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Arrêt
publié le 30 mars 2012

Extrait de l'arrêt n° 12/2012 du 2 février 2012 Numéro du rôle : 5116 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1798 du Code civil, tel qu'il a été modifié par la loi du 19 février 1990, posée par la Cour d'appel de Liège. composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe,(...)

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30/03/2012
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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 12/2012 du 2 février 2012 Numéro du rôle : 5116 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1798 du Code civil, tel qu'il a été modifié par la loi du 19 février 1990, posée par la Cour d'appel de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe, T. MerckxVan Goey et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 21 février 2011 en cause de la société de droit roumain « Gabro Job Center SRL SC » contre la SPRL « J.Y.C Concept » et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 février 2011, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 1798 du Code civil, tel que modifié par la loi du 19 février 1990, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, s'il doit être interprété en ce qu'il n'accorde une action directe qu'au sous-traitant du premier degré à l'égard du maître de l'ouvrage et qu'au sous-traitant du second degré à l'égard de l'entrepreneur principal et pas aux sous-traitants du troisième degré et au-delà ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 1798 du Code civil, tel qu'il a été modifié par la loi du 19 février 1990, dispose : « Les maçons, charpentiers, ouvriers, artisans et sous-traitants qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise ont une action directe contre le maître de l'ouvrage jusqu'à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l'entrepreneur au moment où leur action est intentée.

Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur et l'entrepreneur comme maître de l'ouvrage à l'égard des propres sous-traitants du premier ».

B.2. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de cet article « s'il doit être interprété en ce qu'il n'accorde une action directe qu'au sous-traitant du premier degré à l'égard du maître de l'ouvrage et qu'au sous-traitant du second degré à l'égard de l'entrepreneur principal et pas aux sous-traitants du troisième degré et au-delà ».

B.3.1. Le Conseil des ministres estime que la question préjudicielle doit être déclarée irrecevable parce qu'elle soumettrait à la Cour constitutionnelle une question relative à l'interprétation d'une loi.

B.3.2. La Cour relève que la question posée par le juge a quo ne porte pas sur l'interprétation de l'article 1798 du Code civil, mais sur sa constitutionnalité dans l'interprétation précisée par ce juge. Une telle question relève de la compétence de la Cour constitutionnelle, telle qu'elle résulte de l'article 142, alinéa 2, 2°, de la Constitution.

B.3.3. La question préjudicielle est recevable.

B.4. Il résulte tant du titre que des travaux préparatoires de la loi du 19 février 1990 « complétant l'article 20 de la loi hypothécaire et modifiant l'article 1798 du Code civil en vue de protéger les sous-traitants » que l'action directe prévue par l'article 1798 du Code civil a pour objectif de protéger le sous-traitant parce que le législateur a considéré qu'il méritait une protection particulière en tant que partie considérée comme la plus faible d'un point de vue économique et financier et comme la première victime d'une faillite de l'entrepreneur : « Le sous-traitant se trouve en effet dans une position économique qui le rend extrêmement dépendant de l'entrepreneur général, une position qui est d'ailleurs comparable à celle qui fait l'objet de dispositions impératives visant à protéger la partie la plus faible dans le cadre de la législation du travail » (Doc. parl., Chambre, 1981-1982, n° 294/3, p. 6).

Un tel objectif visait, conformément à la déclaration gouvernementale, à restaurer un climat de confiance dans le secteur de la construction et à créer des conditions pour la relance de ce secteur (ibid., p. 2).

La même loi instaure également au bénéfice du sous-traitant un privilège spécial sur meuble : « Les sous-traitants disposent ainsi de deux possibilités, l'une n'excluant pas l'autre » (ibid., p. 8).

Le législateur a voulu renforcer la position du sous-traitant en prévoyant en sa faveur le bénéfice d'une action directe : « La proposition initiale de 1982 se contentait d'accorder un privilège spécial, bien qu'on puisse toujours se demander si cette solution est encore souhaitable puisqu'il est de plus en plus dérogé au principe de l'égalité des créanciers.

Il est ressorti du débat mené en Commission de la Chambre que la position du sous-traitant pouvait également être renforcée moyennant une légère modification de l'article 1798 du Code civil.

Il en résulta un projet de loi combinant les deux améliorations proposées au profit des sous-traitants » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 855/2, p. 2).

B.5. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 1798 du Code civil en ce qu'il n'accorde le bénéfice de l'action directe qu'au sous-traitant du premier degré à l'égard du maître de l'ouvrage et qu'au sous-traitant du second degré à l'égard de l'entrepreneur principal et pas aux sous-traitants du troisième degré et au-delà.

B.6. Lorsqu'il prévoit un mécanisme d'action directe, le législateur confère à une personne qui est tierce à un contrat, un droit propre et personnel qu'elle puise dans ce contrat et qu'elle exerce à l'encontre du débiteur de son propre débiteur.

B.7. Comme il est relevé dans les motifs de la décision de renvoi, se fondant sur la doctrine majoritaire, le juge a quo interprète l'article 1798 du Code civil comme limitant le bénéfice de l'action directe aux sous-traitants du premier et deuxième degré. Cette interprétation du juge a quo se fonde sur le texte de l'alinéa 2 et sur le fait que l'article 1798 du Code civil ne peut être interprété de manière extensive dès lors qu'une action directe est une institution dérogatoire au droit commun.

Dans cette interprétation, l'article 1798 du Code civil crée dès lors une différence de traitement entre sous-traitants selon leur place dans la chaîne de sous-traitance. Seuls les sous-traitants du premier et deuxième degré bénéficient d'une action directe, le premier à l'égard du maître de l'ouvrage, le second à l'égard de l'entrepreneur principal.

B.8. Il apparaît des travaux préparatoires cités en B.4 que le législateur a entendu étendre aux artisans et aux sous-traitants une protection qu'il avait déjà accordée aux maçons, charpentiers et ouvriers parce que chacune de ces catégories de personnes se trouve dans une position économique particulière, en raison de leur dépendance à l'égard de l'entrepreneur général. Rien n'indique dans les travaux préparatoires que le législateur a entendu limiter le bénéfice de cette protection aux sous-traitants du premier et deuxième degré. Bien au contraire, le législateur a entendu protéger les sous-traitants en raison de leur position de dépendance et de leur vulnérabilité économique et financière. Il est contraire à cet objectif de priver les sous-traitants au-delà du deuxième degré du bénéfice de l'action directe. La différence entre les sous-traitants ne peut se justifier raisonnablement.

Interprété comme n'accordant l'action directe qu'au sous-traitant du premier degré à l'égard du maître de l'ouvrage et qu'au sous-traitant du second degré à l'égard de l'entrepreneur principal et pas aux sous-traitants du troisième degré et au-delà, l'article 1798 du Code civil n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.9. La Cour relève, cependant, que l'article 1798 du Code civil peut également être interprété comme accordant l'action directe à tous les sous-traitants auprès du débiteur de leur débiteur, indépendamment de leur degré dans la chaîne de la sous-traitance. Rien n'indique, en effet, dans les travaux préparatoires que le législateur a entendu limiter la protection qu'il accorde aux sous-traitants en raison de leur dépendance économique. Par ailleurs, l'alinéa 2 de cet article a entendu clarifier les notions de sous-traitant, d'entrepreneur et de maître de l'ouvrage dans le mécanisme de l'action directe. Il peut être interprété comme excluant le système dans lequel tous les sous-traitants bénéficieraient d'une action directe auprès du maître de l'ouvrage et comme indiquant que chaque sous-traitant dispose d'une action directe auprès du débiteur de son débiteur. Dans cette interprétation, l'article 1798 du Code civil ne crée pas de différence de traitement entre les sous-traitants et n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Interprété comme n'accordant l'action directe qu'au sous-traitant du premier degré à l'égard du maître de l'ouvrage et qu'au sous-traitant du second degré à l'égard de l'entrepreneur principal et pas aux sous-traitants du troisième degré et au-delà, l'article 1798 du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution. - Interprété comme accordant l'action directe à tous les sous-traitants à l'égard du débiteur de leur débiteur, l'article 1798 du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 2 février 2012.

Le greffier, F. Meersschaut.

Le président, R. Henneuse.

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