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Arrêt
publié le 25 juin 2015

Extrait de l'arrêt n° 53/2015 du 7 mai 2015 Numéro du rôle : 5822 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 301, § 2, alinéas 2 et 3, du Code civil, posées par le Tribunal de première instance de Nivelles. La Cour composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moer(...)

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Extrait de l'arrêt n° 53/2015 du 7 mai 2015 Numéro du rôle : 5822 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 301, § 2, alinéas 2 et 3, du Code civil, posées par le Tribunal de première instance de Nivelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 24 janvier 2014 en cause de I.H. contre J.D., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 janvier 2014, le Tribunal de première instance de Nivelles a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 301 § 2 alinéas 2 et 3 du Code civil ne viole-t-il pas les dispositions constitutionnelles d'égalité et de non-discrimination visées aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il opère une distinction entre d'une part, le créancier d'aliments ' ayant commis une faute [grave] ayant rendu impossible la poursuite de la vie commune ' (article 301 § 2 alinéa 2 du Code civil) et d'autre part, le créancier d'aliments qui est reconnu coupable d'un fait visé aux articles 375, 398 à 400, 402, 403 ou 405 du Code pénal, commis contre le défendeur, ou d'une tentative de commettre un fait visé aux articles 375, 393, 394 ou 397 du même Code contre cette même personne (article 301 § 2 alinéa 3) ? »;2. « L'article 301 § 2 alinéa 3 du Code civil, lu en parallèle avec les articles 1447 alinéa 2 et 223 alinéa 3 du Code civil ne viole-t-il pas les dispositions constitutionnelles d'égalité et de non-discrimination visées aux articles 10 et 11 de la Constitution, et plus particulièrement la distinction opérée entre d'une part l'article 301 § 2 alinéa 3 du Code civil, qui exclut le [lire : du] droit à la pension alimentaire le créancier d'aliments qui ' est reconnu coupable d'un fait visé aux articles 375, 398 à 400, 402, 403 ou 405 du Code pénal, commis contre le défendeur, ou d'une tentative de commettre un fait visé aux articles 375, 393, 394 ou 397 du même Code contre cette même personne ' et d'autre part les articles 223 alinéa 3 et 1447 alinéa 2 du Code civil, qui attribuent respectivement la jouissance du logement familial et la propriété du logement familial aux [lire : au] conjoint victime des mêmes faits punissables, sauf circonstances exceptionnelles à apprécier par le juge, n'est pas discriminatoire de manière injustifiée ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 301, § 2, du Code civil dispose : « A défaut de la convention visée au § 1er, le tribunal peut, dans le jugement prononçant le divorce ou lors d'une décision ultérieure, accorder, à la demande de l'époux dans le besoin, une pension alimentaire à charge de l'autre époux.

Le tribunal peut refuser de faire droit à la demande de pension si le défendeur prouve que le demandeur a commis une faute grave ayant rendu impossible la poursuite de la vie commune.

En aucun cas, la pension alimentaire n'est accordée au conjoint reconnu coupable d'un fait visé aux articles 375, 398 à 400, 402, 403 ou 405 du Code pénal, commis contre la personne du défendeur, ou d'une tentative de commettre un fait visé aux articles 375, 393, 394 ou 397 du même Code contre cette même personne.

Par dérogation à l'article 4 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, le juge peut, en attendant que la décision sur l'action publique soit coulée en force de chose jugée, allouer au demandeur une pension provisionnelle, en tenant compte de toutes les circonstances de la cause. Il peut subordonner l'octroi de cette pension provisionnelle à la constitution d'une garantie qu'il détermine et dont il fixe les modalités ».

B.1.2. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'alinéa 3 de cette disposition avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

La disposition en cause contient une cause d'exclusion absolue d'octroi d'une pension alimentaire après divorce aux personnes qui ont encouru une condamnation pénale en raison de l'une des infractions de violence qu'elle énumère, si les faits ont été commis sur l'ex-conjoint à qui la pension est demandée.

B.1.3. Dans le litige au fond, il a été soutenu que les créanciers d'aliments qui se voient appliquer la cause d'exclusion prévue par la disposition en cause sont discriminés par rapport aux créanciers d'aliments auxquels est appliquée la cause d'exclusion de l'article 301, § 2, alinéa 2, du Code civil. Selon l'intimé devant le juge a quo, appelant sur incident, la distinction s'exprimerait dans le caractère absolu de la cause d'exclusion litigieuse qui, en l'espèce, ne s'applique qu'aux infractions limitativement désignées dans l'article en cause alors que ne sont pas visées d'autres infractions, tout aussi graves.

L'absence, notamment, d'une marge d'appréciation pour le juge violerait le principe d'égalité et de non-discrimination dans l'hypothèse de la disposition en cause, en ce qu'il ne peut être tenu compte de circonstances atténuantes ou de la réconciliation après les faits, alors que le juge pourrait examiner de telles circonstances dans le cadre de la cause d'exclusion prévue par l'article 301, § 2, alinéa 2, du Code civil (première question préjudicielle). Le principe d'égalité et de non-discrimination serait violé dans la même mesure en ce qu'il ne peut être tenu compte de circonstances exceptionnelles alors que le juge peut le faire s'agissant de l'attribution de la résidence conjugale prévue par les articles 223, alinéa 3, et 1447, alinéa 2, du Code civil (seconde question préjudicielle).

B.1.4. L'article 223, alinéa 3, du Code civil, tel qu'il était applicable au moment des faits, disposait : « Si un époux a commis à l'encontre de l'autre un fait visé aux articles 375, 398 à 400, 402, 403 ou 405 du Code pénal ou a tenté de commettre un fait visé aux articles 375, 393, 394 ou 397 du même Code, ou s'il existe des indices sérieux de tels comportements, l'époux victime se verra attribuer, sauf circonstances exceptionnelles, la jouissance de la résidence conjugale s'il en fait la demande ».

Les articles 1446 et 1447 du même Code disposent : «

Art. 1446.Lorsque le régime légal prend fin par le décès d'un des époux, le conjoint survivant peut se faire attribuer par préférence, moyennant soulte s'il y a lieu, un des immeubles servant au logement de la famille avec les meubles meublants qui le garnissent et l'immeuble servant à l'exercice de sa profession avec les meubles à usage professionnel qui le garnissent.

Art. 1447.Lorsque le régime légal prend fin par le divorce, la séparation de corps ou la séparation de biens, chacun des époux peut au cours des opérations de liquidation, demander au tribunal de la famille de faire application à son profit des dispositions visées à l'article 1446.

Il est fait droit, sauf circonstances exceptionnelles, à la demande formulée par l'époux qui a été victime d'un fait visé aux articles 375, 398 à 400, 402, 403 ou 405 du Code pénal ou d'une tentative d'un fait visé aux articles 375, 393, 394 ou 397 du même Code lorsque l'autre époux a été condamné de ce chef par une décision coulée en force de chose jugée.

Le tribunal statue en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause et des droits de récompense ou de créance au profit de l'autre époux.

Le tribunal fixe la date de l'exigibilité de la soulte éventuelle ».

B.2.1. L'exclusion automatique du droit à la pension alimentaire dans le chef de l'époux reconnu coupable d'une des infractions limitativement énumérées dans la disposition en cause est justifiée en ces termes dans les travaux préparatoires : « 1. Pour faire face à l'ampleur et à la diversité des formes de violences au sein des couples, il faut tenir compte du plan d'action national contre la violence à l'égard des femmes qui a été adopté pour la période de 2001 à 2003. Le 7 mai 2004, le gouvernement fédéral a adopté un second plan d'action national contre la violence dans le couple pour la période 2004-2007. Le présent amendement s'inspire de l'article 1447 du code civil, tel que modifié par la loi du 28 janvier 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/01/2003 pub. 12/02/2003 numac 2003012049 source service public federal emploi, travail et concertation sociale et service public federal justice Loi visant à l'attribution du logement familial au conjoint ou au cohabitant légal victime d'actes de violence physique de son partenaire, et complétant l'article 410 du Code pénal fermer visant à l'attribution du logement familial au conjoint ou au cohabitant légal victime d'actes de violence physique de son partenaire. 2. Contrairement aux autres fautes graves visées par l'alinéa 2 (adultère, etc.), le juge ne disposera d'aucun pouvoir d'appréciation.

Pour cela, il faudra que le responsable soit reconnu coupable par une décision pénale coulée en force de chose jugée. Ainsi, si le créancier potentiel [est acquitté, ou] obtient la suspension du prononcé de la condamnation, l'alinéa 3 ne s'appliquera pas (le pouvoir d'appréciation du tribunal restant alors entier en vertu de l'alinéa 2) » (Doc.parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2341/008, amendement n° 92, p. 3).

B.2.2. Contrairement à ce que l'extrait des travaux préparatoires précité laisse entendre, le texte de la disposition en cause implique que la déchéance automatique du droit aux aliments est acquise dès le moment où la culpabilité du conjoint créancier est déclarée dans un jugement. En conséquence, le sursis et la suspension du prononcé n'affectent en rien cette déchéance.

B.2.3. Les infractions auxquelles la disposition en cause se réfère concernent toutes des faits de violence conjugale graves qui touchent à l'intégrité physique et morale de la personne qui en est la victime.

Dans l'optique de la lutte qu'il entendait mener contre la violence conjugale, le législateur a pu raisonnablement considérer que les actes de violence physique les plus graves devaient, en cas de divorce, entraîner la déchéance automatique du droit à la pension alimentaire dans le chef de l'époux déclaré coupable de la commission de telles infractions.

S'il est vrai que seules les infractions établies par un jugement, expressément énumérées dans la disposition en cause, entraînent la déchéance automatique du droit à la pension, la même disposition n'empêche nullement le juge d'apprécier l'impact d'infractions non expressément visées, ou de tout autre comportement fautif à l'origine de la désunion irrémédiable, et d'adapter en conséquence le montant qu'il pourra attribuer à la personne, coupable de tels faits, qui réclamerait des aliments à son ex-conjoint, qui en serait la victime.

La disposition en cause n'empêche pas davantage que les ex-époux s'accordent, malgré la commission d'infractions qui y sont visées, sur l'octroi d'une pension alimentaire au conjoint auteur de ces infractions. L'article 301, § 2, alinéa 3, du Code civil ne s'applique qu'à défaut de convention entre les parties, laquelle peut intervenir, aux termes de l'article 301, § 1er, « à tout moment », le montant pouvant, lui aussi, être revu.

B.2.4. Quant à la comparaison qui est faite dans la seconde question préjudicielle avec les articles 223, alinéa 3, et 1447, alinéa 2, du Code civil, le législateur a pu considérer que, s'agissant de demandes différentes qui s'appliquent à des situations différentes, le juge puisse, dans la matière en cause, tenir compte de circonstances exceptionnelles pour, le cas échéant, écarter la déchéance du droit demandé par le conjoint reconnu coupable des mêmes infractions.

En effet, alors que la disposition en cause porte sur le droit à des aliments après un divorce, l'article 223, alinéa 3, du Code civil a pour objet le droit à la jouissance du logement familial pendant le mariage lorsqu'un des époux a manqué gravement à ses devoirs, tandis que l'article 1447, alinéa 2, du même Code porte sur l'attribution par préférence d'un des immeubles servant au logement de la famille lors du partage des biens de la communauté légale après divorce. Alors que l'obtention d'une pension alimentaire après divorce ne concerne et ne peut concerner que les relations entre les deux ex-époux, le droit à la jouissance de la résidence conjugale visé par l'article 223, alinéa 3, du Code civil peut affecter, dans un moment de crise entre époux, la situation d'autres personnes que les époux, telle celle des enfants qui seraient sous la garde du conjoint reconnu coupable. Il en est de même s'agissant de l'attribution de la propriété de la résidence conjugale une fois le divorce autorisé (article 1447, alinéa 2, du Code civil). Dans les deux cas, il paraît raisonnable que le juge puisse tenir compte de circonstances exceptionnelles pour attribuer, le cas échéant, à l'époux coupable soit la jouissance de la résidence conjugale, soit, moyennant éventuellement compensation, la propriété de celle-ci.

B.2.5. La mesure en cause n'est dès lors pas dénuée de justification raisonnable.

B.3. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 301, § 2, alinéas 2 et 3, du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 7 mai 2015.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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