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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 10 juin 1998

Arrêt n° 31/98 du 18 mars 1998 Numéro du rôle : 1127 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 37 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse, posée par le Tribunal de la jeunesse de Lièg La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 31/98 du 18 mars 1998 Numéro du rôle : 1127 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 37 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse, posée par le Tribunal de la jeunesse de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 30 juin 1997 en cause de G. Lechanu et autres contre P. Hannecart, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 juillet 1997, le Tribunal de la jeunesse de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « La disposition contenue à l'article 37 du décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse, qui prévoit que seuls les mineurs de plus de 14 ans peuvent introduire devant le tribunal de la jeunesse une contestation relative à l'octroi, au refus ou aux modalités d'application d'une mesure d'aide individuelle, ne viole-t-elle pas les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 12 de la Convention des Droits de l'Enfant, en opérant une différence de traitement entre les enfants mineurs selon qu'ils ont plus ou moins de 14 ans ? » II. Les faits et la procédure antérieure Alors qu'il était hébergé à l'institut médico-pédagogique Saint-Michel à Spa, le requérant devant le juge a quo s'est vu interdire tout contact avec son père, par une décision du directeur de l'aide à la jeunesse du 15 octobre 1996.

Le requérant étant alors âgé de 10 ans, son avocat a introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal de la jeunesse de Liège. Avant de statuer sur la recevabilité de ce recours, le Tribunal a posé à la Cour la question préjudicielle précitée.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 11 juillet 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 14 août 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 19 août 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - G. Lechanu, demeurant à l'institut médico-pédagogique Saint-Michel, rue Albin Body 55 à 4900 Spa, par lettre recommandée à la poste le 16 septembre 1997; - J.-M. Lechanu et son épouse M.-J. Vellaerts, demeurant ensemble à 4030 Grivegnée, rue Vinâve 29, par lettre recommandée à la poste le 17 septembre 1997; - le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 25 septembre 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 10 octobre 1997.

Le Gouvernement de la Communauté française a introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le 12 novembre 1997.

Par ordonnance du 18 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 18/12/1997 pub. 03/04/1998 numac 1998031011 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance portant assentiment à l'accord de coopération conclu le 4 mars 1997 entre l'Etat fédéral et les Régions relatif au programme de transition professionnelle type ordonnance prom. 18/12/1997 pub. 24/02/1998 numac 1997031010 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance complétant l'ordonnance du 19 juillet 1990 portant création de l'Agence Régionale pour la Propreté type ordonnance prom. 18/12/1997 pub. 10/03/1998 numac 1998031009 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant l'ordonnance du 27 avril 1995 relative à la sauvegarde et à la protection de la nature fermer, la Cour a prorogé jusqu'au 11 juillet 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 28 janvier 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 18 février 1998, après avoir invité les parties à s'expliquer à l'audience sur l'application de l'article 37 lorsqu'il existe une contrariété d'intérêts entre le mineur de moins de 14 ans et ses parents ou ses gardiens.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 29 janvier 1998.

A l'audience publique du 18 février 1998 : - ont comparu : . Me P. Rigaux, avocat au barreau de Liège, pour G. Lechanu; . Me F. Frenay, avocat au barreau de Liège, pour J.-M. Lechanu et M.-J. Vellaerts; . Me P. Legros, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté française; - les juges-rapporteurs P. Martens et G. De Baets ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire du requérant devant le juge a quo A.1. Prétendre qu'un mineur de moins de 14 ans n'aurait pas la maturité suffisante pour introduire un recours reviendrait à octroyer au directeur de l'aide à la jeunesse un pouvoir absolu sur le mineur.

Mais un tel argument serait irrelevant puisque, dans le cadre de la procédure devant le tribunal de la jeunesse, le mineur est assisté d'un conseil agissant en dehors des limites de son mandat habituel et désigné dans le cadre d'une commission d'office.

A.2. Le recours peut être intenté par le conseil du mineur en raison de l'autonomie de son mandat. Le décret du 4 mars 1991 confie un rôle particulièrement important au conseil des mineurs, notamment en son article 12, § 2.

A.3. Ainsi, l'avocat peut suppléer à l'éventuel manque de maturité de son client mineur et il apprécie, indépendamment de l'avis de son client, l'opportunité d'introduire un recours sur pied de l'article 37 du décret. Il s'agit là d'un aspect unique du mandat de l'avocat.

A.4. Il est d'ailleurs de jurisprudence constante qu'en aucun cas un avocat désigné d'office ne peut demander d'honoraires à un client mineur, afin de lui assurer une totale liberté par rapport aux injonctions de celui-ci. Le Code judiciaire lui-même a réservé une place spéciale au mandat de l'avocat (article 440, alinéa 2).

A.5. L'ensemble des membres de la commission jeunesse du barreau de Liège estime que, dans le cas où les parents d'un mineur souhaiteraient imposer à leur enfant un avocat de leur choix, rémunéré par leurs soins, le bureau de consultation et de défense s'y opposerait, l'avocat du mineur travaillant dans le cadre d'une commission d'office et devant donc garder également son indépendance vis-à-vis des parents du mineur.

Une telle commission d'office donne toute sa valeur au serment de l'avocat, prévu à l'article 429, alinéa 2, du Code judiciaire, qui lui interdit de conseiller ou de défendre une cause qu'il ne croirait pas juste en son âme et conscience.

A.6. En l'espèce, aussi bien pour le requérant devant le juge a quo, âgé de moins de 14 ans, que pour sa soeur, âgée de plus de 14 ans, le conseil de ces deux mineurs a introduit sa requête, non sur la base des prétentions de ses clients dont l'âge ne leur permettait pas de déterminer seuls leurs intérêts, mais en s'inspirant de sa conscience personnelle eu égard aux éléments du dossier.

A.7. La distinction opérée par l'article 37 du décret ne se fonde donc sur aucun critère objectif puisque le mineur, quel que soit son âge, est assisté d'un conseil indépendant, agissant dans le cadre d'une commission d'office et pouvant ainsi déterminer l'intérêt de l'enfant par-delà les injonctions de ce dernier.

Mémoire des parents du mineur requérant A.8. Le décret se fonde sur un critère objectif en faisant une distinction selon l'âge de l'enfant, mais cette différence de traitement n'est pas raisonnablement justifiée, dès lors qu'on ne voit pas pour quelle raison un mineur de moins de 14 ans ne pourrait introduire le recours prévu à l'article 37 du décret s'il dispose d'une maturité et d'un discernement suffisants.

A.9. En outre, l'avocat dispose d'un mandat spécial qui lui permet d'agir dans l'intérêt supérieur du mineur, même si ce dernier est en désaccord avec son conseil.

A.10. L'article 8.1 de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi que de son domicile et de sa correspondance. L'article 13 de la même Convention prévoit que toute personne dont les droits et libertés reconnus par la Convention ont été violés a droit à un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.

A.11. Le mineur bénéficie donc, comme toute autre personne, du droit au respect de sa correspondance et, en l'espèce, du droit de pouvoir téléphoner à son père.

A.12. L'article 8.2 de la Convention européenne prévoit que la liberté consacrée par l'article 8.1 peut être limitée. En l'espèce, le mineur conteste cette limitation, de sorte que, conformément à l'article 13 de la Convention, il bénéficie d'un droit de recours contre la décision restreignant son droit de correspondre librement avec son père.

A.13. En ne prévoyant pas de possibilité pour le mineur d'introduire un recours contre la décision limitant son droit de correspondre avec son père, l'article 37 du décret viole manifestement les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec les articles 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Mémoire du Gouvernement de la Communauté française A.14. La faculté reconnue au mineur de saisir directement le tribunal de la jeunesse de certaines contestations ne peut raisonnablement l'être qu'aux mineurs dont on est légitimement en droit de penser qu'ils sont en mesure d'apprécier le bien-fondé d'une telle action en justice.

A.15. L'âge de 14 ans a été reconnu en tant que seuil de l'adolescence responsable. C'est l'âge qui a également été retenu par la Communauté flamande dans son décret du 27 juin 1985 relatif à l'assistance spéciale à la jeunesse (Doc., Conseil de la Communauté française, 1990-1991, n° 165/2, p. 14).

A.16. En choisissant l'âge de 14 ans comme âge pivot, le législateur décrétal a choisi un critère de différenciation objectif et raisonnable.

En dessous de 14 ans, il n'est pas déraisonnable d'estimer qu'un enfant ne dispose pas encore de la maturité suffisante pour saisir directement le tribunal de la jeunesse d'une des contestations énumérées à l'article 37 du décret du 4 mars 1991. Il est vrai que certains enfants peuvent faire preuve plus tôt que d'autres de maturité et de sens des responsabilités. Il s'agit cependant de cas tout à fait particuliers alors que le législateur est amené à édicter des règles générales et abstraites, destinées à s'appliquer au plus grand nombre de personnes.

A.17. Par analogie, il serait permis de considérer que le législateur fédéral, en fixant l'âge de la maturité civile à 18 ans, a également instauré une différence de traitement entre certaines catégories de personnes.

En réalité, il convient de considérer que la fixation du seuil d'âge au-delà duquel certaines prérogatives sont reconnues directement à un sujet de droit relève de l'appréciation souveraine du législateur. Il s'agit d'une appréciation de fait qui échappe au contrôle de la Cour.

A.18. L'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant suggère qu'il soit donné à l'enfant « la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié ».

Cette disposition instaure le droit pour un enfant d'être entendu dans le cadre d'une procédure administrative ou judiciaire, ce qui n'implique pas automatiquement le droit pour le même enfant d'agir directement en justice. L'article 12 de la Convention n'est donc d'aucune pertinence en l'espèce.

A.19. Quoi qu'il en soit, il faut remarquer que cette disposition prévoit une alternative en affirmant que l'enfant doit être entendu soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant. Or, il ressort de l'article 37 du décret que la même alternative existe en matière de contestations relatives à l'octroi, au refus ou aux modalités d'application d'une mesure individuelle.

En effet, en cette matière, le tribunal de la jeunesse est saisi soit par le jeune de plus de 14 ans, soit par l'intermédiaire d'un représentant.

A.20.Tous les enfants ont donc le droit de saisir le tribunal de la jeunesse d'une contestation relative à l'octroi, au refus ou aux modalités d'application d'une mesure individuelle : à partir de 14 ans, d'une manière directe, en deçà de 14 ans, indirectement, par l'intermédiaire d'une des personnes investies de l'autorité parentale ou ayant la garde du jeune en droit ou en fait.

A.21. L'article 12 de la Convention des droits de l'enfant n'accordant pas à l'enfant la capacité de mettre lui-même en oeuvre, directement, sans intermédiaire, le droit qui lui est reconnu dans cette disposition, il est sans fondement de prétendre que l'article 37 du décret du 4 mars 1991 y déroge en ne reconnaissant pas cette faculté au mineur de moins de 14 ans.

Mémoire en réponse du Gouvernement de la Communauté française A.22. L'avocat du mineur ne dispose pas d'un mandat spécial lui permettant de poser des actes dépassant le cadre du mandat ad litem.

La thèse soutenue par les autres parties intervenantes est combattue par la doctrine et contredite par les travaux préparatoires de la loi du 30 juin 1994Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/06/1994 pub. 29/01/2013 numac 2013000051 source service public federal interieur Loi transposant en droit belge la directive européenne du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 30/06/1994 pub. 23/04/2013 numac 2013000250 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communications et de télécommunications privées. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 30/06/1994 pub. 14/01/2009 numac 2008001061 source service public federal interieur Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins. - Traduction allemande de dispositions modificatives et d'exécution fermer.

En effet, le législateur a fait preuve d'une certaine méfiance à l'égard des avocats désignés pour assister un enfant mineur dans le cadre d'une procédure de divorce de ses parents. Par analogie, il doit en être de même en matière de protection de l'intérêt de l'enfant, celui-ci devant, dans les deux cas, prévaloir.

A.23. Contrairement à ce que soutiennent les troisième et quatrième parties intervenantes, la question préjudicielle ne peut pas être étendue à une éventuelle violation des articles 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, ces dispositions n'étant pas mentionnées dans la question posée par le juge a quo.

Il convient donc d'écarter des débats les développements consacrés par les troisième et quatrième parties intervenantes à la violation de ces dispositions.

A.24. A titre subsidiaire, l'article 37 du décret du 4 mars 1991 ne prive pas le mineur de moins de 14 ans d'un recours contre une décision relative à une mesure d'aide individuelle puisqu'un tel recours peut être introduit par l'une des personnes investies de l'autorité parentale ou ayant la garde du mineur en droit ou en fait.

A.25. Ainsi que la Cour européenne l'a rappelé dans son arrêt Golder, le droit d'accès à la justice comporte certaines restrictions inhérentes à sa nature et dont les organes de la Convention peuvent seulement contrôler les abus. C'est notamment le cas pour les régimes particuliers limitant l'accès en justice des mineurs ou des aliénés.

Il convient, à ce sujet, de rapprocher les articles 6 et 13 de la Convention.

A.26. Enfin, l'alinéa 2 de l'article 8 prévoit que la liberté consacrée par son alinéa 1er peut être limitée.

A.27. L'article 37 du décret du 4 mars 1991 ne méconnaît donc pas les articles 8.1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. - B - B.1. L'article 37 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991, relatif à l'aide à la jeunesse, dispose : « Le tribunal de la jeunesse connaît des contestations relatives à l'octroi, au refus ou aux modalités d'application d'une mesure d'aide individuelle portées devant lui, soit par une des personnes investies de l'autorité parentale ou ayant la garde du jeune en droit ou en fait, soit par le jeune de plus de quatorze ans. Le tribunal de la jeunesse met fin à la contestation en obtenant l'accord des parties.

B.2. Cette disposition établit une différence de traitement entre deux catégories de mineurs désireux d'introduire le recours qu'elle organise : celui qui a 14 ans peut l'introduire lui-même tandis que, pour celui qui a moins de 14 ans, le recours ne peut être introduit que par les personnes qui exercent sur lui l'autorité parentale ou qui ont sa garde, en droit ou en fait.

B.3. Il ressort de l'exposé des motifs du décret du 4 mars 1991 que le législateur décrétal a entendu « déjudiciariser » l'aide à la jeunesse et qu'il a estimé que, « dans la mesure où les problèmes rencontrés par les jeunes sont de nature sociale, il est logique que ce soient les instances sociales qui interviennent pour les résoudre, et non le pouvoir judiciaire » (Doc., Conseil de la Communauté française, n° 165, 1990-1991, n° 1, p. 4).

B.4. Cette volonté s'est traduite en attribuant au conseiller ou au directeur de l'aide à la jeunesse la compétence de prendre des mesures ou des décisions d'aide individuelle à l'égard d'un jeune âgé de moins de 18 ans, moyennant le respect de l'article 7 du décret, qui dispose : « Aucune décision d'aide individuelle ne peut être prise par le conseiller sans l'accord écrit du jeune bénéficiaire s'il a atteint l'âge de quatorze ans ou, s'il n'a pas atteint cet âge, des personnes qui assument en fait la garde du jeune. L'accord des personnes qui administrent la personne de l'enfant est requis si la mesure prise par le conseiller, en application de l'article 36, § 6, retire l'enfant de son milieu familial de vie. L'accord de ces personnes n'est pas requis si elles ne peuvent être atteintes ou si elles sont défaillantes.

Lorsqu'en application de l'article 38 du présent décret, le directeur met en oeuvre une mesure d'aide, l'enfant et ses familiers sont associés à cette mesure. » B.5. Le même exposé des motifs ajoute toutefois qu'« il convient d'être strict sur les garanties à offrir lorsque la société est amenée à envisager des mesures de contrainte » et que « le pouvoir judiciaire demeure le meilleur garant du respect des droits de la défense lorsqu'il s'agit de recourir à la contrainte à l'égard de particuliers » (ibidem).

B.6. En ce qui concerne plus particulièrement l'article 37 du décret, il fut précisé, dans le commentaire des articles du décret en projet : « Des parents peuvent être d'accord sur le principe d'une intervention mais contester le type d'aide qui leur est proposé. Ils peuvent aussi estimer avoir droit à une aide qui leur est refusée par le conseiller.

De même, le jeune de plus de quatorze ans peut refuser d'être placé dans tel home alors que par ailleurs, il est d'accord sur le principe du retrait de son milieu familial de vie.

Il convenait, dans le respect du droit des personnes qui soustend le décret, et sous peine par ailleurs de voir l'aide interrompue prématurément alors qu'elle se justifie dans son principe, d'offrir au jeune lui-même ainsi qu'à sa famille et ses familiers la possibilité d'introduire, à n'importe quel stade du processus d'octroi de l'aide, un recours contre toute proposition qui n'emporte pas leur agrément. » (ibidem, pp. 26 et 27).

B.7. Bien que l'incapacité de l'enfant mineur soit la règle, il est conforme aux objectifs du décret de permettre au mineur d'introduire lui-même ce recours s'il est âgé de 14 ans.

Une telle mesure repose sur un critère objectif et pertinent. En fixant à quatorze ans l'âge auquel un enfant peut être présumé capable de discernement, le législateur a pris une mesure qui n'est pas manifestement déraisonnable.

B.8. Cette mesure serait cependant disproportionnée si elle aboutissait à exclure tout recours au sujet d'une mesure individuelle concernant un enfant de moins de quatorze ans.

B.9. L'article 37, alinéa 1er, n'exclut pas un tel recours. Quel que soit l'âge du mineur, un recours peut être introduit « par une des personnes investies de l'autorité parentale ou ayant la garde du jeune en droit ou en fait ».

B.10. La limitation du droit de recours à ces catégories de personnes a été justifiée comme suit, dans le commentaire des articles du décret en projet : « Ces personnes ne se confondent pas entièrement avec les personnes dont l'accord écrit est requis en vertu de l'article 7 : il a paru en effet essentiel de permettre aussi aux personnes investies de l'autorité parentale ou disposant de la garde en droit de contester une mesure décidée par le conseiller avec l'accord écrit du jeune de plus de quatorze ans ou de la personne qui assume la garde en fait du jeune. Afin d'éviter un engorgement du tribunal préjudiciable à tous, seules les personnes disposant d'un droit sur l'enfant - autorité parentale, garde en droit, ce qui exclut les parents totalement déchus - sont admis à porter la contestation devant le tribunal de la jeunesse en plus des personnes visées à l'article 7, alinéa 1er. » (ibidem, p. 27) B.11. Il n'est pas déraisonnable, d'une part, de présumer que les personnes mentionnées à l'article 37 sont, dans la plupart des cas, le mieux à même d'apprécier s'il est de l'intérêt de l'enfant d'exercer un recours, d'autre part, de vouloir éviter l'encombrement du tribunal de la jeunesse.

B.12. L'article 37 ne suffit toutefois pas à assurer dans tous les cas la protection des intérêts du mineur de moins de 14 ans. Les personnes qui y sont désignées pour le représenter peuvent s'abstenir de saisir le tribunal, notamment parce qu'elles ont un intérêt contraire à celui du mineur. Dans ce cas, des décisions contraires à l'intérêt de l'enfant resteront sans contrôle juridictionnel. En ne permettant pas à d'autres personnes de saisir le tribunal dans l'intérêt de l'enfant, l'article 37 limite de manière disproportionnée les droits du mineur de moins de 14 ans. Dans cette mesure, il viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 37 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas au mineur de moins de 14 ans d'exercer lui-même le recours qu'il organise. - Le même article viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, en aucun cas, pour le mineur de moins de 14 ans, il ne permet que le recours soit introduit par une personne autre que celles qu'il désigne.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 18 mars 1998.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

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