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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 06 mai 1999

Arrêt n° 17/99 du 10 février 1999 Numéro du rôle : 1314 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat. La Cour d'arbitrage, composée des prési après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par ar(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 17/99 du 10 février 1999 Numéro du rôle : 1314 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, G. De Baets, E. Cerexhe et R. Henneuse, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt n° 72.255 du 5 mars 1998 en cause de C. Anckaert et B. Meyfroodt contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 mars 1998, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en tant que ces articles ne s'opposent pas à ce que le Conseil d'Etat, dans une composition identique ou partiellement identique des sièges, connaisse de l'affaire au fond après avoir connu de la demande de suspension, en sorte que la garantie d'impartialité serait déniée à une catégorie de citoyens ? » II. Les faits et la procédure dans le litige du fond 1. Le dossier de la procédure dans le litige du fond révèle que C. Anckaert et B. Meyfroodt ont introduit, en date du 22 février 1995, une demande de suspension auprès du Conseil d'Etat contre l'arrêté du ministre vice-président du Gouvernement flamand et ministre flamand de l'Environnement et du Logement du 12 décembre 1994 déclarant partiellement fondé le recours formé par C. Anckaert contre l'arrêté du 2 juin 1994 par lequel la députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale accordait à la s.a. Utexbel le permis d'environnement afin de poursuivre l'exploitation et de réaliser l'extension jusqu'au 1er janvier 2011 à Renaix, avenue Snoeck, d'un atelier de tissage et d'une teinturerie à la pièce et confirmant l'arrêté dont appel, étant entendu qu'une série de conditions d'exploitation supplémentaires étaient imposées. 2. Par arrêt n° 54.031 du 27 juin 1995, la VIIème chambre du Conseil d'Etat a accueilli la requête en intervention de la s.a. Utexbel dans le référé administratif et a ordonné la suspension de la décision précitée. Cette chambre était composée du président de chambre J. Vermeire, des conseillers d'Etat M. Vrints et R. Stevens, et du greffier G. De Sloover. 3. Le 22 février 1995, C.Anckaert et B. Meyfroodt ont en outre demandé l'annulation de l'arrêté précité.

Dans son dernier mémoire, la partie intervenante, la s.a. Utexbel, demande au Conseil d'Etat de poser une question préjudicielle à la Cour, dans le cas où la composition de la chambre qui statuera sur le fond serait entièrement ou partiellement la même que celle de la chambre qui a ordonné la suspension de l'arrêté entrepris. 4. Dans l'arrêt par lequel elle pose la question préjudicielle, la VIIème chambre du Conseil d'Etat considère que l'affaire a été attribuée sur le fond à une chambre dont l'un des conseillers a fait partie de la chambre qui a ordonné la suspension de l'arrêté attaqué et qu'il est dès lors indiqué de poser la question préjudicielle précitée à la Cour.Cette chambre était composée du président de chambre M.-R. Bracke, des conseillers d'Etat D. Verbiest et R. Stevens et du greffier V. Wauters.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 26 mars 1998Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 26/03/1998 pub. 13/06/1998 numac 1998031183 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance portant assentiment à l'Accord de siège entre le Royaume de Belgique et l'Autorité de surveillance de l'Association européenne de Libre Echange, fait à Bruxelles le 22 décembre 1994 type ordonnance prom. 26/03/1998 pub. 13/06/1998 numac 1998031182 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance portant assentiment aux Actes internationaux ci-après : Accord entre le Royaume de Belgique et la Conférence de la Charte de l'Energie, fait à Bruxelles, le 26 octobre 1995; Accord de siège entre le Royaume de Belgique et le Ligue des Etats Arabes, fait à Bruxelles, le 26 novembre 1995; Accord de siège entre le Royaume de Belgique et l'Agence de Coopération culturelle et technique, fait à Bruxelles le 16 novembre 1995 type ordonnance prom. 26/03/1998 pub. 13/06/1998 numac 1998031187 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance portant assentiment à : l'Accord de siège entre le Royaume de Belgique et l'Agence Spatiale Européenne, fait à Paris le 26 janvier 1993 type ordonnance prom. 26/03/1998 pub. 13/06/1998 numac 1998031184 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance portant assentiment à l'Accord de siège entre le Royaume de Belgique et le Groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, fait à Bruxelles le 26 avril 1993 fermer, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 21 avril 1998.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 24 avril 1998.

Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 19 mai 1998; - C. Anckaert, demeurant à 9600 Renaix, rue F. de Mérode 26, et B. Meyfroodt, demeurant à 9600 Renaix, avenue Magherman 68, par lettre recommandée à la poste le 5 juin 1998; - la s.a. Utexbel, ayant son siège social à 9600 Renaix, avenue César Snoeck 30, par lettre recommandée à la poste le 5 juin 1998; - le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 5 juin 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 11 juin 1998.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 7 juillet 1998; - la s.a. Utexbel, par lettre recommandée à la poste le 8 juillet 1998; - le Gouvernement flamand, par lettre recommandée à la poste le 13 juillet 1998.

Par ordonnance du 30 juin 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 26 mars 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 18 novembre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 16 décembre 1998.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 19 novembre 1998.

A l'audience publique du 16 décembre 1998 : - ont comparu : . Me P. Flamey, avocat au barreau de Bruxelles, pour la s.a. Utexbel; . Me G. Vermeire, avocat au barreau de Gand, pour C. Anckaert et B. Meyfroodt; . Me P. Van Orshoven, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement flamand; . Me E. Brewaeys, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs H. Boel et E. Cerexhe ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Position du Gouvernement flamand A.1.1. Le Gouvernement flamand souligne qu'aucun des deux articles sur lesquels porte la question préjudicielle ne concerne la composition de la chambre du Conseil d'Etat qui statue sur un recours en annulation d'un acte administratif dont l'exécution a été suspendue, a fortiori le fait qu'un conseiller d'Etat qui a ordonné la suspension siège dans la chambre devant statuer sur le recours en annulation. Certes, l'article 17, § 1er, alinéa 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat règle la composition de la chambre de la section d'administration qui statue sur la confirmation d'une suspension « à titre provisoire » qui est ordonnée en cas d'extrême urgence : le conseiller d'Etat qui a ordonné la suspension provisoire ne peut siéger dans cette chambre. Mais ce n'est pas cette hypothèse qui doit être examinée en l'espèce.

La composition des chambres de la section d'administration du Conseil d'Etat est en revanche régie par les articles 86 et 90 des lois coordonnées. Toutefois, ces dispositions sont également étrangères à la désignation des conseillers d'Etat ut singuli qui siègent dans des chambres déterminées et à la question de savoir si les conseillers d'Etat qui ont ordonné la suspension d'un acte administratif peuvent siéger dans la chambre qui connaît du recours en annulation de l'arrêté suspendu. Cette situation relève de la théorie de l'impartialité subjective ou objective des conseillers d'Etat concernés, impartialité qui est régie par le principe général de droit de l'indépendance et de l'impartialité du juge, imposées par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il échet en outre de renvoyer à l'article 29, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, aux articles 61 à 65 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat et aux articles 828 et 829 du Code judiciaire.

Par conséquent, la question préjudicielle manque en fait ou est sans objet. Une décision de la Cour relative aux articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne saurait donc résoudre le problème de droit soulevé devant le Conseil d'Etat.

A.1.2. Si le fait que le conseiller d'Etat qui a ordonné la suspension siège dans la chambre qui doit se prononcer sur le recours en annulation porte atteinte à l'impartialité (objective) (de la chambre) du Conseil d'Etat lorsque celui-ci statue sur le recours en annulation, les articles 14 et 17 des lois coordonnées n'empêchent en effet nullement, dans toutes les interprétations, que le conseiller d'Etat en question soit récusé ou se retire. Ce problème n'est pas réglé par les dispositions sur lesquelles porte la question préjudicielle mais par les dispositions évoquées plus haut. En d'autres termes : la partialité (objective) d'un conseiller d'Etat est effectivement interdite et son impartialité (objective) est de mise, mais non en vertu des articles 14 ou 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, et le contraire ne se déduit pas davantage de ces mêmes dispositions.

La partie intervenante dans la cause mue devant le Conseil d'Etat n'aurait donc pas dû demander que soit posée une question préjudicielle concernant l'article 14 des lois coordonnées mais aurait dû récuser le conseiller d'Etat dont elle mettait l'impartialité en doute, récusation sur laquelle le Conseil d'Etat aurait dû lui-même statuer.

A.1.3. Le mémoire de la s.a. Utexbel s'arrête assez longuement sur l'applicabilité de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme à la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat. Cet exercice est superfétatoire. En premier lieu, la Cour est sans compétence pour statuer sur la violation directe, par un pouvoir législatif, de dispositions autres que les règles répartitrices de compétences et les articles 10 et 11 de la Constitution. En second lieu et avant tout, nul ne conteste que la section d'administration du Conseil d'Etat, lorsqu'elle statue sur un recours en annulation au sens de l'article 14 des lois coordonnées, agit en tant que juridiction et est donc soumise au principe général de droit de l'impartialité du juge (voy. arrêt n° 67/98).

A.1.4. La s.a. Utexbel comme le Conseil des ministres considèrent apparemment que l'impartialité d'un conseiller d'Etat qui a suspendu un acte administratif et siège ensuite dans la chambre qui doit statuer sur le recours en annulation de l'arrêté suspendu ne peut être mise en doute. C'est manifestement a contrario qu'ils interprètent l'article 17, § 1er, alinéa 4, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat en ce sens que seul un conseiller d'Etat qui a ordonné une suspension provisoire ne peut siéger dans la chambre qui statue sur la confirmation de cette suspension, cependant qu'un conseiller d'Etat qui a ordonné une suspension pourrait siéger dans la chambre qui statue sur le recours en annulation.

Le législateur n'a jamais dit que seule cette hypothèse - ou l'hypothèse visée à l'article 29, deuxième phrase, des lois coordonnées - peut impliquer la likelihood of bias (probabilité de partialité) d'un conseiller d'Etat. C'est sans doute pour dissiper tout doute que le législateur a réglé explicitement dans la loi ces deux situations typiques au Conseil d'Etat. L'article 29, alinéa 2, première phrase, de ces lois coordonnées ne laisse d'ailleurs planer aucun doute quant au caractère exemplatif de ces deux situations.

Quoi qu'il en soit, le Conseil d'Etat n'hésite pas à statuer lui-même sur une éventuelle violation, par n'importe quelle juridiction, du droit à un juge impartial. L'impartialité objective du juge n'est pas non plus inconnue du Conseil d'Etat. En outre, le Conseil d'Etat constate d'office qu'une décision entreprise devant lui a été adoptée « en violation des règles de l'impartialité de ceux qui sont associés à l'administration de la justice ». Enfin, le Conseil d'Etat est également sévère à l'égard de ses propres collaborateurs.

A.1.5. Le Conseil des ministres semble identifier la possibilité de récuser un conseiller d'Etat au bien-fondé de cette récusation, bien-fondé que le Conseil des ministres, tout comme Anckaert et autres, semble mettre en doute. Ce sont toutefois deux questions fondamentalement différentes. Par ailleurs, cette deuxième question n'est pas en cause en l'espèce. Etant donné que les parties devant le Conseil d'Etat peuvent effectivement contester l'impartialité objective d'un conseiller d'Etat, et ce auprès du Conseil d'Etat lui-même, si bien que celui-ci peut et doit statuer sur cette récusation, il n'y a pas lieu, en effet, d'examiner la question concrète de l'impartialité devant la Cour. Une question préjudicielle n'est pas une voie de recours permettant de contredire une jurisprudence éventuellement stricte du Conseil d'Etat. La Cour ne statue que sur la constitutionnalité de la loi; la question de savoir si un conseiller d'Etat est ou non objectivement impartial relève de l'appréciation de circonstances de fait, qui n'est pas et qui ne peut d'ailleurs pas être - demandée en tant que telle à la Cour.

Position du Conseil des ministres A.2.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle ne fait pas ressortir en quoi consisterait l'éventuelle violation de l'article 10 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour est d'ailleurs sans compétence pour effectuer un contrôle direct, au regard de cette disposition conventionnelle, des dispositions légales mentionnées dans la question préjudicielle. Il semblerait que la partie intervenante dénonce le fait qu'après que la chambre du Conseil d'Etat ou un membre de celle-ci ait suspendu un acte administratif, elle ne puisse plus bénéficier d'une appréciation impartiale dans le cadre du recours en annulation lorsqu'il a été statué sur la suspension et lorsque la composition du siège est identique ou partiellement identique au siège qui a statué sur la suspension. En réalité, le moyen de la partie intervenante revient à soutenir qu'elle ne dispose plus en quelque sorte, après une procédure de suspension, d'un deuxième degré de juridiction, pour lequel la même impartialité serait de mise, procédure au cours de laquelle elle pourrait soumettre à examen ses moyens relatifs au fond de l'affaire. Le double degré de juridiction n'est pas prévu par la Constitution et n'est pas un principe général de droit (arrêt n° 75/95).

A.2.2. Lors de l'examen de la conformité des dispositions légales en cause, l'on ne peut perdre de vue que l'expérience enseigne que lorsqu'une demande de suspension, qui est un accessoire du recours en annulation, est traitée devant le Conseil d'Etat, les parties, dans le cadre de la demande de suspension, s'efforcent d'exposer d'emblée l'affaire dans le détail pour ce qui est des faits, des moyens et des arguments. L'affaire est alors déjà souvent définitivement jugée. A ce stade, il ne saurait être question de partialité dans le chef des conseillers d'Etat. Dans de nombreux cas, le traitement au fond est généralement une simple formalité. Il est rare que le Conseil d'Etat, après avoir ordonné la suspension, rejette par la suite le recours en annulation. Mais le cas se produit néanmoins, ce qui prouve que le Conseil d'Etat fait preuve de l'objectivité et de l'impartialité requises.

Considérée de la sorte, il s'agit d'une même procédure qui se déroule en deux phases et qui est comparable à la règle prévue à l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire. La demande de suspension est l'accessoire du recours en annulation et est subordonnée à celui-ci.

Dans la pratique, le procès se déroule principalement à ce stade de la procédure. Au cours de la véritable procédure au fond, rares sont les éléments et arguments neufs.

Celui qui a ordonné ou rejeté la suspension et qui se prononce ensuite (avec d'autres) sur l'annulation, le fait toujours en qualité de membre de la section d'administration du Conseil d'Etat, et non dans l'exercice d'une autre fonction juridictionnelle au sens de l'article 292 du Code judiciaire. Il existe en outre une différence fondamentale entre les litiges portés devant les tribunaux civils, qui concernent les droits subjectifs des parties en cause, et la procédure devant le Conseil d'Etat, qui est un recours objectif (arrêt n° 27/97).

L'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas applicable au Conseil d'Etat lorsque les droits civils des parties ne sont pas en cause (arrêt n° 39.979 du 3 juillet 1992 et arrêt n° 69.893 du 28 novembre 1997). Il peut également être renvoyé aux arrêts nos 49/97 et 52/97 de la Cour.

A.2.3. Dans la grande majorité des cas, un des présidents de chambre ou des conseillers d'Etat qui a ordonné la suspension siégera également dans la chambre plénière qui connaît du recours en annulation. Toutes les parties au procès qui suivent le double parcours, suspension et annulation, auprès du Conseil d'Etat en tant que requérant, défendeur ou partie intervenante se trouvent donc dans une même situation en fait et en droit. Les situations égales sont donc traitées de manière égale. Si la composition du siège au moment du traitement du recours en annulation est différente, ou que celui qui a ordonné la suspension ne fait pas partie du siège qui connaît du recours en annulation, il existera une bonne raison pour cela.

L'éventuelle distinction est dès lors fondée sur un critère adéquat, qui présente un rapport manifeste et raisonnable avec l'objectif poursuivi, qui consiste à préserver la règle de l'impartialité. L'on ne peut pas non plus perdre de vue que la même situation existe à la Cour d'arbitrage.

A.2.4. Lors de l'appréciation, à la lumière de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, de la question de savoir si une affaire a été traitée équitablement par le juge, il échet, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, d'avoir égard à l'ensemble de la procédure et non à l'un ou l'autre aspect particulier, sauf si cet aspect est déterminant pour la suite de la procédure. Il s'avère que tel n'est pas le cas en l'espèce.

Pour qu'il soit question de partialité structurelle du juge, il ne suffit pas qu'il y ait apparence de partialité, mais il est important d'avoir égard, dans toutes les hypothèses, aux circonstances de fait pour vérifier si, concrètement, la crainte du justiciable peut être considérée comme objectivement justifiée : ce n'est pas seulement la crainte subjective du justiciable qui compte, mais également l'aptitude effective du juge à juger en toute impartialité.

Il convient d'ajouter aussi qu'une procédure qui ne vise qu'à entendre imposer une mesure provisoire ne donne pas lieu à une « décision » relative à des droits et obligations et échappe par conséquent au champ d'application de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Tel est le cas d'une procédure qui ne conduit pas à une décision définitive voire même provisoire concernant les droits et obligations d'un justiciable, mais qui règle uniquement une situation temporaire, dans l'attente d'une décision quant au fond.

A.2.5. La question préjudicielle doit être scindée en deux volets. Il échet d'établir une distinction entre la situation d'une composition partiellement identique et la situation d'une composition entièrement identique.

Il se déduit de plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas violé si un organe juridictionnel qui a déjà statué dans une composition partiellement identique dans une affaire doit statuer sur le fond de la même affaire. Il ne saurait donc être question de violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la crainte subjective d'un justiciable relative à l'impartialité du juge n'est plus l'élément déterminant, mais il faut avant tout vérifier si cette crainte peut concrètement être considérée comme objectivement justifiée. Pour qu'il soit question de partialité du juge, il ne suffit plus qu'il y ait apparence de partialité, mais il importe d'avoir égard, dans chaque cas concret, aux circonstances de fait pour vérifier si la crainte du justiciable peut concrètement être considérée comme objectivement justifiée. Les arrêts de suspension du Conseil d'Etat règlent provisoirement la situation des parties dans l'attente d'une décision sur le fond. Celui qui dénonce la partialité d'un conseiller d'Etat ayant participé à la procédure de suspension doit avancer des éléments de fait concrets. La composition de la chambre qui doit statuer sur l'annulation n'est pas un élément concret dont peut se déduire la partialité du juge. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que le fait qu'un juge ait déjà pris des mesures provisoires antérieurement à la véritable procédure relative au fond de l'affaire n'indique pas nécessairement qu'il soit partial. Il faut, pour cela, démontrer des circonstances particulières. L'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est donc pas violé. La composition de la chambre qui statue sur l'annulation de la décision n'implique pas la partialité de la chambre. Lorsque le Conseil d'Etat renvoie l'affaire à une chambre pour que celle-ci statue sur l'annulation, quelle qu'en soit la composition, il n'est pas établi de distinction entre différentes catégories de citoyens. Tous les justiciables sont traités de la même manière. Si on ne constate aucune violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, il faut conclure, conformément à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, que les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont pas violés (arrêt n° 66/95).

Position de la s.a. Utexbel A.3.1. Les consorts Anckaert et Meyfroodt suggèrent que la question préjudicielle est irrecevable puisqu'elle ne précise pas si un droit de caractère civil, au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, est en cause dans le cas d'espèce. Cette remarque est manifestement erronée.

Tout d'abord, l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage précise de façon limitative les cas dans lesquels une juridiction peut refuser de poser une question préjudicielle. Ce sont donc les juridictions qui décident de poser une telle question.

Ensuite, la critique ne porte pas sur la recevabilité, mais sur le bien-fondé de la question préjudicielle.

L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme est bel et bien applicable au présent litige, comme il ressort des développements reproduits ci-après (A.3.2).

Les consorts Anckaert et Meyfroodt soulèvent une discussion - la compatibilité entre l'envoi d'une question préjudicielle et l'obligation pour le Conseil d'Etat de statuer dans les six mois - qui ne relève pas de la compétence de la Cour et qui ne mérite donc aucune réplique.

A.3.2. L'affaire à laquelle la s.a. Utexbel est partie devant le Conseil d'Etat relève clairement du champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le litige porte sur la contestation, par C. Anckaert et B. Meyfroodt, de la légalité d'un permis d'environnement octroyé à la s.a. Utexbel. En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la disposition précitée est applicable aux litiges de droit public, traités par des juridictions administratives; le litige est en l'espèce une contestation relative à un droit de caractère civil, dès lors que le permis d'environnement autorise l'extension ou du moins l'optimisation des activités de la s.a. Utexbel. La procédure devant le Conseil d'Etat doit donc offrir toutes les garanties mentionnées dans cet article.

A.3.3. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme reconnaît le droit à un juge indépendant et impartial qui décide des contestations sur un droit de caractère civil. Dans le cas d'espèce, seule l'impartialité du juge est en cause, et ce dans la mesure où le Conseil d'Etat peut statuer sur le fond dans une composition identique ou presque identique que le siège qui s'est prononcé en référé.

L'impartialité d'un juge implique qu'il n'ait pas d'a priori à l'égard du litige qui lui est soumis ou de la décision à prendre, qu'il ne se laisse pas influencer par les informations extérieures au tribunal, par des rumeurs ou par quelque pression que ce soit, mais fonde son jugement sur des éléments objectifs et sur les éléments du procès. La Cour européenne des droits de l'homme reconnaît deux aspects de l'impartialité : l'impartialité subjective et l'impartialité objective. Même si le juge a pris sa décision de façon impersonnelle, sans avoir été influencé, il se peut malgré tout qu'il n'offre pas suffisamment de garanties, eu égard à son statut ou aux fonctions qu'il exerce, pour dissiper tout doute concernant son impartialité.

Pareil doute surgit principalement lorsqu'une même personne a exercé plusieurs fonctions au cours d'une seule affaire. C'est cette dernière situation qui se présente en l'espèce.

Bien que théoriquement, au cours de la procédure de suspension, qui est un accessoire de la procédure d'annulation, le Conseil d'Etat examine uniquement le caractère sérieux des moyens, il s'avère dans la pratique que ces moyens sont déjà examinés en profondeur lorsque le risque d'un préjudice grave difficilement réparable est admis. Le Conseil d'Etat ne revient que rarement, voire jamais, sur une position adoptée en référé. Dans ces circonstances, les parties ont l'impression légitime qu'elles n'ont quasiment plus de chance de changer l'issue d'une décision quant au fond. L'arrêt de suspension va plus loin qu'une simple mesure provisoire (en référé), étant donné que l'arrêt a un effet comparable à un arrêt d'annulation. Cette situation diffère de celle des juges-rapporteurs auprès de la Cour d'arbitrage, qui ne prennent pas eux-mêmes une décision, et de celle des auditeurs du Conseil d'Etat, puisque ceux-ci n'émettent qu'un avis et ne décident pas.

Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, la suspension et l'annulation ne sont pas respectivement un premier et un second degré de juridiction. Au contraire, il s'agit dans les deux cas simultanément d'un premier et second degré de juridiction, étant donné qu'il n'existe aucune possibilité d'appel, ni au contentieux de la suspension, ni au contentieux de l'annulation. Les moyens de l'annulation sont examinés à deux reprises de la même façon (sérieuse et approfondie); la différence réside dans l' » apparence » de bien-fondé du moyen d'annulation lors de l'examen au contentieux de la suspension, sans que cette appréciation présente une qualité moindre par rapport à celle de l'appréciation du même moyen au contentieux de l'annulation. Le caractère sérieux et approfondi de l'examen du bien-fondé prima facie du moyen d'annulation implique, conjointement avec l'autorité importante - de la chose jugée et avec l'absence de voies de recours ordinaires, que le résultat du contentieux de la suspension (du moins lorsque le moyen d'annulation intervient dans l'appréciation) conditionne le résultat du contentieux de l'annulation.

L'organisation au sein du Conseil d'Etat n'offre donc pas les garanties objectives nécessaires pour que l'on puisse exclure tout doute quant à l'impartialité. Une apparence de partialité structurelle se fait jour. En matière civile, l'on s'accorde à dire qu'un juge qui a déjà siégé en référé doit s'abstenir de trancher le litige au fond.

Cette situation est entièrement comparable à celle au Conseil d'Etat.

L'article 828, 8°, du Code judiciaire, qui précise le principe général de droit de l'impartialité, dispose expressément que le fait qu'un juge ait déjà connu d'une affaire, est une cause de récusation. Il s'ensuit que le législateur est lui aussi conscient du fait qu'un juge peut difficilement intervenir deux fois dans une même affaire, sous peine de créer une apparence de partialité.

A la lumière de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, cette situation est intenable. Etant donné que la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme est démontrée à suffisance, les moyens utilisés sont manifestement disproportionnés et le principe d'égalité est violé.

A.3.4. Telle qu'elle est posée par le Conseil d'Etat, la question préjudicielle contient bel et bien une distinction entre catégories.

Ce constat découle en premier lieu de la jurisprudence du Conseil d'Etat lui-même. En ne garantissant pas, conformément à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'impartialité à l'égard des requérants devant le Conseil d'Etat, on les traite différemment par rapport aux particuliers devant d'autres tribunaux civils ou administratifs. La seule circonstance que le contentieux au Conseil d'Etat est « objectif » et que celui des tribunaux ordinaires est « subjectif » n'y change rien.

A.3.5. Les articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat sont les articles de base qui permettent au Conseil d'Etat de suspendre et d'annuler des actes administratifs. Ces articles doivent nécessairement contenir la garantie d'impartialité des conseillers d'Etat; cela résulte de l'article 17, § 1er, dernier alinéa. Une lacune dans la loi peut d'ailleurs violer aussi le principe d'égalité (arrêt n° 77/96). Le Gouvernement flamand reconnaît lui-même qu'aucun autre texte légal ou réglementaire ne règle explicitement la matière.

Il s'agit d'une question de principe portant sur l' » indépendance structurelle ». En effet, le Conseil d'Etat peut traiter le fond de l'affaire dans un siège de même composition ou dans un siège comprenant au moins un conseiller d'Etat qui a déjà siégé au contentieux de la suspension. Il s'agit donc de savoir si les articles précités, interprétés de la sorte dans la pratique, résistent au contrôle de constitutionnalité. Ce problème est tout à fait étranger à la problématique de la récusation évoquée par le Gouvernement flamand, qui ne concerne aucun aspect structurel, étant donné que les motifs de récusation sont toujours intuitu personae et entièrement étrangers à l'espèce.

Position de C. Anckaert et B. Meyfroodt A.4.1. Le 27 juin 1995, le Conseil d'Etat a ordonné la suspension du permis d'environnement du 12 décembre 1994. En vertu des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, l'arrêt portant sur le recours en annulation doit être rendu dans les 6 mois de l'arrêt de suspension, en l'espèce au plus tard le 27 décembre 1995. Par suite de l'envoi d'une question préjudicielle, la suspension prévue par la loi ne prend cours qu'à la date de l'arrêt qui pose cette question et n'est donc plus applicable en l'espèce.

La question préjudicielle a été posée à la demande d'une partie intervenante, ce qui est contraire à la règle selon laquelle la procédure ne peut être ralentie par la partie intervenante.

Cette situation est à première vue contraire aux principes de la sécurité juridique et de l'égalité. La Cour aura pu constater que les requérants sont traités de manière fort inégale par rapport aux justiciables devant le Conseil d'Etat, qui obtiennent quant à eux un arrêt sur le fond dans les 6 mois de la suspension.

Les requérants comprennent toutefois aussi que le Conseil d'Etat était contraint de poser la question préjudicielle, eu égard à l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, qui ne laisse que très peu de latitude pour poser ou non la question. Il existe une contradiction entre les délais contraignants de l'article 17, § 4, de la loi du 19 juillet 1991 sur le référé et l'inévitable prolongation de la procédure en raison de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Or, cette contradiction joue, semble-t-il, en défaveur des demandeurs, car la lecture conjointe des deux lois n'offre pas de solution aux requérants. L'insécurité juridique que les requérants doivent tolérer dans l'intervalle est bien plus prégnante que les manuvres dilatoires de la partie intervenante. Dans l'actuel cadre législatif, il faut considérer que donner suite à la question préjudicielle renforce l'idée qu'il n'est pas statué sur le fond dans un délai raisonnable.

La procédure préjudicielle est contraire au principe de la sécurité juridique, à l'article 17, § 4, des lois coordonnées et aux restrictions afférentes aux parties intervenantes.

A.4.2. Le Conseil d'Etat a, conformément à l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, posé la question telle qu'elle était libellée par la partie intervenante. Mais on ne voit pas clairement quel droit ou quelle obligation de caractère civil serait en cause. Le problème est donc de savoir si la question préjudicielle est recevable.

A.4.3. En principe, un litige devant le Conseil d'Etat n'est pas un litige portant sur un droit ou une obligation de caractère civil.

Seuls les cours et tribunaux sont compétents, par application de l'article 144 de la Constitution, pour statuer sur des droits civils.

En l'espèce, il s'agit de savoir si le permis d'environnement délivré est légal ou non. Le litige est objectif et ne concerne pas un droit subjectif.

Il est vrai qu'une partie de la doctrine définit la notion de droit de caractère civil ou de droit subjectif plus largement qu'en droit interne. Les actes administratifs individuels, par exemple un arrêté d'expropriation, un arrêté de protection d'un immeuble, l'aménagement d'une voie, etc. peuvent donner lieu à une contestation relative à un droit de caractère civil, mais ici ce lien fait défaut. Une des conditions pour qu'il soit question de violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, lu en combinaison avec le principe d'égalité, n'est donc pas remplie.

A.4.4. En ordre subsidiaire, si la Cour devait considérer malgré tout que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme est applicable au présent litige, il échet d'observer que la partie intervenante ne saurait être considérée comme le justiciable qui fait valoir ses droits et obligations de caractère civil. L'impartialité du pouvoir judiciaire n'est pas compromise, puisque la décision du Conseil d'Etat est collégiale. Les conseillers d'Etat ne siègent pas dans une autre qualité, respectivement dans la chambre de suspension et dans la chambre d'annulation. La législation relative au Conseil d'Etat contient un moyen structurel permettant de sanctionner une éventuelle partialité, à savoir la récusation. L'article 828 du Code judiciaire prévoit qu'un juge n'est pas récusable s'il a concouru, au même degré de juridiction, à un jugement ou à une sentence avant faire droit. Tel est le cas en l'espèce. D'ailleurs, la suspension est un accessoire du recours en annulation. L'arrêt de suspension a un caractère conservatoire et temporaire. Eu égard au lien structurel entre la procédure de suspension et la procédure d'annulation, l'on ne peut soutenir qu'un conseiller d'Etat siège dans une autre qualité. Il s'agit en outre du même degré de juridiction. Une composition partiellement ou même entièrement identique est conforme à la ratio legis de l'article 17, § 4, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, parce qu'une décision sur le fond doit déjà intervenir dans les 6 mois de la suspension. Une certaine continuité dans la gestion du dossier se justifie ici pleinement. Si d'autres conseillers d'Etat devaient statuer sur le fond, cela signifierait inévitablement une charge supplémentaire pour le Conseil d'Etat, étant donné qu'un nouvel examen s'impose alors, ce qui nécessite évidemment du temps et des efforts de la part de la plus haute juridiction administrative, qui est déjà confrontée à de fort nombreuses procédures. L'administration de la justice et donc l'Etat de droit seraient de ce fait encore plus menacés.

Une autre objection à la prétendue contradiction avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme consiste en ce qu'il n'existe qu'un seul Conseil d'Etat, qui est indivisible. Comment saurait-il être question de partialité au sein de cette unité ? Ne faudrait-il pas pareillement étendre le raisonnement de la partie intervenante aux auditeurs du Conseil d'Etat et à la Cour d'arbitrage ? Il n'apparaît nullement que les articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat établiraient un traitement inégal de catégories comparables de justiciables qui introduisent un recours auprès du Conseil d'Etat. Les règles sont les mêmes pour tous.

L'organisation interne de la composition analogue litigieuse des diverses chambres du Conseil d'Etat est une mesure qui n'est pas manifestement disproportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur, d'autant qu'un procès équitable est garanti au cours de la procédure d'annulation. Le droit de défense y est très étendu, des moyens nouveaux peuvent être articulés et des questions préjudicielles peuvent même être posées. Il serait fort déraisonnable et ce serait même une insinuation non déguisée à l'adresse du Conseil d'Etat que d'affirmer de manière générale qu'il y a partialité au sens de la question préjudicielle. La présomption de bonne foi et d'impartialité du pouvoir judiciaire est alors transformée en une présomption ou apparence de partialité, sans qu'elle soit fondée sur une indication concrète quelconque. - B - Quant à l'objet de la question préjudicielle B.1. Le Gouvernement flamand soutient que la question préjudicielle est sans objet, le problème posé par la question n'étant pas réglé par les articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.

B.2. Les articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat font partie du titre III de ces lois. Ce titre concerne la compétence de la section d'administration du Conseil d'Etat.

L'article 14 concerne la compétence d'annulation du Conseil d'Etat. Il énonce : « La section statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives ou contre les décisions contentieuses administratives.

Lorsqu'une autorité administrative est tenue de statuer et qu'à l'expiration d'un délai de quatre mois prenant cours à la mise en demeure de statuer qui lui est notifiée par un intéressé, il n'est pas intervenu de décision, le silence de l'autorité est réputé constituer une décision de rejet susceptible de recours. Cette disposition ne préjudicie pas aux dispositions spéciales qui établissent un délai différent ou qui attachent des effets différents au silence de l'autorité administrative. » L'article 17 concerne le référé administratif. Il énonce : « § 1er. Lorsqu'un acte ou un règlement d'une autorité administrative est susceptible d'être annulé en vertu de l'article 14, alinéa 1er, le Conseil d'Etat est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution.

Sans préjudice de l'article 90, §§ 2 et 3, la suspension est ordonnée, les parties entendues ou dûment appelées, par arrêt motivé du président de la chambre saisie ou du conseiller d'Etat qu'il désigne à cette fin.

Dans les cas d'extrême urgence, la suspension peut être ordonnée à titre provisoire sans que les parties ou certaines d'entre elles aient été entendues. Dans ce cas, l'arrêt qui ordonne la suspension provisoire convoque les parties dans les trois jours devant la chambre qui statue sur le confirmation de la suspension.

Le président de la chambre ou le conseiller d'Etat par lui désigné qui a ordonné la suspension provisoire ne peut siéger dans la chambre qui statuera sur la confirmation de la suspension. § 2. La suspension de l'exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l'annulation de l'acte ou du règlement attaqué sont invoqués et à condition que l'exécution immédiate de l'acte ou du règlement risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Les arrêts prononcés en vertu des §§ 1er et 2 ne sont susceptibles ni d'opposition ni de tierce opposition.

Les arrêts par lesquels la suspension a été ordonnée sont susceptibles d'être rapportés ou modifiés à la demande des parties. § 3. La demande de suspension est introduite par un acte distinct de la requête en annulation et au plus tard avec celle-ci.

Elle contient un exposé des moyens et des faits qui, selon son auteur, justifient que la suspension ou, le cas échéant, des mesures provisoires soient ordonnées.

La suspension et les autres mesures provisoires qui auraient été ordonnées avant l'introduction de la requête en annulation de l'acte ou du règlement seront immédiatement levées par le président de la chambre ou par le conseiller d'Etat qu'il désigne qui les a prononcées s'il constate qu'aucune requête en annulation invoquant les moyens qui les avaient justifiées n'a été introduite dans le délai prévu par le règlement de procédure. § 4. Le président de la chambre ou le conseiller d'Etat qu'il désigne statue dans les quarante-cinq jours sur la demande de suspension. Si la suspension a été ordonnée, il est statué sur la requête en annulation dans les six mois du prononcé de l'arrêt. § 4bis. La section d'administration peut, suivant une procédure accélérée déterminée par le Roi, annuler l'acte ou le règlement dont la suspension est demandée si, dans les trente jours à compter de la notification de l'arrêt qui ordonne la suspension ou confirme la suspension provisoire, la partie adverse ou celui qui a intérêt à la solution de l'affaire n'a pas introduit une demande de poursuite de la procédure. § 4ter. Il existe dans le chef de la partie requérante une présomption de désistement d'instance lorsque, la demande de suspension d'un acte ou d'un règlement ayant été rejetée, la partie requérante n'introduit aucune demande de poursuite de la procédure dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt. § 5. L'arrêt qui ordonne la suspension ou la suspension provisoire de l'exécution d'un acte ou d'un règlement peut, à la demande de la partie requérante, imposer une astreinte à l'autorité concernée. Dans ce cas, l'article 36, §§ 2 à 4, est d'application.

Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, la procédure applicable à la fixation de l'astreinte. § 6. Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, la procédure relative aux demandes prévues par le présent article. Des règles spécifiques peuvent être fixées concernant l'examen des demandes de suspension de l'exécution qui sont manifestement irrecevables et non fondées. Une procédure spécifique pour l'examen au fond, dans le cas où la suspension de l'exécution est ordonnée, peut également être fixée.

Au cas où la suspension de l'exécution est ordonnée pour détournement de pouvoir, l'affaire est renvoyée à l'assemblée générale de la section d'administration. Elle l'est, à la demande du requérant, si la suspension est ordonnée pour violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution.

Si l'assemblée générale de la section d'administration n'annule pas l'acte ou le règlement attaqué, la suspension cesse immédiatement ses effets. Dans ce cas, l'affaire est renvoyée, pour examen d'autres moyens éventuels, à la chambre qui en était initialement saisie. § 7. Si la chambre compétente pour statuer au fond n'annule pas l'acte ou le règlement qui fait l'objet du recours, elle peut lever ou rapporter la suspension ordonnée. » B.3. Bien que les dispositions précitées, comme l'observe le Gouvernement flamand, ne règlent pas la composition de la chambre de la section d'administration du Conseil d'Etat appelée à statuer, par application de l'article 14, sur un recours en annulation d'un acte administratif, après que la chambre saisie, le président de la chambre saisie ou le conseiller d'Etat désigné par ce président ont statué, par application de l'article 17, sur la demande de suspension du même acte administratif, il ne s'ensuit pas que la question préjudicielle serait sans objet.

La question préjudicielle concerne précisément le fait que les dispositions précitées n'empêchent pas que la composition des sièges soit totalement ou partiellement identique.

B.4. L'exception du Gouvernement flamand est rejetée.

Quant au fond B.5. Le référé administratif vise à renforcer la protection juridique offerte par le Conseil d'Etat et s'inscrit dans le cadre des principes formulés dans la recommandation n° R(89) 8 du 13 septembre 1989 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres relative à la protection juridictionnelle provisoire en matière administrative (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1300/1, pp. 1, 7-8, 21, 25).

Cette recommandation énonce notamment que quand un acte administratif est contesté devant une autorité juridictionnelle et que celle-ci ne s'est pas encore prononcée, le requérant a la possibilité de demander à la même autorité juridictionnelle ou à une autre autorité juridictionnelle compétente de décider des mesures de protection provisoire contre l'acte administratif, que la procédure à suivre devant l'autorité juridictionnelle est une procédure rapide, que sauf les cas d'urgence, la procédure est contradictoire et que les tiers intéressés peuvent y intervenir.

B.6.1. La procédure de suspension d'un acte administratif, réglée par l'article 17 précité des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat est un accessoire du recours en annulation de cet acte. Ainsi, la suspension d'un acte administratif ne peut être obtenue que si cet acte est susceptible d'être annulé par le Conseil d'Etat en vertu de l'article 14, alinéa 1er, des mêmes lois coordonnées. La demande de suspension ne peut jamais être introduite contre un acte administratif qui ne fait pas l'objet d'un recours en annulation. Par ailleurs, la suspension ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l'annulation sont invoqués.

B.6.2. Comme le contentieux objectif d'annulation auquel elle est ainsi essentiellement liée, la procédure de suspension a pour seul objectif de permettre d'éviter qu'un acte administratif par hypothèse litigieux, puisqu'il fait l'objet d'un recours en annulation, ne produise des effets de droit aux conséquences irréversibles alors même que des moyens sérieux d'annulation sont, dès l'introduction de la demande de suspension, invoqués et établis.

B.6.3. Prise dans l'urgence et dans le respect des garanties d'un débat contradictoire prévues par l'article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, la décision de suspension est une décision provisoire qui est la première phase d'une procédure unique dont il y a lieu d'assurer la continuité. Cette décision est cependant susceptible d'être remise en cause par la décision définitive statuant sur le recours en annulation. Par conséquent, cette mesure ne préjuge pas de la décision au fond rendue par le Conseil d'Etat lorsqu'il juge définitivement de la légalité de l'acte administratif.

B.7. Lors de l'élaboration de la réglementation en cause, le législateur a ménagé un juste équilibre entre, d'une part, l'exigence d'une protection juridique effective, en vue d'aboutir à une décision rapide concernant une demande de suspension et, en cas de suspension, concernant le recours en annulation, sans toutefois perdre de vue les intérêts de la partie défenderesse et de la partie intervenante et, d'autre part, le bon fonctionnement de la section d'administration du Conseil d'Etat, aux fins d'éviter qu'au cours des phases respectives d'une même procédure, le dossier doive à chaque fois être examiné par d'autres conseillers d'Etat et d'autres auditeurs.

Par ailleurs, la réglementation est identique pour toutes les parties appelées à la cause. La réglementation instaurée par le législateur, qui n'exclut pas que les mêmes conseillers d'Etat ou en partie les mêmes que ceux qui ont procédé à la suspension examinent l'affaire au fond, n'est pas de nature à compromettre leur impartialité objective.

L'appréhension de la partie requérante ou de la partie intervenante au sujet de l'impartialité du siège est d'autant moins objectivement justifiée qu'en l'espèce, les conseillers d'Etat ne doivent pas se prononcer sur le bien-fondé de droits subjectifs mais sur le bien-fondé d'allégations mettant en cause la légalité objective d'un acte administratif.

B.8. A supposer que l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme soit applicable au litige au fond, il ne saurait en résulter une appréciation différente, d'autant que la recommandation citée en B.5 n'exclut pas davantage que les mesures provisoires soient ordonnées par la même juridiction que celle qui statue sur le fond.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, ni lus isolément, ni combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en tant que ces articles ne s'opposent pas à ce que le Conseil d'Etat, dans une composition identique ou partiellement identique des sièges, connaisse de l'affaire au fond après avoir connu de la demande de suspension.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 10 février 1999.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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