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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 21 mai 1998

Arrêt n° 26/98 du 10 mars 1998 Numéro du rôle : 1095 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 23 des lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l'emploi des langues en matière administrative, posée par le Conseil d'Etat. La C composée du président L. De Grève, du juge L. François, faisant fonction de président, et des juges(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 26/98 du 10 mars 1998 Numéro du rôle : 1095 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 23 des lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l'emploi des langues en matière administrative, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée du président L. De Grève, du juge L. François, faisant fonction de président, et des juges H. Boel, G. De Baets, E. Cerexhe, A. Arts et R. Henneuse, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt n° 66.229 du 14 mai 1997 en cause de la commune de Linkebeek contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 27 mai 1997, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 6 et 6bis de la Constitution violent-ils les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, et plus particulièrement leur article 23, en tant que celles-ci (lire : font défense) à un mandataire communal de Linkebeek ou de l'une des cinq autres communes à facilités de la périphérie d'exposer en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou plus généralement de faire des observations et des interventions orales en français durant la séance et en tant qu'elles interdiraient par conséquent aux électeurs de ces six communes d'exercer leur contrôle démocratique sur leurs élus ? » II. Les faits et la procédure antérieure 1. L'ordre du jour de la séance du conseil communal de la commune de Linkebeek du 7 mai 1990 comportait 10 points.Selon le rapport du 8 mai 1990 du commissaire d'arrondissement H. Nys, huit points de l'ordre du jour furent introduits, par le bourgmestre ou par un échevin, en néerlandais et en français. Il fut répondu, par le bourgmestre ou par un échevin, en néerlandais aux questions posées par les conseillers communaux dans cette langue, et en français aux questions posées en français. 2. Le 9 mai 1990, le ministre communautaire flamand des Affaires intérieures et de la Fonction publique annula huit décisions prises par le conseil communal.Cette décision est motivée comme suit : « Attendu que, conformément à l'article 23 de l'arrêté royal du 18 juillet 1966 portant coordination des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, tout service local établi dans les communes périphériques utilise exclusivement la langue néerlandaise dans le service intérieur;

Attendu que le bourgmestre, lorsqu'il préside le conseil communal, agit en tant qu'autorité administrative individuelle;

Attendu que, dans l'accomplissement d'un tel acte d'administration, le bourgmestre est tenu d'utiliser la langue de la région;

Attendu que l'introduction d'un point de l'ordre du jour et l'explication d'un point de l'ordre du jour par le bourgmestre ou par un autre membre du collège des bourgmestre et échevins à l'intention des membres du conseil communal constitue un élément essentiel d'un processus décisionnel complexe;

Attendu que l'introduction constitue en outre un élément essentiel d'un processus décisionnel correct et démocratique;

Attendu qu'il est donc nécessaire d'annuler la décision, vu qu'une objection d'illégalité pèse, en l'espèce, sur l'élément précité » L'arrêté d'annulation fut notifié le même jour à la commune et publié par extrait au Moniteur belge du 14 juillet 1990. 3. Par requête envoyée par lettre recommandée à la poste le 6 juillet 1990, la commune de Linkebeek demanda au Conseil d'Etat l'annulation de la décision ministérielle précitée. 4. Par arrêt n° 59.101 du 17 avril 1996, le Conseil d'Etat rouvrit les débats et chargea le membre de l'auditorat désigné par l'auditeur général de clôturer l'instruction de l'affaire. 5. Dans son rapport complémentaire du 17 septembre 1996, l'auditeur indiqua que la partie requérante demandait, dans son troisième moyen, qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour.6. Dans l'arrêt posant la question préjudicielle, la question soulevée par la partie requérante est reproduite littéralement. III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 27 mai 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 13 juin 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 14 juin 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 7 juillet 1997; - la commune de Linkebeek, par lettre recommandée à la poste le 11 juillet 1997; - M. Desguin, rue de la Brasserie 73, 1630 Linkebeek, par lettre recommandée à la poste le 11 juillet 1997; - J. Grégoire, rue de la Longue Haie 102, 1630 Linkebeek, par lettre recommandée à la poste le 11 juillet 1997; - le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 14 juillet 1997; - le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 29 juillet 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 23 septembre 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Gouvernement flamand, par lettre recommandée à la poste le 21 octobre 1997; - le Gouvernement de la Communauté française, par lettre recommandée à la poste le 22 octobre 1997; - la commune de Linkebeek, par lettre recommandée à la poste le 23 octobre 1997; - M. Desguin, par lettre recommandée à la poste le 23 octobre 1997; - J. Grégoire, par lettre recommandée à la poste le 23 octobre 1997.

Par ordonnance du 28 octobre 1997, la Cour a prorogé jusqu'au 27 mai 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 17 décembre 1997, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 21 janvier 1998, après avoir reformulé la question préjudicielle.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 18 décembre 1997.

A l'audience publique du 21 janvier 1998 : - ont comparu : . Me L. De Coninck loco Me D. Lagasse et Me M. Uyttendaele, avocats au barreau de Bruxelles, pour la commune de Linkebeek, et Me E. Maron, avocat au barreau de Bruxelles, pour M. Desguin et pour J. Grégoire; . Me B. Staelens, avocat au barreau de Bruges, pour le Gouvernement flamand; . Me E. Brewaeys, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; . Me D. De Bruyn loco Me M. Verdussen, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté française; - les juges-rapporteurs H. Boel et E. Cerexhe ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire du Conseil des ministres A.1.1. Dans son arrêt du 2 mars 1987, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que le système électoral qui entraîne la nécessité, pour les minorités linguistiques, d'accorder leurs suffrages à des personnes qui sont aptes et prêtes à user de la langue de leur région ne menace pas forcément les intérêts de ces minorités, surtout pas lorsque l'ordre politique et juridique fournit diverses garanties.

Dans son arrêt du 23 juillet 1968, la Cour européenne des droits de l'homme avait considéré que la législation visée sur la langue de l'enseignement tend, dans la région de langue néerlandaise, à décourager la création ou le maintien d'écoles où l'enseignement se dispenserait exclusivement en français. On ne saurait considérer une telle mesure comme arbitraire. Elle repose, tout d'abord, sur cet élément objectif que constitue la région. Elle s'inspire en outre d'un intérêt général, celui d'assurer que tous les établissements scolaires dépendant de l'Etat et existant dans une région unilingue dispensent leur enseignement dans la langue qui est, au premier chef, celle de la région. La Cour précitée estime aussi que l'article 14 de la Convention ne saurait signifier que le sujet de droit puisse exiger le respect du droit à l'enseignement dans la langue de son choix.

Dans son arrêt n° 18/90 du 23 mai 1990, la Cour d'arbitrage a estimé qu'en imposant des conditions de connaissances linguistiques aux présidents et membres du conseil de l'aide sociale ainsi qu'aux bourgmestres, échevins et conseillers communaux des communes de la frontière linguistique et des communes périphériques, le législateur tendait à assurer la sécurité juridique dans les communes où s'est développé un contentieux portant sur les connaissances linguistiques des mandataires locaux. Les dispositions dont il s'agit ne violent donc ni l'article 6 ni l'article 6bis de la Constitution (désormais les articles 10 et 11). Les mesures prises se justifient par l'intention de sauvegarder un intérêt public supérieur, pourvu qu'elles puissent être raisonnablement considérées comme n'étant pas disproportionnées à l'objectif général poursuivi par le législateur.

A.1.2. En ce qui concerne l'emploi des langues en matière administrative, il y a lieu d'appliquer le principe de territorialité.

Ce dernier a reçu une confirmation constitutionnelle en 1970 par la division territoriale de la Belgique en quatre régions linguistiques (article 4 de la Constitution). Cette division constitutionnelle en régions linguistiques signifie davantage qu'une simple division géographique. Elle constitue la garantie constitutionnelle de la priorité de la langue de la région linguistique unilingue et de l'égalité totale des deux langues dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. La langue de la région est la langue de l'administration. Les facilités valent exclusivement en faveur du citoyen et non pas en faveur des dirigeants (Conseil d'Etat, n° 12.510, 4 juillet 1967). L'article 4 de la Constitution comporte une restriction de la compétence des législateurs en matière d'emploi des langues et constitue ainsi la garantie constitutionnelle de la primauté de la langue de la région unilingue ou du caractère bilingue de la région (Cour d'arbitrage, n° 17, 26 mars 1986).

A.1.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La possibilité pour les électeurs de superviser un élu n'implique pas que les élus doivent s'exprimer dans la langue des électeurs. Il existe d'autres possibilités de contrôler l'élu.

Une éventuelle discrimination entre les mandataires communaux de Linkebeek (ou les mandataires d'autres communes à facilités) et les autres mandataires communaux belges ne saurait être invoquée. En effet, le traitement différent découle du fait qu'il s'agit ici des communes de la périphérie de Bruxelles, dotées d'un statut particulier en matière d'emploi des langues. Il est du reste inexact d'affirmer que les mandataires communaux d'autres communes peuvent utiliser sans aucune restriction une autre langue nationale pour commenter un point de l'ordre du jour ou pour faire une intervention verbale, dès lors qu'en vertu de l'article 10 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, seule la langue de la région peut être utilisée pour ces autres communes.

A.1.4. Plaise à la Cour de dire pour droit que l'article 23 des lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l'emploi des langues en matière administrative ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Mémoires de M. Desguin, de J. Grégoire et de la commune de Linkebeek A.2.1. M. Desguin, J. Grégoire et la commune de Linkebeek ont introduit des mémoires - les deux premiers en français et la dernière en néerlandais - qui sont identiques, excepté pour ce qui concerne l'intérêt.

M. Desguin et J. Grégoire invoquent leur qualité de francophones et d'électeurs de la commune de Linkebeek. Ils ont intérêt à pouvoir opérer un contrôle démocratique sur l'action des conseillers communaux. Ils ont en particulier intérêt, lorsqu'ils assistent aux séances du conseil communal, à bénéficier des traductions de l'ordre du jour ou des débats qui sont faites par le bourgmestre ou un autre membre du collège. Dans un système démocratique, les électeurs sont directement concernés par les conditions que doivent remplir les mandataires élus (arrêts nos 18/90, 9/89, 26/90 et 90/94). Il en va a fortiori ainsi quand, comme en l'espèce, une obligation faite au mandataire politique interdit en réalité à l'électeur d'exercer pleinement son droit de contrôle de l'action des gouvernants.

A.2.2. Il convient, d'emblée, en particulier dans la version française de la question, de relever une inexactitude. Il va de soi que la question qui est réellement posée n'est pas de savoir si les anciens articles 6 et 6bis (actuellement les articles 10 et 11) de la Constitution sont conformes aux lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, et plus particulièrement à leur article 23, mais bien de déterminer si les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, et plus particulièrement leur article 23, sont conformes aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Il s'agit, de toute évidence, de la seule manière logique d'interpréter la question posée et c'est d'ailleurs là la réponse qui doit être donnée au Conseil d'Etat pour qu'il puisse valablement trancher le litige pendant devant lui. Au mémoire est annexée une attestation d'un traducteur juré qui révèle bien que la question posée vise à vérifier la conformité des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative et plus particulièrement leur article 23 aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Les auteurs des mémoires ne manqueront d'ailleurs pas, si la Cour ne devait pas requalifier, en tout cas dans sa traduction française, la question posée, de solliciter, à nouveau, du Conseil d'Etat qu'il interroge la Cour à titre préjudiciel afin d'obtenir la réponse attendue.

A.2.3. Dans ses arrêts n° 22.186 du 6 avril 1981 et n° 23.282 du 24 mai 1983, le Conseil d'Etat (chambres néerlandophones) a abordé le problème de l'emploi des langues par les mandataires politiques au sein d'un conseil communal. Il a estimé que l'autorité communale, y compris les conseillers communaux agissant individuellement, sont, en vertu de la Constitution, tenus d'utiliser en principe pour tous leurs actes administratifs la langue néerlandaise dans la région de langue néerlandaise, en ce compris dans les communes périphériques. Le Conseil d'Etat a, dès lors, considéré qu'il ne pouvait être fait de traduction ni de l'ordre du jour, ni de notes justificatives, ni des explications données par le collège, ni de ce qui s'y est dit en général. Pour le surplus, il a relevé que toute intervention orale au sein du conseil communal doit rester sans suite s'il n'a pas été fait usage de la langue néerlandaise. Dans son arrêt n° 23.282, le Conseil d'Etat a annulé la circulaire du gouverneur de la province de Brabant qui prévoyait qu'au cours des débats et scrutins, les mandataires de ces assemblées pouvaient s'exprimer dans la langue de leur choix.

La jurisprudence précitée se fonde essentiellement sur l'article 4 de la Constitution, ainsi que sur l'esprit et l'économie générale de la législation sur l'emploi des langues en matière administrative. Si l'article 23 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative a été évoqué par le Conseil d'Etat, il ne s'agissait pas de l'élément central de son argumentation pour imposer l'usage exclusif de la langue néerlandaise dans les délibérations des conseils communaux des communes périphériques. Or, la Cour, dans son arrêt du 26 mars 1986, a déclaré qu'en soi, l'article 4 de la Constitution n'entraîne pas de transformation de l'ordonnancement juridique et qu'il ne peut se déduire de cet article que celui-ci imposerait directement, par son effet propre, des obligations en matière d'emploi des langues ou une exigence de connaissances linguistiques dans le chef des mandataires publics. Par ailleurs, le législateur lui-même, dans la loi du 9 août 1988, a remis en cause la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat en fixant de manière expresse les règles qui régissaient les connaissances linguistiques des mandataires politiques, de sorte qu'il faut en conclure que ces obligations ne découlent pas directement de l'article 4 de la Constitution.

On ne saurait déduire de la loi du 9 août 1988 qu'elle aurait pour effet d'imposer l'utilisation exclusive de la langue de la région dans les assemblées délibérantes des communes à statut linguistique spécial. Cette loi concerne, en effet, des personnes et non des actes.

Elle vise des autorités politiques, et non des autorités administratives. Elle impose des règles qui ont trait à l'éligibilité des mandataires, et non à l'emploi des langues par ceux-ci. Il a été précisé à plusieurs reprises dans les travaux préparatoires de cette loi que celle-ci ne concernait pas l'utilisation de la langue au sein de l'assemblée délibérante. L'arrêt de la Cour du 23 mai 1990 n'a en rien contredit cette interprétation.

Compte tenu des positions respectivement adoptées par la Cour et par le législateur fédéral, l'interdiction qui serait faite à des mandataires politiques de s'exprimer dans la langue de leur choix lors des travaux des assemblées délibérantes des communes à statut linguistique spécial, dont se prévaut le Gouvernement flamand, ne peut pas reposer (dans les mémoires de M. Desguin et J. Grégoire : « ne pourrait plus reposer que ») sur les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, et plus particulièrement sur leur article 23.

A.2.4. La question du champ d'application des lois sur l'emploi des langues en matière administrative s'était déjà posée en 1932. Il a alors été décidé que la loi s'appliquait à toutes les administrations de l'Etat, commissions et institutions rattachées aux départements ministériels, ainsi qu'à divers établissements publics expressément assimilés aux administrations de l'Etat. De même, elle trouvait à s'appliquer à l'égard des administrations et autorités publiques subordonnées, telles que les régies, les services concédés, les établissements publics ou d'intérêt public et, en général, toutes les administrations et autorités publiques subordonnées.

Une lecture attentive des travaux préparatoires et du texte de la loi du 28 juin 1932 permet de déduire que le législateur n'entendait pas imposer l'usage d'une langue déterminée pour les délibérations d'un organe politique, tel un conseil communal. Au contraire, sont seuls visés les actes des administrations publiques ou des institutions - ou organes - qui peuvent y être assimilés. Il ne fait guère de doute que les bourgmestres, les échevins et les conseillers communaux n'étaient pas considérés comme des administrations au sens de l'article 1er de la loi du 28 juin 1932. On remarquera que dans la loi du 28 juin 1963, la formulation utilisée dans la loi du 28 juin 1932 a été abandonnée.

En effet, la nouvelle législation ne s'applique plus à toutes les administrations de l'Etat et aux administrations et autorités publiques subordonnées, mais aux services publics centralisés et décentralisés de l'Etat, des provinces et des communes.

Bien que le ministre de l'Intérieur ait affirmé, au cours des travaux préparatoires de la loi de 1963 sur l'emploi des langues en matière administrative, que la notion de service public devait être comprise dans un sens large, il ne disait rien de nouveau par rapport à ce qui avait déjà été déclaré en 1932. A aucun moment il n'a été question de modifier les conditions d'éligibilité ou de nomination des mandataires publics et de leur imposer des obligations linguistiques. La loi de 1963 était un texte de compromis résultant de négociations entre le Gouvernement et les parlementaires francophones et néerlandophones.

L'objectif poursuivi était d'assurer un règlement durable des relations entre Wallons et Flamands. Cela exigeait qu'on trouve le plus grand dénominateur des revendications divergentes. Il est inimaginable que les parlementaires francophones aient accepté, à cette occasion, d'interdire l'usage de la langue française dans les communes à statut linguistique spécial alors que, de manière constante, ils ont estimé que ces mandataires pouvaient s'exprimer dans la langue de leur choix.

Cette thèse a d'ailleurs été confirmée par les francophones de la section de législation du Conseil d'Etat qui ont affirmé que, sous l'empire de la loi de 1963 sur l'emploi des langues en matière administrative et jusqu'aux premiers arrêts du Conseil d'Etat qui ont fait état en la matière de l'article 4 de la Constitution, il n'a jamais été soutenu que les interventions individuelles des mandataires appelés à siéger au sein d'un organe collégial de l'Etat, des provinces ou des communes devaient être qualifiées d'actes de l'autorité publique, au sens de l'article 30 de la Constitution, ou que leurs auteurs devaient être considérés comme des « services » au sens de l'article 1er des lois sur l'emploi des langues en matière administrative. S'il en avait été autrement, point n'aurait été besoin d'invoquer l'article 4 de la Constitution. La Cour n'a rien affirmé d'autre dans son arrêt du 26 mars 1986. Lorsqu'un mandataire politique siège dans un organe collégial, il n'est pas considéré comme une autorité administrative individuelle puisqu'il agit, non pas individuellement, mais en tant que membre de ce collège. L'idée même de la représentation politique et l'esprit d'un régime d'élections libres s'opposent à toute forme d'absorption du représentant dans l'organe au sein duquel il est appelé à siéger.

Il est donc impossible de déduire des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, et plus particulièrement de leur article 23, qu'il est fait défense à un mandataire communal de l'une des communes de la périphérie d'exposer en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal, ou plus généralement de faire des observations et des interventions orales en français durant la séance. Les lois sur l'emploi des langues en matière administrative n'interdisent nullement aux électeurs desdites communes d'exercer leur contrôle démocratique sur les élus. Elles ne sont, dès lors, en rien contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution.

A.2.5. A titre subsidiaire, il convient d'examiner l'interprétation contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution que la partie défenderesse devant le Conseil d'Etat réserve à l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative.

A.2.5.1. Dans l'interprétation du ministre flamand, l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative interdirait l'usage de la langue française par les conseillers communaux des six communes à statut linguistique spécial de la périphérie bruxelloise, et cela même lorsqu'il s'agit simplement d'opérer une traduction des points à l'ordre du jour ou de donner, à l'intention du public, des indications en langue française sur les points qui sont débattus devant le conseil. Si cette interprétation devait être retenue, elle violerait les articles 10 et 11 de la Constitution.

Dans cette interprétation, les électeurs francophones des communes à statut linguistique spécial de la périphérie bruxelloise subissent un traitement discriminatoire et ce non seulement par rapport aux électeurs francophones de la région de langue française ou de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, mais également par rapport aux électeurs néerlandophones des mêmes communes. En effet, ceux-ci sont en mesure d'opérer un contrôle démocratique sur l'action de l'ensemble des conseillers communaux, que ceux-ci aient été élus sur des listes néerlandophones ou sur des listes qui, essentiellement ou exclusivement, comprennent des candidats francophones. On notera aussi que les élus francophones eux-mêmes subissent un traitement discriminatoire par rapport aux élus francophones de la région de langue française ou de la région bilingue de Bruxelles-Capitale et par rapport aux élus néerlandophones des mêmes communes en tant qu'il leur est interdit de s'exprimer dans une langue qui soit comprise de leur électeurs.

Il en va d'autant plus ainsi si l'on se reporte à d'autres dispositions constitutionnelles ou principes consacrés par des dispositions de droit international qui ont des effets directs sur l'ordre juridique interne. L'existence de populations francophones importantes dans les six communes à statut linguistique spécial de la périphérie bruxelloise est consacrée en droit positif belge. En effet, la législation sur l'emploi des langues accorde à ces populations des « facilités linguistiques ». Plus fondamentalement encore, l'existence de ces facilités linguistiques a été consacrée par la Constitution elle-même. Ainsi, l'article 129, § 2, de la Constitution dispose que pour les communes ou groupes de communes contigus à une autre région linguistique et où la loi prescrit ou permet l'emploi d'une autre langue que celle de la région dans laquelle ils sont situés, une modification aux règles sur l'emploi des langues ne peut être apportée que par une loi adoptée à la majorité spéciale. Il en résulte, dès lors, qu'une loi, a fortiori une loi votée à la majorité ordinaire, ne pourrait avoir pour effet de priver certains groupes de la population du droit le plus élémentaire qui consiste à exercer un contrôle démocratique sur l'action de leurs mandataires, et cela en tout cas lorsque celui-ci s'avère possible du fait de la volonté desdits mandataires de s'exprimer dans leur langue.

On notera, en outre, qu'en droit public belge, l'organisation du système électoral se caractérise depuis 1831 par la volonté que les assemblées politiques élues soient les plus représentatives de la diversité du corps électoral. Ainsi a-t-on successivement supprimé le système de représentation majoritaire au profit du système de représentation proportionnelle, et a-t-on baissé le cens électoral, introduit le vote plural, puis le suffrage universel d'abord au bénéfice des hommes, puis ensuite au bénéfice des femmes et, enfin, on a abaissé l'âge de la majorité électorale.

La section de législation du Conseil d'Etat a observé à propos de la proposition de loi Galle : « Lorsque l'attachement d'une fraction importante du corps électoral à une langue déterminée se manifeste au point de s'exprimer sous la forme de mouvements et de partis politiques, il est dans la ligne de cette évolution de permettre aux représentants d'une telle tendance d'être élus sans contrainte et d'exprimer, dans cette langue, la volonté de leurs électeurs. Il doit en être particulièrement ainsi dans les communes auxquelles le législateur a expressément accordé des facilités linguistiques. » L'interdiction pour certains mandataires élus d'utiliser la langue de leurs électeurs dans l'exercice de leurs fonctions apparaît également comme un traitement discriminatoire qui est incompatible avec les principes généraux du système électoral belge, fondé sur le suffrage universel. Il est absurde d'autoriser les citoyens à utiliser leur langue dans leurs rapports avec l'administration et d'interdire dans le même temps à leurs mandataires de s'exprimer, lors des séances des assemblées délibérantes, dans leur langue, ce qui permettrait ainsi à ces citoyens d'opérer un contrôle sur leur action.

Il est également permis à cet égard de se référer au texte de compromis que constitue la loi de pacification linguistique du 9 août 1988. En instituant, dans les communes à statut linguistique spécial, un mécanisme de « présomption irréfragable » de connaissances linguistiques au bénéfice de tous les élus directs, et en particulier des conseillers communaux, le législateur a entendu protéger ceux-ci et rendre impossible tout débat juridictionnel relatif à leur connaissance de la langue de la région.Dans cette perspective, il est particulièrement malvenu de solliciter abusivement le texte des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative afin de leur faire exprimer une obligation exclusive d'usage d'une langue que ces élus peuvent, en raison de la présomption irréfragable évoquée plus haut, ne pas connaître. Il en va d'autant plus ainsi lorsque la décision finalement prise par l'organe collégial est adoptée dans la langue de la région.

Il est permis également de se référer à l'article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, qui fait obligation à la Belgique d'organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix de son corps législatif. Autrement dit, cette disposition, combinée avec les articles 10 et 11 de la Constitution, interdit à la Belgique toute discrimination, fondée notamment sur la langue, dans la fixation des conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Cette liberté implique, à tout le moins, que les citoyens puissent comprendre les débats de leurs assemblées délibérantes.

De même, l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques impose aux Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques de faire en sorte que les personnes appartenant à ces minorités ne puissent être privées du droit d'avoir en commun avec les autres membres de leur groupe leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. Une fois encore, ces dispositions combinées avec les articles 10 et 11 de la Constitution révèlent la discrimination engendrée par l'interprétation de l'article 23 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative qu'adopte le ministre qui a pris l'acte attaqué devant le Conseil d'Etat.

On soulignera enfin que ces principes ont été confirmés lors des travaux préparatoires de la loi du 9 août 1988.

A cet égard, l'extrait suivant mérite d'être mentionné : « Un commissaire pose la question à propos de la portée de ce qui figure dans l'exposé des motifs, à savoir l'absence d'effets juridiques de l'intervention orale dans les assemblées délibérantes.

Il estime que ce texte signifie : a) Qu'aucune conséquence juridique ne peut être attachée à une intervention qui aurait été effectuée dans une autre langue que celle de la Région;b) Que cette intervention ne peut être transcrite au procès-verbal; Ce texte n'exclut pas que dans la discussion un mandataire s'exprime dans une autre langue que celle de la Région; cette intervention ne peut influencer la validité de la délibération. Une telle intervention ne peut avoir d'effets juridiques, elle n'est dès lors pas punissable.

Le Vice-Premier Ministre marque son accord. » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988-1989, n° 371/2, pp. 156 et 157) A.2.5.2. Le caractère légitime de l'intention du législateur qui a consisté déjà en 1932 et a fortiori en 1963 à créer des régions linguistiques unilingues, avec un certain nombre de conséquences sur le fonctionnement des administrations internes, ne saurait être mis en doute. On n'aperçoit nulle part dans les intentions du législateur de l'époque la volonté de réduire la liberté d'expression des mandataires politiques, ni a fortiori de remettre en cause la faculté réservée aux électeurs de se faire une opinion sur l'action de leurs mandataires en assistant aux séances des organes délibératifs, et plus particulièrement en pouvant prendre connaissance, dans leur langue, d'une partie de ces débats. A supposer, contre toute attente, qu'il soit démontré que le législateur a eu un autre objectif, et plus particulièrement de restreindre la liberté des mandataires politiques de s'exprimer dans leur langue dans les organes délibératifs, il y aurait tout lieu de douter de la légitimité du but poursuivi dès lors que serait ici mis en cause l'exercice d'un droit démocratique essentiel, à savoir la liberté d'expression du mandataire politique et le droit de chaque électeur de contrôler l'action de celui-ci.

A.2.5.3. La liberté linguistique est consacrée par l'article 30 de la Constitution qui dispose que : « l'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires ». S'agissant d'une liberté, toute limitation doit, de toute évidence, être d'interprétation restrictive et résulter d'un texte exprès, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

En tout état de cause, on relèvera que dans l'espèce qui a donné lieu à la procédure pendante devant le Conseil d'Etat, les griefs retenus à l'encontre de la commune de Linkebeek ne consistaient pas en ce que les décisions prises par le conseil communal l'aient été en français, ni même à ce que les débats se soient tenus exclusivement dans cette langue, mais portaient simplement sur le fait qu'une traduction des points de l'ordre du jour avait été faite par le bourgmestre ou un autre membre du conseil à l'intention du public francophone et que certains éléments d'explication à propos de ces points avaient été fournis en langue française.

A supposer, ce qui est vivement contesté, que les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative et plus particulièrement leur article 23 auraient pour effet de contraindre les mandataires politiques à s'exprimer exclusivement en langue néerlandaise, et que l'objectif du législateur soit de garantir au maximum, même dans des communes dotées d'un statut linguistique spécial, l'usage de la langue néerlandaise, on constatera que dans l'interprétation ainsi donnée, il y a manifestement violation du principe de proportionnalité.

On n'aperçoit pas, en effet, en quoi la volonté d'homogénéité linguistique, à la supposer légitimement fondée, serait mise en échec par le fait que, de manière surabondante, des traductions en français des points de l'ordre du jour ou d'une partie des débats soient livrées au public francophone. Une telle démarche ne remet nullement en cause le caractère unilingue de la région puisque les décisions sont prises dans la langue de la région et que l'ordre du jour lui-même est établi dans cette langue. La méconnaissance du principe de proportionnalité est d'autant plus patente que l'interprétation en cause de l'article 23 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative heurte des principes fondamentaux de tout ordre juridique démocratique, à savoir le contrôle démocratique sur l'action des élus, la liberté linguistique des élus et la protection des minorités, à savoir des droits et libertés consacrés par des dispositions internationales qui ont des effets directs dans notre ordre juridique interne.

A.2.6. Plaise à la Cour de déclarer, à titre principal, que les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, et plus particulièrement leur article 23, ne méconnaissent en rien les articles 10 et 11 de la Constitution dès lors qu'il apparaît que ni ces lois ni cet article n'interdisent à un mandataire communal de Linkebeek ou de l'une des cinq autres communes à facilités de la périphérie bruxelloise d'exposer en français un point à l'ordre du jour lors de la séance du conseil communal ou plus généralement de faire des observations et des interventions orales en français durant ces séances.

A titre subsidiaire, plaise à la Cour de constater que s'il devait être considéré que les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, et plus particulièrement leur article 23, font défense à un mandataire communal de Linkebeek ou de l'une des cinq autres communes à facilités de la périphérie bruxelloise d'exposer en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou plus généralement de faire des observations et des interventions orales en français durant la séance, ces dispositions législatives méconnaissent les articles 10 et 11 de la Constitution.

Mémoire du Gouvernement de la Communauté française A.3.1. Il semble que la question doive, en réalité, être lue de la manière suivante : « Les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, et plus particulièrement l'article 23 de ces lois, violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'elles font défense à un mandataire communal de Linkebeek ou de l'une des cinq autres communes à facilités de la périphérie d'exposer en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou plus généralement de faire des observations et des interventions orales en français durant la séance et tant qu'elles interdiraient par conséquent aux électeurs de ces six communes d'exercer leur contrôle démocratique sur leurs élus ? » A.3.2. Par son mémoire, le Gouvernement de la Communauté française entend manifester sa volonté d'intervenir dans la procédure en question. Il se réserve le droit de développer son argumentation dans un mémoire en réponse.

Mémoire du Gouvernement flamand A.4.1. Il est évident que la Cour d'arbitrage n'est pas compétente pour contrôler la Constitution au regard de la loi. De surcroît, la Constitution ne saurait violer la loi, eu égard à la hiérarchie des normes. La question préjudicielle posée par la partie requérante est irrecevable.

A.4.2. Subsidiairement, il convient d'observer que le Conseil d'Etat applique l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative conformément à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, à savoir qu'un bourgmestre doit, en tant qu'autorité administrative individuelle, employer la langue de la région linguistique. Etant donné que le bourgmestre avait employé la langue d'une autre région linguistique pour un élément essentiel du processus décisionnel, les délibérations du conseil communal ont été annulées. C'est cette décision qui est à l'origine de la question préjudicielle posée.

La partie requérante a toutefois formulé sa question préjudicielle de façon beaucoup plus large. Si l'on considère qu'il est demandé si le principe d'égalité est violé en tant qu'il est interdit à un mandataire communal de Linkebeek ou d'une des cinq autres communes à facilités de la périphérie d'exposer en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou plus généralement de faire des observations et des interventions orales en français durant ces séances, cette question excède l'intérêt de la partie requérante.

A.4.3. A titre subsidiaire, quant au fond, il convient de renvoyer à l'article 4, alinéa 1er, de la Constitution. Pour déterminer les frontières des régions linguistiques, le Constituant a renvoyé explicitement à la situation fixée par la loi sur l'emploi des langues en matière administrative, dans laquelle est inscrit le fondement du principe de territorialité. Dans les dispositions constitutionnelles, le terme « région linguistique » signifie dès lors une région où, en droit, une langue déterminée doit être parlée ou utilisée. Compte tenu de l'article 30 de la Constitution, non modifié, cela signifie nécessairement que la région de langue néerlandaise visée à l'article 4 est la région dans laquelle et pour laquelle la langue officielle est le néerlandais, celui-ci étant la langue qui doit être utilisée pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires, sauf les exceptions prévues explicitement par la loi ou le décret.

La commune de Linkebeek est située dans la région de langue néerlandaise. Suivant le principe de territorialité, cela signifie donc que la langue administrative y est le néerlandais. Cette commune est toutefois également une commune à régime linguistique spécial. La commune doit utiliser le néerlandais pour les services intérieurs et pour les relations avec les autres services. Les particuliers bénéficient cependant de « facilités linguistiques ». Les facilités, qui ne portent pas atteinte à l'homogénéité linguistique de la région en question, valent uniquement pour les administrés et non pour les administrateurs.

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé que le principe de territorialité sur lequel la législation linguistique belge est basée constitue un critère objectif d'intérêt général, en sorte qu'un traitement différencié fondé sur ce principe ne peut être considéré comme une discrimination illicite. Le régime électoral qui entraîne, pour les minorités linguistiques, la nécessité d'accorder leurs suffrages à des personnes aptes et prêtes à user de la langue de leur région ne menace pas forcément les intérêts de ces minorités, surtout pas lorsque l'ordre politique et juridique offre diverses garanties.

La Cour d'arbitrage applique elle aussi le principe de territorialité sans restriction. Combiné avec l'article 129 de la Constitution, l'article 4 de celle-ci a pour portée de déterminer le cadre spatial dans lequel peuvent s'exercer les compétences des communautés et du législateur fédéral. La Cour a souligné que l'article 4 de la Constitution a consacré l'existence de régions unilingues et d'une région bilingue et qu'il constitue la garantie constitutionnelle de la primauté de la langue de chaque région unilingue ou du caractère bilingue d'une autre région.

A.4.4. Il résulte de ce qui précède que les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative sont fondées sur le principe de territorialité et que ce principe est considéré comme un facteur objectif d'intérêt général, de sorte que la différence de traitement qui en découle ne constitue pas une discrimination interdite.

Les lois coordonnées ne visent pas, selon la Cour, les mandataires appelés à siéger dans un organe collégial et ne considèrent pas ceux-ci comme des services au sens de leur article 1er, sauf lorsque de tels mandataires agissent en tant qu'autorités administratives individuelles.

Il ne fait pas de doute que les organes collégiaux des communes, le conseil communal et le collège des bourgmestre et échevins doivent être considérés comme des services. L'arrêt de la Cour du 26 mars 1986 ne fait que le confirmer. Suivant cet arrêt, seuls les mandataires qui sont appelés à siéger dans ces organes collégiaux ne sont pas des services, contrairement, dès lors, à ces organes collégiaux eux-mêmes.

Devront également être considérés comme des services, les « mandataires qui sont appelés à siéger dans un organe collégial dans la mesure où ils agissent en tant qu'autorités administratives individuelles ».

Suivant la jurisprudence du Conseil d'Etat, le législateur, dans les lois sur l'emploi des langues en matière administrative, a imposé aux bourgmestres de la région de langue néerlandaise l'obligation de faire usage du néerlandais dans l'exercice de leurs fonctions. Cette jurisprudence n'a pas été affectée par l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 26 mars 1986, bien au contraire. Ainsi la Cour confirme-t-elle que le législateur fédéral peut imposer des obligations en matière de connaissances linguistiques. Il a aussi été confirmé que ces obligations découlent du principe général de droit que renferme la notion de « région linguistique ». La Cour a confirmé que les autorités administratives individuelles, donc les bourgmestres, doivent être considérées comme des services, au sens des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, et doivent donc utiliser le néerlandais dans la région de langue néerlandaise, en ce compris dans les communes de la frontière linguistique et dans les communes de la périphérie. La jurisprudence de la Cour a été parfaitement appliquée dans la décision attaquée devant le Conseil d'Etat.

Les délibérations du conseil communal n'ont pas été annulées parce qu'un mandataire communal de Linkebeek avait exposé en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou à cause d'observations et d'interventions orales en français. Elles ont été annulées du fait d'obligations imposées par les lois sur l'emploi des langues en matière administrative. Une différence de traitement qui découle des lois linguistiques repose, on vient de le voir, sur un critère objectif et raisonnable et ne constitue pas une discrimination interdite.

A.4.5. En l'espèce, la question préjudicielle a été suggérée par la commune de Linkebeek. Une autorité administrative ne peut toutefois invoquer le bénéfice des articles 10 et 11 de la Constitution (cf.

Conseil d'Etat, Neupré, n° 33.708, 19 décembre 1989; Cour d'arbitrage, n° 8, 26 janvier 1986). Il convient de souligner en outre que le prescrit de l'article 23, alinéa 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, qui est applicable aux communes de la périphérie, ne saurait opérer une discrimination entre les mandataires communaux de Linkebeek et d'autres mandataires communaux belges. L'article 10, alinéa 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative contient, pour les mandataires communaux belges, la même obligation que celle énoncée à l'article 23, alinéa 1er, pour les mandataires communaux de Linkebeek. Le fait d'imposer le même régime concernant l'emploi des langues à tous les mandataires communaux belges ne constitue pas une inégalité. Il ne saurait dès lors en aucune manière être question d'une quelconque violation du principe d'égalité.

La discrimination alléguée entre les citoyens néerlandophones et francophones de Linkebeek ne saurait pas davantage constituer une discrimination illicite. Cette différence de traitement découle du principe de territorialité, qui doit être considéré comme un facteur objectif d'intérêt général. Par ailleurs, les citoyens néerlandophones de Linkebeek ne seront pas davantage en mesure d'exercer leur contrôle démocratique sur leurs élus si les mandataires communaux font usage de la langue française. A cet égard, il peut être renvoyé à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 2 mars 1987.

Mémoire en réponse du Gouvernement flamand A.5.1. La question « la Constitution viole-t-elle la loi » est évidemment une question qui doit être rejetée comme étant totalement irrecevable et tout au moins comme étant totalement dénuée de sens et/ou non fondée.

Tout aussi incompréhensible est l'explication contenue dans le mémoire de la commune de Linkebeek, selon laquelle l'absurdité de la question serait due à la traduction française. Cette traduction rend en effet de manière adéquate ce qui est demandé en « néerlandais ». C'est à tort que la commune de Linkebeek tente de masquer la faute structurelle de sa propre question en ayant recours de manière totalement injustifiée à l'adage traduttore traditore.

Du reste, savoir maintenant quelle est précisément la question préjudicielle que la commune de Linkebeek entendait poser est même devenu encore moins évident. Il est dit dans le mémoire de la commune de Linkebeek qu'une erreur s'est glissée dans la question, mais qu'il va de soi que la question réellement posée porte sur le point de savoir si l'article 23 de la loi sur l'emploi des langues en matière administrative est conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Donc « c'est ça, mais c'est le contraire ». Les questions préjudicielles ne peuvent de toute évidence pas être posées sous forme de rébus. La Cour n'est pas un cercle d'amateurs de puzzles.

On pourrait déduire d'un passage figurant un peu plus loin dans le mémoire de la commune de Linkebeek que la question préjudicielle qu'elle entendait poser était de savoir si l'interprétation que le Gouvernement flamand a donnée à l'article 23 de la loi sur l'emploi des langues en matière administrative dans la décision attaquée devant le Conseil d'Etat est conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution. Or, il a été considéré, dans cette décision, que le bourgmestre, lorsqu'il préside le conseil communal, agit en tant qu'autorité administrative individuelle et doit donc utiliser la langue de la région. Etant donné que le bourgmestre avait fait usage de la langue d'une autre région linguistique pour un élément essentiel du processus décisionnel, les délibérations du conseil communal ont été annulées. La commune de Linkebeek agit comme si les délibérations du conseil communal avaient été annulées à cause de l'explication d'un point de l'ordre du jour en français ou, plus généralement, à cause d'observations et d'interventions orales exprimées en français au cours de la séance du conseil communal. Il convient donc de répéter une nouvelle fois la question : quel est précisément l'objet de la question préjudicielle ? Est-ce l'interprétation de l'article 23 par le Gouvernement flamand ou est-ce l'interprétation que la commune de Linkebeek lui impute à tort ? Une reformulation de la question par la Cour ne saurait évidemment remédier à de telles obscurités.

Spécialement, dans des circonstances de la procédure où le juge du fond peut être contraint, sans plus, de poser à la Cour n'importe quelle question, il convient que celui qui pose la question formule celle-ci avec précision. L'article 26, § 2, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage ne permet pas au Conseil d'Etat de ne pas poser à la Cour une question qui lui est soumise, lorsque la question est indispensable pour la solution du litige. On ne saurait toutefois abuser de cette situation en obligeant le Conseil d'Etat à poser à la Cour des questions incompréhensibles ou en l'obligeant à poser une question qui n'a aucun lien direct avec la solution de l'instance principale. Lorsqu'une telle question est pratiquement incompréhensible, elle doit être rejetée comme étant irrecevable.

A.5.2. En ordre subsidiaire, le Gouvernement flamand souhaite encore observer ce qui suit, en réplique aux mémoires introduits.

La commune de Linkebeek perd de vue que les organes collégiaux de la commune, le conseil communal et le collège des bourgmestre et échevins, sont bien considérés comme des services. Le conseil communal et le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Linkebeek ont donc l'obligation d'utiliser le néerlandais, qui est la langue de la région.

En ce qui concerne la sanction de l'usage illégal d'une langue, on peut renvoyer aux articles 57 à 59 de la loi sur l'emploi des langues en matière administrative. L'exposé en français d'un point de l'agenda ou des remarques et observations orales en français au cours d'une séance du conseil communal de Linkebeek seront donc sanctionnés par une annulation de la délibération communale si l'on doit considérer que ces interventions en français ont eu une influence sur le contenu de la décision prise, ou au moins si l'on doit supposer qu'elles ont pu avoir cet effet. Sans préjudice, évidemment, d'éventuelles sanctions disciplinaires.

Lorsqu'existe l'obligation d'utiliser le néerlandais, les traductions ne sont pas autorisées.

A.5.3. Plaise à la Cour de rejeter la question préjudicielle comme étant irrecevable, parce que totalement incompréhensible, ou du moins de dire pour droit qu'il ne peut être soutenu en droit qu'un article de la Constitution serait illégal. A titre subsidiaire, de dire pour droit que l'article 23 de la loi sur l'emploi des langues en matière administrative ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Mémoire en réponse du Gouvernement de la Communauté française A.6.1. La Cour doit répondre à la question de savoir si l'article 23 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative, tel qu'il est interprété par le juge a quo, viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Il n'appartient pas à la Cour de s'immiscer dans la détermination des règles de droit applicables au litige. En tout état de cause, la Cour ne peut corriger les déviations qui seraient commises par le juge a quo. La question préjudicielle ne doit dès lors pas être déclarée irrecevable.

A.6.2. De manière erronée, le juge a quo interprète l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative comme faisant défense à un mandataire communal de Linkebeek ou de l'une des cinq autres communes à facilités de la périphérie d'exposer en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou plus généralement de faire des observations et des interventions orales en français durant la séance. En réalité, l'article 23 ne s'applique pas aux mandataires amenés à siéger dans un organe collégial. Sur ce point, il peut être fait référence aux arrêts nos 17 et 70 de la Cour.

Cette interprétation ne heurte ni la lettre ni l'esprit de l'article 4 de la Constitution. L'on ne peut déduire de celui-ci une obligation, pour les mandataires publics, d'utiliser telle ou telle langue. Sous peine de blesser la logique inhérente à l'article 4 de la Constitution, le principe de la priorité de la langue de la région ne doit dès lors pas être confondu avec une prétendue obligation, pour les mandataires publics, de faire un usage exclusif de la langue de la région dans laquelle ils ont été élus.

S'agissant des exigences de connaissances linguistiques dans le chef des mandataires publics, seuls les articles 16 et 19 de la loi du 9 août 1988 trouvent à s'appliquer. Les bourgmestres, échevins et conseillers communaux des communes de la frontière linguistique et des communes périphériques doivent avoir de la langue de la région linguistique dans laquelle la commune est située la connaissance qui est nécessaire à l'exercice de leur mandat. On peut renvoyer, pour ce point, à l'arrêt n° 18/90 de la Cour. Il ressort des travaux préparatoires que la loi du 9 août 1988 ne porte aucunement atteinte au principe de la priorité de la langue de la région et, plus précisément, à l'obligation d'utiliser cette langue pour les actes administratifs.

A.6.3. A supposer, quod non, que la Cour estime que l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative vise les mandataires appelés à siéger dans un organe collégial, cet article ne saurait pas pour autant être interprété comme interdisant à un mandataire communal de Linkebeek ou de l'une des cinq autres communes à facilités de la périphérie d'exposer en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou plus généralement de faire en français des observations et des interventions orales durant la séance. Dans son arrêt n° 35.187, le Conseil d'Etat a considéré, concernant l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, que les organes des communes, notamment les conseils communaux, doivent employer le néerlandais dans leurs décisions. Toute intervention au conseil communal dans une autre langue que le néerlandais est dépourvue de valeur juridique. Il a toutefois ajouté que la violation de la législation sur l'emploi des langues en matière administrative doit se rapporter à un élément substantiel de la délibération pour entraîner la nullité de l'acte administratif qui constitue le résultat final de cette délibération. Les observations et les interventions orales des mandataires lors du conseil communal ne sont pas nécessairement des éléments substantiels de la décision finale.

A.6.4. S'il fallait toutefois considérer, quod non, que l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative interdit aux mandataires des six communes de la périphérie d'exposer en français un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou de faire des observations et des interventions orales en français durant la séance, cette disposition violerait les articles 10 et 11 de la Constitution. Ceux-ci excluent qu'une discrimination soit établie, non seulement entre les mandataires des communes à facilités et les autres mandataires communaux, mais également entre les électeurs francophones des communes à facilités et les autres électeurs.

On ne saurait partager le point de vue du Gouvernement flamand objectant que le principe d'égalité ne s'applique pas aux pouvoirs locaux. Dans ses arrêts nos 13/91 et 31/91, la Cour a déjà appliqué ce principe aux groupements composés de citoyens, par exemple aux communes.

Le caractère discriminatoire de l'article 23, dans l'interprétation du juge a quo, découle de ce que la différenciation opérée par cette disposition n'est pas susceptible d'une justification raisonnable. A supposer qu'elles reposent sur un critère objectif et pertinent, il reste que les limitations imposées à la catégorie susvisée vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé. La disposition litigieuse ne satisfait donc pas à l'exigence de proportionnalité. La mesure cause une atteinte disproportionnée à une valeur supérieure, en l'occurrence le caractère résolument démocratique des institutions communales. Celui-ci exige la possibilité pour chaque électeur d'exercer, de façon permanente, un contrôle démocratique sur l'ensemble des élus. Il suppose aussi que les électeurs puissent comprendre l'ordre du jour des séances du conseil communal et les interventions et observations qui y sont faites. On peut renvoyer sur ce point à l'arrêt n° 35.969 du Conseil d'Etat.

Une démocratie effective, délibérante, est une démocratie qui, par-delà son caractère représentatif, élargit l'espace de la participation populaire par une communication permanente entre représentants et représentés. La démocratie ne s'accommode pas des seules échéances électorales. Elle exige une participation continue des citoyens à l'exercice du pouvoir.

L'interprétation donnée par le juge a quo à l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative procède d'une conception des institutions communales qui heurte les valeurs qui inspirent tout ordre juridique démocratique. La possibilité pour les électeurs de contrôler l'action des élus est étroitement liée au suffrage universel, lui-même tiré de l'article 33, alinéa 1er, de la Constitution. Il y va d'un principe fondamental du système électoral belge. Ce principe renvoie à un autre principe, qu'exprime l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Mémoires en réponse de M. Desguin, de J. Grégoire et de la commune de Linkebeek A.7.1. M. Desguin, J. Grégoire et la commune de Linkebeek ont introduit des mémoires en réponse, les deux premiers en français et la dernière en néerlandais, qui sont identiques.

A.7.2. La formulation de la question préjudicielle procède d'une erreur matérielle qu'il appartient à la Cour de corriger, en vertu de l'article 27, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, afin d'y donner un effet utile permettant au Conseil d'Etat de trancher le problème qui lui a été soumis. La question préjudicielle est, par conséquent, recevable.

A.7.3. Le Gouvernement flamand soulève également l'irrecevabilité de la question, à défaut pour la commune de Linkebeek de justifier d'un intérêt suffisant. Toutefois, étant partie au litige devant le Conseil d'Etat, la commune de Linkebeek ne doit faire preuve d'aucun intérêt particulier dans la procédure mue devant la Cour.

Le Gouvernement flamand conteste en réalité la pertinence de la question préjudicielle posée. Cependant, il appartient au juge a quo, et à lui seul, de statuer sur la pertinence de la question préjudicielle qu'il pose. La question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat est la clé du litige. Si le Conseil d'Etat avait estimé que la réponse à la question n'était pas nécessaire pour trancher le litige, il ne l'aurait pas posée, parce qu'il aurait considéré qu'elle ne constituait pour les parties qu'un moyen dilatoire. Sur ce point, il peut être fait référence à l'arrêt n° 68.241 du Conseil d'Etat. La question préjudicielle est, dès lors, recevable.

A.7.4. Quant au fond, à titre principal, il convient de renvoyer à l'argumentation développée par les parties dans leur mémoire (A.2.4).

A.7.5.1. A titre subsidiaire, concernant l'objection par laquelle le Gouvernement flamand conteste le droit de la commune de Linkebeek d'invoquer le bénéfice des articles 10 et 11 de la Constitution, il convient d'observer tout d'abord que cette argumentation repose sur la croyance erronée que ce serait la commune de Linkebeek qui serait victime de la discrimination. Or, la simple lecture de la question préjudicielle démontre à suffisance que ce sont les électeurs ainsi que les mandataires communaux de Linkebeek qui en sont victimes. Le problème du droit d'une commune d'invoquer le bénéfice des articles 10 et 11 de la Constitution est donc, en l'espèce, irrelevant.

A titre subsidiaire, et contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement flamand, la commune de Linkebeek est bien en droit d'invoquer le bénéfice des articles 10 et 11 de la Constitution. Il peut être fait référence, sur ce point, aux arrêts nos 13/91 et 31/91 de la Cour.

A.7.5.2. Comme les parties l'ont déjà démontré dans leurs mémoires (A.2.5 - A.2.5.3), l'interprétation donnée par le Gouvernement flamand à l'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative entraîne une discrimination des électeurs et des élus francophones des communes périphériques.

Le Gouvernement flamand souligne que l'article 10, alinéa 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative contient, pour tous les mandataires communaux belges, la même obligation que celle de l'article 23, alinéa 1er, pour les mandataires de la commune de Linkebeek et que le fait d'imposer le même régime concernant l'emploi des langues ne saurait constituer une inégalité. La Cour a cependant déjà eu l'occasion d'établir que le principe d'égalité est violé si ces deux situations différentes sont traitées de façon identique. Il ne peut être nié que les communes dites à facilités se distinguent des autres communes de Belgique par le régime linguistique spécial qui doit y être appliqué. Le fait d'imposer le même régime concernant l'emploi des langues à tous les mandataires communaux belges constitue, dès lors, une inégalité puisqu'il s'agit d'appliquer un même régime à des catégories différentes.

A.7.6. Le Conseil des ministres a choisi d'intervenir dans la présente cause, en épousant la thèse défendue par le Gouvernement flamand. Il n'appartient pas aux parties de critiquer l'opportunité de cette surprenante décision, prise par un organe linguistiquement paritaire.

Le mémoire du Conseil des ministres n'apporte cependant aucun élément neuf par rapport à l'argumentation du Gouvernement flamand. On attirera seulement l'attention sur le fait que la commune de Linkebeek n'entend pas obliger les élus à s'exprimer dans la langue des électeurs, mais seulement à les autoriser à exposer en français un point de l'ordre du jour ou, plus généralement, à faire des observations et des interventions orales en français durant la séance, de manière à permettre aux électeurs d'exercer un contrôle démocratique sur les élus. - B - Quant à la question préjudicielle B.1. Par ordonnance du 17 décembre 1997, la Cour a reformulé la question préjudicielle comme suit : « L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, s'il faut interpréter cette disposition en ce sens qu'elle interdit au bourgmestre ou à un autre membre du collège des bourgmestre et échevins d'une des communes visées par cette disposition d'introduire ou de commenter dans une autre langue que le néerlandais un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou de répondre dans une telle langue à des interventions de conseillers communaux ? » Quant à la recevabilité de l'intervention de M. Desguin et J. Grégoire B.2.1. M. Desguin et J. Grégoire ont introduit un mémoire en intervention et un mémoire en réponse. Ils invoquent leur qualité de francophones et d'électeurs de la commune de Linkebeek. Ils déclarent avoir, en ces qualités, un intérêt à opérer un contrôle démocratique sur l'action des conseillers communaux. Ils affirment avoir, en particulier, intérêt à bénéficier, lorsqu'ils assistent aux séances du conseil communal, des traductions de l'ordre du jour et des débats qui sont faites par le bourgmestre ou par un autre membre du collège.

B.2.2. La loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage a réglé l'intervention volontaire d'un tiers dans la procédure relative à une question préjudicielle. Seule une personne répondant aux deux conditions prescrites par l'article 87, § 1er, peut, en pareil cas, être réputée partie à une question préjudicielle pendante devant la Cour.

Cette personne doit : - justifier d'un intérêt dans la cause soumise à la juridiction qui a ordonné le renvoi et - avoir adressé un mémoire à la Cour dans le délai prescrit.

B.2.3. M. Desguin et J. Grégoire ne sont pas parties dans l'instance mue devant le juge a quo. Ils ne justifient pas davantage d'un intérêt dans l'affaire relative à l'annulation décidée le 9 mai 1990 par le ministre de la Communauté flamande des Affaires intérieures et de la Fonction publique de huit décisions du conseil communal de Linkebeek du 7 mai 1990, pour violation de l'article 23 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative.

Les mémoires en intervention et mémoires en réponse de M. Desguin et J. Grégoire sont par conséquent irrecevables.

Quant au fond B.3.1. L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966 dispose : « Tout service local établi dans les communes de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem utilise exclusivement la langue néerlandaise dans les services intérieurs, dans ses rapports avec les services dont il relève ainsi que dans ses rapports avec les services de la région de langue néerlandaise et de Bruxelles-Capitale. » B.3.2. Dans l'interprétation donnée par la juridiction a quo, il résulte de l'article 23 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative que le bourgmestre et les autres membres du collège des bourgmestre et échevins d'une commune visée dans cette disposition doivent utiliser exclusivement la langue néerlandaise pour introduire ou exposer un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal et pour répondre aux interventions des membres du conseil communal. S'ils ne le font pas, ils s'exposent aux sanctions disciplinaires visées à l'article 57 des lois coordonnées et la nullité des décisions du conseil communal qui en découlent peut être constatée, en application de l'article 58 de ces mêmes lois, si ces introductions, exposés ou réponses à des interventions peuvent être supposés avoir influencé le contenu des ces décisions.

B.3.3. Selon la commune de Linkebeek, les électeurs francophones des communes de la périphérie seraient ainsi discriminés, non seulement par rapport aux électeurs francophones de la région de langue française ou de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, mais également par rapport aux électeurs néerlandophones de ces mêmes communes. Ces derniers seraient en mesure d'opérer un contrôle démocratique sur l'action de leurs élus. Les élus francophones eux-mêmes subiraient un traitement discriminatoire par rapport aux élus francophones de la région de langue française ou de la région bilingue de Bruxelles-Capitale et par rapport aux élus néerlandophones de ces mêmes communes en tant qu'il leur est interdit de s'exprimer dans une langue qui soit comprise de leurs électeurs.

B.3.4. Il convient tout d'abord d'observer que l'obligation d'utiliser, dans les communes périphériques, la langue de la région au cours des séances du conseil communal s'applique exclusivement au bourgmestre et aux autres membres du collège des bourgmestre et échevins et ne s'applique donc pas aux autres membres du conseil communal. Les griefs de la commune de Linkebeek manquent donc en fait en tant qu'ils concernent les conseillers communaux francophones qui ne sont ni bourgmestre ni échevin.

B.3.5.1. Il convient ensuite de constater que l'obligation faite aux bourgmestres et échevins d'utiliser le néerlandais dans les conseils communaux des communes visées à l'article 23 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative s'applique indépendamment du fait que les intéressés puissent être qualifiés de néerlandophones ou de francophones. Cette disposition n'instaure dès lors aucune différence de traitement mais applique à tous les intéressés les mêmes règles.

B.3.5.2. La critique formulée par la commune de Linkebeek doit toutefois être interprétée en ce sens que la disposition en cause ne réserve pas, à tort, un traitement différent selon que les intéressés peuvent être considérés comme néerlandophones ou comme francophones étant donné qu'il s'agit de communes périphériques dans lesquelles des « facilités » sont accordées aux francophones, au sens des articles 24 à 31 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative.

B.4.1. Bien que les lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative prévoient à l'intention des habitants francophones des communes périphériques une réglementation particulière qui les autorise à utiliser la langue française dans leurs relations avec les services locaux et qui impose à ces services l'obligation d'utiliser la langue française dans les circonstances précisées dans ces lois, cette réglementation ne porte pas atteinte au caractère en principe unilingue de la région de langue néerlandaise à laquelle ces communes appartiennent. Ceci implique que la langue qui doit y être utilisée en matière administrative est en principe la langue néerlandaise et que des dispositions qui autorisent l'emploi d'une autre langue ne peuvent avoir pour effet qu'il soit porté atteinte à la primauté de la langue néerlandaise garantie par l'article 4 de la Constitution.

B.4.2. Concernant la discrimination alléguée des mandataires eux-mêmes, il n'est pas déraisonnable que le législateur, compte tenu du caractère unilingue de la région linguistique concernée et de la primauté garantie au néerlandais, ne permette pas aux bourgmestres et aux échevins de telles communes d'utiliser, durant les séances du conseil communal, une autre langue que le néerlandais, quand ils introduisent ou commentent un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou répondent à des interventions de conseillers communaux.

B.4.3. S'agissant de la discrimination alléguée des électeurs ou habitants francophones des communes concernées, il convient d'observer que la réglementation en cause implique que les habitants qui ne comprennent pas suffisamment la langue néerlandaise pourront en effet difficilement suivre les discussions du conseil communal. Mais, contrairement à ce que soutient la commune de Linkebeek, la disposition en cause n'empêche aucun électeur d'exercer un contrôle démocratique sur les élus.

B.4.4. Selon la commune de Linkebeek, la réglementation en cause porterait également atteinte, de manière discriminatoire, à l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

B.4.5. L'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Les Hautes Parties Contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. » Cette disposition garantit le droit d'élire ou d'être élu, mais uniquement en cas d'élection d'assemblées qui exercent une compétence législative vis-à-vis des électeurs ou des candidats qui se prévalent dudit article 3. Dès lors que les conseils communaux n'ont pas cette compétence, la disposition conventionnelle précitée ne s'applique pas à eux.

B.4.6. L'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. » Cette disposition ne concerne pas l'utilisation des langues par des autorités administratives.

Le grief est non fondé en tant qu'il s'appuie notamment sur cette disposition conventionnelle.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 23 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative coordonnées par l'arrêté royal du 18 juillet 1966 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, s'il est interprété comme interdisant au bourgmestre ou à un autre membre du collège des bourgmestre et échevins d'une des communes visées par cette disposition d'introduire ou de commenter dans une autre langue que le néerlandais un point de l'ordre du jour de la séance du conseil communal ou de répondre dans une telle langue à des interventions de conseillers communaux.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 10 mars 1998.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève;

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