Etaamb.openjustice.be
Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 03 septembre 1999

Arrêt n° 44/99 du 20 avril 1999 Numéro du rôle : 1295 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier, posées par la Cour d'a La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens(...)

source
cour d'arbitrage
numac
1999021406
pub.
03/09/1999
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

Arrêt n° 44/99 du 20 avril 1999 Numéro du rôle : 1295 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier, posées par la Cour d'appel de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt du 28 janvier 1998 en cause de A. Marx et autres contre la ville de Saint-Vith, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 17 février 1998, la Cour d'appel de Liège a posé les questions préjudicielles suivantes : « Dès lors que les biens communaux visés par l'article 542 du Code civil sont des biens dont des personnes physiques jouissent, 1. l'article 93 de la loi du 14 février 1961, tel qu'interprété par la loi du 24 mars 1972, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il prive, sans indemnité, les anciennes sections de commune, telle celle constituée des hameaux de Ober et Nieder Emmels, de la propriété de ces biens communaux et/ou en tant qu'il attribue cette propriété aux communes, telle celle de Crombach, aujourd'hui commune de Saint-Vith, dès lors que pareille privation et/ou attribution pourraient porter atteinte à l'article 16 de la Constitution et à l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signé le 20 mars 1952 et approuvé par la loi du 13 mai 1955 ? 2.l'article 93 de la loi du 14 février 1961, tel qu'interprété par la loi du 24 mars 1972, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il prive, sans indemnité, les anciennes sections de commune, telle celle constituée des hameaux de Ober et Nieder Emmels, de la jouissance de ces biens communaux et/ou en tant qu'il attribue cette jouissance aux communes, telle celle de Crombach, aujourd'hui commune de Saint-Vith, dès lors que pareille privation et/ou attribution pourraient porter atteinte à l'article 16 de la Constitution et/ou à l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signé le 20 mars 1952 et approuvé par la loi du 13 mai 1955 ? 3. L'article 93 de la loi du 14 février 1961, tel qu'interprété par la loi du 24 mars 1972, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution : a) en tant qu'il prive, sans indemnité, les habitants des anciennes sections de commune, telle celle constituée par les hameaux de Ober et Nieder Emmels, de l'exclusivité de l'exercice des droits d'usage sur ces biens communaux et/ou qu'il attribue l'exercice de ces droits d'usage à l'ensemble des habitants des communes, telle celle de Crombach, aujourd'hui commune de Saint-Vith, dès lors que pareille privation et/ou attribution pourraient porter atteinte à l'article 16 de la Constitution et/ou à l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales signé le 20 mars 1952 et approuvé par la loi du 13 mai 1955 ? b) en tant qu'il interdit aux communes d'accorder une préférence aux habitants des anciennes sections de commune, en ce qui concerne l'exercice des droits d'usage sur ces biens communaux dès lors que cette interdiction aboutit à priver, sans indemnité, les habitants des anciennes sections de commune de l'exclusivité de l'exercice de ces droits d'usage, ce qui pourrait porter atteinte à l'article 16 de la Constitution et/ou à l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signé le 20 mars 1952 et approuvé par la loi du 13 mai 1955 ? » II.Les faits et la procédure antérieure La ville de Saint-Vith a cité à comparaître devant le Tribunal de première instance de Verviers « les chefs de ménage bénéficiaires » de Ober-Emmels et Nieder-Emmels, commune de Saint-Vith, aux fins d'entendre dire pour droit qu'elle est propriétaire de cinquante parcelles immobilières sises à Ober-Emmels et Nieder-Emmels, couvrant quelque cinq cent soixante hectares, la demanderesse précisant toutefois que « la survivance des droits d'usage des habitants de Emmels et leur étendue, n'est (ne sont) pas contestée(s) ».

Devant les premiers juges, la plupart des défendeurs ont contesté le droit de propriété de la ville de Saint-Vith et ont soutenu qu'eux-mêmes étaient titulaires d'un droit de propriété collectif ou du moins, d'un droit réel collectif leur permettant de bénéficier de la jouissance en nature des biens immobiliers en litige.

Par jugement du 18 mars 1986, le Tribunal a « dit pour droit que la demanderesse Ville de Saint-Vith est seule propriétaire des parcelles (litigieuses) sises à Ober et Nieder Emmels » et a condamné les défendeurs aux dépens.

Ceux-ci ont interjeté appel.

Dans son arrêt, la Cour d'appel relève que les parties s'accordent pour considérer qu'à l'origine, les biens litigieux étaient des biens communaux au sens de l'article 542 du Code civil mais qu'elles sont en désaccord quant aux effets de cette qualification et quant aux conséquences que la loi unique du 14 février 1961, telle qu'elle fut interprétée par la loi du 24 mars 1972, a eues sur le statut desdits biens.

La Cour d'appel relève que les biens communaux sont, en raison de cette qualité, propriété de la commune (ou des anciennes sections de commune) et non de ses habitants. De ce que ces biens communaux sont ceux dont les habitants d'une commune ont la jouissance, il résulte en principe : « - que la réunion de deux ou plusieurs communes ne peut porter atteinte à leurs droits respectifs de propriété et de jouissance sur les biens communaux proprement dits, que chacune d'elles possédait séparément avant leur réunion, et que par suite de ce principe, les sections de communes qui ne participent point à la jouissance des biens communaux n'en doivent pas supporter les charges. - que des sections de communes peuvent avoir des biens communaux proprement dits qui ne soient pas la propriété de la commune entière. - que l'aliénation des biens communaux appartenant à une section de commune ne peut avoir lieu au profit de la commune entière et que les sommes qui en proviennent doivent être remployées dans l'intérêt seul de la section propriétaire [ . ] ».

La Cour d'appel rappelle l'incidence de l'acte de partage du 4 février 1756, celle du Livre foncier et de l'inscription des biens d'Emmels, celle du rattachement à la Belgique, celle de la création de la section de commune d'Emmels. Elle précise ensuite la portée du jugement rendu le 28 avril 1952 par le Tribunal de première instance de Verviers, de l'arrêt rendu le 10 novembre 1966 par la Cour de cassation et de l'arrêt rendu le 17 février 1966 par la Cour d'appel de Liège.

Par ailleurs, la Cour d'appel précise qu'en vertu de l'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier, les sections de communes sont supprimées et, en outre, l'article 132, alinéa 3, et l'article 149 de la loi communale sont abrogés. Elle relève qu'en supprimant les sections de communes, cette disposition les a fait disparaître et a anéanti les personnes titulaires des droits de propriété sur les biens sectionnaires. La loi du 24 mars 1972 énonce pour sa part que cet article 93 est interprété en ce sens qu'il a pour effet de transférer aux communes les droits de propriété qui appartenaient à leurs sections.

Dans un arrêt du 8 décembre 1989, le Conseil d'Etat a quant à lui considéré que cette suppression devait entraîner la perte des avantages accordés aux habitants de la commune sur certains biens communaux en fonction du lieu où ils résident.

La Cour d'appel considère enfin que pour la solution du litige qui lui est soumis, il est indispensable de poser les questions préjudicielles qui ont été mentionnées ci-dessus.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 17 février 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 22 avril 1998.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 25 avril 1998.

Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 29 mai 1998; - A. Marx, demeurant à 4800 Verviers, rue du Palais 35, et autres et B. Mettlen, demeurant à 4780 Saint-Vith, Nieder-Emmels 8, par lettre recommandée à la poste le 3 juin 1998; - la ville de Saint-Vith, Hôtel de ville, 4780 Saint-Vith, par lettre recommandée à la poste le 8 juin 1998; - le Gouvernement wallon, rue Mazy 25-27, 5100 Namur, par lettre recommandée à la poste le 8 juin 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 24 juin 1998.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - A. Marx et autres et B. Mettlen, par lettre recommandée à la poste le 7 juillet 1998; - le Gouvernement wallon, par lettre recommandée à la poste le 24 juillet 1998; - la ville de Saint-Vith, par lettre recommandée à la poste le 27 juillet 1998.

Par ordonnances des 30 juin 1998 et 27 janvier 1999, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 17 février 1999 et 17 août 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 18 novembre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 16 décembre 1998.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 20 novembre 1998.

A l'audience publique du 16 décembre 1998 : - ont comparu : . Me J. Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, et Me S. Nudelhole, avocat au barreau de Bruxelles, pour A. Marx et autres et B. Mettlen; . Me C. Vial et Me M. Denys, avocats au barreau de Bruxelles, pour la ville de Saint-Vith; . Me B. Van Dorpe, avocat au barreau de Courtrai, pour le Conseil des ministres; . Me V. Thiry, avocat au barreau de Liège, pour le Gouvernement wallon; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Position des parties A. Marx et autres et Mettlen et autres A.1.1. Concernant les deux premières questions, il résulte de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage que les pouvoirs publics peuvent se prévaloir dans certaines circonstances des principes d'égalité et de non-discrimination. Il n'y a toutefois pas de méconnaissance des principes d'égalité et de non-discrimination parce que le transfert de biens, de droits et, le cas échéant, d'obligations d'une entité administrative à une autre ne constitue pas une violation du droit de propriété lorsqu'il est la conséquence de la suppression de la première entité. Il ne s'agit pas d'une expropriation mais d'une succession d'une personne morale de droit public à une autre personne morale de droit public.

Il faut donc répondre aux deux premières questions que l'article 93 de la loi du 14 février 1961, tel qu'interprété par la loi du 24 mars 1972, ne constitue pas une violation du principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination au préjudice des anciennes sections de communes.

A.1.2. En revanche, la réponse à la troisième question doit être positive.

Pour répondre à cette question, il faut tout d'abord préciser ce que l'arrêt entend par « exercice des droits d'usage sur les biens communaux ». Les parties déduisent d'une analyse de l'arrêt posant la question préjudicielle que ces termes visent le droit collectif pour l'ensemble des habitants des sections ayant la qualité « d'usagers » ou de « bénéficiaires », de se voir affecter le produit de l'exploitation (et, le cas échéant, de la réalisation) des parcelles cadastrales visées par le jugement pétitoire du 28 avril 1952. La question n'aurait guère d'intérêt si ces droits se limitaient aux droits individuels visés par le règlement de 1951 (droit de recevoir, à certains moments de l'année ou à certaines occasions, un nombre déterminé de stères de bois de chauffage ou de construction). Le droit pour les habitants ayant la qualité de bénéficiaire ou d'usager de voir utiliser à leur profit exclusif les revenus de l'exploitation de plus de 500 hectares de forêt a une valeur économique considérable. La suppression de semblable droit patrimonial, sans aucune indemnité ni compensation, constitue une expropriation contraire à l'article 16 de la Constitution et à l'article 1er du Protocole.

Le fait que les habitants bénéficiaires n'avaient, dans l'interprétation de l'article 542 du Code civil retenue par l'arrêt, aucun droit de propriété sur les biens communaux, ne suffit pas à supprimer le caractère confiscatoire de l'article 93 de la loi unique.

En effet, même si la section de commune était propriétaire, son droit de propriété était grevé d'une charge particulière : celle d'exploiter les biens dans l'intérêt exclusif d'une collectivité déterminée, soit la collectivité des habitants de la section ayant, en vertu de règlements ou d'usages locaux, la qualité de bénéficiaires ou d'usagers des biens communaux. Il n'y aurait pas eu violation des principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination si la loi unique pouvait être interprétée comme ayant maintenu, dans le chef de la commune qui succède à la section de commune, l'obligation de réserver aux seuls habitants bénéficiaires de la section le profit exclusif des revenus d'exploitation et de la réalisation des biens communaux qui constituaient, avant 1961, le patrimoine de ladite section. A défaut de pouvoir recevoir pareille interprétation, la loi unique équivaut à une expropriation consistant dans la privation, non pas d'un droit de propriété, mais d'un droit sui generis que l'on peut qualifier de droit collectif de jouissance.

Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 24 mars 1972 que l'objectif du législateur était de permettre aux communes de gérer les biens sectionnaires de la même manière que les autres biens relevant du domaine privé de la commune et d'affecter leurs revenus, dans un but unique, à l'ensemble des dépenses d'intérêt général. L'objectif était donc de priver les habitants des sections du droit d'affectation exclusif des revenus des biens communaux.

Il résulte de la division de la troisième question préjudicielle en deux sous-questions que la Cour d'appel envisage deux interprétations de la loi du 24 mars 1972. Dans l'une et l'autre de ces interprétations, les habitants bénéficiaires des sections ont été privés sans indemnité d'un droit patrimonial, le droit de bénéficier collectivement de l'affectation exclusive des revenus des biens communaux. La discrimination dont ils ont été ainsi victimes ne peut se justifier. L'objectif du législateur est certes légitime : il veut supprimer des entraves archaïques à la politique de fusion des communes, dont on espérait notamment la rationalisation des finances communales et une efficacité accrue des services rendus à l'ensemble de la population. Cet objectif pouvait justifier une suppression des sections et même l'expropriation des habitants bénéficiaires. Mais elle ne pouvait pas justifier le fait que l'expropriation intervienne sans indemnité. L'article 16 de la Constitution et le Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme imposaient au législateur, s'il voulait supprimer le droit de jouissance collective des habitants bénéficiaires, d'accorder à chacun de ceux-ci une juste indemnité. Pour la même raison, on ne saurait retenir, en faveur de la constitutionnalité de la loi litigieuse, l'argument déduit de ce que l'évolution de la notion d'intérêt communal oblige aujourd'hui les communes à financer, par leur budget général, des travaux et des dépenses qui étaient autrefois réalisés et financés, à la demande explicite des habitants bénéficiaires, grâce aux revenus des biens sectionnaires.

Position de la ville de Saint-Vith A.2.1. La question préjudicielle qui a été posée par la Cour d'appel n'est pas pertinente au regard du litige. Elle est totalement irrelevante pour trancher la question de la propriété des bois puisque les habitants n'ont jamais eu de droit de propriété sur les parcelles concernées. Les lois contestées n'ont donc en rien pu porter atteinte à ce droit.

A.2.2. A titre subsidiaire, la question est irrecevable parce que la Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur la compatibilité d'une loi avec une disposition de la Convention européenne des droits de l'homme.

Par ailleurs, même dans l'hypothèse où cette Convention serait d'application au droit invoqué par les appelants, il faut encore constater que le droit à une indemnisation ne se justifie aucunement, puisque la suppression des sections a été opérée dans l'intérêt général, dans le but de répartir de façon égalitaire les charges de fonctionnement des institutions communales entre tous les habitants d'une même commune et alors que les droits des usagers sont restés sains et saufs.

A.2.3. A titre plus subsidiaire, la question est non fondée. La suppression des sections a libéré les habitants de la charge qui pesait sur eux dans les frais de fonctionnement de la section.

Dorénavant, tous les frais de fonctionnement de l'ensemble de la commune sont répartis de façon égalitaire entre tous les habitants de la ville. Cela suffit pour démontrer l'absence totale de méconnaissance des prescriptions fondamentales quant au droit de propriété. La ratio legis de la loi du 14 février 1961 apparaît à la lecture des travaux préparatoires. Les sections de commune ont été supprimées parce qu'une inégalité entre les divers habitants d'une même commune ne se justifie plus. Le législateur a estimé qu'aucun élément objectif et raisonnable ne pouvait encore justifier une différenciation entre habitants d'une même commune, au moment où par ailleurs l'on essaie de tendre à une solidarité sur le plan intercommunal. Il convient également de souligner que les droits d'usage dont il est encore question, entre autres le droit de chauffage, le droit de clôture, sont soumis à des coutumes propres. Il est fondamental de bien percevoir la portée de cette coutume. A aucun moment de l'histoire, un surplus quelconque n'a été distribué aux habitants.

Position du Conseil des ministres A.3.1. La première question préjudicielle appelle une réponse négative. La suppression de la section de commune a eu pour effet de poser une question de succession/transfert du droit de propriété. En matière de succession de droits pour cause de suppression d'une personne morale de droit public, ni l'article 16, ni les articles 10 et 11 de la Constitution, ni l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ne sont applicables.

A.3.2. La deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative pour des motifs semblables. La suppression de la section de commune a eu pour effet de poser la question de la succession ou du transfert du droit de jouissance.

Par ailleurs, la Cour d'arbitrage a déjà jugé qu'une diminution de la jouissance du droit de propriété n'est pas une expropriation. Le législateur n'était donc pas tenu d'accorder une juste et préalable indemnité.

A.3.3. La troisième question préjudicielle appelle également une réponse négative puisqu'il n'y a pas de privation de propriété.

En outre, c'est au législateur qu'il appartient de déterminer les cas dans lesquels une limitation du droit de propriété peut donner lieu à une indemnité et les conditions auxquelles cette indemnité peut être octroyée sous réserve du droit de contrôle exercé par la Cour d'arbitrage quant au caractère raisonnable et proportionné de la mesure prise. A cet égard, il faut prendre en considération que puisque la division en sections de communes a eu pour conséquence de transférer la propriété et la jouissance d'une partie des biens auxdites sections de communes et à leurs habitants, il n'est pas déraisonnable ni disproportionné de décider que la disparition des sections de communes a pour conséquence de transférer ces droits aux communes dont elles faisaient partie et à leurs habitants. L'arrêt du Conseil d'Etat du 8 décembre 1989 est par ailleurs rappelé. La mesure est donc justifiée au regard du but légitime du législateur de traiter d'une manière égale tous les habitants d'une commune.

Position du Gouvernement wallon A.4.1. La première question préjudicielle ne peut être déclarée inutile. Il n'appartient pas à la Cour d'arbitrage d'apprécier si une question préjudicielle est ou non indispensable au règlement du litige qui est soumis au juge a quo. De plus, le juge a quo a clairement jugé que les habitants n'ont jamais disposé d'un quelconque droit de propriété sur les parcelles litigieuses.

La première question préjudicielle appelle une réponse négative. Les dispositions litigieuses ne peuvent être interprétées comme opérant une expropriation mais plutôt comme opérant une succession d'une personne morale de droit public à une autre personne de droit public, à la suite de la suppression de celle-ci.

A.4.2. La Cour d'arbitrage ne peut pas davantage déclarer la deuxième question préjudicielle inutile. Cette question appelle également une réponse négative pour les mêmes motifs.

A.4.3. La Cour d'arbitrage doit également répondre à la troisième question préjudicielle; c'est au juge a quo qu'il appartient de décider s'il y avait lieu de poser cette question.

La question préjudicielle appelle également une réponse négative. Elle concerne la distinction de traitement qui découlerait des dispositions législatives litigieuses, en ce qu'elle met tous les habitants de la commune de Crombach sur le même pied d'égalité, alors que les habitants des anciennes sections de la commune bénéficiaient, antérieurement, d'un régime préférentiel concernant l'exercice des droits d'usage. La Cour d'arbitrage doit répondre à la question dans l'interprétation qui est donnée aux dispositions législatives par le juge a quo. Il résulte par ailleurs clairement des motivations de la décision de renvoi que les droits d'usage visés sont ceux qui sont exercés ut singuli par les habitants de l'ancienne section de commune et que ces droits sont distincts du droit de jouissance visé à l'article 542 du Code civil qui appartient à la commune et qui est exercé en commun par la collectivité.

Les dispositions soumises au contrôle de la Cour n'opèrent pas d'expropriation ou de dépossession au sens de l'article 16 de la Constitution ou au sens de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires que l'objectif poursuivi était de mettre fin à une inégalité entre les divers habitants d'une même commune. Dès lors que la loi a valablement transféré aux communes les droits de propriété et les droits de jouissance qui appartenaient antérieurement aux sections de communes, il n'est pas déraisonnable et il est proportionné à cet objectif d'interpréter la même disposition en ce sens qu'elle prive, sans indemnité, les habitants des anciennes sections de communes de l'exclusivité de l'exercice du droit d'usage pour attribuer l'exercice de ces droits à l'ensemble des habitants de la commune, et même en tant qu'elle interdit aux communes d'accorder une préférence aux habitants des anciennes sections de communes. Les dispositions litigieuses mettent donc sur le même pied tous les autres habitants de la commune de Crombach et ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Réponse des parties A. Marx et autres A.5.1. Les parties A. Marx et autres objectent au Conseil des ministres que le droit qu'elles invoquent ici n'est pas un droit d'usage ou de jouissance s'exerçant en nature mais le droit de se voir attribuer, collectivement avec les autres usagers ou bénéficiaires, le produit de l'exploitation économique et, le cas échéant, de la vente d'un patrimoine immobilier. La suppression d'un tel droit n'a rien de comparable avec la limitation de certaines prérogatives du droit de propriété. Il s'agit d'une mesure équivalente à la suppression d'un droit de créance. Elles invoquent à l'appui de cette thèse un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 20 novembre 1995.

A.5.2. Les parties A. Marx et autres objectent à la ville de Saint-Vith que la Cour d'arbitrage ne peut refuser de répondre à la question préjudicielle ni modifier le libellé de celle-ci. Elles objectent également que la Cour d'arbitrage est compétente pour se prononcer sur une discrimination contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution dans la jouissance d'un droit ou d'une liberté garanti par une convention internationale. Elles objectent encore que la privation d'un droit de propriété, d'un autre droit réel ou d'un droit de créance qui est conforme à l'intérêt général n'est pas pour autant licite au regard des articles 16 de la Constitution et 1er du Premier Protocole. Il faut encore qu'elle s'accompagne d'une juste indemnité.

Elles objectent enfin que la ville de Saint-Vith ne peut prétendre tout à la fois que tous les habitants de la commune, qu'ils aient eu ou non dans le passé la qualité d'usagers ou d'habitants bénéficiaires, jouissent aujourd'hui des mêmes droits, sans reconnaître qu'une compensation doit être accordée aux habitants bénéficiaires, à la suite de la privation de droits spécifiques qui n'appartenaient qu'à eux seuls à l'exclusion des autres citoyens de la commune.

Réponse de la ville de Saint-Vith A.6.1. Au terme de longs développements historiques, la ville de Saint-Vith arrive à la conclusion que la commune de Crombach, fusionnée depuis la loi du 30 décembre 1975 avec la commune de Saint-Vith, est propriétaire des biens litigieux. La loi unique n'a nullement supprimé les droits d'usage des habitants bénéficiant de droits ancestraux sur certains biens communaux, que ces droits soient exercés sur une propriété appartenant à une section ou à une commune.

S'il en avait été ainsi, le législateur aurait dû énoncer clairement son intention de supprimer ces usages, quelles que soient les propriétés grevées. Or, il n'a supprimé que les personnes morales de droit public constituées par les sections en laissant intacts les usages. La raison en est évidente puisque la suppression éventuelle des usages contestés est déjà réglée par le Code forestier dans les articles 85 et suivants.

La seule question qui pourrait se poser à l'avenir est de savoir si la ville de Saint-Vith procédera à une extension du droit d'usage aux autres habitants de la ville. Les dispositions de l'article 84 du Code forestier sont rappelées à cet égard. Compte tenu de ces dispositions, le risque de voir réduit le droit d'usage des habitants d'Emmels est nul et à tout le moins prématuré.

A.6.2. La ville de Saint-Vith considère enfin que l'arrêt du Conseil d'Etat du 8 décembre 1989 déjà cité se fonde à tort sur les travaux préparatoires de la loi et néglige le texte formel de celle-ci. Le Conseil d'Etat perd de vue qu'il existe d'innombrables communes où des groupes d'habitants disposent d'un droit d'usage sur l'un ou l'autre bien communal sans que cette faculté soit étendue à tous les habitants d'une même commune et que l'article 84 du Code forestier s'oppose formellement à l'extension des droits d'usage.

Enfin, il y a lieu de rappeler avec la Cour d'appel de Liège que le Conseil d'Etat n'a pas opéré de distinction entre la jouissance des biens communaux par l'affectation des revenus aux diverses charges communales et l'usage des biens communaux par les habitants. C'est à la discrimination dans la jouissance que la loi unique a voulu mettre fin. La différenciation dans l'usage a des raisons d'être découlant des coutumes et de l'histoire. Elle n'a pas été visée par la loi unique puisqu'elle est de toute façon restée intacte dans les communes sans sections. Il coule de source que les habitants bénéficiaires n'ont été spoliés de rien du tout et que les questions posées sous le point 3 sont non seulement impertinentes, mais doivent également recevoir une réponse négative. - B B.1. L'article 542 du Code civil dispose : « Les biens communaux sont ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit acquis. » L'article 93 de la loi du 14 février 1961 « d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier » dispose : « Les sections de communes sont supprimées.

L'article 132, troisième alinéa, et l'article 149 de la loi communale, ainsi que l'article 6 de la loi du 6 juin 1839 sur la circonscription judiciaire du Luxembourg, sont supprimés. » La loi du 24 mars 1972 « interprétative de l'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier » dispose : «

Article 1er.L'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier est interprété en ce sens qu'il a eu pour effet de transférer aux communes les droits de propriété qui appartenaient à leurs sections.

Art. 2.Les sommes d'argent provenant de la vente de produits des propriétés sectionnaires et qui n'ont pas été employées pour satisfaire des intérêts collectifs ne sont sujettes à répétition qu'à partir du 28 avril 1971. » B.2. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 93 de la loi du 14 février 1961, interprété par la loi du 24 mars 1972, avec les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 16 de la Constitution et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Les deux premières questions concernent l'article 93 en ce qu'il prive sans indemnité les anciennes sections de communes de la propriété ou de la jouissance des biens communaux et en ce qu'il attribue ces droits aux communes.

La troisième question concerne le même article en ce qu'il prive sans indemnité les habitants de ces sections de l'exclusivité de l'exercice des droits d'usage sur les biens communaux, en ce qu'il attribue l'exercice de ces droits d'usage à l'ensemble des habitants des communes (question 3, a) et en ce qu'il interdit aux communes d'accorder une préférence aux habitants des anciennes sections de communes en ce qui concerne l'exercice de ces droits d'usage (question 3, b).

B.3. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 14 février 1961 que le législateur a eu « pour but de réorganiser les communes sur le plan territorial, afin d'éliminer les petites communes non-viables qui constituent une plaie dans notre organisation administrative actuelle, et de réaliser des regroupements rendus obligatoires par des circonstances de fait ou de nécessité économique » (Doc. parl., Chambre, 1959-1960, n° 649/1, p. 42).

Pour atteindre ce but général, le législateur a supprimé les sections de communes. Il a estimé que le maintien de ces sections s'oppose à l'esprit de solidarité qui doit régner entre les habitants d'une commune et créerait des situations « inextricables et même absurdes » en cas de fusion des communes à sections (idem, p. 44). Le législateur a donc voulu, par cette mesure, supprimer les discriminations entre les habitants (Doc. parl., Chambre, 1959-1960, n° 649/29, p. 54, et Doc. parl., Sénat, 1960-1961, n° 108, p. 18).

B.4. Il ressort des travaux préparatoires de la loi interprétative du 24 mars 1972 que le législateur a voulu préciser la portée et les effets de la suppression des sections de communes. Il a distingué, à cette fin, le problème du droit de propriété et du droit de jouissance, d'une part, et le problème des droits d'usage, d'autre part. Le législateur a confirmé son souci d'éviter les discriminations entre les habitants d'une commune. Il a rappelé que l'effet de la suppression des sections de communes a été de transférer à la commune le droit de propriété et le droit de jouissance sur les biens communaux de la section de commune. Il s'est opposé dès lors à une renaissance de ces sections sous forme de sociétés coopératives (Doc. parl., Chambre, 1968-1969, n° 468/3, p. 10) et a entendu raisonner en termes de droit public : « la loi peut donc supprimer la section et régler la dévolution des biens de l'organisme supprimé comme il lui convient » (idem, p. 14).

Le législateur n'a toutefois pas voulu porter atteinte aux droits d'usage exercés ut singuli. Il résulte clairement des travaux préparatoires de la loi et des modifications apportées au premier projet que ces droits sont maintenus (idem, pp. 11, 12 et 14).

Quant aux deux premières questions préjudicielles B.5. L'article 542 du Code civil n'a pas pour effet d'accorder aux habitants d'une commune, à titre personnel, un droit de propriété ou un droit de jouissance. Les biens communaux sont en réalité la propriété des communes ou des sections de communes.

En transférant la propriété et la jouissance sur ces biens communaux d'une section de commune à une commune, le législateur n'a pas porté atteinte au droit de propriété tel qu'il est reconnu par l'article 16 de la Constitution et par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Ces dispositions ne peuvent, en effet, être invoquées au profit de personnes de droit public qui ont été supprimées par le législateur.

Le législateur n'a pas non plus violé les règles d'égalité et de non-discrimination en tant que telles. La suppression des sections de communes, à la suite d'une réorganisation territoriale justifiée par des motifs d'efficacité et de solidarité, est une mesure qui se justifie objectivement et raisonnablement au regard du principe d'égalité entre les habitants de communes. Le principe d'égalité n'obligeait pas le législateur à maintenir des avantages en faveur des habitants d'une partie du territoire communal, notamment en réservant le bénéfice des recettes de ces portions de territoire à la réalisation de travaux d'intérêt public au profit de ces seuls habitants.

B.6. Les deux premières questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Quant à la troisième question préjudicielle B.7. Les droits d'usage accordés aux habitants sont des droits qui s'exercent en nature et qui ne donnent pas lieu en tant que tels à une répartition de sommes d'argent. La Cour rappelle que, comme l'a révélé l'analyse des travaux préparatoires, le législateur n'a pas voulu porter atteinte aux droits d'usage exercés ut singuli.

La Cour observe en outre que la suppression du caractère exclusif de ces droits n'est pas obligatoirement subordonnée à une indemnisation.

En effet, une telle mesure ne constitue pas une expropriation au sens de l'article 16 de la Constitution, étant donné qu'il ne s'agit pas d'un transfert ni d'une privation de propriété au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Par ailleurs, eu égard au but d'égalité et de solidarité qu'il poursuit, le législateur ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en décidant de ne pas réserver les droits d'usage aux habitants des anciennes sections de communes.

B.8. Il en résulte que la troisième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. L'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier, interprété par la loi du 24 mars 1972, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 16 de la Constitution et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme en tant qu'il prive, sans indemnité, les anciennes sections de commune, de la propriété des biens communaux et en tant qu'il attribue cette propriété aux communes.2. L'article 93 de la loi du 14 février 1961, interprété par la loi du 24 mars 1972, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 16 de la Constitution et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en tant qu'il prive, sans indemnité, les anciennes sections de commune, de la jouissance de ces biens communaux et en tant qu'il attribue cette jouissance aux communes.3. L'article 93 de la loi du 14 février 1961, interprété par la loi du 24 mars 1972, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 16 de la Constitution et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, a) en tant qu'il prive, sans indemnité, les habitants des anciennes sections de commune, de l'exclusivité de l'exercice des droits d'usage sur ces biens communaux et en tant qu'il attribue l'exercice de ces droits d'usage à l'ensemble des habitants des communes, b) en tant qu'il interdit aux communes d'accorder une préférence aux habitants des anciennes sections de commune, en ce qui concerne l'exercice des droits d'usage sur ces biens communaux. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 20 avril 1999.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

^