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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 01 juin 1999

Arrêt n° 21/99 du 17 février 1999 Numéros du rôle : 1308 et 1309 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 43, § 5, de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, posée par le Conseil d'E La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 21/99 du 17 février 1999 Numéros du rôle : 1308 et 1309 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 43, § 5, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêts nos 71.982 et 71.981 du 20 février 1998 en cause de A. Delvaux contre l'Etat belge, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 12 mars 1998, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 43, § 5, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, en tant qu'il impose que deux tiers des juges au tribunal de première instance de Bruxelles soient bilingues, lu conjointement avec les alinéas de cet article qui interdisent, sauf de manière très occasionnelle, à ces mêmes juges de siéger dans une langue autre que celle de leur diplôme, ne viole-t-il pas les articles 10 et 11 de la Constitution ? » II. Les faits et la procédure antérieure Le requérant devant le Conseil d'Etat demande l'annulation de deux décisions du ministre de la Justice par lesquelles celui-ci refuse de prendre en considération les candidatures du requérant à des emplois de juge au Tribunal de première instance de Bruxelles, au motif que ces emplois doivent être attribués à des candidats justifiant de la connaissance de la langue française et de la langue néerlandaise et que le requérant ne satisfait pas à cette condition.

Le moyen unique du requérant est notamment fondé sur ce qu'en interprétant l'article 43, § 5, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer sur l'emploi des langues en matière judiciaire comme interdisant de nommer un candidat unilingue au Tribunal de première instance de Bruxelles tant que le quota de magistrats bilingues n'est pas atteint, le ministre de la Justice ajoute à la loi une condition de nomination; l'article 60, § 3, de la même loi (qui est relatif au cas d'empêchement de composition du siège pour des raisons linguistiques et dont l'application implique que l'on se trouve en présence de magistrats déjà nommés), l'absence de sanction en cas de méconnaissance de l'article 43, § 5, précité et la pratique suivie jusqu'ici prouvent que cette disposition n'énonce pas une règle d'ordre public mais « un objectif qu'il convient de tenter d'atteindre compte tenu de l'insuffisance chronique du nombre de candidats légalement bilingues postulant ces emplois bruxellois ».

Le requérant fait encore valoir dans un mémoire ampliatif que la disposition en cause, en prévoyant deux tiers de juges bilingues au sein du Tribunal de première instance, est déraisonnable et disproportionnée par rapport au but poursuivi par le législateur et viole les articles 10 et 11 de la Constitution; il formule une question préjudicielle à soumettre à la Cour, dont les termes ont été repris tels quels par les arrêts a quo. Le Conseil d'Etat a fait observer à cette occasion que la question n'indique pas par rapport à quelle autre catégorie de personnes les juges du Tribunal de première instance de Bruxelles feraient l'objet d'une discrimination mais il a relevé, d'une part, que le requérant a précisé à l'audience qu'il existe une discrimination entre les candidats unilingues et les candidats bilingues dans la mesure où seule la candidature de ces derniers est acceptée alors que la nomination de deux tiers de bilingues ne se justifie absolument pas fonctionnellement et, d'autre part, qu'en vertu de l'article 27, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, celle-ci est compétente pour reformuler la question préjudicielle posée.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnances du 12 mars 1998, le président en exercice a désigné les juges des sièges conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Par ordonnance du 25 mars 1998, la Cour a joint les affaires.

Les décisions de renvoi ont été notifiées conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 2 avril 1998; l'ordonnance de jonction a été notifiée aux parties par les mêmes lettres.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 8 avril 1998.

Des mémoires ont été introduits par : - A. Delvaux, demeurant à 1570 Genappe, Drève Micheline 33 a, par lettre recommandée à la poste le 15 mai 1998; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 15 mai 1998; - le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 20 mai 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 28 juillet 1998.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 28 septembre 1998; - A. Delvaux, par lettre recommandée à la poste le 29 septembre 1998; - le Gouvernement flamand, par lettre recommandée à la poste le 30 septembre 1998.

Par ordonnance du 30 juin 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 12 mars 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 16 décembre 1998, le président M. Melchior a soumis les affaires à la Cour réunie en séance plénière.

Par ordonnance du 16 décembre 1998, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 13 janvier 1999.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 17 décembre 1998.

A l'audience publique du 13 janvier 1999 : - ont comparu : . Me H. Bartholomeeusen, avocat au barreau de Bruxelles, pour A. Delvaux; . Me R. Ergec loco Me P. Traest, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; . Me P. Van Orshoven, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement flamand; - les juges-rapporteurs L. François et H. Coremans ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire du Conseil des ministres A.1.1. Tout en souhaitant que toute procédure devant les cours et tribunaux se déroule soit en néerlandais, soit en français - les magistrats devant donc appartenir au même « rôle linguistique » que la langue de la procédure -, il a été jugé nécessaire d'avoir au moins deux tiers de magistrats justifiant de la connaissance de l'autre langue dans les tribunaux du niveau de première instance ayant leur siège à Bruxelles, en raison des contacts sociaux, commerciaux et familiaux existant entre les deux communautés dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde. A défaut, il faudrait faire davantage appel à des traducteurs, ce qui impliquerait une perte de temps, d'efficacité et de ressources, les frais de traduction étant à charge du Trésor.

A.1.2. La loi du 15 juillet 1970 a dérogé au principe selon lequel les magistrats doivent être du même rôle linguistique que la langue de la procédure en disposant qu'en cas de changement de la langue de procédure, les magistrats chargés de l'instruction ou saisis de la cause peuvent poursuivre la procédure s'ils ont justifié de la connaissance de l'autre langue. Il en va de même pour la délivrance d'un mandat d'arrêt dans la langue qui n'est pas celle de la procédure et pour la procédure devant la chambre du conseil, en ce qui concerne tant la détention préventive que le règlement de la procédure. Il est donc nécessaire de disposer de magistrats bilingues pour assurer la continuité des enquêtes et des procédures pénales.

A.1.3. La mesure critiquée, qui répond ainsi à un objectif légitime, permet aussi aux magistrats de prendre connaissance de la jurisprudence de l'ensemble du tribunal et facilite de manière considérable les contacts professionnels entre les magistrats du même corps. Il est à noter également que l'article 43, § 4, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer prescrit que nul ne peut être nommé dans l'arrondissement de Bruxelles comme président du tribunal de première instance, du tribunal de commerce ou du tribunal du travail, procureur du Roi ou auditeur du travail s'il ne justifie pas de la connaissance des deux langues. Un nombre suffisant de bilingues parmi les magistrats de première instance de Bruxelles assure en outre le passage des magistrats de première instance vers d'autres fonctions dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles pour lesquelles le bilinguisme est exigé (par exemple juge de paix, juge de police, fonctions supérieures dans les cours, etc.).

A.1.4. C'est au législateur qu'il appartient d'apprécier quel quota de magistrats bilingues permet d'atteindre l'objectif fixé; il ne peut être considéré comme manifestement déraisonnable. Toutefois, un avant-projet de loi a été adopté qui retient un quota de deux tiers de bilingues par groupe linguistique, tout en précisant que, parmi ces magistrats bilingues, un tiers doit avoir une connaissance approfondie et un autre tiers une connaissance suffisante de l'autre langue.

Mémoire de A. Delvaux A.2.1. La disposition en cause établit deux règles : la première, consacrant le principe du critère fonctionnel quant à l'établissement du nombre de magistrats devant appartenir à tel ou tel rôle linguistique (une représentation minimale d'un tiers étant toutefois garantie à chaque communauté linguistique), prévoit que le nombre total des magistrats par rôle linguistique est déterminé d'après le nombre de chambres francophones et néerlandophones. Conformément à l'article 88 du Code judiciaire, celui-ci est fixé, compte tenu des besoins du service, par le Roi lors de l'établissement du règlement particulier de chaque tribunal; la seconde règle dispose qu'au moins deux tiers des magistrats doivent, sans distinction entre francophones et néerlandophones, être bilingues légaux, c'est-à-dire qu'ils doivent justifier de la connaissance approfondie de l'autre langue.

A.2.2. Alors que la seconde règle doit s'analyser comme un simple objectif à atteindre dans la mesure du possible, le juge a quo en fait une règle impérative et impose ainsi une condition supplémentaire à l'accès à la magistrature près certaines juridictions : cette interprétation a pour effet, d'une part, de soumettre une situation identique - l'accès à la magistrature - à deux régimes différents selon que le candidat à un emploi postule près les tribunaux de première instance, du travail et de commerce de l'arrondissement judiciaire de Bruxelles ou près ces tribunaux dans tout autre arrondissement et, d'autre part, d'opérer une différence de traitement - injustifiée - entre les candidats unilingues et les candidats bilingues légaux à un emploi de magistrat près l'une de ces juridictions bruxelloises.

A.2.3. L'administration d'une bonne justice requiert que toutes les pièces produites soient accessibles sur le plan linguistique et les articles 30 à 34 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer permettent aux magistrats de recourir à un traducteur. Alors que le projet initial, adopté au Sénat, ne contenait aucune disposition relative à l'organisation linguistique des tribunaux, la commission de la Chambre, mue par le souci de l'intérêt des justiciables, élabora la mesure litigieuse; le champ d'application de celle-ci est restreint aux seuls tribunaux bruxellois, alors que le droit reconnu de produire des pièces rédigées ou de faire entendre des témoins dans une autre langue que celle de la procédure l'est indistinctement devant toutes les juridictions du Royaume : la seule utilité de la mesure serait donc de réduire, devant ces tribunaux, le recours aux traducteurs dans le cadre des procédures contentieuses opposant des parties produisant des pièces ou des témoins dans l'autre langue que celle de la procédure. Il s'agit là d'un objectif purement économique.

Toute autre explication quant à la ratio legis de cette disposition doit être écartée dès lors qu'elle impliquerait nécessairement - ce qui serait tout à fait inadmissible - que seul l'intérêt du justiciable bruxellois aurait été pris en considération, alors que rien ne permet a priori de penser que les tribunaux de Bruxelles auraient à connaître d'un nombre exceptionnel d'affaires pour la solution desquelles la connaissance parfaite de l'autre langue constituerait un impératif. Lorsque le législateur opère une distinction de traitement entre magistrats bruxellois et magistrats de tout autre arrondissement, ce ne peut être que suite à une erreur manifeste d'appréciation.

A.2.4. A supposer la mesure justifiée au regard des particularismes linguistiques à Bruxelles, elle n'est nullement pertinente puisqu'elle ne tend pas à imposer un quota de chambres composées de magistrats bilingues. Aussi est-elle tout à fait inefficace puisqu'il en résulte que des chambres à trois juges sont composées de magistrats bilingues et de magistrats unilingues pour lesquels le recours à la traduction est incontournable. De plus, l'hypothèse dans laquelle toutes les parties à la cause seraient bilingues et aucune d'elles ne demanderait la traduction de pièces produites dans une autre langue que celle de la procédure constitue l'exception, voire un pur cas d'école.

A.2.5. A la supposer justifiée et pertinente - quod non -, la mesure est sans rapport raisonnable de proportionnalité avec le but visé puisque l'objectif avoué du législateur - l'intérêt du justiciable - ne nécessite pas que le juge connaisse la seconde langue aussi parfaitement que sa propre langue maternelle : la simple prise de connaissance des pièces ou des témoignages apportés dans l'autre langue ne requiert qu'une connaissance suffisante de celle-ci.

Le quota de deux tiers est arbitraire, ne répond à aucune nécessité objective; il est d'ailleurs réduit à un tiers pour la Cour d'appel de Bruxelles, alors que celle-ci est strictement et proportionnellement confrontée aux mêmes données linguistiques que les tribunaux en cause.

A.2.6. La mesure critiquée porte en outre atteinte à deux principes fondamentaux de l'ordre juridique belge et, conformément à la jurisprudence de l'arrêt n° 18/90, est par hypothèse disproportionnée et par conséquent contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Il s'agit, d'une part, du droit d'accès à l'emploi public, droit politique fondamental consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution et par l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La condition de bilinguisme imposée par un quota fixé arbitrairement ne répond pas aux exigences du service et est déraisonnable : il convient à cet égard de rappeler qu'un magistrat ne siège que dans la langue de son diplôme et que ce principe ne connaît qu'une exception - tout à fait marginale - en matière correctionnelle; il est absolu en matière civile et commerciale ainsi que pour les magistrats des tribunaux du travail.

Les candidats à la magistrature bruxelloise sont ainsi discriminés de manière disproportionnée dans l'exercice d'un droit politique.

Il s'agit, d'autre part, du principe fondamental de la continuité du service public, l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat à la disposition en cause conduisant à l'impossibilité de procéder aux nominations nécessaires et, dès lors, à mettre en péril le droit d'accès à la justice, alors que la mesure en cause n'est pas indispensable à l'intérêt du justiciable puisque d'autres dispositions de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer le servent à suffisance.

Le législateur ayant lui-même, en 1965-1966, constaté qu'il devenait de plus en plus difficile de trouver des magistrats parfaitement bilingues, l'on doit considérer que la disposition en cause ne constitue de l'intention même du législateur qu'un simple objectif à atteindre dans la mesure du possible et dont les effets ne peuvent mettre en péril les principes fondamentaux de la démocratie.

Soutenir que la disposition en cause a un caractère impératif imposerait, compte tenu de la mise en balance des avantages et inconvénients de la règle litigieuse pour parvenir au but visé, de constater son inconstitutionnalité.

Mémoire du Gouvernement flamand A.3.1. Les travaux préparatoires de la disposition en cause font apparaître que la justification de l'exigence linguistique qu'elle formule n'est pas énervée par la circonstance qu'il n'y a ni procédures bilingues ni chambres bilingues (lesquelles furent précisément supprimées lors de l'entrée en vigueur du nouveau régime) ou que les magistrats bilingues n'auraient pas à faire usage de leur « seconde langue ». Les exceptions prévues par les deux derniers alinéas de l'article 43, § 5, sont tout sauf occasionnelles et ont d'ailleurs pour conséquence que, lorsque le magistrat saisi est bilingue, l'on ne demande pas, pour bénéficier d'un effet dilatoire, le changement de la langue de la procédure.

A.3.2. Cette justification de l'exigence linguistique reste pertinente même si le nombre de candidats bilingues porteurs d'un diplôme établi en langue française est insuffisant pour pourvoir à certaines vacances : cette situation résulte en effet de l'absence de prise en considération du quota en cause par l'autorité investie du pouvoir de nomination et il va de soi que les candidats ne seront nullement encouragés à présenter l'examen linguistique s'il n'apparaît pas indispensable à la nomination.

A.3.3. L'on ne peut perdre de vue que l'arrondissement judiciaire de Bruxelles comprend l'arrondissement administratif (néerlandophone) de Hal-Vilvorde, de telle sorte que les relations juridiques sont souvent mixtes au regard de l'emploi des langues.

L'article 4 de la Constitution consacrant par ailleurs le caractère bilingue de l'arrondissement de Bruxelles, une différence de traitement entre les tribunaux bruxellois et les autres trouve sa base dans la Constitution.

A.3.4. Outre ces justifications données par le législateur, l'on doit ajouter que le bon fonctionnement de tribunaux bilingues importants et le souci de l'unité de la jurisprudence requièrent que les magistrats se comprennent entre eux.

Enfin, plus qu'ailleurs, les magistrats bruxellois ont à prendre en compte des sources de droit (les décrets et les règlements des communautés et des régions et des commissions communautaires) dont la version authentique est établie dans une langue qui ne correspond pas nécessairement à celle de la procédure.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres A.4.1. Les contacts entre personnes appartenant aux deux communautés, le nombre de pièces rédigées dans l'autre langue que celle de la procédure et de témoins désirant s'exprimer dans cette autre langue justifient l'exigence de la connaissance de cette langue par un certain nombre de magistrats et le régime linguistique particulier des tribunaux bruxellois.

A.4.2. L'article 43, § 5, ne définissant pas ce qu'il faut entendre par « connaissance » d'une langue, l'on ne peut en déduire qu'elle doit être parfaite et la Cour n'est pas compétente pour vérifier si les examens linguistiques répondent au souci du législateur.

A.4.3. La comparaison des quotas au Tribunal de première instance et à la Cour d'appel de Bruxelles n'est pas pertinente, les ressorts n'étant pas identiques. Les difficultés auxquelles sont confrontés les tribunaux bruxellois ne sont pas toutes liées au problème linguistique : le Gouvernement a pris des mesures tant pour remédier à l'arriéré judiciaire que pour assouplir les exigences linguistiques.

Mémoire en réponse de A. Delvaux A.5.1. L'argumentation avancée par le Conseil des ministres et le Gouvernement flamand (qui se situe à l'opposé de celle contenue dans l'exposé des motifs du projet de loi visant à modifier la disposition en cause) est théorique. D'une part, parce que la possibilité pour un juge bilingue d'entendre un témoin dans l'autre langue est inusitée, un juge ne pouvant ni se muer en interprète sans fragiliser sa position, ni s'imposer comme interprète; d'autre part, parce que la traduction de pièces figurant au dossier étant demandée par l'inculpé, l'économie de cette traduction est illusoire. Quant à la possibilité, pour un juge, de poursuivre la procédure dans l'autre langue, elle est légalement exclue pour les causes de nature civile et n'est jamais, en pratique, usitée devant les chambres correctionnelles (c'est-à-dire quant au fond) parce que la langue de la cause est fixée définitivement avant la saisine du juge du fond. La possibilité théorique n'existe ainsi que dans 7,26 p.c. des affaires et n'est effectivement mise en oeuvre que dans 0,072 p.c. de celles-ci. Il n'est donc pas justifié d'exiger que deux tiers des magistrats en cause soient bilingues parfaits, alors que, de surcroît, le juge d'instruction bilingue préfère, en règle, renvoyer la cause à un juge du même rôle linguistique que celui de l'inculpé, nonobstant la possibilité que lui offre la loi.

A.5.2. Loin de ne faire aucun cas du quota en cause, l'autorité a favorisé les candidats bilingues et a assuré des formations linguistiques, la dernière de celle-ci se soldant par un résultat totalement négatif.

A.5.3. L'argument de l'unité de la jurisprudence ne convainc pas puisque cette unité s'opère au niveau, non de l'arrondissement, mais de l'Etat fédéral où elle existe bien, sans être assurée par des exigences de bilinguisme (les revues spécialisées publient dans les deux langues les décisions significatives). Le principe du caractère contradictoire s'oppose à ce que des juges d'un même tribunal s'entretiennent des causes dont ils sont saisis.

Mémoire en réponse du Gouvernement flamand A.6. L'interprétation de la disposition en cause, suggérée par A. Delvaux, ne correspond pas à celle qu'en donne le Conseil d'Etat et qui, par là, doit être appréciée par la Cour; elle ne peut être admise puisque, loin d'être indicative comme le suggère l'intervenant, la formulation de la disposition en cause est contraignante. Elle s'impose à l'autorité investie du pouvoir de nomination, l'exercice de celui-ci supposant le contrôle de la connaissance linguistique. - B - B.1. L'article 43, § 5, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant l'emploi des langues en matière judiciaire dispose : « § 5. Le tribunal de première instance, le tribunal du travail et le tribunal de commerce dont le siège est établi à Bruxelles, ainsi que le parquet du procureur du Roi et le parquet de l'auditeur du travail près ces tribunaux, comprennent au moins pour un tiers des magistrats qui justifient par leur diplôme qu'ils ont subi les examens du doctorat en droit en langue française et au moins pour un autre tiers des magistrats qui justifient par leur diplôme qu'ils ont subi les examens du doctorat en droit en langue néerlandaise. En outre, les deux tiers de l'ensemble des magistrats de chaque tribunal, tant au siège qu'au parquet, doivent justifier de la connaissance de la langue française et de la langue néerlandaise.

Le rapport entre le nombre de tous les magistrats porteurs du diplôme de docteur en droit en langue française et le nombre de tous les magistrats porteurs du diplôme de docteur en droit en langue néerlandaise est déterminé dans chaque tribunal, tant au siège qu'au parquet, d'après le nombre de chambres qui connaissent des affaires en français et de celles qui connaissent des affaires en néerlandais. Les procédures suivies respectivement en français et en néerlandais sont toujours portées devant des magistrats qui justifient par leur diplôme qu'ils ont subi les examens du doctorat en droit respectivement en français et en néerlandais.

En outre, deux substituts du procureur du Roi de Bruxelles, spécialisés en matière fiscale, doivent justifier par leur diplôme qu'ils ont subi les examens de la licence en droit, l'un en langue française, l'autre en langue néerlandaise.

En cas de changement de la langue de la procédure, non seulement à la demande de l'inculpé, mais aussi par application de l'article 21 de la présente loi, les magistrats chargés de l'instruction ou saisis de la cause poursuivent la procédure s'ils ont justifié de la connaissance des deux langues.

Il en est de même en cas de délivrance d'un mandat d'arrêt dans la langue qui n'est pas celle de la procédure et pour la procédure devant la chambre du conseil tant pour statuer en matière de détention préventive que pour le règlement de la procédure. » B.2.1. Il ressort de ces dispositions que la composition linguistique du Tribunal de première instance de Bruxelles est soumise à deux règles. La première est qu'au moins un tiers des magistrats doivent avoir un diplôme en langue française et au moins un tiers un diplôme en langue néerlandaise, le tiers restant étant réparti entre ces catégories en fonction des besoins. La seconde règle est qu'au moins deux tiers de l'ensemble des magistrats doivent, sans distinction entre francophones et néerlandophones, être « bilingues légaux ».

B.2.2. Il résulte des pièces soumises à la Cour que la disposition en cause est critiquée en ce qu'elle crée ainsi une différence de traitement entre les candidats bilingues et les candidats unilingues, deux tiers des emplois étant destinés aux premiers, un tiers aux seconds. Lors de l'audience devant le Conseil d'Etat, le requérant a déclaré que cette proportion n'était pas justifiée fonctionnellement.

B.3.1. La détermination de la proportion des emplois destinés à des candidats bilingues et de ceux destinés à des candidats unilingues relève de l'appréciation du législateur, lequel dispose à cet égard, en tant qu'assemblée de mandataires élus, d'une liberté de choix que la Cour n'a pas. Celle-ci ne pourrait censurer un tel choix que s'il limitait d'une manière discriminatoire l'accès aux emplois publics en cause.

B.3.2. L'article 43, § 5, alinéa 2, in fine, de la loi en cause prescrit que les procédures suivies en français ou en néerlandais soient toujours portées devant les magistrats suivant la langue dans laquelle leur diplôme a été établi; l'exigence de bilinguisme se justifie toutefois à Bruxelles, à un double titre, par le souci d'une bonne administration de la justice. D'une part, en effet, la même disposition, en ses alinéas 4 et 5, permet au magistrat saisi d'une affaire pénale dont la langue de la procédure est modifiée ou dans laquelle un mandat d'arrêt est délivré alors que la langue de l'inculpé n'est pas celle de la procédure, d'en poursuivre l'examen s'il a justifié de la connaissance des deux langues, l'affaire devant, sinon, être renvoyée devant un autre juge. D'autre part, l'intérêt de permettre au magistrat de prendre connaissance, dans la langue dans laquelle elles ont été établies (Doc. parl., Chambre, 1965-1966, n° 59/49, p. 27), de l'ensemble des pièces d'un dossier, en évitant les délais et les dépenses d'un recours aux services des traducteurs (articles 30 à 32 de la même loi), ne peut que se faire sentir, dans un arrondissement judiciaire tel que celui de Bruxelles, avec une fréquence suffisante pour qu'il n'ait pas été déraisonnable d'exiger le bilinguisme dans la proportion critiquée.

B.4. Il faut certes constater qu'il ne peut être pourvu à tous les emplois de magistrat vacants au Tribunal de première instance de Bruxelles - ce qui a une incidence sur l'arriéré judiciaire - faute de candidats ayant réussi l'examen linguistique. Cette circonstance ne résulte toutefois pas de la disposition critiquée, mais de la manière dont elle est mise en oeuvre, entre autres de l'appréciation concrète de la connaissance linguistique requise. L'application de la loi échappe au contrôle de la Cour.

B.5. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 43, § 5, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, en ce qu'il réserve deux tiers des emplois qu'il vise à des candidats bilingues, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 17 février 1999.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

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