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Arrêt
publié le 24 novembre 2014

Extrait de l'arrêt n° 139/2014 du 25 septembre 2014 Numéros du rôle : 5747, 5781 et 5804 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 330 du Code civil, posées par le Tribunal de première instance de Namur. La Cour constit composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snapp(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 139/2014 du 25 septembre 2014 Numéros du rôle : 5747, 5781 et 5804 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 330 du Code civil, posées par le Tribunal de première instance de Namur.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugement du 6 novembre 2013 en cause de F.L. contre C.F., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 novembre 2013, le Tribunal de première instance de Namur a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 330 du Code civil, en ce qu'il prescrit que l'action de celui qui conteste sa propre reconnaissance n'est fondé à le faire que s'il démontre que son consentement a été vicié, ne viole-t-il pas notamment les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec d'autres dispositions légales supranationales telle la Convention européenne des droits de l'homme et notamment l'article 8 de cette dernière, en ce qu'il prive le juge de la possibilité de tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées dans l'appréciation du litige de filiation lui soumis, notamment dans les cas où il n'y a pas de réalité socio-affective vécue par l'enfant à l'égard de son père légal ? ». b. Par jugement du 4 décembre 2013 en cause de F.D. contre P.P., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 décembre 2013, le Tribunal de première instance de Namur a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 330 du Code civil, en ce qu'il prescrit qu'à moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et l'homme qui revendique la paternité, ne viole-t-il pas notamment les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec d'autres dispositions légales supranationales telle la Convention européenne des droits de l'homme et notamment l'article 8 de cette dernière, en ce que l'action en annulation de la reconnaissance par l'auteur de celle-ci n'est pas recevable si l'enfant a la possession d'état à son égard ? 2. L'article 330 du Code civil, en ce qu'il prescrit que l'action du père, de la mère ou de la personne qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait que la personne qui a reconnu l'enfant n'est pas le père ou la mère, ne viole-t-il pas notamment les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec d'autres dispositions légales supranationales telle la Convention européenne des droits de l'homme et notamment l'article 8 de cette dernière, en ce qu'il prive le juge de la possibilité de tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées dans l'appréciation du litige de filiation lui soumis, par hypothèse au-delà de ce délai d'un an ? 3.L'article 330 du Code civil, en ce qu'il prescrit que l'action de celui qui conteste sa propre reconnaissance n'est fondé à le faire que s'il démontre que son consentement a été vicié, ne viole-t-il pas notamment les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec d'autres dispositions légales supranationales telle la Convention européenne des droits de l'homme et notamment l'article 8 de cette dernière, en ce qu'il prive le juge de la possibilité de tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées dans l'appréciation du litige de filiation lui soumis, notamment mais non exclusivement dans les cas où il n'y a pas ou plus de réalité socio-affective vécue par l'enfant à l'égard de son père légal ? ». c. Par jugement du 18 décembre 2013 en cause de J.J. contre D.G., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 10 janvier 2014, le Tribunal de première instance de Namur a posé les mêmes questions préjudicielles que celles reprises au b., mais dans un ordre différent (question 2, question 1 et question 3).

Ces affaires, inscrites sous les numéros 5747, 5781 et 5804 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1. Les questions préjudicielles concernent l'article 330 du Code civil, qui disposait avant sa modification par l'article 35, 1° et 2°, de la loi du 30 juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/2013 pub. 27/09/2013 numac 2013009420 source service public federal justice Loi portant création d'un tribunal de la famille et de la jeunesse fermer portant création d'un tribunal de la famille et de la jeunesse : « § 1er. A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celle qui l'a reconnu, la reconnaissance maternelle peut être contestée par le père, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et la femme qui revendique la maternité. A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et l'homme qui revendique la paternité.

Toutefois, l'auteur de la reconnaissance et ceux qui ont donné les consentements préalables requis ou visés par l'article 329bis ne sont recevables à contester la reconnaissance que s'ils prouvent que leur consentement a été vicié.

La reconnaissance ne peut être contestée par ceux qui ont été parties à la décision qui l'a autorisée conformément à l'article 329bis ou à celle qui a refusé l'annulation demandée en vertu de cet article.

L'action du père, de la mère ou de la personne qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait que la personne qui a reconnu l'enfant n'est pas le père ou la mère; celle de la personne qui revendique la filiation doit être intentée dans l'année de la découverte qu'elle est le père ou la mère de l'enfant; celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il a atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père ou sa mère. § 2. Sans préjudice du § 1er, la reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé par toutes voies de droit que l'intéressé n'est pas le père ou la mère. § 3. La demande en contestation introduite par la personne qui se prétend le père ou la mère biologique de l'enfant n'est fondée que si sa paternité ou sa maternité est établie. La décision faisant droit à cette action en contestation entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du demandeur. Le tribunal vérifie que les conditions de l'article 332quinquies sont respectées. A défaut, l'action est rejetée ».

Concernant la possession d'état, l'article 331nonies du Code civil dispose : « La possession d'état doit être continue.

Elle s'établit par des faits qui, ensemble ou séparément, indiquent le rapport de filiation.

Ces faits sont entre autres : - que l'enfant a toujours porté le nom de celui dont on le dit issu; - que celui-ci l'a traité comme son enfant; - qu'il a, en qualité de père ou de mère, pourvu à son entretien et à son éducation; - que l'enfant l'a traité comme son père ou sa mère; - qu'il est reconnu comme son enfant par la famille et dans la société; - que l'autorité publique le considère comme tel ».

B.2. Pour répondre aux questions préjudicielles, la Cour doit examiner trois questions : la possession d'état, le délai de prescription et le vice de consentement.

Quant à la possession d'état B.3.1. La première question préjudicielle dans l'affaire n° 5781 et la deuxième question préjudicielle dans l'affaire n° 5804 interrogent la Cour sur la compatibilité avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 330 du Code civil en ce que l'action en annulation de la reconnaissance par l'auteur de celle-ci n'est pas recevable si l'enfant a la possession d'état à son égard.

B.3.2. Il apparaît des données des deux affaires et de la motivation des décisions de renvoi que les litiges au fond ont pour objet une action en contestation de la reconnaissance de paternité introduite par l'auteur de la reconnaissance, à l'égard duquel l'enfant a ou pourrait avoir la possession d'état.

Dans les litiges au fond, seule la deuxième phrase de l'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil est dès lors en cause, dans l'hypothèse où la reconnaissance de paternité est contestée par l'homme qui a reconnu l'enfant.

B.4. L'article 330 du Code civil règle la possibilité de contester la reconnaissance paternelle. Dans les délais fixés à l'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil - qui diffèrent selon les titulaires de l'action -, la reconnaissance paternelle ne peut être contestée que par la mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par l'homme qui revendique la paternité de l'enfant.

La possibilité de contester la reconnaissance paternelle est toutefois soumise à une limitation : la demande est irrecevable - pour tous les titulaires de l'action - lorsque l'enfant a la possession d'état à l'égard de l'auteur de la reconnaissance.

B.5.1. La possession d'état a été érigée en fin de non-recevoir de l'action en contestation de paternité par la loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation.

L'article 330, § 2, du Code civil disposait : « La reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé, par toutes voies de droit, que son auteur n'est pas le père ou la mère.

Toutefois, la demande doit être rejetée si l'enfant a la possession d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu ».

A cet égard, les travaux préparatoires relatifs à l'article 330 (ancien) du Code civil mentionnent ce qui suit : « Plusieurs membres critiquent sévèrement le fait qu'on envisage d'accorder le droit de contestation de manière absolue. Le principe de la vérité dite biologique peut en effet avoir un effet accablant pour l'enfant et contraire à ses intérêts.

Ils estiment, dès lors, que le tribunal appelé à se prononcer sur la contestation de reconnaissance, doit, dans son appréciation, tenir compte de la possession d'état; certains plaident même pour qu'on inscrive explicitement dans le texte le principe de la référence à la possession d'état. En cas de possession d'état, la contestation de reconnaissance doit être exclue, sinon les intérêts de l'enfant peuvent être gravement lésés.

D'autres membres déclarent, toutefois, qu'il faut éviter d'accorder une trop grande importance à la possession d'état; sinon, on en viendrait, en effet, à traiter la simple cohabitation sur le même pied que le mariage.

Les mêmes intervenants estiment, dès lors, que la possession d'état ne peut jouer un rôle que si elle correspond à la réalité biologique.

Il leur est répliqué qu'à l'égard de l'enfant il faut accorder tout autant d'importance à la possession d'état, et ce abstraction faite de la question de savoir s'il est né ou non dans le mariage » (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, 904, n° 2, p. 100).

B.5.2. L'article 330 du Code civil a été modifié par l'article 16 de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci type loi prom. 01/07/2006 pub. 28/07/2006 numac 2006009558 source service public federal justice Loi modifiant la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux, et insérant dans cette loi un nouveau Titre V concernant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone type loi prom. 01/07/2006 pub. 02/08/2006 numac 2006009559 source service public federal justice Loi insérant dans la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux un nouveau titre VI concernant les Chambres extraordinaires chargées de poursuivre les crimes commis sous le régime du Kampuchéa démocratique fermer modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci.

La reconnaissance de paternité ne peut plus être contestée que par la mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par l'homme qui revendique la paternité. La possession d'état a été maintenue comme fin de non-recevoir de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité.

L'article 16 de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci type loi prom. 01/07/2006 pub. 28/07/2006 numac 2006009558 source service public federal justice Loi modifiant la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux, et insérant dans cette loi un nouveau Titre V concernant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone type loi prom. 01/07/2006 pub. 02/08/2006 numac 2006009559 source service public federal justice Loi insérant dans la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux un nouveau titre VI concernant les Chambres extraordinaires chargées de poursuivre les crimes commis sous le régime du Kampuchéa démocratique fermer trouve son origine dans un amendement déposé à la Chambre.

Cet amendement a été justifié comme suit : « L'article 330 proposé organise une procédure similaire pour l'action en contestation de reconnaissance et pour l'action en contestation de présomption de paternité.

Tout d'abord, l'amendement proposé entend limiter les titulaires d'action aux personnes véritablement intéressées à savoir le mari, la mère, l'enfant et la personne qui revendique la paternité ou la maternité de l'enfant.

Ensuite, il nous parait nécessaire de protéger autant que possible la cellule familiale de l'enfant en maintenant, d'une part, la possession d'état qui correspond à la situation d'un enfant considéré par tous comme étant véritablement l'enfant de ses parents même si cela ne correspond pas à la filiation biologique, et d'autre part, en fixant des délais d'action.

Enfin, dans un souci d'éviter un vide entre l'action en contestation et la reconnaissance, comme c'est le cas actuellement, il est prévu que la décision qui fait droit à une action en contestation introduite par une personne qui se prétend être le père ou la mère biologique de l'enfant entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du demandeur » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6).

Au terme du débat en Commission de la justice du Sénat, la ministre de la Justice a confirmé l'importance de la notion de « possession d'état » en déclarant : « Le projet modifie déjà un nombre important de règles et même si l'application de la notion de possession d'état présente parfois certaines difficultés en jurisprudence, il n'est pas nécessaire de modifier cette institution séculaire. Le législateur de 1987 avait choisi de la maintenir afin que la vérité biologique ne l'emporte pas toujours sur la vérité socio-affective. Ce choix doit être préservé et la nécessité de modifier le concept de possession d'état ne s'impose pas » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 9).

B.6. La Cour doit contrôler l'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil au regard des articles 10, 11 et 22 de la Constitution, éventuellement combinés avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

L'article 22 de la Constitution dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». Il ressort des travaux préparatoires de l'article 22 de la Constitution que le Constituant a recherché la plus grande concordance possible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).

B.7. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée et leur vie familiale.

L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée mais ils exigent que cette ingérence soit autorisée par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle corresponde à un besoin social impérieux et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 octobre 2013, Söderman c. Suède, § 78; 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 42).

B.8. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation de la paternité concernent la vie privée, parce que la matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier 2006, Mizzi c.

Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, § § 48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 60; 12 février 2013, Krisztiàn Barnabàs Tóth c. Hongrie, § 28).

Le régime en cause de contestation d'une reconnaissance paternelle relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.9. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, §§ 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c.

Roumanie, § 33).

Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble mais il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51).

Même si la présomption légale procure un avantage à une personne, cet avantage ne saurait justifier en soi que toute recherche de paternité soit exclue par avance (voy. CEDH, 16 juin 2011, Pascaud c. France, § § 57-69).

Lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, le législateur doit en principe permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis.

Tant l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant.

La Cour européenne des droits de l'homme a précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l'enfant (CEDH, 5 novembre 2002, Yousef c. Pays-Bas, § 73; 26 juin 2003, Maire c. Portugal, §§ 71 et 77; 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, §§ 64 et 66; 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, § 119;6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, § 135; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 63).

Si l'intérêt de l'enfant doit être une considération primordiale, il n'a pas un caractère absolu. Dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, l'intérêt de l'enfant occupe une place particulière du fait qu'il représente la partie faible dans la relation familiale.

Il ne ressort pas de cette place particulière que les intérêts des autres parties en présence ne pourraient pas être pris en compte.

B.10. La paix des familles et la sécurité juridique des liens familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte pour empêcher que la contestation de la reconnaissance de paternité puisse être exercée sans limitation. A cet égard, il est pertinent de ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité socio-affective de la paternité.

B.11. En érigeant la « possession d'état » en fin de non-recevoir absolue de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité, le législateur a cependant fait prévaloir dans tous les cas la réalité socio-affective de la paternité sur la réalité biologique. Du fait de cette fin de non-recevoir absolue, l'homme qui a reconnu l'enfant est totalement privé de la possibilité de contester sa propre reconnaissance de paternité.

Il n'existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées.

Une telle mesure n'est pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis par le législateur. La disposition en cause n'est dès lors pas compatible avec l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.12. La Cour européenne des droits de l'homme admet en outre que la marge d'appréciation du législateur national est plus grande lorsqu'il n'existe pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe concernant l'intérêt en cause ou la manière dont cet intérêt doit être protégé (CEDH, 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 68). De plus, la Cour européenne souligne qu'il ne lui incombe pas de prendre des décisions à la place des autorités nationales (CEDH, 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 41).

B.13. L'examen de la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution ne saurait être de nature à aboutir à une autre conclusion.

B.14. La première question préjudicielle dans l'affaire n° 5781 et la deuxième question préjudicielle dans l'affaire n° 5804 appellent une réponse affirmative.

Quant au délai de prescription B.15. La deuxième question préjudicielle dans l'affaire n° 5781 et la première question préjudicielle dans l'affaire n° 5804 portent sur la compatibilité avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 330 du Code civil, en ce qu'il prescrit que l'action du père, de la mère ou de la personne qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait que la personne qui a reconnu l'enfant n'est pas le père ou la mère, dès lors qu'il prive le juge de la possibilité de tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées dans l'appréciation du litige de filiation qui lui est soumis, par hypothèse au-delà de ce délai d'un an.

B.16. Comme la Cour l'a constaté en B.3.2, les litiges au fond ont pour objet une action en contestation de la reconnaissance de paternité introduite par l'auteur de la reconnaissance. Conformément à l'article 330, § 1er, alinéa 4, première phrase, du Code civil, l'action de celui qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'il n'est pas le père.

B.17. Les questions préjudicielles portent sur la durée du délai dans lequel l'action doit être introduite en ce que la disposition en cause a pour conséquence que l'action en contestation d'une reconnaissance doit être déclarée irrecevable si elle est intentée, par l'auteur de la reconnaissance, plus d'un an après la découverte du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant.

B.18. Comme il a été relevé en B.6 à B.10, le régime en cause de contestation de la reconnaissance de paternité relève de l'application de l'article 22 de la Constitution, et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.19. En ce qui concerne en particulier les délais dans le droit de la filiation, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas estimé que l'instauration de délais était en soi contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme; seule la nature d'un tel délai peut être considérée comme contraire au droit au respect de la vie privée (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 45; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 45; 29 janvier 2013, Röman c.

Finlande, § 50, 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 46).

B.20. La Cour européenne des droits de l'homme admet en outre que la marge d'appréciation du législateur national est plus grande lorsqu'il n'existe pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe concernant l'intérêt en cause ou la manière dont cet intérêt doit être protégé (CEDH, 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 68). De plus, la Cour européenne souligne qu'il ne lui incombe pas de prendre des décisions à la place des autorités nationales (CEDH, 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 41).

B.21. Le législateur a, lors de la réforme du droit de la filiation, et en particulier en ce qui concerne le droit en matière de reconnaissance, toujours voulu cerner le plus près possible la vérité (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 305-1, p. 3) et a pour cette raison voulu permettre de contester la filiation légale (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 305-1, p. 12).

Toutefois, le législateur a en même temps aussi tenté de respecter la « paix des familles », au besoin au détriment de la vérité (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 305-1, p. 15), et de créer une même stabilité en matière de reconnaissance que celle qui existe à l'égard d'un enfant né dans le mariage (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904-2, pp. 101 et 115). Pour cette raison, le législateur a considéré l'intérêt de l'enfant comme prioritaire (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904-2, p.115).

Le souci principal du législateur lorsqu'il a instauré l'article 330 du Code civil était par conséquent de garantir la sécurité juridique dans le chef de l'enfant (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904-2, p. 102).

B.22. Le délai d'un an en cause a été instauré par la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci type loi prom. 01/07/2006 pub. 28/07/2006 numac 2006009558 source service public federal justice Loi modifiant la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux, et insérant dans cette loi un nouveau Titre V concernant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone type loi prom. 01/07/2006 pub. 02/08/2006 numac 2006009559 source service public federal justice Loi insérant dans la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux un nouveau titre VI concernant les Chambres extraordinaires chargées de poursuivre les crimes commis sous le régime du Kampuchéa démocratique fermer « modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci » et a été justifié par le législateur par le fait qu'il serait indispensable de limiter dans le temps la possibilité de contester la paternité, en vue de sécuriser le lien de filiation. De cette manière, le législateur entendait éviter l'insécurité juridique et les troubles au sein du ménage (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0597/014, p. 5) et protéger autant que possible la cellule familiale de l'enfant (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/032, p. 14, et DOC 51-0597/026, p. 6). B.23.1. La paix des familles et la sécurité juridique des liens familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte pour empêcher que la contestation de paternité puisse être exercée sans limitation, de sorte que le législateur a pu prévoir des délais de déchéance (voir CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark, § 41; 12 janvier 2006, Mizzi c. Malte, § 88; 6 juillet 2010, Backlund c.

Finlande, § 45; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 45; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 50).

B.23.2. Dans cette optique, il est pertinent de ne pas faire primer a priori la réalité biologique sur la réalité socio-affective de la paternité.

B.23.3 La disposition en cause n'instaure pas une fin absolue de non-recevoir à l'action en contestation d'une reconnaissance de paternité, mais fixe un délai pour l'introduction d'une action en contestation de paternité, ce qui se justifie par la volonté de garantir la sécurité juridique et un caractère définitif des relations familiales.

L'article 330, § 1er, du Code civil prévoit par ailleurs la possibilité pour l'enfant d'introduire une telle action entre l'âge de douze ans et de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père ou sa mère. Le législateur garantit ainsi le droit à l'identité qui, selon la Cour européenne des droits de l'homme, doit faire l'objet d'un examen approfondi lorsque l'on compare les intérêts en présence (CEDH, 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 47). Par son arrêt n° 96/2011 du 31 mai 2011, la Cour a en outre jugé qu'un enfant doit pouvoir contester même au-delà de ce délai la présomption de paternité établie à l'égard du mari de sa mère lorsque cette présomption ne correspond à aucune réalité ni biologique, ni socio-affective.

B.24. Compte tenu des préoccupations du législateur et des valeurs qu'il a voulu concilier, il n'est dès lors pas sans justification raisonnable que la personne qui a reconnu l'enfant ne dispose que d'un bref délai pour contester sa reconnaissance.

B.25. La deuxième question préjudicielle dans l'affaire n° 5781 et la première question préjudicielle dans l'affaire n° 5804 appellent une réponse négative.

Quant au vice de consentement B.26. La question préjudicielle dans l'affaire n° 5747 et les troisièmes questions préjudicielles dans les affaires n° 5781 et 5804 interrogent la Cour sur la compatibilité avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 330 du Code civil en ce qu'il prescrit que celui qui conteste sa propre reconnaissance n'est fondé à le faire que s'il démontre que son consentement a été vicié, dès lors qu'il priverait le juge de la possibilité de tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées dans l'appréciation du litige de filiation qui lui est soumis, notamment dans les cas où il n'y a pas de réalité socio-affective vécue par l'enfant à l'égard de son père légal.

B.27. Il apparaît des données des trois affaires et de la motivation des décisions de renvoi que les litiges au fond ont pour objet une action en contestation de la reconnaissance de paternité introduite par l'auteur de la reconnaissance et que la question de savoir si le consentement de l'auteur de la reconnaissance a ou non été vicié est débattue devant le tribunal.

B.28. L'article 330, § 1er, alinéa 2, du Code civil dispose que l'auteur de la reconnaissance n'est recevable à contester la reconnaissance que s'il prouve que son consentement a été vicié.

B.29.1. Cette disposition trouve son origine dans l'article 38 de la loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation, qui a remplacé l'article 330 du Code civil par la disposition suivante : « § 1er. La reconnaissance peut être contestée par tout intéressé.

Toutefois l'auteur de la reconnaissance et ceux qui ont donné les consentements préalables requis par les §§ 2 et 3 ou visés par le § 4, alinéa 1er, de l'article 319 ne sont recevables à contester la reconnaissance que s'ils prouvent que leur consentement a été vicié.

La reconnaissance de paternité ne peut être contestée par ceux qui ont été parties à la décision qui l'a autorisée conformément à l'article 319, § 3, alinéa 4, ou à celle qui a refusé l'annulation demandée en vertu du § 4 de cet article. § 2. La reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé, par toutes voies de droit, que son auteur n'est pas le père ou la mère.

Toutefois la demande doit être rejetée si l'enfant a la possession d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu ».

Selon les travaux préparatoires, le législateur a voulu limiter la possibilité de contester une reconnaissance : « Il y a lieu d'appliquer le principe selon lequel une reconnaissance ne peut être contestée que dans des cas fort exceptionnels. Il faut s'efforcer de réaliser un parallélisme aussi parfait que possible entre la question de la reconnaissance et celle de la paternité dans le mariage.

Cela signifie qu'il faut rechercher, en matière de reconnaissance, une stabilité aussi grande que celle dont bénéficie l'enfant né dans le mariage » (Doc. parl. Sénat, 1984-1985, n° 904-2, p. 101).

La possibilité pour l'auteur de la reconnaissance de contester celle-ci a été mise en question. Il a finalement été décidé que « celui dont la reconnaissance émane ne pourrait plus la contester s'il a agi en connaissance de cause et même s'il n'est pas le père de l'enfant qu'il a reconnu. Toutefois, lorsque le consentement est entaché d'un vice, la contestation en vertu du droit commun sera toujours possible. Il faut noter, néanmoins, que les annulations pour vice de consentement sont très rares. Il est proposé, pour la clarté, de compléter le texte du premier alinéa par les mots suivants : 'à moins que celui-ci établisse un vice de consentement' ». (ibid., pp. 101 et 102).

B.29.2. L'article 330 du Code civil a été ensuite remplacé par l'article 16 de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci type loi prom. 01/07/2006 pub. 28/07/2006 numac 2006009558 source service public federal justice Loi modifiant la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux, et insérant dans cette loi un nouveau Titre V concernant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone type loi prom. 01/07/2006 pub. 02/08/2006 numac 2006009559 source service public federal justice Loi insérant dans la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux un nouveau titre VI concernant les Chambres extraordinaires chargées de poursuivre les crimes commis sous le régime du Kampuchéa démocratique fermer « modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci », puis modifié par l'article 370 de la loi du 27 décembre 2006 « portant des dispositions diverses (I) ». Le législateur a maintenu au paragraphe 1er, alinéa 2, la disposition qui subordonne la recevabilité de l'action introduite par l'auteur de la reconnaissance à la preuve que son consentement a été vicié.

Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci type loi prom. 01/07/2006 pub. 28/07/2006 numac 2006009558 source service public federal justice Loi modifiant la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux, et insérant dans cette loi un nouveau Titre V concernant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone type loi prom. 01/07/2006 pub. 02/08/2006 numac 2006009559 source service public federal justice Loi insérant dans la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux un nouveau titre VI concernant les Chambres extraordinaires chargées de poursuivre les crimes commis sous le régime du Kampuchéa démocratique fermer précitée que le législateur poursuivait notamment l'objectif suivant : « [...] rapprocher les règles de la contestation de la paternité du mari et de la contestation de la filiation établie par la reconnaissance. La loi de 1987 avait supprimé la plupart des discriminations entre les enfants quant aux effets de la filiation.

L'objectif est à présent de supprimer les différences de traitement à propos de la remise en cause d'une filiation non conforme à la réalité. Tous les enfants sont ainsi mis sur le même pied. La loi de 1987 réserve le droit de contester la paternité du mari à la mère, au mari (ou à l'ancien mari) et à l'enfant. En revanche, la contestation de la reconnaissance est ouverte à tout intéressé (article 330).

L'article 318 du projet indique que la présomption de paternité du mari a les mêmes effets qu'une reconnaissance. Le nouvel article 330 rend identiques les conditions de contestation de l'une et de l'autre.

Dans tous les cas, la filiation pourra être contestée par celui des auteurs de l'enfant dont la filiation est déjà établie (le plus souvent : la mère), par le mari (ou le précédent mari), par le ou la candidate à la reconnaissance et par l'enfant ». (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 4).

B.29.3. Tel qu'il résulte des lois du 1er juillet 2006 et du 27 décembre 2006, l'article 318 du Code civil dispose : « § 1er. A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard du mari, la présomption de paternité peut être contestée par la mère, l'enfant, l'homme à l'égard duquel la filiation est établie et par la personne qui revendique la paternité de l'enfant. § 2. L'action de la mère doit être intentée dans l'année de la naissance. L'action du mari doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant, celle de celui qui revendique la paternité de l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte qu'il est le père de l'enfant et celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que le mari n'est pas son père.

Si le mari est décédé sans avoir agi, mais étant encore dans le délai utile pour le faire, sa paternité peut être contestée, dans l'année de son décès ou de la naissance, par ses ascendants et par ses descendants.

La paternité établie en vertu de l'article 317 peut en outre être contestée par le précédent mari. § 3. Sans préjudice des §§ 1er et 2, la présomption de paternité du mari est mise à néant s'il est prouvé par toutes voies de droit que l'intéressé n'est pas le père.

La contestation de la présomption de paternité du mari est en outre déclarée fondée, sauf preuve contraire : 1° dans les cas visés à l'article 316bis;2° lorsque la filiation maternelle est établie par reconnaissance ou par décision judiciaire;3° lorsque l'action est introduite avant que la filiation maternelle ne soit établie. § 4. La demande en contestation de la présomption de paternité n'est pas recevable si le mari a consenti à l'insémination artificielle ou à un autre acte ayant la procréation pour but, sauf si la conception de l'enfant ne peut en être la conséquence. § 5. La demande en contestation introduite par la personne qui se prétend le père biologique de l'enfant n'est fondée que si sa paternité est établie. La décision faisant droit à cette action en contestation entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du demandeur. Le tribunal vérifie que les conditions de l'article 332quinquies sont respectées. A défaut, l'action est rejetée ».

B.30.1. La Cour doit vérifier s'il peut se justifier objectivement et raisonnablement que l'action en contestation introduite par l'auteur d'une reconnaissance de paternité ne soit recevable que si cette personne prouve que son consentement a été vicié et si en faisant de l'existence d'un vice de consentement une condition de recevabilité de l'action, la disposition en cause ne porte pas atteinte à l'obligation positive qui incombe à l'autorité de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère des relations entre les individus, qui résulte de l'article 22 de la Constitution et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, tels qu'ils ont été précisés en B.6 à B.10. En effet, lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, le législateur doit en principe permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis.

B.30.2. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.29.1 que le législateur a voulu limiter les possibilités de contester une reconnaissance dans un but de sécurité juridique et qu'il a pris en compte le fait que l'auteur de la reconnaissance a expressément consenti à cette reconnaissance. Ce n'est donc que dans les cas où ce consentement a été vicié qu'il est admis à agir en contestation de paternité et à revenir ainsi sur le consentement donné.

B.30.3. Contrairement à l'établissement de la filiation d'un enfant né dans le mariage, qui découle de la présomption de paternité de l'époux (article 315 du Code civil), la reconnaissance implique que l'homme qui reconnaît un enfant exprime sa volonté de manière explicite. Bien que cette reconnaissance fasse naître un lien de filiation, il n'est pas exclu que l'intéressé reconnaisse un enfant tout en sachant qu'il n'existe entre eux aucun lien biologique.

B.30.4. Une condition de recevabilité empêche en principe le juge d'examiner le fond du litige et donc de procéder à la balance des intérêts. La disposition en cause n'empêche toutefois pas, en l'espèce, qu'un homme qui a reconnu un enfant parce qu'il était convaincu, au moment de cette reconnaissance, qu'il était le père biologique conteste cette reconnaissance s'il s'avère, par la suite, qu'il n'est pas le père biologique : il faut en effet admettre, dans ce cas, que son consentement à la reconnaissance était vicié.

B.30.5. Tel n'est pas le cas lorsque l'intéressé reconnaît un enfant tout en sachant qu'il n'existe entre eux aucun lien biologique. Dans cette hypothèse, le législateur a pu tenir compte du fait que l'auteur de la reconnaissance a agi de manière libre et éclairée.

B.30.6. La condition de recevabilité prévue par la disposition en cause ne l'est pas lorsque d'autres personnes introduisent l'action en contestation de la reconnaissance. Dès lors que d'autres personnes peuvent introduire une action en contestation de la reconnaissance sans être soumises à la même condition de recevabilité, à savoir, l'enfant et l'homme qui revendique la paternité, le législateur permet au juge d'examiner le fond de la contestation de paternité et de mettre en balance in concreto les intérêts des différentes personnes concernées.

B.31. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil viole l'article 22 de la Constitution, combiné ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action en contestation de la reconnaissance paternelle introduite par l'homme qui a reconnu l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la possession d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu. - L'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil ne viole pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il dispose que l'action de celui qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année qui suit la découverte du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant. - L'article 330, § 1er, alinéa 2, du Code civil ne viole pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il dispose que l'auteur de la reconnaissance n'est recevable à contester la reconnaissance que s'il prouve que son consentement a été vicié.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 septembre 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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