d'imposition 1982 - exercice spécial).

L'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 confirmé par l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983 ne viole nullement les articles 10 et 11 de la Constitution, bien au contraire : cet article entendait justement empêcher que certains contribuables s'arrogent le privilège de bénéficier deux fois de l'immunisation fiscale de la réserve d'investissement, contrairement aux autres contribuables qui n'auraient pas modifié la date de clôture de leur exercice comptable.

Les sociétés concernées n'ont pas non plus subi de discrimination en ce qui concerne la déduction pour investissement : comme tous les contribuables, elles ont pu bénéficier de ce régime à partir de l'exercice d'imposition 1983.

On ne saurait déduire une violation du principe d'égalité de la circonstance que certains contribuables, en raison de leur choix, n'ont pu bénéficier ni de l'immunisation de la réserve d'investissement ni de la déduction pour investissement. Ce fut pour chaque société belge la conséquence du choix de modifier la durée de l'exercice comptable afin de déclarer une partie des revenus pour l'exercice d'imposition 1982 - exercice spécial.

Celui qui recherche délibérément un avantage qui est en contradiction avec l'objectif du législateur ne peut invoquer le principe d'égalité lorsque la prétendue inégalité est exclusivement imputable à ses propres agissements.

En l'espèce, les sociétés concernées se sont elles-mêmes placées dans une situation qui peut être défavorable par rapport à des sociétés qui ont continué d'agir conformément au but du législateur, mais cette inégalité n'est pas imputable à la loi.

Mémoire en réponse des appelantes devant la juridiction a quo A.3.1. La violation du principe général de la sécurité juridique alléguée dans la seconde partie doit être lue dans le contexte de la première partie de la question préjudicielle qui dénonce une inégalité.

Les appelantes ont été lésées par la suppression rétroactive du régime de la réserve d'investissement et par l'instauration rétroactive du régime de la déduction pour investissement, alors que les autres Belges savent à l'avance ce que la loi prescrit et peuvent avoir confiance que celle-ci ne sera pas rapportée rétroactivement, de sorte qu'ils peuvent déterminer en toute clarté et sécurité la politique de leur entreprise.

A.3.2. Il a été exposé dans le premier mémoire que la question préjudicielle telle qu'elle a été posée par la Cour d'appel contient les deux parties des questions qui avaient été suggérées par les appelantes devant cette Cour.

Les appelantes ont également introduit un recours en cassation contre les arrêts qui décident de poser cette question préjudicielle. Il importe de préciser pourquoi ledit recours part du principe que la seconde question n'a pas été posée, alors qu'il est soutenu dans le mémoire introduit auprès de la Cour d'arbitrage que les deux parties sont bien incluses dans la question.

Les appelantes estimaient que la Cour d'appel était en principe compétente pour examiner la constitutionnalité de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982. Cette Cour a jugé de manière inattaquable que l'arrêté dans son ensemble avait été confirmé par l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983.

La Cour d'appel accède à la demande visant à faire poser une question préjudicielle concernant l'article 2, § 4, de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 confirmé par la disposition législative précitée.

Il n'est pas certain qu'une décision définitive ait été rendue sur la question de savoir si l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983 viole le principe d'égalité ou si la Cour d'appel refuse de poser une question préjudicielle à ce sujet.

Dans l'hypothèse où la Cour d'appel aurait implicitement jugé qu'il n'y avait aucune raison de poser une question concernant l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983, on peut affirmer que cette décision est insuffisamment motivée. En outre, la Cour de cassation est quant à elle obligée de poser la question.

C'est pour ces motifs que le pourvoi en cassation a été introduit.

A.3.3. Selon le Conseil des ministres, l'inégalité ne serait pas imputable au législateur mais aux contribuables qui se seraient placés eux-mêmes dans une situation inégale par leur « aspiration » à un avantage fiscal illicite.

A cet égard, le Conseil des ministres perd de vue que les dispositions applicables ont un effet rétroactif. Lorsque l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 fut publié, la moitié de l'exercice comptable était déjà écoulée et les décisions d'investissement étaient déjà prises, compte tenu de la législation alors en vigueur concernant la réserve d'investissement dont le législateur avait laissé entendre qu'elle aurait un caractère permanent.

Il est compréhensible et admissible que les sociétés concernées aient cherché le moyen de parer ce « coup en dessous de la ceinture ». Elles le trouvèrent en écourtant l'exercice comptable, ce qui, compte tenu de la législation alors en vigueur, constituait une mesure légale.

Mais ce moyen fut également annihilé par une disposition ayant effet rétroactif. L'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 fut publié le 19 janvier 1983, lorsque l'exercice comptable 1982 était déjà clôturé.

Il s'ensuit que ce n'est pas un « objectif de lucre » des sociétés qui les a placées dans des situations inégales, mais la législation « doublement » rétroactive. Les sociétés ont dès lors souligné la violation du principe général de la sécurité juridique.

L'autre aspect de l'inégalité, à savoir le fait que les sociétés concernées n'ont pu bénéficier ni de l'immunisation de la réserve d'investissement, ni de la déduction pour investissement, n'est ni contesté par le Conseil des ministres ni justifié.

Il ressort des dossiers fiscaux que la déduction pour investissement aurait été accordée aux appelantes à la condition qu'elles renoncent à l'immunisation de la réserve d'investissement.

Cette nuance supplémentaire apportée à l'inégalité « fondamentale » alléguée est la conséquence imprévue de la mesure prise.

Pour obtenir le but recherché, qui consistait à prévenir une deuxième immunisation de la réserve d'investissement, le prix réclamé, à savoir le refus de la déduction pour investissement, était soit inutile soit excessif.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres A.4.1. Dans leur mémoire, les appelantes devant la juridiction a quo déclarent qu'elles étaient préparées au régime de l'immunisation de la réserve d'investissement et ne pouvaient pas admettre que les règles du jeu fussent modifiées « en cours de partie », en raison de quoi elles ont avancé la date de clôture de leur exercice comptable.

Voilà qui confirme pleinement la thèse du Conseil des ministres selon laquelle, par leurs manoeuvres, les sociétés concernées se sont placées elles-mêmes, contre la volonté du législateur, dans la situation qui est la leur. Cette situation n'est pas imputable au législateur, mais aux intéressées elles-mêmes.

A.4.2. Les sociétés concernées avaient le droit de choisir la voie la moins taxée. Toutefois, lorsqu'une construction fiscale prend un tour défavorable, on ne saurait en faire le reproche à l'Etat belge.

Contrairement à ce qu'elles soutiennent dans leur mémoire, les sociétés concernées n'ont pas été punies rétroactivement, mais confrontées aux conséquences prévisibles de leur libre choix.

A.4.3. La Cour n'est pas saisie du problème de l'effet rétroactif de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982, mais seulement de la question de savoir si les articles 10 et 11 de la Constitution sont violés.

Les appelantes essaient de soumettre à la Cour une seconde question, qui n'a pas été posée. L'argumentation relative à une éventuelle violation du principe de la sécurité juridique n'est pas pertinente.

L'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 a spécialement été instauré en vue d'empêcher que l'impôt soit éludé. Les appelantes souhaitent que cette mesure soit considérée comme une violation de la sécurité juridique et partent du principe que contourner la loi fiscale est un droit qui doit être garanti par le législateur.

Il ne saurait être question ici d'une violation des articles 10 et 11 de la Constitution puisque les dispositions de l'arrêté royal n° 149 étaient applicables à tous les contribuables qui se trouvaient dans une situation similaire. - B - Quant à l'objet de la question préjudicielle B.1.1. La juridiction a quo pose la question de savoir si, en confirmant l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 en tant qu'il insère un paragraphe 4 dans l'article 15 de l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982, le législateur établit une discrimination en ce qu'il prive « les contribuables qui ont modifié après le 1er décembre 1981 la date de clôture de leurs comptes annuels, [...] contrairement aux contribuables qui ne l'ont pas fait, de toute mesure d'investissement fiscalement favorable (déduction pour investissement et réserve d'investissement) pour la période qui prend cours le 1er janvier 1982 et qui expire avant le 31 décembre 1982 ».

B.1.2. Devant la Cour, les parties ne peuvent pas modifier ou faire modifier le contenu de la question posée à celle-ci. La Cour limite son examen à la seule différence de traitement mentionnée dans la question préjudicielle.

Par conséquent, la Cour ne peut examiner la deuxième question préjudicielle que les appelantes ont proposée à la Cour d'appel de Gand, mais qui n'a pas été posée par cette juridiction.

Quant au fond B.2.1. A l'origine, les articles 23bis et 107bis du Code des impôts sur les revenus prévoyaient un régime de « réserve d'investissement » qui avait été instauré par la loi de redressement du 10 février 1981 relative aux dispositions fiscales et financières.

En vue de « l'amélioration de l'autofinancement des entreprises de manière à ce qu'il soit moins freiné par des charges d'intérêt trop lourdes », la possibilité avait été offerte « de constituer à concurrence d'un maximum de 5 p.c. des bénéfices nets, une réserve d'investissement libre d'impôt, qui doit être utilisée pour la production ou l'achat de nouveaux biens d'investissement » (Doc. parl., Chambre, 1980-1981, n° 716/8, p. 2, et Doc. parl., Sénat, 1980-1981, n° 577-2, p. 4).

B.2.2. La mesure originaire, qui prévoyait en faveur des sociétés et des entreprises d'une personne une immunisation de 5 p.c. tant des bénéfices distribués que des bénéfices réservés, avait, par l'article 58 de la loi-programme du 2 juillet 1981, été élargie de façon sélective aux sociétés, qui obtenaient en plus de l'immunisation générale de 5 p.c. une seconde immunisation pour une partie du bénéfice non distribué dont le pourcentage devait être déterminé par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, en respectant le maximum de 30 p.c. fixé par la loi (Doc. parl., Chambre, 1980-1981, n° 838/1, p. 16, Ann., Chambre, 27 mai 1981, p. 2127, et Doc. parl., Sénat, 1980-1981, n° 662-7, p. 10).

B.2.3. Dans leurs déclarations à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition 1982, les trois sociétés engagées dans la procédure devant la Cour d'appel avaient, par application d'un article 107bis du Code des impôts sur les revenus, déduit des montants comptabilisés comme réserve d'investissement.

Ces déclarations portaient sur les exercices comptables qui avaient été clôturés le 31 décembre 1981 pour chacune des sociétés.

B.3.1. L'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 « modifiant le Code des impôts sur les revenus en matière de déduction pour investissement, de plus-values et d'amortissements » a abrogé le régime précité de l'immunisation pour les réserves d'investissement à partir de l'exercice d'imposition 1983 et a remplacé celui-ci par un régime de « déduction pour investissement » régi par l'article 42ter du Code des impôts sur les revenus (actuellement les articles 68 et suivants du C.I.R. 1992).

Selon le rapport au Roi précédant l'arrêté royal précité, l'objectif était de « remplacer le régime actuel des incitants fiscaux par un nouveau système intégré en vertu duquel les entreprises auront la possibilité de diminuer leurs bénéfices imposables par une ' déduction pour investissement ', qui, au choix du contribuable, pourra s'appliquer selon deux méthodes » (Moniteur belge, 26 juin 1982, p. 7586).

Toujours selon ce rapport, le nouveau régime était « applicable aux investissements effectués à partir du 1er janvier 1982 ou, lorsqu'il s'agit de contribuables qui tiennent leur comptabilité autrement que par année civile, à partir du premier jour de l'exercice comptable dont les résultats sont imposables au titre de l'exercice d'imposition 1983 (exercice comptable 1981-1982 pour les personnes physiques et exercice comptable 1982-1983 pour les sociétés) (voy. article 15, § 1er, 2°, - partim - du projet) » (Moniteur belge, 26 juin 1982, p. 7587).

B.3.2. Les trois sociétés engagées dans la procédure devant la Cour d'appel ont décidé chacune le 26 novembre 1982 d'avancer du 31 décembre 1982 au 30 novembre 1982 la date de clôture de l'exercice comptable 1982 en cours.

Ensuite, elles ont introduit une seconde déclaration à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition 1982, relative à l'exercice comptable s'étendant du 1er janvier 1982 au 30 novembre 1982 (exercice d'imposition 1982 - exercice spécial).

B.3.3. Dans chacun des arrêts de renvoi, la Cour d'appel considère en des termes identiques que « dans les deux déclarations, l'appelante demanda l'immunisation de la réserve d'investissement; qu'il est établi que l'appelante, en modifiant la date de clôture de l'exercice comptable 1982, visait précisément à obtenir l'immunisation pour la réserve d'investissement constituée pour elle en 1982, et instaurée par la loi du 10 février 1981Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/02/1981 pub. 30/01/2014 numac 2014000049 source service public federal interieur Loi de redressement relative aux pensions du secteur social. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer (articles 23bis et 107bis C.I.R./ancien); que l'administration admit l'immunisation de la première réserve d'investissement, mais refusa celle de la seconde sur la base de l'article 2, § 4, précité de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982, dès lors que l'appelante avait, après le 1er décembre 1981, et plus précisément le 26 novembre 1982, modifié ses statuts en ce qui concerne la date de clôture de l'exercice comptable 1982 ».

B.4. La disposition sur la base de laquelle a été refusée la deuxième immunisation pour réserve d'investissement est libellée comme suit : « Toute modification, apportée à partir du 1er décembre 1981 aux dispositions statutaires concernant la date de clôture des comptes annuels, est considérée comme étant sans effet pour l'application des dispositions des articles 23bis et 107bis du Code des impôts sur les revenus, tels qu'ils existaient avant leur abrogation par le présent arrêté. » Cette disposition a été insérée comme quatrième paragraphe dans l'article 15 de l'arrêté royal n° 48 précité du 22 juin 1982, par l'article 2 de l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982 « modifiant le Code des impôts sur les revenus et l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 modifiant le Code des impôts sur les revenus en matière de déduction pour investissement, de plus-values et d'amortissements » (Moniteur belge, 19 janvier 1983, p. 855).

Cette disposition a été confirmée par l'article 11 de la loi du 1er juillet 1983, lequel fait l'objet de l'actuelle question préjudicielle.

B.5. La Cour doit examiner en l'espèce si les contribuables qui ont modifié la date de clôture de leurs comptes annuels - comme les appelantes devant la juridiction a quo - ne font pas l'objet d'une discrimination en tant qu'on leur refuse à la fois l'immunisation pour les réserves d'investissement et la déduction pour investissement en ce qui concerne la période qui prend cours le 1er janvier 1982 et qui expire avant le 31 décembre 1982.

B.6. La loi du 1er juillet 1983 avait pour objet de confirmer les arrêtés pris en exécution de l'article 2 de la loi de pouvoirs spéciaux du 2 février 1982, en ce compris l'arrêté royal n° 149 précité du 30 décembre 1982 en tant qu'il visait « à éviter les manoeuvres d'évasion fiscale, toute modification concernant la clôture des comptes annuels étant sans effet pour l'application de l'immunité de la réserve d'investissement antérieure » (Doc. parl., Sénat, 1982-1983, n° 450-1, p. 11).

Dans le rapport au Roi précédant l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982, il est dit en ce qui concerne l'objectif de l'article 2 : « En second lieu, l'article 2 tend à éviter que, par la modification de leurs statuts en ce qui concerne la date de clôture de l'exercice comptable 1982, diverses sociétés essaient d'obtenir le droit à l'immunité de réserves d'investissement pour deux exercices comptables (notamment pour l'exercice comptable qui correspond à l'année civile 1981 et pour l'exercice comptable qui commence le 1er janvier 1982 pour finir lors de la nouvelle date de clôture, avant le 31 décembre 1982), qui sont tous deux rapportés à l'exercice d'imposition 1982.

Pour éviter que dans ces cas l'immunité d'impôt pour réserve d'investissement ne soit accordée pour deux périodes imposables - ce qui est contraire à l'esprit du texte - l'article 15 de l'arrêté royal n° 48 [du 22 juin 1982] doit être adapté de manière telle que toute modification apportée à partir du 1er décembre 1981 aux dispositions statutaires concernant la date de clôture de l'exercice comptable soit sans effet pour l'application de la disposition relative à l'immunité de la réserve d'investissement, comme elle existait avant qu'elle ne soit remplacée par la déduction pour investissement (article 15, § 4 - nouveau -, de l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982).» B.7. Il ressort de ce qui précède que l'objectif était de faire en sorte que le régime de l'immunisation pour réserve d'investissement instauré par la loi de redressement du 10 février 1981 soit remplacé, à partir de l'exercice d'imposition 1983, par un régime de déduction pour investissement.

Il appartient au législateur d'apprécier si un régime d'immunisation fiscale instauré par lui doit être maintenu ou non ou être remplacé par un autre régime et, ce faisant, de déterminer pour quelle période et dans quelles conditions un régime est applicable et à partir de quelle période et dans quels cas il est abrogé ou remplacé.

Le cas échéant, il peut en outre prendre des mesures pour mettre en échec les procédés par lesquels des contribuables obtiendraient une exonération pour une période non visée par le législateur.

S'il en résulte cependant une différence de traitement entre des catégories de contribuables, la Cour doit examiner si cette différence peut se justifier objectivement et raisonnablement au regard de l'objectif poursuivi.

B.8. Le critère de distinction entre sociétés selon qu'elles ont modifié ou non à partir du 1er décembre 1981 leurs dispositions statutaires concernant la date de clôture des comptes annuels est objectif et en rapport avec le souci d'éviter que les sociétés qui ont procédé à cette modification continuent de bénéficier de l'immunisation pour réserve d'investissement pour la période pouvant être rattachée à l'exercice d'imposition 1982 par la clôture anticipée de l'exercice comptable.

Qu'aucune immunisation pour réserve d'investissement ne soit accordée pour une deuxième année comptable rattachée à un exercice d'imposition antérieur par suite d'une modification de la date de clôture, est conforme à l'objectif poursuivi par la disposition en cause et n'est pas disproportionné par rapport à celui-ci.

B.9. Il apparaît toutefois que la mesure est interprétée en ce sens qu'elle n'a pas seulement pour effet de priver les sociétés visées de l'immunisation pour réserve d'investissement en ce qui concerne la période en question, mais a également pour conséquence que ces sociétés ne peuvent pas davantage prétendre au bénéfice de la déduction pour investissement au titre de cette même période, bien que cette période soit en principe rattachée à l'exercice d'imposition 1983 et que l'objectif fût de rendre le nouveau régime applicable à partir du premier jour soit de l'année soit de l'exercice comptable dont les bénéfices sont imposables pour l'exercice d'imposition 1983.

Ainsi interprétée, la mesure va plus loin que ce qui est nécessaire pour réaliser l'objectif indiqué ci-dessus.

Il s'ensuit que la mesure adoptée - qui est en soi objectivement et raisonnablement justifiée en tant qu'elle empêche les sociétés qui ont anticipé la date de clôture de leur exercice comptable d'obtenir une immunisation de la réserve d'investissement pour une deuxième période rattachée à l'exercice d'imposition 1982 - est, par ses effets, disproportionnée à l'objectif de la norme et discrimine les sociétés qui ont anticipé la date de clôture de leur exercice comptable en tant qu'elles ne pourraient non plus obtenir la déduction pour investissement au titre de l'exercice comptable en question.

Dans cette mesure, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 11 de la loi du 1er juillet 1983 portant confirmation des arrêtés royaux pris en exécution de l'article 2 de la loi du 2 février 1982 attribuant certains pouvoirs spéciaux au Roi viole les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il confirme l'arrêté royal n° 149 du 30 décembre 1982, en ce que celui-ci insère dans l'article 15 de l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982 un paragraphe 4 ayant pour effet de priver les contribuables qui ont modifié après le 1er décembre 1981 la date de clôture de leurs comptes annuels de toute mesure d'investissement fiscalement favorable (déduction pour investissement et réserve d'investissement) pour la période qui prend cours le 1er janvier 1982 et qui expire avant le 31 décembre 1982.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 18 novembre 1997, par le siège précité, dans lequel le juge J. Delruelle est remplacé, pour le prononcé, par le juge R. Henneuse, conformément à l'article 110 de la même loi.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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