Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 24 novembre 2014

Extrait de l'arrêt n° 111/2014 du 17 juillet 2014 Numéro du rôle : 5695 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1382 du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Tournai. La Cour constitutionnelle, comp après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédu(...)

source
cour constitutionnelle
numac
2014205152
pub.
24/11/2014
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 111/2014 du 17 juillet 2014 Numéro du rôle : 5695 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1382 du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Tournai.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et T. Giet, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 26 mars 2013 en cause de Nathalie Tremiseau et la SA « Compagnie européenne d'assurance des marchandises et des bagages » contre l'Etat belge, et en cause de la SA « AXA Belgium » contre l'Etat belge et Fabrice Cordier, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 juillet 2013, le Tribunal de première instance de Tournai a posé la question préjudicielle suivante : « Dans l'interprétation suivant laquelle, lorsque le dommage a été causé d'une manière concurrente par la faute d'un tiers et par celle de la victime, ce tiers (ou le civilement responsable) ne peut être condamné à la réparation intégrale du dommage que les proches de la victime subissent par répercussion, le droit à la réparation de ce dommage étant affecté par la responsabilité personnelle de la victime et les proches de la victime n'ayant donc pas droit à la réparation intégrale de leur dommage, alors que le tiers est tenu à la réparation intégrale du dommage propre que les personnes lésées subissent, qu'elles soient ou non des proches de la victime, ces personnes lésées ayant donc droit à la réparation de l'entièreté de leur dommage, l'article 1382 du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 1382 du Code civil dispose : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

B.2.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité de cette disposition avec les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle elle ne permet pas, lorsqu'un accident a été causé par les fautes concurrentes de la victime et d'un tiers, d'imposer à ce dernier la réparation intégrale du dommage par répercussion subi par les proches de la victime, alors que, dans de mêmes circonstances, ce tiers co-responsable est tenu de réparer intégralement le dommage causé à une autre victime directe de cet accident, qu'elle soit ou non proche de la victime, co-auteur de l'accident.

B.2.2. Le litige pendant devant le juge a quo concerne la réparation de dommages moraux et matériels supportés par le père et la soeur d'un conducteur décédé à l'occasion d'un accident de circulation. La responsabilité de cet accident est partagée entre ce conducteur et un tiers.

La victime directe n'étant pas, en l'espèce, un usager faible de la route, l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/11/1989 pub. 23/12/2009 numac 2009000839 source service public federal interieur Loi relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer « relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs » n'est pas d'application. De surcroît, la question préjudicielle ne porte pas sur la comparaison entre cette disposition et les règles découlant, en matière de préjudice par répercussion, de l'article 1382 du Code civil.

B.3. La victime d'un dommage causé par les fautes concurrentes de plusieurs auteurs dispose du droit d'en réclamer la réparation intégrale à l'un quelconque de ceux-ci, tenus in solidum. L'auteur ayant indemnisé la victime dispose d'une action en garantie contre ses co-auteurs à concurrence de la part de responsabilité que chacun d'eux supporte, compte tenu de « l'importance relative des différentes fautes » commises, soit de « leur plus ou moins grande aptitude à engendrer le sinistre » (Cass., 13 mars 2013, Pas., 2013, n° 178. Voy. aussi Cass., 26 septembre 2012, Pas., 2012, n° 487).

B.4. Lorsque la victime est, elle-même, co-auteur de son dommage le tiers co-responsable n'est, en principe, tenu à la réparation du dommage qu'en proportion de sa part de responsabilité dans la survenance du dommage (ibid.).

B.5.1. Dans l'interprétation du juge a quo, la victime directe d'un accident causé par les fautes concurrentes d'un tiers et d'une autre victime du même accident a droit à la réparation intégrale de son dommage, à charge de l'un quelconque des deux co-responsables, même si elle entretient des liens d'affection avec la victime, co-auteur de l'accident.

B.5.2. En revanche, la faute de la victime en lien causal avec son dommage est, en principe, opposable aux personnes victimes d'un préjudice par répercussion subi en raison des liens affectifs ou familiaux qui les unissent à la victime directe. Ainsi, si la victime est seule responsable de son dommage, ses proches ne peuvent être indemnisés du préjudice qui en découle pour eux (Cass., 23 janvier 2012, Pas., 2012, n° 62; Cass., 2 mars 1995, Pas., 1995, I, n° 128).

Si la victime est co-auteur de son dommage, le tiers co-responsable n'est tenu d'indemniser la victime par répercussion qu'à concurrence de sa part de responsabilité dans le dommage initial.

La Cour de cassation a ainsi jugé : « Lorsque le dommage a été causé d'une manière concurrente par la faute d'un tiers et par celle de la victime, ce tiers ne peut être condamné à la réparation intégrale du dommage que les proches de la victime subissent par répercussion.

Le droit à la réparation de ce dommage, même s'il est subi par ces proches personnellement, ne trouve, en effet, sa source que dans les liens de famille et d'affection qui les unissaient à la victime décédée.

En raison de ces liens qui fondent le droit à réparation, ce droit est affecté par la responsabilité personnelle de la victime dans toute la mesure où le tiers aurait pu l'opposer à cette dernière pour refuser l'indemnisation de son propre préjudice » (Cass., 28 juin 2006, Pas., 2006, n° 361; voy. aussi, dans le même sens, notamment, Cass., 19 décembre 1962, Pas., 1963, I, p. 491; Cass., 16 février 2011, Pas., 2011, n° 137; Cass., 28 avril 2011, C.09.0097.F; Cass., 23 janvier 2012, précité; Cass., 30 mai 2013, Pas., 2013, n° 329).

B.6. La différence de traitement en cause vise à éviter que, lorsque le préjudice par répercussion trouve sa source dans les liens affectifs entre la victime par répercussion et la victime directe, le dommage subi en raison de ces liens doive être réparé, fût-ce en partie, par la victime directe ou qu'il soit mis intégralement à charge du tiers co-responsable de l'accident. Est ainsi poursuivie une mise en balance entre, d'une part, les intérêts des personnes victimes d'un préjudice par répercussion, en raison de liens affectifs entre elles et la victime directe, et, d'autre part, les intérêts de la victime directe et du tiers co-responsable. Cet objectif peut être considéré comme légitime.

La mesure en cause permet de rencontrer adéquatement cet objectif, en rendant la faute de la victime directe opposable à la victime par répercussion et en limitant, de la sorte, le droit à réparation de cette dernière à la seule partie de son préjudice qui peut être imputée au tiers co-responsable, déduction faite de la part de responsabilité assumée par la victime directe dans l'accident.

B.7. La mesure en cause n'a pas d'effets disproportionnés à l'égard de la personne qui subit un dommage par répercussion.

Le dommage de la victime par répercussion ne demeure à sa charge que dans la mesure de l'importance de la faute commise par la victime directe, si bien que son droit à la réparation du préjudice, occasionné par les liens affectifs qu'elle entretient avec la victime directe, est limité d'une façon correspondante au droit à réparation que cette dernière peut faire valoir.

La disposition en cause assure dès lors un juste équilibre entre les différents intérêts en présence.

B.8. Rendre la faute de la victime directe d'un accident opposable à la personne qui subit un préjudice par répercussion, à raison des liens affectifs qu'elle entretient avec la victime directe, n'est dès lors pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Compte tenu de ce qui a été exposé en B.6 à B.7, il n'est en effet pas dépourvu de justification raisonnable que cette victime par répercussion bénéficie, en principe, d'une réparation de son dommage moins importante que celle à laquelle pourrait prétendre une éventuelle seconde victime directe de l'accident, non fautive.

La circonstance, évoquée dans la question préjudicielle, que cette seconde victime directe, non fautive, peut entretenir des liens d'affection avec la victime directe, co-responsable de l'accident, n'aboutit pas à une autre conclusion. En effet, dans pareille hypothèse, ces liens affectifs sont étrangers au préjudice personnel que la seconde victime subit directement en raison des fautes concurrentes de l'autre victime et du tiers co-responsable.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1382 du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle il ne permet pas, lorsqu'un accident a été causé par les fautes concurrentes de la victime et d'un tiers, d'imposer à ce dernier la réparation intégrale du dommage par répercussion subi par une autre personne en raison des liens affectifs qu'elle entretient avec la victime directe.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 juillet 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

^