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Arrêt
publié le 25 septembre 2019

Extrait de l'arrêt n° 21/2019 du 7 février 2019 Numéro du rôle : 6856 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 335, § 3, du Code civil, posée par le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instan La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges J.-P. Snapp(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 21/2019 du 7 février 2019 Numéro du rôle : 6856 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 335, § 3, du Code civil, posée par le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Bruges.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, T. Giet, R. Leysen et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 8 février 2018 en cause de S.I. contre N.D., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 février 2018, le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Bruges, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 335, § 3, du Code civil, combiné avec l'article 335, § 1, alinéas 1er et 2, du Code civil, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 22bis de la Constitution, combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'article 335, § 3, du Code civil ne permet pas aux enfants dont la filiation paternelle est établie tardivement, en cas de désaccord entre les parents quant au nom de famille, de recevoir un double nom de famille par ordre alphabétique (ceux-ci conservant donc le nom de famille de la mère), alors que les enfants dont la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies simultanément, en cas de désaccord, reçoivent quant à eux automatiquement le double nom de famille par ordre alphabétique ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 335, § 3, alinéas 1er et 2, du Code civil, en ce que cette disposition ne prévoit pas, en cas de désaccord entre les parents quant au nom de famille, que les enfants dont la filiation paternelle est établie après la filiation maternelle se voient attribuer un double nom dans l'ordre alphabétique, alors que l'article 335, § 1er, alinéa 2, du même Code, prévoit, en cas de désaccord entre les parents quant au nom de famille, l'attribution d'un double nom dans l'ordre alphabétique pour les enfants dont la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies simultanément.

B.1.2. L'article 335 du Code civil dispose : « § 1er. L'enfant dont la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies simultanément porte soit le nom de son père, soit le nom de sa mère, soit leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par eux dans la limite d'un nom pour chacun d'eux.

Les père et mère choisissent le nom de l'enfant lors de la déclaration de naissance. L'officier de l'état civil prend acte de ce choix. En cas de désaccord, l'enfant porte les noms du père et de la mère accolés par ordre alphabétique dans la limite d'un nom pour chacun d'eux. Lorsque le père et la mère, ou l'un d'entre eux, portent un double nom, la partie du nom transmise à l'enfant est choisie par l'intéressé. En l'absence de choix, la partie du double nom transmise est déterminée selon l'ordre alphabétique.

Le refus d'effectuer un choix est considéré comme un cas de désaccord.

Lorsque les père et mère déclarent conjointement la naissance de l'enfant, l'officier de l'état civil constate le nom choisi par eux ou le désaccord entre eux, conformément à l'alinéa 2.

Si le père ou la mère déclare seul la naissance de l'enfant, il ou elle déclare à l'officier de l'état civil le nom choisi par eux ou le désaccord entre eux. § 2. L'enfant dont seule la filiation maternelle est établie, porte le nom de sa mère.

L'enfant dont seule la filiation paternelle est établie, porte le nom de son père. § 3. Si la filiation paternelle est établie après la filiation maternelle, aucune modification n'est apportée au nom de l'enfant. Il en va de même si la filiation maternelle est établie après la filiation paternelle.

Toutefois, les père et mère ensemble, ou l'un d'eux si l'autre est décédé peuvent déclarer, dans un acte dressé par l'officier de l'état civil, que l'enfant portera soit le nom de la personne à l'égard de laquelle la filiation est établie en second lieu, soit leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par eux dans la limite d'un nom pour chacun d'eux.

Cette déclaration est faite dans un délai d'un an à dater de la reconnaissance ou du jour où une décision établissant la filiation paternelle ou maternelle est coulée en force de chose jugée et avant la majorité ou l'émancipation de l'enfant. Le délai d'un an prend cours le jour suivant la notification ou la signification visées aux articles 313, § 3, alinéa 2, 319bis, alinéa 2, ou 322, alinéa 2.

En cas de modification de la filiation paternelle ou maternelle durant la minorité de l'enfant en suite d'une action en contestation sur la base des articles 312, § 2, 318, § § 5 et 6, ou 330, § § 3 et 4, le juge acte le nouveau nom de l'enfant, choisi, le cas échéant, par les parents selon les règles énoncées au § 1er ou à l'article 335ter, § 1er.

Mention de la déclaration visée à l'alinéa 2 ou du dispositif du jugement visé à l'alinéa 4 est faite en marge de l'acte de naissance et des autres actes concernant l'enfant. § 4. Si la filiation d'un enfant est modifiée alors que celui-ci a atteint l'âge de la majorité, aucune modification n'est apportée à son nom sans son accord ».

B.2.1. L'article 335 du Code civil fait partie du chapitre relatif aux effets de la filiation. Il fixe de manière générale les règles relatives à l'attribution du nom considérée comme effet de la filiation.

Ces règles ont été modifiées de façon substantielle par la loi du 8 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/05/2014 pub. 26/05/2014 numac 2014009293 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté type loi prom. 08/05/2014 pub. 19/02/2015 numac 2015000081 source service public federal interieur Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté. - Traduction allemande type loi prom. 08/05/2014 pub. 28/05/2014 numac 2014003239 source service public federal finances Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 à la suite de l'introduction de la taxe additionnelle régionale sur l'impôt des personnes physiques visée au titre III/1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, modifiant les règles en matière d'impôt des non-résidents et modifiant la loi du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution type loi prom. 08/05/2014 pub. 14/05/2014 numac 2014009238 source service public federal justice Loi portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice fermer « modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté » (ci-après : la loi du 8 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/05/2014 pub. 26/05/2014 numac 2014009293 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté type loi prom. 08/05/2014 pub. 19/02/2015 numac 2015000081 source service public federal interieur Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté. - Traduction allemande type loi prom. 08/05/2014 pub. 28/05/2014 numac 2014003239 source service public federal finances Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 à la suite de l'introduction de la taxe additionnelle régionale sur l'impôt des personnes physiques visée au titre III/1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, modifiant les règles en matière d'impôt des non-résidents et modifiant la loi du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution type loi prom. 08/05/2014 pub. 14/05/2014 numac 2014009238 source service public federal justice Loi portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice fermer). Il ressort de l'intitulé et des travaux préparatoires de cette loi que le législateur a voulu instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3145/001, p. 10).

B.2.2. Pour atteindre cet objectif d'égalité entre les hommes et les femmes, le législateur a, dans l'article 335, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, permis aux parents de choisir un double nom composé des noms du père et de la mère dans l'ordre qu'ils déterminent ou d'opter pour le nom du père ou celui de la mère.

Le législateur a donc opté pour l'autonomie de la volonté des parents, dans les limites fixées par la loi, plutôt que pour un système d'attribution du nom fixé par la loi. Le législateur a limité le choix des parents pour garantir « une unité de nom entre enfants nés des mêmes parents. Le nom ne peut donc varier au sein d'une même fratrie et l'ordre des familles se voit ainsi ménagé » (ibid., p. 14).

B.2.3. Le législateur a aussi envisagé l'hypothèse du désaccord entre parents et de l'absence de choix. En pareil cas, l'article 335, § 1er, alinéa 2, troisième phrase, du Code civil, tel qu'il fut remplacé par l'article 2 de la loi du 8 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/05/2014 pub. 26/05/2014 numac 2014009293 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté type loi prom. 08/05/2014 pub. 19/02/2015 numac 2015000081 source service public federal interieur Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté. - Traduction allemande type loi prom. 08/05/2014 pub. 28/05/2014 numac 2014003239 source service public federal finances Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 à la suite de l'introduction de la taxe additionnelle régionale sur l'impôt des personnes physiques visée au titre III/1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, modifiant les règles en matière d'impôt des non-résidents et modifiant la loi du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution type loi prom. 08/05/2014 pub. 14/05/2014 numac 2014009238 source service public federal justice Loi portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice fermer, prévoyait au départ l'attribution du nom du père pour les enfants dont la filiation paternelle et maternelle était établie simultanément.

Par son arrêt n° 2/2016 du 14 janvier 2016, la Cour a annulé cette disposition : « B.8.5. Puisqu'il privilégie l'autonomie de la volonté des parents pour le choix du nom de famille, le législateur doit aussi déterminer la manière d'attribuer le nom de famille dans l'hypothèse où les parents sont en désaccord ou n'opèrent pas de choix, même s'il a par ailleurs veillé à limiter les cas de désaccord en permettant aux parents d'opter pour l'un ou l'autre nom de famille ou pour les deux noms dans l'ordre qu'ils déterminent. Il peut se justifier qu'il fixe lui-même le nom que portera l'enfant, lorsqu'il y a désaccord ou absence de choix, plutôt que d'accorder à cet égard un pouvoir d'appréciation au juge. Il importe en effet en cette matière de fixer de manière simple, rapide et uniforme le nom d'un enfant dès sa naissance. L'article 7 de la Convention relative aux droits de l'enfant dispose, à cet égard, que l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom.

B.8.6. La disposition attaquée traite, cependant, de manière différente des personnes se trouvant dans des situations similaires, à savoir les pères et les mères d'un enfant, dès lors qu'en cas de désaccord entre parents ou en cas d'absence de choix, l'enfant porte obligatoirement le seul nom de son père. Les mères sont ainsi traitées autrement que les pères dans leur droit de transmettre leur nom de famille à leur enfant.

B.8.7. La différence de traitement contenue dans la disposition attaquée est fondée sur le critère du sexe des parents. Seules des considérations très fortes peuvent justifier une différence de traitement exclusivement fondée sur le sexe.

Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2 que le législateur a justifié le choix du nom du père par la tradition et par la volonté de faire aboutir la réforme de manière progressive. Ni la tradition, ni la volonté d'avancer progressivement ne peuvent être tenues pour des considérations très fortes justifiant une différence entre les pères et les mères lorsqu'il y a désaccord entre parents ou absence de choix, alors que l'objectif de la loi est de réaliser l'égalité entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, la disposition attaquée peut avoir pour effet de donner ainsi un droit de veto au père d'un enfant dans l'hypothèse où la mère de l'enfant manifeste la volonté de donner à cet enfant son propre nom ou un double nom et où le père n'est pas d'accord avec ce choix.

B.9. L'article 335, § 1er, alinéa 2, troisième phrase, du Code civil, tel qu'il a été remplacé par l'article 2 de la loi du 8 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/05/2014 pub. 26/05/2014 numac 2014009293 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté type loi prom. 08/05/2014 pub. 19/02/2015 numac 2015000081 source service public federal interieur Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté. - Traduction allemande type loi prom. 08/05/2014 pub. 28/05/2014 numac 2014003239 source service public federal finances Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 à la suite de l'introduction de la taxe additionnelle régionale sur l'impôt des personnes physiques visée au titre III/1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, modifiant les règles en matière d'impôt des non-résidents et modifiant la loi du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution type loi prom. 08/05/2014 pub. 14/05/2014 numac 2014009238 source service public federal justice Loi portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice fermer, viole les articles 10, 11 et 11bis, alinéa 1er, de la Constitution et doit être annulé.

Afin d'éviter une insécurité juridique, en particulier vu la nécessité de déterminer le nom de l'enfant dès sa naissance, et afin de permettre au législateur d'adopter une nouvelle réglementation, il y a lieu de maintenir les effets de la disposition annulée jusqu'au 31 décembre 2016 ».

B.2.4. A la suite de cet arrêt, le législateur a, par la loi du 25 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/12/2016 pub. 30/12/2016 numac 2016009653 source service public federal justice Loi modifiant les articles 335 et 335ter du Code civil relatifs au mode de transmission du nom à l'enfant type loi prom. 25/12/2016 pub. 05/05/2017 numac 2017040278 source service public federal interieur Loi modifiant les articles 335 et 335ter du Code civil relatifs au mode de transmission du nom à l'enfant. - Traduction allemande fermer « modifiant les articles 335 et 335ter du Code civil relatifs au mode de transmission du nom à l'enfant », prévu un nouveau régime en cas de désaccord entre les parents ou en cas d'absence de choix, pour les enfants dont la filiation paternelle et maternelle est établie simultanément. Conformément au texte actuel de l'article 335, § 1er, alinéa 2, du Code civil, l'enfant porte dans ce cas les noms du père et de la mère accolés par ordre alphabétique, dans la limite d'un nom pour chacun d'eux.

B.3.1. L'article 335, § 3, en cause, du Code civil, tel qu'il a été remplacé par l'article 2 de la loi du 8 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/05/2014 pub. 26/05/2014 numac 2014009293 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté type loi prom. 08/05/2014 pub. 19/02/2015 numac 2015000081 source service public federal interieur Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté. - Traduction allemande type loi prom. 08/05/2014 pub. 28/05/2014 numac 2014003239 source service public federal finances Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 à la suite de l'introduction de la taxe additionnelle régionale sur l'impôt des personnes physiques visée au titre III/1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, modifiant les règles en matière d'impôt des non-résidents et modifiant la loi du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution type loi prom. 08/05/2014 pub. 14/05/2014 numac 2014009238 source service public federal justice Loi portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice fermer, règle les conséquences de la modification de la filiation d'une personne sur son nom. Comme cela a également été souligné lors des travaux préparatoires, le régime mis en place par la disposition en cause est calqué « sur le régime actuellement en vigueur, compte tenu du principe de l'égalité de droits instaurée entre parties » et en insérant le « principe de l'autonomie de la volonté, dans les limites fixées par la loi » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3145/001, pp. 14 et 19-20).

B.3.2. La disposition attaquée prévoit donc que lorsque la filiation de l'enfant est établie vis-à-vis de l'un des deux parents après la filiation vis-à-vis de l'autre parent, le nom demeure en principe inchangé. Le législateur a toutefois maintenu la possibilité, qui était déjà inscrite dans l'ancien article 335, § 3, alinéa 2, du Code civil, d'encore modifier le nom de l'enfant, en optant soit pour le nom de la personne à l'égard de laquelle la filiation est établie en second lieu, soit pour un double nom. Ce changement de nom nécessite qu'une déclaration soit faite auprès de l'officier de l'état civil par les deux parents conjointement, ou par l'un d'eux si l'autre est décédé, dans un délai d'un an à dater de la reconnaissance ou du jour où une décision établissant la filiation paternelle ou maternelle est coulée en force de chose jugée et avant la majorité ou l'émancipation de l'enfant.

B.4. La question préjudicielle invite à comparer la situation d'un enfant à l'égard duquel la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies simultanément, avec la situation d'un enfant à l'égard duquel la filiation vis-à-vis de l'un des deux parents est établie après la filiation vis-à-vis de l'autre parent. En cas de désaccord entre les parents sur le choix du nom, la première catégorie se voit attribuer le double nom par ordre alphabétique. Dans ce cas, la deuxième catégorie conserve le nom du parent vis-à-vis duquel la filiation a été établie en premier lieu, étant donné que le changement de nom requiert une déclaration commune des parents devant l'officier de l'état civil.

B.5. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, les catégories de personnes visées dans la question préjudicielle sont suffisamment comparables, dans la mesure où il s'agit dans les deux cas d'un enfant dont les parents ne s'accordent pas sur l'attribution du nom.

B.6. L'attribution d'un nom de famille repose principalement sur des considérations d'utilité sociale. Elle est, contrairement à l'attribution du prénom, déterminée par la loi. Celle-ci vise, d'une part, à déterminer le nom de famille de manière simple, rapide et uniforme et, d'autre part, à conférer à ce nom de famille une certaine fixité.

B.7.1. Contrairement au droit de porter un nom, celui de donner son nom de famille à son enfant ne peut être considéré comme un droit fondamental. En matière de réglementation de l'attribution du nom, le législateur dispose par conséquent d'un pouvoir d'appréciation étendu, pour autant qu'il respecte le principe d'égalité et de non-discrimination, lu en combinaison avec le droit au respect de la vie privée et familiale.

B.7.2. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé : « L'article 8 de la Convention ne contient pas de disposition explicite en matière de nom, mais [...] en tant que moyen déterminant d'identification personnelle (Johansson c. Finlande, n° 10163/02, § 37, 6 septembre 2007, et Daróczy c. Hongrie, n° 44378/05, § 26, 1er juillet 2008) et de rattachement à une famille, le nom d'une personne n'en concerne pas moins la vie privée et familiale de celle-ci. Que l'Etat et la société aient intérêt à en réglementer l'usage ne suffit pas pour exclure la question du nom des personnes du domaine de la vie privée et familiale, conçue comme englobant, dans une certaine mesure, le droit pour l'individu de nouer des relations avec ses semblables (Burghartz, précité, § 24; Stjerna, précité, § 37; Ünal Tekeli, précité, § 42, CEDH 2004-X; Losonci Rose et Rose c. Suisse, n° 664/06, § 26, 9 novembre 2010; Garnaga c. Ukraine, n° 20390/07, § 36, 16 mai 2013) » (CEDH, 7 janvier 2014, Cusan et Fazzo c.Italie, § 55).

B.7.3. Même si le droit de donner son nom de famille ne peut être considéré comme un droit fondamental, les parents ont quand même un intérêt clair et personnel à intervenir dans le processus de détermination du nom de famille de leur enfant.

B.8.1. La Cour s'est déjà prononcée à plusieurs reprises sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 335, § 3, du Code civil, tel qu'il était applicable avant son remplacement par l'article 2 de la loi du 8 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/05/2014 pub. 26/05/2014 numac 2014009293 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté type loi prom. 08/05/2014 pub. 19/02/2015 numac 2015000081 source service public federal interieur Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté. - Traduction allemande type loi prom. 08/05/2014 pub. 28/05/2014 numac 2014003239 source service public federal finances Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 à la suite de l'introduction de la taxe additionnelle régionale sur l'impôt des personnes physiques visée au titre III/1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, modifiant les règles en matière d'impôt des non-résidents et modifiant la loi du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution type loi prom. 08/05/2014 pub. 14/05/2014 numac 2014009238 source service public federal justice Loi portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice fermer. Comme dans sa version actuelle, cette disposition prévoyait que lorsque la filiation paternelle est établie après la filiation maternelle, le nom de l'enfant demeure en principe inchangé, sauf si les parents font tous deux, ou l'un d'eux si l'autre parent est décédé, une déclaration de changement de nom auprès de l'officier de l'état civil.

Par son arrêt n° 64/96 du 7 novembre 1996, la Cour a jugé, en ce qui concerne l'ancien article 335, § 3, du Code civil : « B.3.2. Il ressort des travaux préparatoires de la disposition en cause que le législateur a considéré que la modification du nom de l'enfant dont la filiation paternelle a été établie après la filiation maternelle peut être contraire à ses intérêts (Doc. parl., Chambre, 1983-1984, n° 305/1, pp. 17-18, et Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904-2, pp. 125-126). Sur la base de cette considération, il a disposé que le nom de l'enfant dont la filiation maternelle est déjà établie reste en principe inchangé lorsque la filiation paternelle est établie à son tour. Le législateur a néanmoins prévu la possibilité de procéder à un changement de nom, moyennant une déclaration devant l'officier de l'état civil.

B.3.3. Le législateur, usant du pouvoir d'appréciation qui lui appartient, a, en matière de filiation, réglé l'attribution du nom en ayant égard, à la fois, à l'utilité sociale d'assurer à ce nom une certaine fixité et à l'intérêt de celui qui le porte.

Il n'est pas déraisonnable de prévoir que, lorsque l'enfant porte le nom de sa mère parce que la filiation maternelle a été d'abord établie, la substitution à ce nom de celui du père n'est possible qu'à la condition que tant le père que la mère, ou l'un d'eux si l'autre est décédé, fassent une déclaration à cet effet auprès de l'officier de l'état civil. Le législateur a pu partir du principe que les parents sont le mieux placés pour apprécier l'intérêt de l'enfant, jusqu'à la majorité ou l'émancipation de celui-ci. Il n'est pas déraisonnable non plus, compte tenu de l'utilité sociale de la fixité du nom, que le législateur ait prévu qu'en cas de désaccord (entre le père et la mère), le nom attribué à l'enfant sera maintenu, plutôt que d'accorder un pouvoir d'appréciation au juge.

B.4. Il n'apparaît pas qu'en adoptant les dispositions de l'article 335, § 3, alinéa 1er, du Code civil, le législateur ait pris une mesure qui ne reposerait pas sur un critère objectif et qui ne serait pas adéquate. Il n'apparaît pas davantage que les droits des intéressés soient affectés de manière disproportionnée ».

La Cour a statué dans le même sens dans ses arrêts n° 79/95 du 28 novembre 1995, 68/97 du 6 novembre 1997, 82/2004 du 12 mai 2004 et 114/2010 du 21 octobre 2010. Dans son arrêt n° 82/2004, la Cour ajoute à cet égard : « B.6. Les effets de la règle en cause risquent d'autant moins d'être disproportionnés que la loi du 15 mai 1987Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/05/1987 pub. 06/07/2011 numac 2011000402 source service public federal interieur Loi relative aux noms et prénoms fermer relative aux noms et prénoms permet d'obtenir un changement de nom et que l'autorité de qui ce changement dépend ne pourrait manquer de considérer comme sérieuse la demande que quelqu'un lui ferait de porter le nom de son père ».

Par son arrêt n° 50/2017 du 27 avril 2017, la Cour a également jugé que ce choix du législateur « n'est pas déraisonnable, le législateur ayant pu estimer que les deux parents sont les mieux placés pour apprécier l'intérêt de l'enfant ».

B.8.2. Les motifs qui ont amené la Cour à juger dans le sens indiqué ci-avant sont également valables pour l'actuel article 335, § 3, alinéas 1er et 2, du Code civil, qui prévoit, comme dans sa version précédente, que le nom de l'enfant demeure en principe inchangé en cas d'établissement ultérieur de la filiation vis-à-vis de l'un des deux parents, sauf si les parents font une déclaration conjointe de changement de nom auprès de l'officier de l'état civil. Etant donné la liberté de choix dont les parents bénéficient aujourd'hui en vertu de l'article 335, § 1er, du Code civil, pour attribuer le nom de la mère, celui du père ou un double nom, le législateur a explicitement prévu que ce régime s'applique en cas d'établissement ultérieur de la filiation tant maternelle que paternelle.

B.8.3. Le fait que la législation relative à l'attribution du nom a été modifiée depuis cette jurisprudence récente, le législateur ayant privilégié, en cas d'établissement simultané de la filiation paternelle et maternelle, l'autonomie de la volonté des parents, tout en prévoyant qu'en cas de désaccord, l'enfant se verrait attribuer un double nom dans l'ordre alphabétique, ne permet pas d'aboutir à une autre conclusion. Dans ce cas, le désaccord sur l'attribution du nom se produit en effet au moment où l'enfant ne s'est vu attribuer encore aucun nom. Il importe en cette matière de fixer de manière simple, rapide et uniforme le nom d'un enfant dès sa naissance. L'article 7 de la Convention relative aux droits de l'enfant dispose, à cet égard, que l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom.

Il peut dès lors se justifier qu'en cas de désaccord entre les parents sur le nom de l'enfant au moment où l'enfant ne s'est vu attribuer encore aucun nom, le législateur ait défini lui-même le nom que l'enfant portera. Compte tenu de l'objectif, poursuivi par la loi du 8 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/05/2014 pub. 26/05/2014 numac 2014009293 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté type loi prom. 08/05/2014 pub. 19/02/2015 numac 2015000081 source service public federal interieur Loi modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté. - Traduction allemande type loi prom. 08/05/2014 pub. 28/05/2014 numac 2014003239 source service public federal finances Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 à la suite de l'introduction de la taxe additionnelle régionale sur l'impôt des personnes physiques visée au titre III/1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, modifiant les règles en matière d'impôt des non-résidents et modifiant la loi du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution type loi prom. 08/05/2014 pub. 14/05/2014 numac 2014009238 source service public federal justice Loi portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice fermer, d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom, et vu l'arrêt n° 2/2016 cité en B.2.3, le législateur pouvait prévoir qu'en pareil cas, l'enfant se verrait attribuer le double nom dans l'ordre alphabétique.

B.8.4. Il n'en va pas de même pour l'enfant dont la filiation est établie en premier lieu vis-à-vis de l'un des deux parents, et seulement ultérieurement vis-à-vis de l'autre parent. Dans ce cas, l'enfant s'est déjà vu attribuer le nom du premier parent et le désaccord sur le nom n'intervient qu'ultérieurement, lorsque la filiation est établie vis-à-vis du second parent. Dans ce cas, l'enfant peut avoir déjà porté depuis longtemps le nom du parent vis-à-vis duquel la filiation a été établie en premier lieu. Il est raisonnablement justifié, compte tenu de l'utilité sociale de la fixité du nom et de l'intérêt de l'enfant, que le législateur ait prévu que, dans ce cas, le nom déjà attribué ne puisse être modifié qu'avec l'accord des deux parents, qui peuvent ensemble être considérés comme étant les mieux placés pour pouvoir apprécier l'intérêt de l'enfant, si bien que ce nom demeure inchangé en cas de désaccord.

D'ailleurs, la disposition en cause s'applique de manière égale à la mère et au père. Ils sont donc traités de manière égale par la disposition attaquée dans leur droit de transmettre leur nom de famille à leur enfant.

Compte tenu de ce qui précède, la différence de traitement mentionnée dans la question préjudicielle n'est pas dénuée de justification raisonnable.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 335, § 3, alinéas 1er et 2, du Code civil, lu en combinaison avec l'article 335, § 1er, alinéas 1er et 2, du même Code, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 7 février 2019.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, A. Alen

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