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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 02 juin 2003

Arrêt n° 56/2003 du 14 mai 2003 Numéro du rôle : 2306 En cause : le recours en annulation partielle des articles 2, 3 et 5 du décret de la Communauté française du 7 juin 2001 relatif aux avantages sociaux, introduit par S. Cauwe et autres. La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, (...)

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Arrêt n° 56/2003 du 14 mai 2003 Numéro du rôle : 2306 En cause : le recours en annulation partielle des articles 2, 3 et 5 du décret de la Communauté française du 7 juin 2001 relatif aux avantages sociaux, introduit par S. Cauwe et autres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 décembre 2001 et parvenue au greffe le 24 décembre 2001, S. Cauwe, demeurant à 4450 Juprelle, chaussée de Tongres 409, A. Delvaux et son épouse, demeurant à 4530 Villers-le-Bouillet, rue Belle-Vue 77, P. Desneux, demeurant à 4450 Juprelle, rue des Pinsons 52, M.-F. Goulard, demeurant à 4450 Juprelle, rue de Straal 31, P. Jacques, demeurant à 4530 Villers-le-Bouillet, Thier du Moulin 14, B. Léonard, demeurant à 4680 Oupeye, rue Petit Aaz 11, A. Peters, demeurant à 4682 Oupeye, rue de Haccourt 50, V. Rousseau, demeurant à 4451 Juprelle, rue des Pinsons 54, C. Stollenwerk et M. Lepot, demeurant à 4690 Bassenge, rue du Moulin 22, M. Vanbrabant, demeurant à 4680 Oupeye, rue Willy Brandt 8, l'a.s.b.l. Comité de l'Ecole libre subventionnée primaire et gardienne, dont le siège social est établi à 4451 Juprelle, rue du Pairoux 2, l'a.s.b.l. Comité scolaire - Ecole Saint-Martin Villers-le-Bouillet, dont le siège social est établi à 4530 Villers-le-Bouillet, rue Neuve 8, et l'a.s.b.l. Secrétariat général de l'enseignement catholique (SEGEC), dont le siège social est établi à 1040 Bruxelles, rue Guimard 1, ont introduit un recours en annulation des dispositions suivantes du décret de la Communauté française du 7 juin 2001 relatif aux avantages sociaux (publié au Moniteur belge du 26 juin 2001; errata, Moniteur belge du 12 septembre 2001) : le mot « seuls » à l'article 2, les mots « une heure avant le début et une heure après la fin des cours » à l'article 2, 3o, les mots « dans le cas où la piscine fréquentée pendant l'horaire scolaire n'est pas située sur le territoire de la commune » à l'article 2, 7o, l'article 3, alinéas 2 et 4, et les mots « peuvent établir » à l'article 5, § 2. (...) II. En droit (...) Les dispositions en cause B.1. Les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 du décret de la Communauté française du 7 juin 2001 relatif aux avantages sociaux énoncent : «

Art. 1er.Le présent décret s'applique à l'enseignement fondamental et à l'enseignement secondaire, ordinaires et spéciaux, subventionnés par la Communauté française.

Art. 2.Constituent seuls des avantages sociaux au sens de l'article 33 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, dans la mesure où ils servent directement aux élèves : 1o l'organisation de restaurants et de cantines scolaires, à l'exception des restaurants d'application liés a des sections du secteur de l'hôtellerie et de l'alimentation; 2o la distribution d'aliments et de friandises ainsi que de jouets hors matériel propre aux activités d'enseignement; 3o l'organisation de l'accueil des élèves, quelle qu'en soit la forme, une heure avant le début et une heure après la fin des cours; 4o la garderie du repas de midi dont la durée, pour entrer dans le champ d'application du présent article, est comprise entre une demi-heure et une heure; 5o la distribution de vêtements hors les vêtements propres à l'enseignement; 6o l'organisation de colonies scolaires spécifiques pour enfants présentant une santé déficiente; 7o l'accès aux piscines, accessibles au public, ainsi que le transport y relatif dans le cas où la piscine fréquentée pendant l'horaire scolaire n'est pas située sur le territoire de la commune; 8o l'accès aux infrastructures communales, provinciales et de la Commission communautaire française permettant une activité éducative, à l'exception des bâtiments scolaires en ce compris les piscines, sauf celles visées au 7o; 9o l'accès aux plaines de jeux organisées et aux cures de jour pendant le temps scolaire et pendant les vacances sur le territoire de la commune; 10o les aides financières ou en nature à des groupements, associations ou organismes, dont un des objets est l'octroi d'aides sociales qui seraient réservées aux élèves.

Tous les deux ans le Gouvernement présente au Parlement de la Communauté française un rapport sur l'exécution du présent décret.

Art. 3.Les communes qui accordent des avantages sociaux au bénéfice des élèves fréquentant les écoles qu'elles organisent accordent dans des conditions similaires les mêmes avantages au bénéfice des élèves fréquentant des écoles de même catégorie situées dans la même commune et relevant de l'enseignement libre subventionné par la Communauté française pour autant que le pouvoir organisateur de ces écoles en fasse la demande écrite à la commune.

Les provinces et la Commission communautaire française qui accordent des avantages sociaux au bénéfice des élèves fréquentant les écoles qu'elles organisent accordent dans des conditions similaires les mêmes avantages au bénéfice des élèves fréquentant des écoles de même catégorie relevant de l'enseignement libre subventionné par la Communauté française et situées sur leur territoire, dans un rayon déterminé par le Gouvernement en fonction de la taille de ce territoire pondérée par la densité de population, pour autant que le pouvoir organisateur de ces écoles en fasse la demande écrite à la province ou à la Commission communautaire française.

Les communes, les provinces et la Commission communautaire française, en leur qualité de pouvoir octroyant des avantages sociaux, ne sont soumises, entre elles, à aucune obligation.

Constituent des catégories pour l'application du présent décret : - l'enseignement maternel ordinaire; - l'enseignement primaire ordinaire; - l'enseignement maternel spécial; - l'enseignement primaire spécial; - l'enseignement secondaire ordinaire de transition; - l'enseignement secondaire ordinaire de qualification; - l'enseignement secondaire spécial.

Dans le cas où deux pouvoirs organisateurs sont appelés à octroyer des avantages sociaux sur la base des alinéas 1er et 2, ils se concertent pour remplir leurs obligations vis-à-vis du pouvoir organisateur demandeur et pour respecter les dispositions prévues à l'article 7, sans que le pouvoir organisateur demandeur ne puisse prétendre au bénéfice d'un nombre d'avantages sociaux supérieur à celui du pouvoir organisateur octroyant qui en accorde le plus à ses élèves. Le pouvoir organisateur demandeur choisit, le cas échéant, celui ou ceux des avantages sociaux qu'il souhaite recevoir. A défaut d'accord dans le mois qui suit celui de la réception de la demande, les pouvoirs organisateurs octroyants se répartissent la charge proportionnellement à leur nombre d'élèves dans la catégorie d'enseignement concernée.

Art. 4.Les communes, les provinces et la Commission communautaire française qui octroient des avantages sociaux au bénéfice des élèves fréquentant les écoles qu'elles organisent communiquent la liste de ces avantages au Gouvernement et aux pouvoirs organisateurs concernés de l'enseignement libre subventionné par la Communauté française de la même catégorie dans le mois qui suit celui où la décision d'octroi est prise. Elles s'informent mutuellement lorsqu'elles octroient des avantages sociaux aux écoles qu'elles organisent sur le territoire d'une même commune.

Les pouvoirs organisateurs de l'enseignement libre subventionné par la Communauté française dont les élèves bénéficient d'avantages sociaux communiquent également la liste de ces avantages sociaux au Gouvernement et aux pouvoirs octroyants concernés dans le mois qui suit celui du bénéfice de ces avantages.

Art. 5.§ 1er. Les communes ne peuvent faire aucune distinction, en matière d'avantages sociaux, entre les élèves relevant d'une même catégorie qui fréquentent les écoles subventionnées par la Communauté française sur le territoire d'une même commune.

Les provinces et la Commission communautaire française ne peuvent faire aucune distinction, en matière d'avantages sociaux, entre les élèves relevant d'une même catégorie qui fréquentent les écoles subventionnées par la Communauté française situées sur le territoire visé a l'article 3, alinéa 2. § 2. Toutefois, dans le mode d'octroi des avantages sociaux, les communes, les provinces et la Commission communautaire française établissent des distinctions justifiées par la notion d'établissements ou d'implantations bénéficiaires de discriminations positives et peuvent établir des distinctions justifiées par la capacité contributive des parents. » Quant à l'intérêt à agir B.2.1. Le décret entrepris est relatif aux avantages sociaux. Il s'applique à l'enseignement fondamental et à l'enseignement secondaire, tant ordinaires que spéciaux, subventionnés par la Communauté française.

B.2.2. Les parties requérantes qui agissent en qualité de parents d'enfants fréquentant une école libre subventionnée justifient de l'intérêt requis pour entreprendre des dispositions qui précisent voire limitent les avantages sociaux accordés aux élèves.

B.2.3. Les recours introduits par deux associations sans but lucratif qui sont les pouvoirs organisateurs d'écoles libres subventionnées sont également recevables. Ces associations peuvent être affectées directement et défavorablement dans leur situation par des dispositions qui limitent les avantages sociaux pouvant être octroyés aux élèves fréquentant les écoles qu'elles organisent.

B.2.4. Justifie également d'un intérêt à agir devant la Cour à l'encontre du décret entrepris, l'a.s.b.l. Secrétariat général de l'enseignement catholique, qui a pour objet d'organiser des services jugés nécessaires pour la coordination pédagogique, administrative et planologique de l'ensemble des différents niveaux et des centres psycho-médico-sociaux de l'enseignement catholique francophone et germanophone en Belgique, compte tenu de l'incidence du décret entrepris sur les écoles libres subventionnées organisant un enseignement fondamental ou secondaire. L'intérêt collectif poursuivi est distinct à la fois de l'intérêt général et de l'intérêt individuel de ses membres et l'a.s.b.l. apporte une preuve suffisante de l'intérêt que présenterait pour l'objet qu'elle s'est donné l'annulation du décret entrepris. Enfin, il n'apparaît pas que l'objet social ne soit pas ou ne soit plus réellement poursuivi.

B.2.5. L'argument tiré par le Gouvernement de la Communauté française de l'article 2, 10o, du décret entrepris pour conclure à l'irrecevabilité du recours ne peut être pris en considération au stade de l'examen de la recevabilité parce qu'il concerne la portée qu'il convient de donner à la disposition contestée, de sorte que l'examen de la recevabilité se confond avec celui du fond de l'affaire et les autres exceptions d'irrecevabilité du recours sont dès lors rejetées.

Quant aux travaux préparatoires du décret attaqué B.3.1. Il ressort des travaux préparatoires du décret attaqué que le législateur décrétal a voulu clarifier le concept d'avantage social, pour les raisons suivantes : « L'ambiguïté qui entoure la notion d'avantage social est telle qu'elle a entraîné à ce jour de nombreux recours de la part de pouvoirs organisateurs d'écoles libres ou de parents d'élèves de ces écoles réclamant aux communes l'équivalent des financements accordés aux élèves de leurs propres écoles. Afin d'éviter la répétition de ces recours qui ont pour conséquence de contraindre les tribunaux à définir le concept d'avantage social en se substituant au législateur, il convient de fixer le plus rapidement possible, par voie de décret, ce qu'il faut entendre par avantage social en le différenciant clairement du financement d'actions pédagogiques que les communes, les provinces ou la Commission communautaire française doivent assurer à leurs propres écoles » (Doc. , Parlement de la Communauté française, 2000-2001, no 154-1, p. 2).

Par ailleurs, le législateur décrétal s'est soucié « d'assurer la sécurité juridique et financière des communes et des provinces et de gérer au mieux les moyens disponibles » (ibid. ).

Il ressort encore des travaux préparatoires que le législateur décrétal a voulu que les avantages sociaux soient accordés dans un cadre clairement lié aux heures scolaires. Il a été précisé que, dans l'octroi de ces avantages sociaux, « le principe de l'interdiction de pratiques déloyales devra être respecté » et qu'« on tiendra compte des différences objectives suivantes : la capacité contributive des parents, le fait que l'école est à discrimination positive » (ibid., no 154-3, p. 10).

B.3.2. Dans l'avis qu'elle a donné sur l'avant-projet de décret, la section de législation du Conseil d'Etat a constaté que le législateur décrétal entendait « rompre avec l'option retenue par le législateur de 1959 et substituer à une conception évolutive et jurisprudentielle de la notion d'avantages sociaux, une liste exhaustive de ce que recouvre cette notion. » Elle a encore relevé que la « comparaison [de la liste retenue] avec la liste des avantages sociaux actuellement reconnus par la jurisprudence fait apparaître un certain recul », ce qui nécessite une justification (Doc. , Parlement de la Communauté française, 2000-2001, no 154/I, p. 14).

Les mêmes travaux préparatoires révèlent que le Gouvernement, suivi par le législateur décrétal, n'a pu partager ce point de vue pour les raisons suivantes : « L'article 24, § 5, de la Constitution ne fixe aucune limite à l'exercice du pouvoir parlementaire. Si le ministre reconnaît que les réglementations internationales peuvent s'imposer au législateur, il est clair que la jurisprudence ne peut être évoquée pour limiter le pouvoir du Parlement. Sur ce point, le Parlement dispose donc d'un pouvoir de décision plein et entier.

La jurisprudence établie, de manière disparate par des tribunaux de première instance, sans jugement en cour d'appel et sans que la Cour de cassation n'ait unifié la jurisprudence, ne peut s'opposer à ce que le pouvoir législatif s'exprime pleinement » (Doc. , Parlement de la Communauté française, 2000-2001, no 154-3, p. 11).

B.3.3. Pour justifier l'abandon d'une conception évolutive et jurisprudentielle des avantages sociaux, il a été déclaré : « [...] le législateur communautaire n'est pas lié par le passé et il peut en fonction de l'évolution des mentalités et de la situation propre de la Communauté française, fixer ce qui est, à son sens, exigé par la paix scolaire.

Il s'agit d'une application de la ' loi du changement ' qui implique qu'une autorité doit toujours pouvoir adapter sa politique et l'exécution de celle-ci aux exigences fluctuantes de l'intérêt général de sorte qu'il n'y a pas de droit acquis au maintien d'une réglementation.

Si, en 1959, le législateur n'a pas considéré opportun de dresser la liste des avantages sociaux, on peut juger légitimement aujourd'hui, vu l'insécurité juridique grave qui découle de la jurisprudence, qu'il est de bonne administration et conforme à l'intérêt général, de dresser une telle liste » (ibid., p. 34).

Il fut également précisé : « [...] le fait de restreindre les avantages sociaux par rapport à ceux qui étaient antérieurement reconnus par la jurisprudence n'est pas contraire à la règle de l'égalité puisque le projet de décret s'applique de la même manière à tout l'enseignement subventionné, libre et officiel et qu'il veille à ce que les avantages sociaux accordés à leurs écoles par les communes, les provinces ou la Commission communautaire française le soient également aux écoles de l'enseignement libre subventionné. C'est le fondement même du principe de l'égalité » (ibid. , p. 35).

Quant aux deux premiers moyens B.4.1. Les deux moyens sont pris de la violation des articles 10, 11, 23, 24, § 1er, et 24, § 4, de la Constitution, combinés avec l'article 2.2 et l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi qu'avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 2 du Premier Protocole additionnel à cette Convention.

Par leur premier moyen, les parties requérantes reprochent à l'article 2 du décret entrepris d'énumérer de manière exhaustive les prestations qui constituent des avantages sociaux, l'article 3 du décret précisant que seuls ces avantages doivent être accordés dans des conditions similaires aux élèves des écoles officielles subventionnées et des écoles libres subventionnées, tandis que les prestations qui ne sont pas légalement qualifiées d'avantages sociaux ne devraient ni ne pourraient être octroyées aux élèves des écoles libres subventionnées.

Par leur deuxième moyen, les parties requérantes demandent l'annulation de l'article 2, 3o et 7o, du décret en ce que la première de ces dispositions ne considère l'accueil des élèves comme un avantage social qu'une heure avant le début et une heure après la fin des cours et en ce que la seconde ne mentionne le transport des élèves vers une piscine que lorsqu'elle n'est pas située sur le territoire de la commune.

B.4.2. L'article 33 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, dite loi du Pacte scolaire, dispose : « Sans préjudice des dispositions dérogatoires prévues par la présente loi, l'intervention financière des provinces et des communes au profit de l'enseignement libre est limitée à la tutelle sanitaire et aux avantages sociaux accordés aux élèves.

Les provinces et les communes ne peuvent faire aucune distinction entre les enfants quelles que soient les écoles qu'ils fréquentent.

Elles n'ont toutefois aucune obligation vis-à-vis des enfants fréquentant les écoles de l'Etat. » Les travaux préparatoires de cet article indiquent que le législateur n'avait pas voulu définir limitativement les avantages sociaux, vu la nécessité d'adapter la notion à l'évolution de la vie sociale, constante dans ce domaine. (Doc. parl. , Chambre, 1958-1959, no 199/2, p. 11). B.4.3. En énumérant les avantages sociaux à l'article 2 du décret attaqué, le législateur décrétal a entendu abandonner cette conception ouverte, dont le contenu était laissé à l'appréciation des autorités administratives sous le contrôle des tribunaux, pour y substituer une liste limitative d'avantages sociaux.

B.4.4. L'établissement d'une liste exhaustive de ce que recouvre la notion d'avantages sociaux marque un « recul » par rapport à la conception évolutive qui était celle de la loi du 29 mai 1959, ainsi que le fait observer la section de législation du Conseil d'Etat, dans l'avis cité en B.3.2.

B.4.5. La Cour n'est pas compétente pour apprécier si la disposition ancienne était meilleure que celle qui la modifie : le principe d'égalité et de non-discrimination ne s'oppose pas à ce que le législateur revienne sur des objectifs initiaux pour en poursuivre d'autres. Mais il revient à la Cour d'examiner si la disposition nouvelle n'a pas pour effet de porter atteinte à la liberté d'enseignement et au libre choix des parents, consacrés par l'article 24, § 1er, de la Constitution et à l'égalité dans l'enseignement garantie par l'article 24, § 4, de la Constitution.

B.4.6. L'article 3 du décret attaqué garantit cette égalité de traitement en obligeant les communes, les provinces et la Commission communautaire française à accorder les mêmes avantages sociaux aux élèves des écoles qu'elles organisent et aux élèves des écoles de l'enseignement libre de même catégorie situées sur leur territoire.

B.4.7. Il est vrai que certaines déclarations faites au cours des travaux parlementaires laissent entendre que d'autres avantages sociaux pourraient être accordés (Doc. , Parlement de la Communauté française, 2000-2001, no 154-3, p. 56; C.R.I. Parlement de la Communauté française, 2000-2001, 5 juin 2001, pp. 15, 16 et 20). Ces déclarations ne peuvent cependant prévaloir contre le texte clair du décret : l'adjectif « seuls », utilisé à l'alinéa 1er de l'article 2 du décret, interdit de transformer en énumération exemplative la liste que le décret présente sans équivoque comme exhaustive.

B.4.8. Si d'autres avantages sociaux étaient octroyés, il s'agirait d'une violation, non de la Constitution mais du décret lui-même, ce qui échappe à la compétence de la Cour. Ce n'est qu'au cas où de tels avantages, accordés aux écoles organisées par la commune, la province ou la Commission communautaire française, seraient refusés aux écoles de la même catégorie de l'enseignement libre situées sur leur territoire que serait violé l'article 24, §§ 1er et 4, de la Constitution. Mais cette violation ne relèverait pas davantage de la compétence de la Cour puisqu'elle serait imputable non au décret mais à une application illégale et discriminatoire de celui-ci.

B.4.9. L'octroi d'avantages autres que ceux qui sont énumérés à l'article 2 et qui échapperaient à la règle d'égalité de l'article 3 n'est admissible que s'il s'agit non d'avantages sociaux mais de mesures propres au projet pédagogique du pouvoir organisateur. Si ces mesures dissimulaient des avantages sociaux, il s'agirait d'une violation du décret qu'il appartiendrait aux autorités compétentes de sanctionner.

B.4.10. Les autorités mentionnées à l'article 3 du décret pourraient toutefois octroyer des avantages supplémentaires en faisant usage de l'article 2, 10o, du décret, qui permet d'accorder des aides financières ou en nature à des groupements, associations ou organismes dont un des objets est l'octroi d'aides sociales réservées aux élèves.

Mais de tels avantages n'échapperaient pas à la règle d'égalité inscrite à l'article 3, sous peine de méconnaître non seulement cette disposition mais également l'article 24, § 1er et § 4, de la Constitution.

B.4.11. En ce qui concerne les dispositions critiquées par le deuxième moyen, il peut paraître discutable de ne prévoir l'accueil des élèves qu'une heure avant et une heure après les cours (article 2, 3o) et incongru de n'admettre le transport vers une piscine que si elle n'est pas située sur le territoire de la commune, sans avoir égard à la distance qui la sépare de l'école. Mais de telles limitations valent également pour les deux réseaux et n'établissent donc pas de discrimination entre ceux-ci.

B.4.12. Les moyens ne sont pas fondés.

Quant au troisième moyen B.5.1. Le troisième moyen est pris de la violation de l'article 24, § 5, de la Constitution.

Les parties requérantes reprochent à l'article 3, alinéa 2, du décret attaqué de confier au Gouvernement de la Communauté française le soin de déterminer le champ d'application territorial de la disposition alors qu'il appartient au législateur décrétal de fixer les aspects essentiels de l'enseignement relatifs à son organisation, le Gouvernement ne pouvant venir combler l'imprécision des principes ou affiner les options insuffisamment détaillées.

B.5.2. L'article 24, § 5, de la Constitution dispose : « L'organisation, la reconnaissance ou le subventionnement de l'enseignement par la communauté sont réglés par la loi ou le décret. » B.5.3. L'article 24, § 5, de la Constitution traduit la volonté du Constituant de réserver aux pouvoirs législatifs le soin de régler les aspects essentiels de l'enseignement en ce qui concerne son organisation, sa reconnaissance et son subventionnement. L'article 24, § 5, de la Constitution ne prohibe pas que des délégations soient données au Gouvernement de communauté. Toutefois, à travers elles, le Gouvernement de communauté ne saurait combler l'imprécision des principes arrêtés par le législateur décrétal lui-même ou affiner des options insuffisamment détaillées.

Les conditions auxquelles des avantages sociaux peuvent être octroyés relèvent de l'organisation de l'enseignement, qui doit être réglée par la loi ou le décret en vertu de l'article 24, § 5, de la Constitution.

L'article 24, § 5, exige que les délégations confiées par le législateur décrétal ne portent que sur la mise en oeuvre des principes arrêtés par le législateur décrétal lui-même.

B.5.4. Le décret entrepris définit à suffisance les conditions auxquelles des avantages sociaux peuvent être octroyés. L'article 24, § 5, de la Constitution n'est pas violé par l'article 3, alinéa 2, en ce que celui-ci confie au Gouvernement le soin de déterminer au sein d'un territoire provincial ou du territoire de la Commission communautaire française le rayon à l'intérieur duquel les mêmes avantages sociaux doivent être accordés aux élèves fréquentant des écoles de même catégorie. Le législateur décrétal a en effet précisé les critères en fonction desquels cette détermination doit intervenir, à savoir la taille du territoire et la densité de population. Il a ainsi fixé les principes essentiels à observer et n'est pas tenu de procéder lui-même au découpage concret. Le pouvoir exécutif est également tenu de respecter les garanties constitutionnelles en matière d'enseignement et il appartient aux juridictions compétentes de vérifier s'il a fait une application correcte des critères précisés par le décret.

Le troisième moyen n'est pas fondé.

Quant au quatrième moyen B.6.1. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution combinés avec l'article 2.2 et l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi qu'avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 2 du Premier Protocole additionnel à cette Convention.

Les parties requérantes reprochent à l'article 3 du décret entrepris de prévoir que les écoles officielles subventionnées qui accordent à leurs élèves des avantages sociaux au sens de l'article 2 doivent accorder ces mêmes avantages aux élèves fréquentant des écoles libres subventionnées de même catégorie, ces catégories étant l'enseignement maternel ordinaire, l'enseignement primaire ordinaire, l'enseignement maternel spécial, l'enseignement primaire spécial, l'enseignement secondaire ordinaire de transition, l'enseignement secondaire ordinaire de qualification et l'enseignement secondaire spécial.

B.6.2. En raison des caractéristiques propres à l'enseignement spécial, le législateur décrétal a pu considérer qu'il convenait de traiter un établissement de cet enseignement de la même manière qu'un autre établissement du même enseignement en ce qui concerne l'octroi des avantages sociaux.

Il s'ensuit que la différence de traitement dénoncée par le moyen repose sur un critère objectif et qu'elle est objectivement justifiée.

La Cour doit encore vérifier si cette différence ne peut pas avoir, par ses effets, des conséquences disproportionnées pour l'enseignement spécial.

B.6.3. Il va de soi qu'une commune, une province ou la Commission communautaire française ne pourrait prendre prétexte de l'inexistence, sur son territoire, d'un établissement officiel de l'enseignement spécial organisé par elle pour refuser tout avantage social à un établissement de même catégorie de l'enseignement libre subventionné situé sur son territoire. Dans ce cas, l'autorité devrait accorder à cet établissement les avantages accordés à un établissement officiel de l'enseignement ordinaire subventionné (de même niveau), qui sont compatibles avec la situation spécifique des élèves de l'enseignement spécial et ce sans préjudice des avantages propres à l'organisation de cet enseignement.

Sous réserve de cette interprétation, le moyen est rejeté.

Quant au cinquième moyen B.7.1. Le cinquième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution combinés avec l'article 2.2 et l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi qu'avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 2 du Premier Protocole additionnel à cette Convention.

Les parties requérantes reprochent à l'article 5, § 2, du décret attaqué d'imposer aux pouvoirs organisateurs des écoles officielles subventionnées d'établir des distinctions justifiées par la notion d'établissements ou d'implantations bénéficiaires de discriminations positives dans le mode d'octroi des avantages sociaux, mais de se contenter d'autoriser ces mêmes pouvoirs organisateurs à établir des distinctions justifiées par la capacité contributive des parents.

B.7.2. L'article 5, § 2, du décret entrepris établit une différence de traitement dans le mode d'octroi des avantages sociaux entre les établissements ou implantations bénéficiaires de « discriminations positives » et les autres établissements. L'appréciation de cette différence de traitement contraindrait toutefois la Cour à inclure dans son examen le décret de la Communauté française du 30 juin 1998, qui vise à donner à tous les élèves des chances égales d'émancipation sociale, en particulier par l'instauration de mesures correctrices, décret qui n'est pas en cause en l'espèce. En supposant néanmoins que la différence de traitement découlant de ce décret soit conforme aux articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution, la différence de traitement actuellement en cause pourrait également se justifier dans la même mesure.

Le cinquième moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour, sous réserve de l'interprétation retenue en B.6.3, rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 mai 2003.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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